Search For SolutionÔ rage ! Ô désespoir ! Ô annonce ennemie ! Que n’ai-je donc tant vécu que pour voir cette idiotie : France Télévisions se fourvoyer à nouveau dans sa sélection pour l’Eurovision. Une terrible erreur de jugement qui amène ex templo trois commentaires.

Primo, chez les décideurs français, l’image qu’ils se font du Concours, les aveugle sur les réalités de ce dernier. L’Eurovision est devenu une compétition de jeunes talents, de chansons conçues pour conquérir les classements, d’artistes aguerris et de mélodies ciselées. En deux mots, la victoire se donne aux concurrents surprenants, mémorables et novateurs.

Secundo, France Télévisions reste désormais le seul des Big Five à autant négliger le Concours. La RAI, de retour depuis 2011, ne fait plus mystère de ses velléités de victoire, sélectionnant chaque année la crème de la crème de la scène musicale italienne contemporaine. L’ARD a monté une des sélections nationales les plus regardées, les plus courues et les plus enviées de la Saison, à laquelle se bousculent tous les artistes allemands en vue. TVE déchaîne les passions des téléspectateurs espagnols, lors de l’annonce de l’heureuse élue qui la représentera et se paye le luxe de transformer en succès commercial tout ce qu’elle touche. Et même la BBC a abandonné ses habits de formol et ses coupables dédains, au profit d’une quête effrénée de jeunes talents prometteurs qui écumeront ensuite tous les festivals branchés du Royaume-Uni.

Tertio, France Télévisions demeure le dernier des diffuseurs francophones à ne rien y comprendre. Même la RTBF (c’est dire !) et la RTS ont un brin saisi l’essence actuelle du Concours : la découverte et la promotion de jeunes talents nationaux, frais, nouveaux, diamants encore un peu bruts, perles naturelles, qui pourvus d’une chanson de facture internationale, en français, en anglais ou dans n’importe quelle autre langue, pourront au moins se hisser jusqu’à une quinzième place en finale (n’en jetez plus…).

Tout ce foin a un mérite : attirer notre attention sur l’un des fondements essentiels du Concours, décidé dès le 19 octobre 1955, jour de baptême officiel de l’Eurovision, inchangé depuis et pérennisé à l’article 1.1.2. du règlement : « Chaque chanson du Concours Eurovision de la chanson doit être sélectionnée par le biais d’une sélection nationale organisée par chaque radiodiffuseur participant. La sélection nationale est organisée sous la seule responsabilité du radiodiffuseur participant en question. » Autrement dit, les diffuseurs participants disposent d’un libre arbitre total dans le choix de la chanson et de l’artiste qui les représenteront au Concours. Ils peuvent ainsi monter une gigantesque sélection nationale, s’étalant sur plusieurs mois et traversant tout leur pays, impliquant un vote massif des téléspectateurs et le recours à des jurys internationaux… ou ils peuvent se contenter d’une brève sélection interne et désigner arbitrairement les heureux élus.

L’objectif de cette règle est limpide : permettre aux diffuseurs dont les ressources financières ou artistiques sont limitées de participer sans difficulté. Mais la réalité empirique a vite démontré une corrélation entre audimat et méthode de sélection. Au plus le premier est élevé, au plus la sélection s’avère longue, coûteuse et intéressante.

Le cas d’école le plus éclairant à cet égard demeure la Hongrie. Après des années de sélection interne en catimini, la télévision publique hongroise a fait le pari d’investir dans une sélection nationale ouverte et télédiffusée. Le succès fut immédiatement au rendez-vous, créant un cycle vertueux : les responsables ont su créer un spectacle de qualité et attirer à la fois les professionnels de la musique, les artistes nationaux et les téléspectateurs. Partant, l’audimat a grimpé, le succès commercial a été au rendez-vous et surtout, la réputation de l’Eurovision atteint désormais des sommets dans le pays.

