Est-ce possible qu’une autre décennie d’Eurovision se soit écoulée ? Est-ce possible que les années 2010 appartiennent désormais au passé ? Je me souviens encore distinctement de l’Eurovision 2010. Pour la première fois, j’avais suivi les répétitions minute par minute. Jusque là, j’avais craint de déflorer les mises en scène et de perdre en effet de surprise. En réalité, les découvrir au préalable m’apporta autant de plaisir et d’excitation.

L’Eurovision 2010 reste également dans ma mémoire et dans mon cœur, car pour la première fois, je suivis une finale avec ma meilleure amie. Jusque là, il s’agissait d’un plaisir solitaire et je ne partageais mon canapé qu’avec une bouteille d’Oasis. En 2010, le pas fut franchi et depuis, nous n’avons cessé d’être plus nombreux autour de la télévision.

Beaucoup d’émotions et de suspense. Une très belle sixième place pour Tom Dice et pour la Belgique, à ma grande surprise et mon intense joie. Et le début d’une décennie qui sera marquée pour moi par les victoires inespérées et tant attendues de l’Allemagne, de l’Autriche, du Portugal et des Pays-Bas. C’est cela que je retiendrai à titre principal de ces dix années : l’on peut traverser les Enfers eurovisionesques cinquante ans durant, se faire éliminer en demi-finale à huit reprises consécutives, être la risée de l’Europe édition après édition et malgré tout, remporter une victoire éclatante.

À mon bonheur d’alors, il ne manquait qu’une touche finale : un site en français pour partager cette passion dévorante. Mes meilleurs amis appréciaient beaucoup la semaine de l’Eurovision, mais n’étaient pas fans au point de discuter avec moi de tous les concurrents de la sélection biélorusse. Mes recherches sur Internet m’avaient laissé mi-figue mi-raisin. Il y avait de nombreux sites et forums dynamiques, en anglais cependant. Il y avait plusieurs sites et forums en français, trop factuels hélas.

Je cherchais un site d’informations, certes, mais offrant en sus les commentaires et les avis de ses rédacteurs, des explications supplémentaires, des rubriques personnelles et surtout, de l’humour, du second degré et de la dérision. Ce fut l’Eurovision au Quotidien. Comme souvent des événements anodins qui changent votre vie, je ne me souviens pas précisément du jour où je découvris le site. En revanche, je me rappelle où j’étais (au bureau, honte sur moi et mes descendants pour sept générations…), je me rappelle avoir entré « site eurovision en français » dans la barre de recherche de Google et avoir cliqué sur la deuxième référence.

Si ma mémoire est bonne, nous étions début 2012, sans doute aux alentours du mois de février, car je me souviens avoir lu un article sur l’Eesti Laul, plus ancien souvenir personnel de l’EAQ. La suite vous est connue : conquis, je revins régulièrement, puis quotidiennement. J’avais enfin trouvé mon port d’attache eurovisionesque. Je raffolai des explications d’Eurovista et des plaisanteries d’Antoine. Il me fallut rassembler mon courage deux années durant pour oser poser la question : « Comment doit-on faire pour vous soumettre des articles ? » Cette fois, jour et heure furent enregistrés par le site : le 19 mai 2014 à 9h55, sur cet article d’Antoine.

Et six ans plus tard, me voici vous présentant le classement de mes dix chansons préférées de cette décennie riche, intense et passionnante. Sachez avant tout que toutes les chansons gagnantes occupent une place particulière dans mon cœur, entre celles que j’adore (Arcade, Euphoria, Satellite…) et celle qui m’endort (Amor Pelos Dois – la seule chanson gagnante de toute l’histoire de l’Eurovision que je suis incapable de fredonner, blocage psychologique). Mais dix autres chansons occupent une place particulière dans mon Panthéon musical et eurovisionesque. Dix chansons que je réécoute sans cesse et qui me plongent à chaque fois dans des états émotionnels indescriptibles.

