eurovision-1956Le temps file, mes bons amis. Nous voilà déjà au sixième numéro de nos chroniques hebdomadaires. Je ne saurais vous décrire avec exactitude la joie qui s’empare de moi, chaque fois que je me mets devant ma Remington pour vous écrire. N’allez pas vous méprendre : je sais parfaitement utiliser un traitement de texte ! Mais à mon âge, rester trop longtemps devant un écran d’ordinateur me donne des céphalées. Alors, je tape mes textes sur ma machine à écrire. Cela me donne du rythme, de l’énergie. Cela crée une ambiance sonore, qui me rappelle mes années de secrétaire. Ma vie ressemblait fort à celle de cette chère Déborah François, dans Populaire. Bien sûr, ce raffut porte sur les nerfs de Marcel. Il prend alors son air bougon et renfrogné des mauvais jours et va s’enfermer dans son chalet de jardin. Officiellement, pour nettoyer ses outils, mais je le soupçonne d’y lire des revues de sport automobile, sur les couvertures desquels de jeunes demoiselles peu farouches se vautrent sur des capots métalliques aux couleurs criardes. Ah, les hommes ! Tous les mêmes…

12Eh oui, j’étais secrétaire ! C’était un métier d’avenir, c’était les années soixante. Je me souviens d’une année plus encore qu’une autre. Cette année-là, la Joconde était exposée pour la première fois aux États-Unis, le général de Gaulle mettait son veto à l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté Européenne, la CIA était créée, les Beatles enregistraient leur premier album, Alfred Hitchcock réalisait Les Oiseaux, le sous-marin nucléaire Thresher sombrait corps et âme, le Koweït entrait aux Nations-Unies, Elisabeth Taylor interprétait Cléopâtre, Valentina Tereshkova devenait la première femme dans l’espace, Paul VI était élu au trône pontifical, Martin Luther King faisait un rêve, la Belgique fixait sa frontière linguistique, la Malaisie, le Kenya et Zanzibar gagnaient leur indépendance, le barrage de Vajont provoquait une catastrophe dans le Frioul, Lamborghini produisait sa première voiture, le président Kennedy était assassiné à Dallas, Porsche sortait la 911, le Prix Nobel de la Paix était attribué à la Croix-Rouge, le train postal Glasgow-Londres était attaqué, le chancelier Konrad Adenauer démissionnait.

Cette année-là, nous dîmes adieu à Dick Powell, Sylvia Plath, Patsy Cline, Jean XXIII, ZaSu Pitts, Richard Barthelmess, Georges Braque, Jean Cocteau, Édith Piaf, Adolphe Menjou, Elsa Maxwell, Aldous Huxley, C.S. Lewis, Sabu, Tristan Tzara et Robert Schuman. Cette année-là, nous accueillîmes Steven Soderbergh, Élie Semoun, Michael Jordan, Seal, William Baldwin, Lolo Ferrari, Vanessa Williams, Quentin Tarantino, Graham Norton, Laurent Ruquier, Rafael Correa, Julian Lennon, Roch Voisine, Garry Kasparov, Eric McCormack, Jet Li, Cathy Guetta, Mike Myers, Johnny Depp, Jean-Pierre Papin, Rambo Amadeus, Helen Hunt, Greg Kinnear, George Michael, Mikhaïl Khodorkovski, Michel Gondry, Lisa Kudrow, Coolio, Tasmin Archer, Tatum O’Neal, Harold Perrineau, Laurence Boccolini, Whitney Houston, John Stamos, Sophie Davant, Tori Amos, Michael Chiklis, Kati Garbi, Henri Leconte, Elisabeth Shue, Sinitta, Dermot Mulroney, Hugh Bonneville, Fatboy Slim, Frank Dubosc, Nicollette Sheridan, Sergueï Bubka, Emmanuelle Béart, Pauline Ester, Brad Pitt, Jennifer Beals, Donna Tartt, Mohammed VI, Eros 1963_music_eurovision_groupRamazzotti et Stéphane Bern. Cette année-là, j’avais vingt-sept ans. Cette année-là, la BBC organisait l’Eurovision pour la deuxième fois. La soirée fut présentée par Katie Boyle. Cinquante millions de téléspectateurs assistèrent à l’une des éditions les plus avant-gardistes du Concours. Des micros suspendus, effets visuels, déplacements de la caméra, recours à des accessoires : l’Eurovision surprit la Terre entière.

