TH00006_22De battre, notre cœur s’est arrêté… Nous avons réellement cessé de vivre pendant quelques secondes, anéantis sur notre canapé bruxellois, la respiration coupée, le teint livide, les yeux révulsés. Neuf pays déjà qualifiés, plus qu’une seule place en finale et nulle trace du drapeau noir-jaune-rouge. Quoi !? La Belgique éliminée !? La perspective nous détruisit, nous tua littéralement. Non ! Non ! Impossible ! Nous contemplâmes l’abîme, nous vîmes l’Europe à feu et à sang, nous aperçûmes la destruction de septante années de paneuropéanisme… Vous imaginez sans peine l’immense soulagement, l’incroyable délivrance, suivis aussitôt de la joie la plus intense, la plus vive, la plus extraordinaire qui soit, à l’annonce in extremis de la qualification de notre Loïc national. Nous bondîmes sur notre canapé et hurlâmes en chœur : vive le Roi ! Vive la Belgique ! Vive l’Eurovision ! Et surtout, vive Loïc !

Quelle soirée, mes aïeux, non mais, quelle soirée ! Nous comprenons mieux à présent le supplice de nos amis islandais, proclamés trois années de suite, les derniers. De quoi vous rendre cardiaque… Calmons-nous et revenons ensemble sur cette première demi-finale du Concours 2015, deux heures intenses, riches en émotions et dont chaque seconde fut un morceau de paradis, spécialement les dernières. Nos premiers compliments vont à la télévision publique autrichienne pour la qualité de la production et le spectacle qu’elle nous a offert. La scène et la scénographie étaient un ravissement pour les yeux. Nous avons particulièrement apprécié les jeux de champ et contre-champ et le rendu de la sculpture cinétique suspendue au-dessus du public. Cette année encore, le Concours demeure à la pointe des techniques scéniques et télévisuelles.

L’ouverture fut parfaite. Conchita est redevenue la reine d’Europe et du monde, sa prestation fut époustouflante et quelle joie de revoir un orchestre symphonique. Nos trois charmantes présentatrices se montrèrent linguistiquement à la hauteur des attentes placées en elles. Nous demeurons plus circonspects quant au choix de leurs tenues. Mais détail que tout cela ! Le défilé des candidats parmi le public jusqu’à la scène, est une excellente idée, qui devrait être perpétuée. La liturgie d’une demi-finale fut respectée de bout en bout. La vidéo de l’entracte nous a fait sourire. Et bien sûr, l’annonce des qualifiés nous a plongés dans les affres. La production aurait fait durer le suspense, que nous en serions décédés…

Passons à présent en revue les prestations de chacun, en accordant la priorité, si vous le permettez, à notre nouvelle idole, Loïc.

La Belgique

Nous sommes restés les yeux ronds et la bouche bée devant cette prestation étrange, hors standards. Loïc nous a livré une interprétation parfaite de Rhythm Inside. Ce morceau nous a à nouveau frappés par sa modernité et son actualité. Mais la mise en scène… Avouons-le : nous avons douté. N’était-ce pas trop arty pour le téléspectateur lambda ? Le résultat final nous a prouvé que non. Loïc et ses choristes nous ont fait songer à ces artistes qui se livrent à d’incompréhensibles happenings à Venise, Bâle ou Miami, pour les besoins de l’Art contemporain. Car voilà une prestation qui touche à l’Art, un véritable concept artistique en soi. En y réfléchissant, nous sommes tombés d’accord : il s’agit là d’un enterrement. Oui, d’un enterrement ! En trois minutes, Loïc a enterré l’Eurovision de papa, l’Ancien Eurovision, celui auquel trop de personnes se réfèrent encore. Le voilà, le messie du Nouvel Eurovision, celui où l’univers et le concept l’emporte sur la facilité et la banalité. Loïc incarne ce qu’est et devrait toujours être l’Eurovision : un aperçu de la scène musicale internationale actuelle, dans ce qu’elle a de meilleur et de plus pointu. Bref, une place parmi les dix premiers de la finale serait un signal et une récompense, signal d’un changement en profondeur du Concours, récompense amplement méritée pour avoir fait preuve d’autant d’audace. Quant à la RTBF, quelle révolution copernicienne : les voilà enfin en phase totale avec les attentes des fans, des jurys et du public. Deux qualifications en deux participations consécutives ? Les miracles existent !

La Moldavie

Ce fut le fou-rire de la soirée, irrépressible, irrésistible. Ces fliquettes en chaleur, quelle idée ! Et surtout quel cliché… Voilà résumée la prestation de pauvre Eduard : un amoncellement de clichés éculés sur le Concours. Tout cela arrive dix ans trop tard, totalement à contretemps. Nous avons prié pour que tout ce beau monde retourne régler la circulation à Chisinau, nous avons été exaucés… Suivant !