1 point – Suisse 2019 – Luca Hänni – She Got Me

Les années 2010 auront été un long calvaire pour la Suisse. Hormis Sebalter, la SRG SSR aura aligné une incroyable brochette de concurrents parfois malchanceux, parfois condamnés dès leur sélection. Seul bon souvenir de ces années de misère musicale : la mythique plateforme du diffuseur, antichambre de sa finale télévisée. Hélas, pour des raisons peu honorables, puisqu’elle me procura certains de mes plus beaux fous rires d’Eurofan.

Et comme souvent, c’est quand tout semblait perdu que l’épiphanie se produisit. Grâce à notre ami Nico, j’avais découvert Luca Hänni. Mais au vu des développements de sa carrière et des résultats des porte-drapeau suisses, j’avais fait le deuil de sa participation. Miracle quand l’an dernier, il fut annoncé comme représentant. Miracle supplémentaire quand She Got Me fut présentée. Je tombai instantanément amoureux de cette chanson, au point de l’écouter en boucle des semaines durant.

La quatrième place de Luca me ravit plus que je ne saurais l’exprimer par de simples mots. J’y contribuai à mon échelle modeste en envoyant quelques votes, dûment répertoriés, puisque le public belge attribua 5 points à Luca. Depuis She Got Me m’accompagne partout : j’en ai fait ma sonnerie de téléphone portable. Elle restera comme ma chanson suisse préférée de tous les temps, le sommet helvétique de la décennie et la promesse d’autres résultats brillants pour la SRG SSR.

2 points – Allemagne 2011 – Lena – Taken By A Stranger

Bien entendu, j’ai aimé la Lena 2010. Mais j’ai A-DO-RÉ la Lena 2011. J’ai fait montre de peu d’enthousiasme à l’annonce de son retour pour défendre sa couronne. Je trouvais cette idée plutôt absurde. Tous mes a priori s’envolèrent à l’écoute de Taken By A Stranger, avant la finale de la sélection allemande. Cette chanson étrange, envoûtante, à des années-lumière des clichés de l’Eurovision, me procura des joies musicales inédites. Je passai la soirée de la dite finale, à genoux, les mains jointes, devant ma télévision, suppliant le ciel et le public allemand de choisir TBAS. Je fus exaucé et en bondis de joie durant plusieurs heures.

L’ironie de tout cela est que je passai de glacé à bouillant : j’aurais tout donné pour que Lena l’emporte à nouveau. J’aurais presque donné ma vie pour que l’on réécrive l’histoire et qu’elle l’emporte en 2010 avec ce morceau. Sa prestation, lors de la finale, m’emporta jusqu’au septième ciel. Lena avait tant changé en un an. Elle était devenue une chanteuse expérimentée et sophistiquée. Je votai pour elle et priai. Avec moins d’effets, le ciel s’étant sans doute lassé. La Belgique lui attribua cinq points, je n’avais pas dépensé mes votes en vain. Sa dixième place me déçut un peu, pas trop et cimenta mon indéfectible amour pour elle.

3 points – Norvège 2015 – Mørland & Debrah Scarlett – A Monster Like Me

Ce fut avec un certain désappointement que je pris connaissance des chansons concurrentes du Melodi Grand Prix 2015. Beaucoup de morceaux génériques ou compassés. Je fus assez catastrophé par le retour d’Elisabeth Andreassen. Raylee ne m’arracha même pas un sourire. J’attendais beaucoup de Karin Park, pour en être déçu. Et précisément au moment où j’avais renoncé, à la dernière chanson, je fus frappé par la foudre, en un instant, transi d’amour et d’admiration devant A Monster Like Me. Kjetil Mørland était entré dans ma vie. Que d’émotions en trois minutes à peine. Que de génie, que d’achèvement, que de délicatesse, que d’ombres, que de perfection en une seule chanson. Et que de mystère, car le méfait monstrueux demeurera à jamais inconnu.

Mon émerveillement devant ce joyau gothique alla sans cesse croissant et je suivis en tremblant la finale norvégienne. Je manquai défaillir à chaque tour de vote, tandis que les Norvégiens ne renonçaient ni à leur chanson sur de la pizza, ni à Erlend Bratland. La victoire se joua à 1,2% des votes, mais Kjetil et Debrah Scarlett l’emportèrent, à ma joie la plus intense et la plus profonde. Mon cœur s’était arrêté un instant, mais depuis, n’a plus cessé de battre pour ce duo norvégien. Leur prestation à Vienne renforça encore mon attachement à eux. Je fus émerveillé par leur remarquable mise en scène. Aucun décor, aucun effet spécial, aucun accessoire, même pas une image d’arrière-fond. Juste eux, juste l’alchimie entre eux et des prises de vue soigneusement étudiées. La magistrale démonstration que la caméra est la meilleure des alliées eurovisionesques.