Cette année-là, c’était 1963. Cette année-là, nous y revenons toujours, tellement elle fut essentielle pour la musique. Sœur Sourire chantait Dominique ; les Beatles, She Loves You ; Salvatore Adamo, Tombe La Neige ; The Rooftop Singers, Walk Right In ; Sheila, L’École Est Finie ; The Chiffons, He’s So Fine ; Enrico Macias, Enfants De Tous Pays ; The Angels, My Boyfriend’s Back ; Sylvie Vartan, Si Je Chante ; Elvis Presley, Devil In Disguise ; Claude François, Si J’Avais Un Marteau ; Dalida, Eux ; The Beach Boys, Surfin’ USA ; Johnny Hallyday, Ma Guitare ; The Ronettes, Be My Baby ; Charles Aznavour, La Mamma ; The Crystals, Da Doo Ron Ron ; Brigitte Bardot, La Madrague… Cette année-là, un autre talent allait éclore, révélé par l’Eurovision et qui allait illuminer mon existence durant deux décennies : Alain Barrière. Rendons-lui hommage aujourd’hui, dans un esprit œcuménique.

Naissance et jeunesse

barriereAlain Barrière nait Alain Bellec, le 18 novembre 1935, à la Trinité-Sur-Mer. Il passe une enfance bretonne, non loin des alignements de Carnac, avec l’océan pour horizon. En 1955, à l’âge de vingt ans, Alain s’inscrit à l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers d’Angers, afin d’étudier l’ingénierie. C’est là qu’il apprend à jouer de la guitare et qu’il écrit ses premières chansons. Une fois son diplôme obtenu, en 1960, il déménage à Paris.

Débuts

Dans la capitale, Alain mène deux vies : le jour, il est employé dans l’industrie ; la nuit, il chante dans des cabarets et des clubs. La réussite ne tarde pas : en 1961, il remporte un concours de chanson, le Coq d’Or, avec un morceau qu’il a lui-même écrit, Cathy. La finale se déroulant à l’Olympia, il est remarqué par Bruno Coquatrix. Alain signe alors un contrat avec la maison de disques RCA et devient chanteur à plein temps.

Concours Eurovision de la Chanson

alain_barriere-paroles_musiques_aEn 1963, Alain est retenu par la RTF pour la représenter au huitième Concours Eurovision de la Chanson, organisé à Londres. Le samedi 23 mars, dans les studios de la BBC, il interprète une de ses propres compositions, Elle Était Si Jolie. La prestation d’Alain marquera l’histoire du Concours. Pour la première fois, un participant est accompagné sur scène par une figurante. Pour la première fois, une prestation a recours à la technique de la surimpression. Et surtout, pour la toute première fois, une prestation a recours à un ventilateur. Au terme du vote, Alain termine à la cinquième place, ex aequo avec Françoise Hardy.



Comme Françoise, Alain adaptera sa chanson en allemand (Du gingst fort ohne Abschied) et en italien (Era troppo carina).

Succès

Elle Était Si Jolie remporte un tel succès, qu’en 1964, Alain sort son premier album, Ma Vie, dont la chanson-titre devient un plus grand succès encore. Il se produit pour la première fois en vedette à l’Olympia. Jusqu’alors, il n’y avait presté que des premières parties.

Alain enchaîne les succès : Toi en 1966, Emporte-Moi en 1968, C’Était Aux Premiers Jours D’Avril en 1969. Il est devenu l’une des plus grandes stars de la chanson française.


Poursuite

Les années septante voit Alain s’affranchir : il fonde sa propre maison de disques, Albatros. Ses albums se vendent à merveille et ses concerts affichent tous complets. Il reste au sommet avec Elle en 1971 et Pour La Dernière Fois en 1973. En 1974, il est à nouveau numéro des ventes, grâce à son duo avec Noëlle Cordier, Tu T’En Vas, qui se vendra à plus d’un million d’exemplaires.



