Tandis que la rédaction vient d’arriver à Bâle, les artistes en lice à l’Eurovision 2025 viennent de boucler leurs répétitions individuelles. À quelques jours de la première demi-finale, c’est au tour des représentants portugais de s’installer sur le canapé de l’EAQ : voici NAPA en interview.

Ils s’appellent Guilherme Gomes, Lourenço Gomes, Francisco Sousa, Diogo Góis et João Rodrigues. Originaires de Madère, ces cinq jeunes hommes nous embarquent dans un voyage musical à travers la nostalgie de leur île adorée, terre natale de laquelle ils ont dû se déraciner pour tracer leur route, destination la continentale Lisbonne. « Déplacé », « dépaysé », « mal à l’aise », « étranger » : autant de traductions opportunes du mot Deslocado, titre de la chanson avec laquelle NAPA a remporté à la surprise générale le Festival da Canção en mars dernier et se retrouve aujourd’hui à endosser les couleurs du Portugal sur la scène de l’Eurovision 2025 à Bâle, en Suisse. Quels sont leurs sentiments à quelques jours d’affronter l’arène de la plus grande compétition musicale au monde, eux qui n’avaient qu’un « public de niche » (selon leurs mots) avant de se retrouver propulsés dans la lumière depuis quelques semaines ? Découvrez les confidences du groupe en vidéo (en anglais) et dans le texte (traduit en français).

Interview réalisée le 8 mai 2025.

EAQ – Vous êtes maintenant à Bâle, à quelques jours de la première demi-finale de l’Eurovision 2025. Quel est votre état d’esprit ?

Guilherme – Nous sommes vraiment excités de finir cette étape sur cette scène. Cela représente deux mois de dur labeur pour arriver ici et nous sommes réellement heureux de nos répétitions. Nous avons hâte de montrer ce que nous avons réalisé pour le public.

Vous avez gagné le Festival da Canção en mars dernier. Comment avez-vous décidé de prendre part à cette compétition ?

Guilherme – Nous avons reçu une invitation de la part du Festival da Canção pour composer une chanson et nous avons pensé que c’était une bonne opportunité de montrer notre musique à un public plus nombreux. Nous étions un petit groupe, avec un public de niche et nous avons pensé que ce serait une bonne plateforme pour partager nos chansons avec une audience plus large. Et cela a bien fonctionné !

Est-ce que l’Eurovision est un programme familier pour vous ?

João – Pas vraiment, ce n’est pas quelque chose que nous suivions ou que nous regardions religieusement chaque année. Mais oui, depuis que Salvador (Sobral) a gagné, tout le monde au Portugal est un peu plus attentif à ce sujet. Et bien sûr, nous avons commencé à le regarder avec un regard différent.

La semaine prochaine, vous allez monter sur la scène de l’Eurovision avec le titre Deslocado. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette chanson ?

Guilherme – Nous sommes originaires de l’île de Madère. C’est une île portugaise au milieu de l’océan, un peu éloignée du pays. Nous sommes nés là-bas et quand nous avons eu dix-huit ans, nous sommes partis étudier à l’université à Lisbonne. C’est une chose commune pour les gens de Madère, car nous n’avons pas beaucoup d’offres de cours dans notre petite université. Beaucoup de gens partent à cet âge-là vivre seul dans une grande ville comme Lisbonne. Nous n’étions pas une exception, nous sommes tous passés par le même processus. Aller à Lisbonne, vivre seul, être forcé à grandir rapidement et apprendre à faire les choses seul, cela représente un défi depuis notre arrivée. C’est ce dont parle la chanson, ainsi que de la manière dont notre terre nous manque : nos familles, la magie que l’île possède, le climat, l’hiver, la nourriture… Tout cela, nous le portons dans nos cœurs. Même si nous aimons Lisbonne, nous n’en serons jamais aussi proches que nous ne le sommes de Madère.

Lourenço – Le message que la chanson transmet est rapidement devenu viral. Même si nous parlons de notre histoire et de notre voyage de Madère à Lisbonne, nous avons vite compris que beaucoup de gens partageaient aussi ce sentiment. Le « mal de l’âme » – la saudade en portugais – est une chose très commune. Les gens ont vraiment été touchés par ce message, qui a réellement essaimé en musique à travers l’Europe.

Guilherme – Oui, il a résonné en de nombreuses personnes d’origine portugaise et d’européens. Depuis que nous avons gagné le Festival da Canção, nous recevons beaucoup de messages de partout dans le monde. C’est fou.

Dans la chanson, vous chantez la phrase « Je trace mon chemin en pensant à rentrer à la maison, mon île, la paix, Madère ». Vous ressentez la nostalgie d’avoir quitté Madère ?

João – Oui, bien sûr. C’est notre maison. C’est une île très amusante. C’est un endroit incroyable. C’est la nostalgie, c’est ce que nous appelons la saudade en portugais. Cela se produit depuis des centaines d’années. Quand les voyageurs portugais recherchaient de meilleures opportunités, ils quittaient le Portugal en bateau. Quand nous recherchons de meilleures opportunités, nous partons vivre dans des endroits où nous pouvons étudier. Les gens quittent le Portugal afin de travailler dans d’autres pays européens, parce que les salaires sont meilleurs et qu’il y a davantage de possibilités. C’est un ressenti très portugais. Ce petit fragment, ces trois minutes, c’est notre histoire. Mais c’est une partie d’une plus grande histoire qui a été racontée depuis des centaines d’années et qui le sera encore pendant des centaines d’années.

En tant qu’artistes insulaires, originaires de la mer, en quoi est-ce différent de vivre dans une terre ?