Leur huitième place en finale me réjouit, car je ne pensais pas qu’une victoire soit possible. La concurrence était rude, le sujet était âpre. Mes votes tombèrent dans un puits belge d’indifférence : la Belgique n’attribua aucun point à la Norvège. D’autres pays s’en chargèrent et je les en remercie. Grâce à eux, AMLM a cimenté sa place dans la légende de l’Eurovision.

4 points – Lettonie 2015 – Aminata – Love Injected

Ce fut une année majeure que 2015, marquée bien entendu par la résurrection de la Belgique d’entre les morts, par les débuts de l’Australie, par ce magique duo norvégien ou encore par le pantalon de cuir de Måns Zelmerlöw (Honni soit qui mal y pense). Elle me restera également en mémoire de par la réinvention de la sélection lettone. Abandonnant son antédiluvien Dziesma, la LTV se propulsa dans l’espace-temps avec le Supernova. Au Panthéon des gloires oubliées de l’Eurovision : l’inventeur de ce titre, qui me permit par la suite une pluie de plaisanteries plus ou moins fines.

C’est ainsi que je fis la connaissance de Markus Riva, qui fut loin de me convaincre. ElektroFolk me procura bien des joies. MNTHA me fascina. Tous furent relégués à l’arrière-plan de mes préoccupations quand je découvris Love Injected. J’avais entraperçu Aminata au Dziesma 2014. Jamais je n’aurais parié le moindre sou sur elle. Et là… Le choc, le bouleversement, la révélation. J’eus l’impression d’entendre la meilleure chanson de l’année. Une réussite, un tour de force, une prouesse artistique, humaine, vocale et visuelle totale. La perfection eurovisionesque en trois minutes. Tout ce beau monde se retrouva en finale, pour une soirée magistrale, probablement la meilleure finale lettone qui ait été. En Eurofan acharné, je m’inscrivis sur la plateforme de la LTV et votai en ligne pour Aminata. Sa victoire fut éclatante, à des encablures de Markus Riva, lointain deuxième.

La prestation d’Aminata à Vienne fut supérieure encore. Certainement ma contribution lettone préférée de tous les temps. Mes votes furent rejoints par ceux de mes compatriotes et la Belgique attribua sept points à la Lettonie. Au final, Aminata fut sixième, un excellent résultat qui me réjouit. Elle avait été parfaite en tous points et trônait désormais dans mon Olympe personnel. Sur le moment, j’étais convaincu que la LTV avait trouvé une formule gagnante imparable et qu’à Aminata succéderaient d’autres représentants brillants, jusqu’à une nouvelle victoire. La suite des événements m’en détrompa, ce qui renforça plus encore mon amour pour Love Injected.

5 points – Arménie 2016 – Iveta Mukuchyan – LoveWave

C’était un soir en rentrant du travail. Mon téléphone portable se raccorda au Wifi domestique. La nouvelle tomba alors en notification : Iveta Mukuchyan avait officiellement dévoilé sa chanson pour Stockholm. Je me précipitai sur YouTube pour l’écouter et je fus emporté dans une autre dimension durant trois minutes. Je succombai sur le champ à ce mélange étrange, onirique, magique, à cette construction déroutante, à tiroirs, à cette voix unique, puissante, parfaite. Je remerciai le ciel pour Iveta, pour LoveWave et pour l’Eurovision. Je vis pour ces instants-là, ces instants d’intenses émerveillements musicaux.

Je fus un peu refroidi en lisant les commentaires ici et ailleurs. Mon enthousiasme débordant et passionnel pour LoveWave n’était pas entièrement partagé. J’étais convaincu que la chanson ferait l’unanimité. Ce n’était pas le cas. Mais elle me plaisait et me parlait tellement que j’oubliais tout cela pour vivre intensément chaque écoute. J’y consacrai des heures et des heures. J’étais convaincu qu’Iveta balayerait toutes les réticences lors de sa prestation en direct. Les répétitions me confortèrent dans cette opinion. Elle était une interprète remarquable et la mise en scène s’annonçait époustouflante.