L’Arménie

Ce fut la première bonne surprise de notre soirée. Les prestations vocales et scéniques des six membres de Genealogy s’harmonisaient parfaitement, leur message fut transmis clairement. Leur émotion nous toucha, mais ce furent les décors et les images qui retinrent notre attention. Nous leur avons accordé notre vote et avons été heureux de leur qualification. Triompheront-ils samedi ? Sans doute non. Mais ils méritaient de chanter en finale.

Les Pays-Bas

Plait-il ? Cette question existentielle nous tarauda durant les trois minutes sur scène de Trijntje. Déjà que la chanson nous évoquait confusément les cris d’une personne s’étant coincé les doigts dans une porte… Mais cette mise en scène, quelle idée ! Ce gros plan sur ces yeux masqués, ces mouvements de caméra aléatoires, ces regards perdus de la chanteuse et n’évoquons même pas cette espèce de grenouillère qu’elle avait revêtu… Ce fut pour nous la plus grande déception de la soirée. Nous étions prêts à lui attribuer quelques votes géopolitiques, mais l’envie nous a subitement passés. Nous n’avons versé aucune larme sur son élimination. Vu le temps dont nos amis néerlandais ont disposé pour préparer leur prestation et vu les très nombreuses remarques qui leur ont été adressées (et dont ils n’ont presque pas tenu compte), ce dénouement nous est apparu logique et mérité. Á l’année prochaine, donc !

La Finlande

Raah ! Raah ! Raah ! Nous avons suffoqué de rage et de dépit durant une minute trente. Et dire que ! Dire que l’UMK fut l’une des meilleures sélections nationales de la Saison ! Dire que chaque autre morceau en compétition aurait pu se qualifier sans l’ombre d’un doute ! Mais non ! Non ! Il a fallu que nos amis finlandais votent pour cet accident industriel. Car, pardon, ce n’est pas de la musique, c’est du bruit. Et du bruit désagréable encore bien… Un marteau-piqueur en duo avec une ponceuse auraient été plus mélodieux ! Aux lions ! Aux lions ! Reste une question : ont-ils fini derniers ? Nous espérons bien que oui ! Et avec un « nul points », s’il y a une justice sur cette Terre !

La Grèce

La voilà, la sirène du Pirée ! C’est ainsi que nous apparut Maria Helena, dans sa robe scintillante : une sirène à la voix enchanteresse. Certes, sa chanson et sa présentation se confinèrent à un classicisme absolu en matière d’Eurovision. Nous n’y vîmes rien de nouveau sous le soleil. Mais force est d’admettre que Maria Helena livra une impeccable prestation vocale et qu’elle parvint à toucher notre cœur. Nous votâmes pour elle, elle fut sélectionnée, la Grèce perpétua son record de qualification, les traditions furent ainsi respectées. Maria Helena gagnera-t-elle samedi ? Non, pas assez d’audace et de risque. Qu’importe, après la Finlande, elle fut miel à nos oreilles…

L’Estonie

Nous ne pouvions voter pour Loïc. Nous ne pouvions officiellement le désigner comme notre favori. Il nous fallait d’autres champions. Ce furent Stig et Elina. Bien sûr, nous rîmes un peu des faux cils d’Elina, mais ses larmes firent venir les nôtres à nos yeux. Nous fûmes submergés par l’émotion. Nous avions aimé Goodbye To Yesterday dès sa publication, nous l’avons adoré hier soir, à Vienne. La prestation des deux chanteurs estoniens fut parfaite. Plus encore : la mise en scène de leur morceau nous ravit. L’apparition d’Elina et surtout, la disparition de Stig, nous marquèrent profondément. Ces graphismes et ces jeux de lumière, l’Eurovision à son pinacle. Nous avons voté en masse pour l’Estonie et nous avons été comblés de sa qualification. Alors ? Victoire en vue ? Tallinn 2016 ? Cela se pourrait et nous achèterions volontiers cette perspective. Vive Stig ! Vive Elina ! Vive les faux cils !

La Macédoine

Le retour du verre d’eau tiède… Nous avons beaucoup discuté durant cette prestation de Daniel, mais d’autres sujets que lui hélas, ce qui n’est guère prometteur. Ces trois minutes nous ont ennuyés, disons-le carrément. Autumn Leaves n’est pas un morceau mémorable et sa présentation nous a semblé rien moins que marquante. À force d’ennui, nous avons cherché la petite bête. Chanter en imper, vraiment ? Et puis, ce décor… Finalement, nous nous sommes disputé le bout de gras sur ces trois choristes, aux faux airs de gardes du corps. Bonne ou mauvaise idée ? Le débat est demeuré en suspens… Suivant !

