eurovision-1956Merci ! Oui, je vous dis merci, merci infiniment, merci du fond du cœur. Depuis que j’ai commencé à tenir cette chronique, j’ai été inondée de courriers et de télégrammes d’admirateurs et de fans, non seulement de France et de Navarre, mais de tous les pays monacofrancophones de notre planète. Pas plus tard qu’hier, j’ai reçu une lettre d’un fidèle lecteur de la plus petite démocratie du monde, Monaco, une bien belle contrée et l’un des plus importants contributeurs à l’Histoire de l’Eurovision, la preuve. Dans sa missive, ce charmant jeune homme du nom d’Albert, me répète à quel point il aime me lire chaque samedi matin, que cela est devenu un rituel hebdomadaire sacré pour lui, qu’il ne me  manquerait pour rien et surtout, qu’il partage point par point tous mes avis et toutes mes recommandations. Lui aussi estime que Monaco devrait revenir au Concours, afin de soutenir la France et lui attribuer les votes qu’elle mérite. Il me précise justement qu’il pourrait exercer quelques influences sur les jurés monégasques, de sorte qu’ils votent pour nous quoi qu’il arrive. Je vous vois lever les bras au ciel et protester. Mais soyons lucides : tous ces jurés sont corrompus, c’est un fait établi. Alors autant qu’ils le soient en notre faveur et que nous profitions du système ! Il n’y a pas que la Russie et l’Azerbaïdjan qui doivent en bénéficier, tout de même. Battons nos concurrents à leur propre jeu !

LOGO_D~1Bref, ce courrier quotidien est ponctué de nombreuses questions. Vous vous interrogez, vous m’interrogez, sur ma vie, mes petites occupations, mon parcours personnel et professionnel, sur ma rencontre et mon mariage avec Marcel, mon amitié avec Madame Martineau, etc., etc. Sachez pour l’heure que je suis une femme simple, une bonne citoyenne, une patriote de toujours, une Française, fière de l’être et fière de payer ses impôts ! Gauloise et chauvine, je vous l’accorde, prompte à m’enflammer et à me lever, la cocarde aux cheveux, le drapeau tricolore au vent, pour m’opposer corps et âme aux ennemis et aux contempteurs de ma mère patrie ! Cocorico ! Ainsi, durant le mois de juillet, je suis avec la plus grande attention et la passion la plus profonde, le Tour de France. Attention, pas pour ces branquignoles dopés qui s’échinent la santé sur des bécanes en papier carbone. Non, pour les magnifiques paysages et les splendides panoramas, qui à chaque fois m’éblouissent et me rappellent à quel point je suis fière d’être Française. Vraiment, oui, nous avons de la chance de vivre dans un si beau pays, si prestigieux, si glorieux de son histoire, de son passé, de ses réalisations et des lumières qu’il répand sur le monde depuis des siècles et des siècles.

joubert-teleMais la question qui revient le plus souvent a trait à ce que mes correspondants appellent « mon amertume ». Pourquoi suis-je si amère ? Pourquoi déversè-je autant de bile et d’alacrité sur l’Eurovision ? Pourquoi suis-je devenue pareille harpie, pareille orfraie, pareille érinye ? Pourtant, lorsque le Concours a été inauguré, en 1956, j’étais jeune, j’étais jolie, l’avenir me tendait ses bras radieux. J’ai aussitôt été captivée par ce concert des nations. Hélas, à l’époque, nous n’avions pas encore de télévision, Papa et Maman trouvaient cela comme vulgaire. J’ai suivi la première retransmission du Concours à la radio. Ce n’est qu’en 1959, après que j’eus supplié mes parents d’acheter un poste, sous le prétexte que la RTF organisait l’événement à Cannes, que je le regardai pour la première fois en direct. Ah, Jacqueline Joubert, quelle classe, quelle distinction… C’était l’Âge d’Or du Concours… Je suis restée fidèle et enthousiaste, suivant l’Eurovision, année après année, fière des résultats de mon pays et de ma langue. Vive la France ! Vive le français ! C’était le bon temps : nous gagnions une année sur deux…

Hélas, les années passant, les frustrations se sont accumulées, les injustices sont devenues flagrantes, les pays scandinaves et les pays de l’Est nous ont volé le Concours, ils l’ont réduit à l’état de parodie, de pantalonnade. Désormais, les jurés se corrompent, les serveurs téléphoniques se piratent, l’UER n’est plus qu’une clique à la botte du lobby gay. Les victoires se succèdent, de plus en plus scandaleuses, de plus en plus navrantes. Je m’accroche, je continue à être fidèle au rendez-vous, mais le cœur n’y est plus depuis longtemps. L’année dernière, Madame Martineau et moi avons porté trois mois durant, le plus grand deuil, suite à ce cataclysme sans précédent, la dernière place de la France, la première du genre, un abîme de honte. Quelle idée aussi d’avoir envoyé ces guignols… J’avais voté pour Joanna, mais les masses sont sourdes… Et cette année… Brisons-là ! Ce ne fut que l’aboutissement d’un long processus de victoires volées et d’occasions manquées. Je tâche de demeurer digne et forte et de penser à l’avenir, à l’année prochaine, à cette merveilleuse Madame André et à la sélection certaine de Mademoiselle Mireille Mathieu.