De fait, je fus ébahi par les prises de vue millimétrée, par la précision chirurgicale des angles et des raccords et plus que tout par l’apparition des avatars d’Iveta. L’Eurovision embrassait la science-fiction. Lors de la finale, Iveta conclut la soirée et ce fut pour moi une apothéose. J’étais dans un autre univers, ailleurs, loin de la Terre et de ses contingences. Iveta m’apparut comme une déesse antique incarnée et je vécus trois minutes d’extase musicale. Le public belge lui attribua sept points, elle se hissa à une belle septième place. La soirée se termine cependant dans les larmes, mais pour d’autres raisons. Rien qui n’altéra ma ferveur pour LoveWave.

6 points – Belgique 2017 – Blanche – City Lights

Il fallait bien une chanson belge dans ce classement. Cela aurait pu être Me & My Guitar, Rhythm Inside, What’s The Pressure ou A Matter Of Time. Ce sera City Lights, ma chanson belge préférée de tous les temps, trois minutes magistrales démontant toutes les idées reçues sur l’Eurovision et faisant taire tous ses contempteurs. Une chanson qui me procura mes meilleures et mes plus terribles émotions eurovisionesques de la décennie.

Je me vois encore dans ma salle de bains, un matin d’hiver, à sept heures, découvrant cette chanson et étant renversé par sa modernité, sa perfection et son génie. Je fus incapable de penser à autre chose de la journée et dans les semaines qui suivirent, mon attachement ne cessa de s’accroître au point d’atteindre le délire. Puis vint le moment crucial de la première prestation en direct, à l’AB. Ce fut la chute d’Icare : du bonheur, je passai sans transition à la dévastation. Blanche m’apparut comme dépourvue du moindre atout. Chacune de ses apparitions suivantes aux Euroconcerts me plongea dans le désespoir. Nous allions droit au mur, tandis que les critiques pleuvaient de partout sur elle. Et moi qui aimais tant City Lights, je souffrais le martyr.

Les répétitions à Kiev n’arrangèrent rien et le soir de la demi-finale venue, je m’apprêtai à la claque, la gifle, le soufflet, l’humiliation. Quelles ne furent ma surprise, ma joie et mon émotion : tous les éléments s’emboîtèrent subitement et Blanche délivra une prestation impeccable, millimétrée, cadrée, parfaite. Mes peurs ne s’envolèrent point car le doute demeurait : plaira-t-elle aux jurys et aux téléspectateurs ? L’annonce des qualifiés de cette première demi-finale restera le plus terrible moment de ma décennie d’Eurofan. Je manquai l’arrêt cardiaque. Nous fûmes annoncés en dernier, mais Dieu merci, nous fûmes annoncés.

En final, Blanche reproduisit son petit miracle. Miracle supplémentaire : elle s’octroya, grâce au télévote, une incroyable quatrième place. Vous m’auriez dit, à l’entame de la décennie, que je verrai de mon vivant la Belgique à nouveau à pareille place, j’aurais eu toutes les peine du monde à vous croire. Sans parler de nos trois qualifications d’affilée et de nos trois classements successifs parmi les dix premiers… Depuis, Blanche poursuit une belle carrière, City Lights s’est révélé un succès commercial majeur dans notre pays et mon attachement pour lui est demeuré plus intense encore avec la patine du temps.

7 points – Albanie 2012 – Rona Nishliu – Suus

En vingt-deux ans, beaucoup de prestations m’ont ému, quelques unes m’ont mis la larme à l’œil, une seule m’aura fait pleurer et c’est celle-ci. Pour moi, l’une des prestations vocales les plus brillantes et les plus incroyables de l’histoire du Concours. Trois minutes épiques, mythiques, légendaires. Trois minutes où l’Eurovision a dépassé sa dimension de divertissement léger pour devenir de l’Art, avec un « A » majuscule. Trois minutes où la musique n’a été qu’émotion. Cela couronné par le sanglot conclusif le plus mémorable de ces soixante-cinq dernières années.