Guilherme – C’est très différent. Le fait d’être né sur une île a vraiment changé notre manière de voir les choses, notre manière d’être. Même notre musique est contaminée par cela. Parce que les chansons sont très personnelles et elles vont bien sûr véhiculer cette insularité. Je pense que nous sommes tous d’accord à ce sujet. C’est juste un sentiment différent d’être né dans un endroit isolé, entouré par la mer qu’on voit tous les jours. C’est aussi un endroit plus petit que Lisbonne. Seuls les gens qui l’ont vécu peuvent le ressentir de cette façon.

Lourenço – Je dirais que, pour nous, en tant qu’artistes, la principale différence est l’opportunité que cela représente. Aller dans une plus grande ville signifie rencontrer un public plus large, avoir davantage d’opportunités de jouer et de montrer notre musique. Pour nous, à Madère, il y a beaucoup moins de possibilités de jouer. Nous devons donc élargir notre audience pour pouvoir vivre de la musique et présenter nos chansons.

João – Aussi, au Portugal, vous pouvez facilement aller jouer n’importe où dans le pays.

Guilherme – Tandis que, dans une île, vous devez prendre un avion.

Votre musique nous fait voyager dans un univers indie-rock/indie-pop. Où puisez-vous votre inspiration ? Quelles sont vos influences ?

Guilherme – Beaucoup de gens comparent notre musique à une chanson des Beatles. C’est pertinent, car j’ai composé la chanson et j’adore les Beatles. Selon moi, Deslocado a la nostalgie et les cordes des Beatles, qui sont toujours bonnes à écouter. Mais bien sûr, nous avons d’autres influences. Nous sommes également très inspirés par la musique brésilienne. C’est un univers entier, ce sont de très bons artistes, ils ont tout et leurs chansons sont d’une telle qualité… Nous sommes aussi inspirés par les britanniques, qui forment aussi une île, et qui comptent beaucoup d’influences pour nous, parmi lesquelles les Artic Monkeys, les Beatles, bien sûr, ou encore Radiohead.

Vous avez effectué vos premières répétitions sur la scène de la St. Jakobshalle dimanche et mercredi, comment cela s’est-il passé pour vous ? Êtes-vous satisfait de ces premières prises ?

João – Ce serait fou si nous étions satisfaits dès la première répétition. Personne ne l’est, il y a toujours des petites choses que l’on peut régler pour se rapprocher de ce que l’on a imaginé. Lors de la première répétition, nous avons fait quelques changements. Lors de la deuxième, nous en avons fait moins, mais nous avons toujours des modifications à effectuer. C’est génial, parce que nous ressentons que l’ensemble de l’équipe travaille pour nous et avec nous, pour que cette performance et ces trois minutes soient aussi bonnes que possible. C’est très important pour nous, parce que cela nous met à l’aise et nous aide à nous détendre un peu plus. Voir les gens travailler pour nous enlève un peu d’anxiété.

Guilherme – Nous ressentons vraiment les efforts de toute l’équipe de production pour que ce soit aussi bien que possible. Il n’y a pas de frictions entre eux et nous. Ils veulent juste faire la meilleure prestation possible et nous aussi, donc nous sommes tous sur la même longueur d’onde.

Lourenço – Dans l’ensemble, je dirais que nous sommes plutôt heureux de ce que nous avons fait. Je pense que nous allons impressionner certaines personnes qui ont des attentes le 13 mai. La performance pourrait peut-être vous surprendre.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette scénographie, la façon dont elle a été créée ?

Lourenço – Oui, enfin non. Nous souhaitons conserver l’atmosphère de groupe, parce que c’est ce que nous sommes, d’où nous venons et où nous allons. Mais oui, nous essayons de mobiliser le plus possible les capacités techniques de la scène de l’Eurovision. Nous allons donc utiliser les vidéos et les lumières. Des personnes de la délégation portugaise travaillent également avec nous dans ce sens. Nous sommes heureux de cela et allons utiliser au mieux les possibilités que nous offre la scène.

Guilherme – Nous sommes aussi attentifs à la longueur de la scène. Elle est très grande et nous essayons de la remplir autant que possible, tout en veillant à ce que cela ait du sens.

Qu’est-ce que la France peut vous souhaiter dans cette merveilleuse aventure ?

Guilherme – La France ne vote pas dans la première demi-finale, mais il y a beaucoup de portugais en France. Nous recevons beaucoup de messages d’eux et aussi de français qui apprécient notre chanson. Pour eux, nous vous remercions du fond du cœur. C’est vraiment cool de voir notre chanson résonner en tellement de gens. Nous avons aussi traduit la chanson en français sur notre compte Instagram. Nous l’avons traduite en huit langues, parce que le texte représente une part très importante de la chanson, alors nous avons essayé de la traduire avec des gens qui, eux aussi, sont déracinés. Sinon, pour tous ceux qui aiment notre chanson, merci beaucoup et si nous atteignons la finale, s’il vous plaît, votez pour nous !


Un grand merci à NAPA de nous avoir accordé cette interview dans le rush de l’Eurovision, quelques jours seulement avant la première demi-finale de l’Eurovision 2025, durant laquelle le groupe chantera en 7ème position, entre les favoris suédois et le Lighter norvégien. Dans l’attente, écoutez et réécoutez son titre Deslocado, écrit par João Guilherme Gomes et composé par André Santos, Diogo Góis, Francisco Sousa, João Guilherme Gomes, João Lourenço Gomes et João Rodrigues.

L’EAQ remercie également Ana Marta Alves Ferreira (RTP) pour l’organisation de l’interview.

Rendez-vous très prochainement pour de nouvelles interviews avec les participants de l’Eurovision 2025.