Alors que la présence de drapeaux fait régulièrement l’objet de polémiques durant la compétition, l’UER (Union Européenne de Radiodiffusion, qui organise le Concours) a adopté un nouveau règlement concernant leur utilisation.

Attention, nouvelles règles ! Le diffuseur danois DR a révélé ce vendredi 25 avril la nouvelle politique vexillologique (si, si, ça se dit !) et autant dire qu’elle a fait bien réagir. Celle-ci adoucit pour le public mais restreint pour les artistes le droit de brandir leur oriflamme. Ainsi les personnes du public pourront amener n’importe quel drapeau dans la salle tant qu’il respecte la législation suisse. Il sera donc possible d’arborer les couleurs de la Bretagne, celles de la communauté LGBT+, même si les « messages politiques doivent être évités », selon l’UER. On ne risque pas donc de voir disparaitre les drapeaux flotter à la caméra !

A l’inverse, les artistes ne pourront plus porter que la bannière du pays qu’ils représentent. Fini le drapeau de la transidentité, comme l’an dernier avec Nemo, ou le drapeau LGBTQIA+, porté par Marco Mengoni ci dessus en 2023. Les artistes d’une autre nationalité du pays qu’ils représentent ne pourront pas non pas non porter deux drapeaux nationaux. Il ne sera pas non plus possible pour les artistes de porter les bannières régionales dont ils viennent comme celle de Madère pour les artistes portugais qui en sont pourtant originaires. Finies donc les démonstrations d’attachement ou de soutien à une identité. Afin d’assurer que tout le monde soit au même niveau, c’est l’organisation qui leur fournira leur étendard.

Les drapeaux sont pourtant essentiels l’Eurovision !

Les drapeaux sont une nécessité visuelle à l’Eurovision. On les voit à la fin des cartes postales, à côté des noms des pays dans les tableaux de points… Pour un show télévisuel, ça ajoute de la couleur, ça flatte les identités nationales, ça permet de montrer l’enthousiasme de la foule en étant tenu et secoué face caméra. C’est un élément essentiel du show.

Une Flag Parade, ou défilé des drapeaux, a aussi été mise en place en 2013. Les interprètes défilaient derrière leur drapeau en passant au-dessus de la foule sur un pont. Cela permettait de mettre en valeur ces artistes, chacun représentant certes un pays mais tous étant unis dans un même défilé. L’édition 2014 améliore la présentation de chacun des pays, les annonçant les uns après les autres, permettant au public d’exprimer ses préférences. Que dire des flag parades 2016 et 2019 qui ont su faire de ces moments, une présentation moderne et intelligente des artistes ! Depuis 12 ans, sans être obligatoire, ce défilé est devenu le moment fort du lancement de la finale du Concours. Elle donne le ton de la soirée et permet de lancer avec énergie les chansons, offrant une introduction digne de ce nom.

Pourquoi donc de nouvelles règles ?

De nombreux incidents liés à des drapeaux sont déjà intervenus. L’an dernier, le drapeau de l’Union Européenne avait été banni de présence dans l’arène, car symbole d’une communauté politique. L’incompréhension avait été totale. Au-delà, certains conflits comme le conflit israélo-palestinien ou la guerre russo-ukrainienne se sont invités dans la compétition. Les drapeaux russes, biélorusses et palestiniens ont été interdits.

Cette interdiction a cependant déjà été bravée dans le passé. Deux exemples récents suffisent à s’en convaincre. En 2019, alors qu’Israël organisait l’Eurovision à Tel Aviv, les représentants islandais, le groupe Hatari, avaient montré à la caméra le drapeau palestinien lors de l’annonce de leurs points afin de dénoncer la politique menée par Israël vis à vis de la Palestine. De même, en 2016, Iveta Mukuchyan, la représentante arménienne, avait brandi le drapeau du Haut-Karabagh dans la Green Room lors de la demi-finale, alors que l’Arménie défendait cette région contre l’Azerbaïdjan qui tentait de l’envahir. Ces deux incidents ont abouti à des sanctions relativement légères, les Islandais devant payer 5000 euros d’amende, l’Arménie ne devant pas recommencer sous peine d’être exclue. Les séquences ont par ailleurs été censurées sur les versions vendues en support physique.

Les drapeaux sont des symboles visibles qui renvoient à un message souvent politique, parfois identitaire, toujours lié à des revendications ou l’affirmation d’une pensée. L’UER, dans son idéal de neutralité, bannit donc depuis longtemps ceux jugés comme inadaptés au Concours, à travers l’adoption de différents règlements. Ce dernier n’est donc que la mise à niveau d’une politique enclenchée depuis longtemps.

Qu’est ce que cela veut dire de l’Eurovision ?

Pourtant, les organisateurs du concours savent que l’Eurovision n’est pas un vase clos, imperméable au contexte géopolitique ou aux revendications. Mais ils tentent de tout mettre en œuvre pour que les artistes, qui portent la visibilité du Concours, expriment le moins possible leurs opinions. Cette année, il n’y aura d’ailleurs pas non plus de conférence de presse pour les pays qualifiés des demi-finales. L’an dernier, certains avaient utilisé ce moment pour signifier, d’une manière ou d’une autre leur sentiment. L’Eurovision est une tribune visible par plus de 170 millions de personnes en finale. Son audience lui permet donc d’être une caisse de résonnance pour tout message politique. Laisser le public porter les bannières qu’il souhaite est une contrepartie bien faible, puisque l’UER a la main sur les images diffusées. Il est donc facile de ne filmer que les parties du public jugées convenables. A l’inverse, ignorer les interprètes n’est pas possible, voila pourquoi les règles se durcissent pour eux. Dans sa volonté d’un concours épuré, l’organisation oublie ce qui fait le sel de l’Eurovision, ce qui lui a permis de se relancer notamment dans les années 2010, après une décennie 2000 bien terne. C’est sa capacité à parler à son public, à porter des messages, qu’on le veuille ou non, qu’on y adhère ou pas. En l’aseptisant, par la recherche d’une impossible neutralité, l’UER prend le risque de dénaturer l’Eurovision pour irrémédiablement en faire ce que ses détracteurs ne cessent de répéter, un concours de variété sans âme.