highs-lows-book-launch1Quelle heure est-il à Tokyo ? Sachant que le décalage horaire avec Paris, Bruxelles, Luxembourg et Berne est de neuf heures, il sera exactement dix-sept heures dans la capitale japonaise lorsque cet article sera publié. Cette pauvre Sil aura ainsi la réponse à sa question existentielle et nous pourrons nous embarquer pour un voyage à l’autre bout du monde. Avant d’attacher vos ceintures, L’Eurovision au Quotidien vous propose un court intermède musical de quarante secondes : Bellissimo, un extrait du prochain single d’Axel Hirsoux. Merci de votre attention.

Ces dernières années, le Concours a vu sa popularité sans cesse augmenter, au point de battre en 2014, un nouveau record d’audience. Du Canada à l’Australie, du Brésil aux Philippines, les spectateurs sont de plus en plus nombreux à se rassembler devant leur écran, ce fameux soir de mai, puis à acheter en ligne les chansons qui auront ravi leur soirée. N’en soyez pas étonnés : le Concours a toujours eu une vocation universelle. Dès 1965, il fut diffusé en direct sur le réseau Intervision ; dès 1969, en Amérique latine (Brésil, Chili, Porto Rico) ; dès 1971, aux États-Unis et à Hong-Kong ; dès 1972, en Asie du Sud-Est (Japon, Thaïlande, Taïwan) et depuis 1983, en Australie, pour ceux qui l’auraient oublié.

À chaque fois, sa réputation l’avait précédé et les télédiffuseurs locaux furent encouragés par le succès commercial rencontré par les chansons gagnantes. En retour, les dits gagnants, puis les simples participants furent tentés de conquérir ces nouveaux pays en chantant dans leur langue nationale. Nous avions vu la semaine dernière, les tentatives malheureuses de certains pour faire brèche en francophonie. Mais saviez-vous que plusieurs allèrent tenter leur chance au Soleil Levant ? Ressortez du placard vos kimonos et vos stéréotypes sur le Japon, car comme le dirent si bien en leur temps Eva et Nika : « Asi, asa, asi, konichiwa ».

Aujourd’hui donc : les cinq meilleures adaptations en japonais d’une chanson du Concours.

5. Nicole Rieu – Soyokaze No Okurimono

De la participation française à l’édition 1975 du Concours, l’histoire a surtout retenu la non sélection de Comme Un Boomerang, chanson écrite et composée par Serge Gainsbourg pour Dani. Le morceau sera refusé par le jury interne et restera longtemps inédit. Il fallut toute la persuasion et le talent d’Etienne Daho, pour le ressusciter en 2001 et en faire un succès. En lieu et place, fut retenu et expédié à Stockholm pour représenter la France, Et Bonjour À Toi L’Artiste, chanson écrite par Pierre Delanoë et interprétée par Nicole Rieu. Nicole était à l’aube d’une grande carrière et sa quatrième place au Concours lui permit d’installer son succès au niveau national, puis de se lancer en Europe et au Québec. Et Bonjour À Toi L’Artiste fut ainsi adapté en anglais, en allemand, en espagnol et en italien. Portée par la vague, Nicole y ajouta une adaptation bilingue, franco-japonaise, véritable curiosité musicale et petit bijou de non-sens seulement audible pour un véritable fan :

4. Katja Ebstein – Ai No Otozure

D’elle, l’histoire du Concours retient un record unique : celui de la seule artiste à avoir figuré à trois reprises parmi les trois premiers… sans jamais avoir remporté la victoire ! Katja Ebstein termina en effet à la troisième place en 1970 et en 1971 , puis à la deuxième en 1980. Il n’est nul besoin de retracer sa carrière en détails, qui lui valut deux décennies de succès dans les classements allemands avec notamment Der Stern Von Mykonos, Es War Einmal Ein Jäger ou encore Abschied Ist Ein Bißchen Wie Sterben. N’oublions pas non plus sa tentative manquée de 1975 (elle termina cinquième de la sélection nationale allemande avec Ich Liebe Dich) et cet essai tout aussi manqué de triompher en français (avec Théâtre – et Qu’Est-Ce Qu’Elle A ?  – sortis en 1980). Dès ses débuts, Katja avait essayé de se promouvoir à l’international : elle avait adapté le proverbial Wunder Gibt Es Immer Wieder en anglais, en français, en espagnol et en italien. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Katja continua à tracer sa voie dans la légende eurovisionesque et enregistra une délicieuse version japonaise, pour vos oreilles uniquement :

3. Gigliola Cinquetti – Yumemiru Omoi

Il suffit à Gigliola Cinquetti de s’avancer sur la scène du Tivolis Garden, il y a cinquante ans de cela, pour transformer le Concours, de projet télévisuel vaguement utopique en monument de la culture populaire européenne. Trois minutes plus tard, elle reçut la plus longue ovation de l’histoire de l’Eurovision, puis suite à la procédure de vote, remporta une des victoires les plus écrasantes jamais vues, obtenant 2,88 fois plus de votes que le deuxième. Non Ho L’Eta, sa chanson, devint la toute première chanson gagnante à rencontrer le succès commercial partout en Europe, succès immense qui lança le premier Âge d’Or du Concours. Et Gigliola inaugura un mythe pérenne de l’Eurovision : la petite jeune fille inconnue qui en quelques instants devient une star mondiale. Dans cette perspective, Gigliola déclina son morceau en anglais, en français, en allemand et en espagnol. Et puis vint l’idée sans laquelle cette chronique n’aurait pu avoir lieu, l’adaptation en japonais, la toute première de l’histoire du Concours :