Alain se marie en 1975. Avec son épouse Anièce, il décide d’ouvrir dans sa Bretagne natale, un nightclub-restaurant, le Stirwen, pourvu en outre d’un théâtre dans lequel le chanteur se produit. C’est le début d’un engrenage fatal. L’endroit devient populaire et rentable, mais Alain se retrouve rapidement confronté à de solides problèmes avec le fisc, dû à de mauvais conseillers. Face à l’impossibilité de conclure un accord avec l’administration, Alain prend la route de l’exil : en 1977, il s’installe avec sa famille aux États-Unis.

Retours

Durant les années 80, Alain tente plusieurs retours en France, mais l’air du temps a changé, son public l’a oublié. Ses deux nouveaux albums ne se vendent pas.


Il refait sa vie au Québec, puis revient définitivement en Bretagne, au milieu des années 90. La gloire l’éclaire à nouveau en 1997 : il publie une compilation de ses anciens titres qui rencontre un succès inattendu. Il sort dans la foulée un album original, Barrière 97. Il remonte sur scène en 1998, à Pleyel.

En 2006, Alain publie son autobiographie, Ma Vie. Il enregistre If (Tu Seras Un Homme), adaptant le poème de Rudyard Kipling et Hymne À La Bretagne, sa terre natale tant aimée. Il reprend ses tournées, en France et au Canada, retrouvant ainsi ses fans les plus fidèles.


En 2011, Alain décide de faire ses adieux définitifs, en donnant deux ultimes concerts à Paris et à La Trinité-sur-Mer. Hélas, il est victime de deux accidents vasculaires cérébraux, qui entament son état de santé et l’empêchent de tirer sa révérence. Depuis, le chanteur vit retiré du monde et de ses ors.

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Bonus

Ma remarque de la semaine dernière concernant Vianney, m’a valu un flot répété de courriers. Vous me posez tous cette question : pourquoi pas un homme pour nous représenter à Stockholm ? Je suis au regret de vous réitérer mes arguments : statistiquement, une femme a plus de chance qu’un homme de remporter le Concours. Ce n’est pas une opinion, c’est de la science ! Alors, n’envoyons surtout pas un clone de Maxime Roylion, cela serait dommageable à cette idée que nous nous faisons de la France. Vous connaissez mon avis sur la question, je ne le répéterai jamais assez : Mireille Mathieu ! Mais malgré tout, s’il me fallait plier devant la vox populi et désigner un homme, alors, pour moi, ce serait forcément Herbert Léonard. Forcément…



Puissance et gloire dans l’eau trouble d’un regard. L’aventure et la passion autour de ChâteauvallonToutes mes années 80… Sur ce, je vous laisse, Saint-Marin m’attend ! Le farniente, la dolce vita… Une qui ne pourra en profiter, c’est cette pauvre Madame Martineau. Avec sa petite pension de veuve, elle ne peut se permettre pareilles vacances. Elle restera au Vésinet, à farfouiller sur VousEntubez, sa nouvelle marotte. Elle a lu dans Closer que certains agents artistiques et recruteurs pour émissions de téléréalité (son autre passion) parcouraient les vidéos mises en ligne, à la recherche de pépites rares, futures étoiles de demain. Je dois vous avouer qu’elle m’agace un peu, avec son jeunisme à tout crin. Elle me serine sur tous les tons : « Une jeune, Francine, prenons une jeune ! Elle nous coutera moins cher et elle nous en sera redevable. » C’est qu’elle se voit déjà imprésario, cette chère Madame Martineau ! Elle m’a communiqué le résultat de ses premières fouilles archéologiques. Je demeure sceptique : n’est pas Mireille qui veut et en plus ces oies blanches chantent pour la plupart en anglais. Mais je tâche de garder l’esprit ouvert et je vous en transmets trois. À vous de voir…



Bien à vous et à dans quinze jours, pour le récit complet de mon séjour saint-marinais !

Francine MICHU

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