Bien entendu, je découvris Rona Nishliu et son Suus à Noël, sous le sapin, lors du Festivali i Këngës. Mais un Suus dans une version encore brute. Je ne fus pas renversé, mais j’admirai la maîtrise vocale magistrale de Rona. Sa victoire, assez unanime pour une fois, ne me surprit pas. La surprise, l’excellente surprise vint à la publication du morceau retravaillé, poli, retaillé. Le diamant brut était devenu un joyau brillant de tout son éclat. Je demeurai fasciné et confondu et passai les semaines suivantes à réécouter Suus.

La demi-finale arrivé, je fus interloqué par l’accoutrement très « fiancée de Frankenstein » de Rona, mais sa prestation vocale me stupéfia. Elle se révéla tellement intense, tellement profonde, tellement émouvante, que je fondis en larmes devant ma télévision. Le lendemain, je passai ma journée à sangloter devant YouTube, me repassant en boucle ces trois minutes. En finale, Rona offrit sa meilleure place à l’Albanie. Rentrée à Tirana, elle fut acclamée et traitée comme une reine. Moi, je guette son retour au Festivali i Këngës et à l’Eurovision….

8 points – Italie 2017 – Francesco Gabbani – Occidentali’s Karma

J’étais convaincu, à un point difficilement concevable, qu’il allait l’emporter. Une victoire eurovisionesque que j’imaginais à l’image de sa victoire au Festival de Sanremo : fiévreuse, bouillonnante, évidente. Hélas le miracle de Sanremo ne se reproduisit pas à Kiev et j’en fus intensément déçu. Sans doute la plus cinglante déception de cette décennie…

Ma découverte d’Occidentali’s Karma se déroula donc lors de la semaine italienne de Sanremo, suivie dans un premier temps avec un intérêt vague, puis croissant, puis brûlant, au fur et à mesure des prestations de Francesco. Le public italien s’enflamma et sa chanson se hissa en flèche sur le podium. Lors de la finale du Festival, sa victoire était devenue une évidence. Je m’accrochai jusqu’aux petites heures pour l’entendre.

La popularité de Francesco et de sa chanson continuèrent à croître dans les semaines suivantes. Les parieurs se joignirent au mouvement. Les étoiles m’apparurent enfin alignées pour une victoire italienne. Puis vinrent les répétitions et les étoiles devinrent contraires. Le Portugal s’envola et l’Italie régressa, faute d’une mise en scène convaincante. Francesco, là pour participer et prendre du bon temps, ne réitéra pas la magie antérieure. Il manqua à ses trois minutes en finale une émotion particulière, une étincelle. Je dépensai malgré tout mon forfait pour lui. Le public belge lui attribua cinq points et il termina à une belle sixième place. Un regret, mais toujours un plaisir intense et sincère à chaque nouvelle écoute d’Occidentali’s Karma.

10 points – Norvège 2013 – Margaret Berger – I Feed You My Love

Il y a des chansons de l’Eurovision qui m’accompagneront jusqu’à la tombe, que je réécouterai jusque sur mon lit de mort, qui résonneront toute ma vie dans mon cœur et mon âme. I Feed You My Love est de celles-là. Sa découverte en version studio, un après-midi de janvier 2013, me confondit de bonheur et de stupeur. Était-ce possible que l’on propose des morceaux aussi modernes, aussi géniaux, aussi parfaits à une sélection nationale ? Était-ce possible de réduire autant à néant tous les clichés eurovisionesques ? I Feed You My Love était-il possible ?

Je suivis le Melodi Grand Prix 2013 avec passion et effroi, terrifié à chaque étape que Margaret ne soit éliminée. Face à elles, des concurrents avec d’excellentes chansons, mais qui, Dieu merci, ne firent pas le poids, faute d’aisance scénique ou vocale. Margaret parvint ainsi jusqu’à la surperfinale, où elle l’emporta après un vote en forme de plébiscite. J’étais alors l’Eurofan le plus heureux du monde et convaincu d’avoir vécu le sommet absolu de l’Eurovision.