2. Vicky Leandros – Omoide Ni Ikiru

Qu’y a-t-il de plus grand que de marquer l’histoire de l’Eurovision avec une chanson mythique ? Une chanteuse allemande d’origine chypriote, Vassiliki Papathanassiou, fournit la réponse à cette question quinze ans avant Johnny Logan : marquer l’histoire de l’Eurovision avec DEUX chansons mythiques. Transformée par la grâce et l’ambition de son père en Vicky Leandros, elle représenta le Luxembourg à Vienne en 1967, avec l’anthologique L’Amour Est Bleu. Vicky termina quatrième, sa chanson connut un succès colossal partout à travers le monde, se hissant en tête des classements en Europe, aux États-Unis et… au Japon, où la chanteuse devint une superstar ! Vicky se mit alors au japonais et rencontra de très grands succès, notamment avec Machi Kutabireta Nichiyobi et Watashi No Suki Chocolato. Parallèlement, Vicky se lança à l’assaut de la tour de Babel européenne et enregistra en allemand, en français, en anglais et en grec. 1972 fut pour elle l’année du triomphe : elle remporta l’Eurovision pour le Luxembourg avec l’épique Après Toi. La chanson se vendra à plus de six millions d’exemplaires partout sur la planète, devenant ainsi l’un des plus grands succès commerciaux de l’histoire du Concours. Pour conforter sa stature de chanteuse polyglotte, Vicky l’adapta en pas moins de six langues, l’allemand, l’anglais, l’espagnol, l’italien, le grec  et bien sûr… le japonais :

1. France Gall – Yumemiru Chanson Ningyo

Jamais chanson n’aura plus révolutionné l’Eurovision que Poupée De Cire, Poupée De Son. Première chanson pop, première chanson yé-yé, première chanson réellement dans l’air du temps à remporter la victoire, première chanson gagnante à connaître le succès partout à travers le monde, elle lança surtout la carrière d’un monument de la chanson française : Serge Gainsbourg, son auteur-compositeur. France Gall atteignit là un premier sommet, qui la verra sillonner la planète en tous sens. Saviez-vous à ce propos qu’elle remporta de très nombreux succès en Allemagne, grâce à d’impérissables morceaux tels que Ein Bisschen Goethe, Ein Bisschen Bonaparte et Der Computer N°3 ? Le 20 mars prochain, nous fêterons le cinquantième anniversaire de la victoire de Poupée De Cire, Poupée De Son. La chanson aura réussi à préserver durant cinq décennies son charme, son aura et surtout l’impénétrable mystère de ses jeux de mots, typiques de l’écriture de Serge Gainsbourg et qui la rendent à la fois intraduisible dans une autre langue et incompréhensible aux non francophones. Preuve en est de ses adaptations en allemand, en italien et en japonais qui nous narrent une toute autre histoire que celle d’une jeune chanteuse en quête d’amour et de reconnaissance :

« Du japonais ? N’importe quoi ! D’t’façon, l’Eurovision, c’est un truc européen et ça doit le rester. D’ailleurs, Israël, c’est pas en Europe ! » Décidément, aucun poncif sur le Concours ne nous sera épargné par Madame Michu… Non, Israël n’est pas géographiquement situé en Europe, pas plus que le Maroc, le Liban ou la Tunisie. Ce qui n’empêche pas ces pays de participer, d’avoir participé ou d’avoir tenté de participer à l’Eurovision, pour la bonne et simple raison qu’ils sont situés dans la Zone de Diffusion Européenne, une des conditions pour appartenir à l’Union Européenne de Radiotélévision et pour concourir. Mais brisons-là : il est absurde de définir l’Eurovision comme un concours européen au sens géographique du terme. Cela n’a jamais été son objectif intrinsèque. Non, l’Eurovision est surtout un concours européen au sens culturel du terme : il est fondé sur des valeurs tels que la démocratie, la tolérance, le respect des minorités, l’égalité de tous ou encore la non-violence. « Bonsoir l’Europe ! » Lorsque cette phrase mythique résonne dans la nuit de mai, elle demeure un rappel aux spectateurs : où qu’ils vivent à travers le monde, ils sont tous européens de cœur et d’esprit, puisqu’ils souscrivent à un spectacle qui promeut ces principes fondamentaux.

Superbonus

Vous rîtes, la semaine dernière, de ces malheureux artistes s’escrimant devant leur micro à atteindre la gloire en français, avec pour seul résultat, une boucherie linguistique. Vous venez de rire de ces cinq malheureuses qui n’avaient pas pris japonais deuxième langue, au lycée, mais qui durent malgré tout s’y mettre, pour la beauté de l’Art. Mais vous, chers lecteurs francophones, l’auriez-vous fait ? En auriez-vous été capables ? Auriez-vous pu vous saisir d’une langue étrange et étrangère, pour pérenniser votre succès ? Dans notre superbonus, vous découvrirez sept artistes francophones qui firent fi de toute hésitation et adaptèrent leur chanson gagnante en allemand… pour le meilleur et pour le pire ! Et comme souvent dans les listes de notre livre d’histoire sur l’étagère, le morceau le plus mémorable est à la fin…

1960 – Jacqueline Boyer – Tom Pillibi

1965 – France Gall – Das War Eine Schöne Party

1971 – Séverine – Mach Die Augen Zu

1973 – Anne-Marie David – Du Bist Da

1977 – Marie Myriam – Der Vogel Und Das Mädchen

1983 – Corinne Hermès – Liebe Gibt Und Nimmt

1988 – Céline Dion – Hand In Hand