La Serbie

Cette chère Bojana… Un doute nous a effleurés : était-elle vraiment au meilleur de ses capacités vocales ? Il nous avait semblé qu’elle en avait plus sous la pédale, comme qui dirait. Hier soir, elle nous a parus un peu en deçà de nos attentes. Nous y serons attentifs samedi, puisque la chanteuse serbe s’est qualifiée. Sans nos votes, précisons-le, car elle a recouru à un peu trop de clichés eurovisionesques à notre goût de juges intransigeants. Changement de clé, de costumes, de décors et de rythme au même moment ? Drapeaux flottants au vent, petit tour sur soi-même, masques et manteaux blancs ? Cela fleure le pot-pourri, les personnes qui ont disséqué le Concours à la loupe. Bref, Bojana a rempli sa part de contrat et nous a offert ce que l’on attend toujours d’une prestation serbe : le retour à l’écran, souvent subreptice, de l’inénarrable Marija Serifovic, au regard et à l’apparence de plus en plus suaves…

La Hongrie

Ô temps, suspend ton vol ! Voilà le vers qui nous a trotté dans la tête durant les trois minutes de Boggie sur scène. Le temps et l’espace nous ont semblé s’immobiliser et s’étendre dans un ennui infini. Oui, madame, oui, monsieur, nous nous ennuyâmes à périr et baillâmes avec force et constance. La fixité du regard de la chanteuse nous rappela certaines belles heures de la mythologie grecque et d’autres de films de science-fiction où des extraterrestres mal intentionnés s’emparent de corps humains durant leur sommeil. Quant à Wars For Nothing, elle causerait des merveilles auprès des insomniaques chroniques. Au bout de deux minutes de ce vacuum, nous nous prîmes de regret pour ces fliquettes moldaves… Elles au moins, nous avaient fait rire… La dernière note exhalée par Boggie nous causa un vif et intense soulagement. Sa qualification nous fit lever les yeux au plafond : il nous faudrait la subir encore, samedi. Quelqu’un aurait-il le numéro de téléphone de la jambe gauche de Kati Wolf ?

La Biélorussie

De Charybde en Sylla : après le somnifère, la scie. Uzari nous chante que le temps file à la vitesse de l’éclair. Pas en sa compagnie, hélas. Nous reprîmes nos bavardages futiles sur canapé, tandis que les Biélorusses s’escrimaient, qui avec son micro, qui avec son violon. Finalement, chez Boggie, il y avait un message de paix universelle et de quoi voir : des kalachnikovs en pagaille qui se métamorphosent en arbre verdoyant, ça avait de la gueule, par comparaison. Ici, R-I-E-N, pour se distraire l’œil, aucune occasion pour laisser son regard dériver et admirer la beauté du décor ou la netteté des écrans LED. Sur ces entrefaites et ces considérations oisives, Uzari et la dame au violon étaient arrivés au bout de leur chansonnette. Suivant !

La Russie

Ah ! Ah, ah ! Notre intérêt se réveilla et nous sortîmes de notre torpeur. Enfin, une concurrente intéressante à se mettre sous la dent. Polina et sa ballade taillée sur mesure ! Nous fûmes régalés d’une présentation parfaite, grains de beauté inclus, de quoi nous convertir aux joies de l’hétérosexualité. Polina rayonnait sur scène autant que sa robe. Sa prestation vocale atteignit la perfection et nous comprîmes aussitôt que sa qualification ne serait qu’une formalité administrative. Le canapé se divisa alors : était-il éthique de voter pour la Russie ? La moitié gauche vota, parce qu’il s’agit d’un concours de chanson. La moitié droite s’abstint, parce que la politique n’est jamais loin en matière d’Eurovision. Bref, un million de voix, c’est certainement ce qui attend Polina samedi soir, en termes de votes. Assez pour une victoire ? À voir… Car A Million Voices manque tout de même d’audace et de cet inévitable facteur M, comme Mémorable. Le morceau est parfait, mais convenu, selon nous. Nous lui accorderions une deuxième place en finale. Plus, ce serait une faute…