Margaret confirma son excellence à Malmö. Je ne pus voter pour elle en demi-finale, mais je me rattrapai en finale. Elle obtint sept points de la Belgique et se hissa jusqu’à la quatrième place, un excellent résultat, à la hauteur d’une si parfaite chanson. Depuis, elle demeure pour moi l’incarnation absolue et totale de l’Eurovision au XXIe siècle. Sa fraîcheur et son audace demeurent intactes, sept ans après. Son pouvoir d’attraction sur moi, aussi.

12 points – Pays-Bas 2013 – Anouk – Birds

Et s’il n’en restait plus qu’une, ce serait elle. Voilà donc ma chanson préférée de cette décennie 2010-2019, la chanson qui m’aura causé le plus de bonheur eurovisionesque, apporté le plus de joies musicales, suscité le plus d’émotions à tous niveaux. Bien plus : Birds est devenu culte pour moi. Pour des raisons artistiques, mais aussi pour des raisons symboliques.

En 2012, pour la huitième fois consécutive, les Pays-Bas avaient été éliminés en demi-finale. Un record infamant, une honte nationale. L’affaire était entendue, y compris pour moi : nos voisins resteraient la risée de l’Europe et du monde, une cause perdue et un condamné perpétuel aux dernières places. L’annonce, le 17 octobre 2012, de la sélection d’Anouk comme représentante néerlandaise me stupéfia. Anouk ! A-NOUK ! En Belgique, elle était une chanteuse fort appréciée. Aux Pays-Bas, elle était un monument. Imaginer qu’elle puisse descendre dans l’arène de l’Eurovision… Inconcevable encore la veille…

C’était là le signe que les temps avaient changé et que l’heure de gloire avait enfin sonné pour les Pays-Bas. Il fallut ensuite s’armer de patience, car ce n’est que quatre mois plus tard, le 22 février 2013, qu’Anouk présenta Birds. Tout le monde, moi y compris, s’attendait à un morceau rock, dans la lignée de ses plus grands succès. Ce fut tout le contraire : un morceau sombre, poétique, un joyau musical intemporel, qui à mes oreilles, sonna comme la perfection pure et absolue.

Dans cette série d’articles, chaque rédacteur est invité à partager son meilleur souvenir ou sa meilleure anecdote de la décennie écoulée. Nous y voilà enfin. Lorsque je ferme les yeux, mon esprit me ramène aussitôt à ce 14 mai 2013. Un souvenir gravé en moi pour l’éternité : la qualification tant attendue et espérée des Pays-Bas et son annonce par Petra Mede. Réécoutez le public dans la salle scander « Netherlands » et exploser de joie quand Petra prononça enfin le nom de ce pays si malheureux :

L’angoisse et le stress avaient été si intenses, j’avais tant prié pour cette qualification, que j’éclatai en sanglots (une vraie petite madeleine de l’Eurovision…). J’avais été exaucé, j’allais me coucher sur un petit nuage. Le samedi suivant, sa prestation en finale fut aussi réussie, un moment de grâce et poésie. Je votai pour elle, ainsi que pour Margaret Berger. C’était ma gagnante, mon cœur battit pour elle et rien que pour elle trois heures durant.

Fatalement, le résultat final fut décevant. Anouk termina neuvième, malgré les « douze points » de la Belgique. Ce n’était cependant qu’une étape pour elle, qui continua brillamment sa carrière et pour les Pays-Bas, qui retrouvèrent le chemin du succès. Année après année, ils s’approchèrent de la victoire jusqu’à l’atteindre en 2019, heureuse et belle conclusion d’une inoubliable décennie.

C’est ici que se termine ces micro-mémoires. Si vous avez eu le courage de les lire jusqu’à ce paragraphe, je vous en remercie infiniment. Mon souhait à présent est de vivre dix autres années aussi intenses et réussies à vos côtés. J’espère que les années 2020 à 2029 vous apporteront autant de joies et de satisfactions. Surtout, j’espère qu’elles verront, elles aussi, des pays moins chanceux être couronnées en mai, à commencer par notre trio francophone de cœur, la Belgique, la France et la Suisse.

Je vous envoie mes amitiés depuis Bruxelles et vous souhaite une belle journée. À très bientôt !