Aujourd’hui, j’ai décidé de revenir sur notre descente aux Enfers et sur les causes profondes et ancrées de mon amertume envers le Concours, en vous proposant cinq chansons, cinq magnifiques chansons françaises, cinq sublimes morceaux auxquels la victoire a été injustement volée, me plongeant dans la déconfiture et le chagrin. Bref, voici cinq chansons en français qui auraient dû gagner l’Eurovision, mais qui ont injustement terminé deuxième.

5. 1976 – Un, Deux, Trois – Catherine Ferry – France

Trahis par nos propres voisins ! Déjà en ce temps-là, la France se voyait snobée par ses pays limitrophes, qui au lieu de la soutenir et lui décerner une victoire méritée, passaient à l’ennemi. Et quel ennemi : la perfide Albion ! Allez revoir le tableau des votes : la Belgique, l’Espagne et la Suisse attribuèrent leurs douze points au Royaume-Uni. Nous ne pûmes compter que sur Monaco. Un monde ! Pourtant en 1976, nous étions représentés par trois monuments de la chanson française : Catherine Ferry, Jean-Paul Cara et surtout, Daniel Balavoine. La première était l’interprète ; le deuxième, le compositeur et le troisième, l’un des choristes. Mais les jurys étaient aveugles, incapables de reconnaître le véritable talent et la perfection lyrique d’Un, Deux, Trois, seule chanson de l’Eurovision à citer le grand philosophe Franz Kafka. Et surtout, ils se montrèrent incapables de dénicher une perle dans une auge de pourceaux, puisque par la suite, Daniel Balavoine allait devenir une colossale star de la chanson. Béotiens !  Tout cela pour une chanson qui parle d’une gamine de trois ans… Seul motif de consolation : avec 147 points, Catherine Ferry détient toujours le record absolu de points obtenus par une chanson française à l’Eurovision.

4. 1978 – L’Amour, Ca Fait Chanter La Vie – Jean Vallée – Belgique

Nous ne sommes pas seuls dans cette galère : nos amis francophones de Belgique et de Suisse rament de concert avec nous. La Belgique reçut ainsi un terrible camouflet à Paris, sur un sol francophone et voisin. Je les ai plaint de tout mon cœur et ai songé un temps à m’exiler en Jordanie. Car cette année-là, la Belgique avait tout pour gagner : un chanteur sublime qui avait déjà concouru en 1970, une très émouvante chanson parlant d’amour et de Chopin, une dramaturgie étudiée, j’en passe et des meilleures. Sa prestation fut bouleversante et nos propres jurés ne s’y trompèrent point : la France attribua ses douze points à la Belgique. Hélas, pour nos amis belges, leurs jurés nationaux se fourvoyèrent et décernèrent leur note maximale à leur principal concurrent, Israël, sciant ainsi la branche sur laquelle ils étaient et attribuant pour la première fois la victoire à un pays situé en dehors du continent européen. Un comble ! Il n’y eut au final qu’une seule nation courageuse sur cette Terre : la Jordanie, dont la presse, le lendemain, annonça en gros titres le nom du seul et unique vainqueur, la Belgique !

3. 1990 – White And Black Blues – Joëlle Ursull – France

Avant la merveilleuse Madame André, il y eut la merveilleuse Madame Brière. Marie-France Brière avait été nommée cette année-là à la direction des divertissements d’Antenne 2. Après avoir un temps envisagé le retrait de la France du Concours, elle opta pour la voie ardue et périlleuse du succès. À force de persuasion et d’entregent, elle parvint à réaliser l’impossible : réunir un grand auteur, une grande chanteuse et une grande chanson. Ce fut Serge Gainsbourg ; ce fut Joëlle Ursull ; ce fut White And Black Blues ; nous étions destinés à la victoire. Puis, ce fut la honte et le scandale, j’en suis encore toute retournée… Au vu et au su de tous, les Italiens trafiquèrent leurs votes, afin de s’adjuger la victoire. Leur porte-parole, parvenant à peine à masquer son ébriété et son incompétence, énonça des scores incohérents, attribuant douze points à l’Autriche (sic)… mais aucun à la France ! Cela leur permit de prendre l’avantage dans la dernière ligne droite et de remporter une victoire imméritée. Car entre notre diamant national et la daube aux navets de Toto Cutugno, il n’y avait aucune comparaison possible ! Après cette horrible nuit, la courageuse Madame Brière porta plainte auprès de l’UER, plainte qui fut évidemment classée sans suite par cette clique manipulatrice. J’eus pourtant motif à me réjouir : White And Black Blues devint le véritable succès commercial de cette édition du Concours et Joëlle Ursull connut une fort belle carrière. Quant à Toto Cutugno, il se couvrit de ridicule l’année suivante, avant de sombrer dans les abîmes de l’oubli.