Le Danemark

Et voilà l’autre déception de notre soirée, après Trijntje et sa grenouillère ! Attention : aucunement en termes de prestation. Mais bien en termes de qualification. Oui, nous avons aimé Anti Social Media. Oui, nous avons voté pour eux. Oui, nous y avons cru jusqu’au bout. Oui, nous regretterons de ne point les revoir samedi. The Way You Are nous a fait danser sur notre canapé. Nous avons apprécié son insouciance, sa légèreté. Léger, apparemment trop léger pour l’Europe. Nous aurions volontiers échangé le Danemark contre la Hongrie… Les Danois furent au final nos seuls favoris à se voir éliminés. Mais quel « sic transit gloria mundi » : vainqueurs il y a deux ans, hôtes l’année dernière avec une dixième place et cette année, à la trappe au bout de trois minutes ! L’Eurovision est parfois un jeu cruel…

L’Albanie

Elhaida fut annoncée la première des qualifiées et nous en fûmes surpris. Agréablement surpris. Nous aimons beaucoup Elhaida, sa voix, son charisme, ses prestations diverses et circonstanciées. Nous avions décidé de voter pour elle, quoi qu’il arrive. Imaginez notre perplexité : durant deux minutes, les deux premières minutes de son interprétation, la chanteuse nous sembla éteinte et comme perdue sur la scène. Sa prestation d’I’m Alive menaçait de tourner au naufrage, quand soudain, arrivée au pont, elle se ressaisit et éclata enfin. La scène s’illumina, sa voix s’envola et nous fûmes reconquis. Serait-ce cette mèche rebelle sur son front qui l’a ainsi distraite ? Nous espérons qu’elle se montrera plus en phase, samedi, et qu’elle nous cause moins de frayeur. Car figurez-vous que nous l’aimons beaucoup. L’aurions-nous déjà précisé ?

La Roumanie

Soupirs, soupirs et re-soupirs… La Roumanie enverrait une bouilloire siffler durant trois minutes, qu’elle se qualifierait quand même… Nous boudâmes en chœur sur notre canapé, car vraiment, Voltaj ne nous inspira que désintérêt et incompréhension. De La Capat date, mais ne fera pas date. Il y a bien sûr le message, ces pauvres petits nenfants roumains, ces drames de l’exil… Nos yeux sont pourtant demeurés secs comme le désert de Gobi. Nous nous sommes alors concentrés sur cet étrange bijou porté par le chanteur. En quelles circonstances un homme pourrait-il porter cet ornement de cou ? Pas pour aller faire les courses, c’est certain. Au bureau, non plus. En boîte, le samedi soir ? Mmmh… Et si nous passions à la chanson suivante ?

La Géorgie

Nina ! Ce que nous nous sommes amusés avec Nina ! D’ailleurs, nous avons décidé de nous déguiser en Nina pour Halloween. Notre guerrière géorgienne conclut la soirée en beauté et de façon magistrale. Il y eut dans sa présentation, toute une leçon de caractère et de tempérament. Ce Warrior-ci n’est pas la chanson du siècle, mais Nina a su la transcender de par sa prestation vocale magistrale, ses yeux de glace et son visuel époustouflant, certainement le meilleur de la soirée. Nous avons voté pour elle et avons eu des envies de cuissardes. À quoi s’attendre samedi ? Pas à l’Olympe, mais nous nous contenterons d’une nouvelle dose de la rockeuse géorgienne. Aux oubliettes, les Sopho !

Aurions-nous au final quelque critique à émettre ? Une, une seule, car nous avons repéré la résurgence d’un effet, que nous appellerions « l’effet Marlène Charell ». Nous le définirions comme « l’éclipse des candidats et chansons en lice par un facteur extérieur ». Ce facteur, selon nous, est Conchita en personne. Car Conchita est sublime, élégante, drôle, spectaculaire. La star, c’est elle. C’est elle qui éblouit, c’est elle vers qui tous les regards convergent… au point que l’on en oublie un peu le reste, les trois présentatrices tout d’abord, les concurrents ensuite. Serait-ce le « Concours Conchita Wurst de la Chanson » ? L’effet est indubitable : nous avons eu l’impression d’être invités par Conchita, chez Conchita, pour juger des chansons sélectionnées et présentées par elle. Cela rend les choses mémorables, a dû faire s’étrangler bon nombre de parlementaires russes et biélorusses et pavé la voie de la diva autrichienne vers un avenir télévisuel, car elle mériterait son propre show. Mais le Concours ! Le Concours avant tout ! Et quelle rude tâche pour le vainqueur de devoir succéder ainsi à une personnalité aussi emblématique et charismatique… Nous attendons à présent, avec la plus vive des impatiences, ce jeudi, pour la seconde demi-finale ! Nous vous retrouverons le lendemain, pour un autre compte rendu depuis Bruxelles. Sur ce, long live the Eurovision !