2. 1963 – T’En Va Pas – Esther Ofarim – Suisse

J’ai déjà évoqué ce drame en de nombreuses circonstances, il me faut encore y revenir, tant il est emblématique des dérives de l’Eurovision, des votes géopolitiques et de la gangrène corruptrice qui dévore l’UER et sa clique. Cette année-là, les plus grandes étoiles de la chanson française concoururent : Alain Barrière pour la France, Françoise Hardy pour Monaco et Nana Mouskouri pour le Luxembourg. Tous les trois furent cependant éclipsés par une jeune artiste israélienne de vingt-deux ans, Esther Ofarim, qui interpréta pour la Suisse, de la manière la plus émouvante et la plus parfaite qui soit la meilleure chanson de la soirée, T’En Va Pas, écrite par Émile Gardaz et composée par Géo Voumard, le duo qui avait remporté la première édition du Concours, avec l’immortel Refrain. J’en pleurai d’émotion sur l’épaule de Marcel… Mais c’était sans compter le machiavélisme des nations vikings ! Ces monstres décidèrent de voter entre eux, afin de s’arroger une première victoire et de mettre à mal la naturelle hégémonie des pays francophones. La Finlande et la Suède attribuèrent leur note maximale au Danemark. Mais le comble fut atteint par la Norvège qui changea carrément ses votes au cours de la procédure, permettant ainsi une victoire danoise. C’était là le premier coup fatal porté au Concours et surtout, le premier scandale de son Histoire, le premier d’une longue série… L’UER valida ces votes truqués sans protestation émettre. Vendus ! L’ordre des choses fut cependant rétabli dans les années qui suivirent : les vainqueurs danois s’évanouirent dans l’oubli et Esther Ofarim devint une chanteuse de renommée internationale.

1. 1991 – Le Dernier Qui A Parlé – Amina – France

M’en remettrais-je jamais ? Sachez que depuis, chaque année, le 4 mai venu, Madame Martineau et moi hissons nos drapeaux français sur nos façades et les mettons en berne, en mémoire d’Amina et de ce qui demeurera à jamais et pour toujours la plus grande honte de l’Histoire du Concours, son jour le plus noir et le plus infâme. Car ce jour-là, nous gagnâmes ! Oui, Monsieur ; oui, Madame ! Nous gagnâmes ! La France remporta sa sixième victoire, avec l’une des plus belles chansons ayant jamais concouru, Le Dernier Qui A Parlé, écrite par Amina elle-même. Nous reçûmes des points de dix-huit pays, dont quatre nous attribuèrent la note maximale. Et j’enrage à nouveau, car nos voisins nous désertâmes. Passe encore pour l’Espagne, la Suisse ou la Belgique, qui nous attribuèrent des sept et des huit points. Mais je veux ici clouer au pilori le Luxembourg, qui ne nous en attribua aucun. Aucun ! Il en aurait suffi d’un, un tout petit et la face du monde en aurait été bouleversée. Car il advint que la Suède remporta le même nombre total de points que nous : 146. Vous connaissez la suite : deux années auparavant, dans la plus grande discrétion, la clique de l’UER avait adopté un article particulier du règlement qui précisait qu’en cas d’ex aequo, la victoire serait automatiquement attribuée au pays scandinave impliqué. Le superviseur fit bien semblant de compter les points, mais il ne dupa personne. L’UER nous vola ainsi notre victoire, pour l’offrir à l’affreuse Carola et à la délégation suédoise. Je crus en mourir de douleur. Cette injustice demeure depuis plantée dans mon cœur tel le poignard de la traîtrise… Et vous vous demanderez encore pourquoi je suis à présent si amère…

Bonus

Mon petit-fils, qui étudie l’informatique, est venu me voir ce week-end. Je me suis épanchée sur son épaule. Il m’a proposé de pirater le serveur téléphonique de Malte, de sorte que le télévote de l’île nous gratifie automatiquement d’un douze points. N’est-il pas gentil avec sa mamie ? Je lui ai dit oui, bien sûr, mais que s’il piratait le serveur téléphonique de la Suède, je serais aux anges. J’imagine déjà la tête de Christian Boulhomme lorsque son pays de Vikings attribuera la note maximale à Mireille ! Voyous, vandales !  Là-dessus, François, mon petit-fils, m’a fait écouter un jeune chanteur qui monte, qui monte. « Pourquoi pas lui ? », m’a-t-il demandé.


Certes, il est propre sur lui, il chante en français et son vocabulaire est remarquable. Certes. Néanmoins, je rejetterais son hypothétique candidature : le pauvre est trop jeune, trop vert, il manque de bouteille. Et puis, les spectateurs européens ne le connaissent pas, ils ne voteront jamais pour un artiste français inconnu qui fredonne des machins diffusés par nos radios. Non, soyons sérieux : il nous faut envoyer une grande chanteuse avec une carrière derrière elle et une mélodie écrite par des gens dans le milieu depuis de longues années. Quelque chose de solide comme Lisa Angell. Mireille, évidemment. Et pourquoi pas Régine ? Avec une chanson écrite par Jean-Jacques Goldman ? J’y réfléchis sérieusement…



Bien à vous,

Francine MICHU

regine