Les fans que nous sommes savent cependant que cet ensemble décisionnel repose sur un facteur humain, terriblement humain : les responsables musicaux des diffuseurs participants. Un changement de direction ou d’équipe parmi ceux-ci est susceptible de modifier entièrement l’approche du Concours par le diffuseur. La Hongrie en est à nouveau l’exemple. Pour l’heure, tous les regards sont braqués sur les responsables concernés de France Télévisions. Il aurait suffi qu’ils soient autres ou qu’ils aient une image juste et raisonnable du Concours, pour que la France soit défendue par un morceau représentatif de son paysage musical actuel. Il aurait au moins suffi qu’ils lisent avec attention notre site, nos articles, nos chroniques et nos commentaires pour saisir les prérequis d’une participation à l’Eurovision, les attentes placées en eux et surtout l’esprit même de cet événement : un Concours Eurovision de la Chanson, c’est-à-dire une ***bip*** de compétition musicale internationale, où, si tu n’envoies pas une ***bip*** de bonne chanson moderne, interprétée par un ***bip*** d’artiste charismatique et bien préparé, tu n’as aucune ***bip*** de chance de bien te classer (et inutile de la ramener sur ces ***bip*** de votes géopolitiques, parce tout le monde sait bien que ce ne sont que des ***bip*** de fariboles et que bon, quand la Suisse, la Belgique, Monaco ou Andorre votent pour la France, ce n’est plus géopolitique, c’est normal, ***bip*** !!). Ne jetons pas pour autant le bébé avec l’eau du bain : une sélection interne, placée entre les mains de connaisseurs et d’experts éclairés, peut causer des merveilles, voire un miracle. Ce sera l’objet de notre chronique mensuelle, dédiée bien évidemment aux responsables concernés de France Télévisions. De mon côté, je conclurai par cette adresse déjà formulée (mais bis repetita placent) : alleï Loïc ! Alleï la RTBF ! Alleï la Belgique !

Aujourd’hui donc : cinq sélections internes audacieuses… et payantes !

5. 2014 – Pologne – Donatan et Cleo – My, Słowianie – 14e place en finale

Mettons d’emblée de côté la controverse suscitée par la prestation de Donatan et Cleo et par le message véhiculé par leur chanson. Admettons qu’il s’agisse d’un second degré subtil et essentiellement destiné aux téléspectateurs hétérosexuels (si, si, il y en a…). Concentrons-nous sur le parcours mental des responsables de la télévision publique polonaise. Ils n’ont jamais été de grands fans du Concours et l’ont souvent tenu pour une obligation morale. Ils ont donc longtemps organisé des sélections à pleurer, le jour de la Saint-Valentin. Les résultats ont bien sûr été désastreux, couronnés par une dernière place en 2011, excellent prétexte pour un retrait l’année suivante. Nul ne sait comment l’UER est parvenue à les convaincre de revenir en 2014, mais le fait est là : les dits responsables ont enfin eu une bonne idée. À l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, ils se sont rendus sur YouTube et en deux clics, sont tombés sur le morceau polonais le plus visionné de l’année : My, Słowianie. Pourquoi chercher plus loin ? Donatan a longuement hésité avant d’accepter, mais y fut encouragé par ses fans sur Facebook. Ce fut tout bénéfice pour l’ensemble des personnes impliquées, puisque jamais de mémoire de fans, l’on n’avait autant parlé de la Pologne au Concours qu’en 2014. Et ce choix obtint confirmation sur le tableau des votes : la Pologne se qualifia et termina à la quatorzième place en finale, un peu descendue par les jurys, mais décrochant tout de même son meilleur résultat depuis 2003.

Bref, avant de poser ta sélection interne, va faire un ***bip*** de tour sur YouTube !

4. 2010 – Turquie – MaNga – We Could Be The Same – 2e place en finale

Voilà une sacrée bonne idée : choisir un groupe de rock déjà internationalement connu et reconnu. La télévision publique turque décida en 2010 de jouer sur trois tableaux. Tout d’abord, celui de la renommée, une ficelle classique : un artiste possédant déjà des fans à travers de nombreux pays, est susceptible de s’attirer de nombreux votes de leur part. Ensuite, celui de l’alternative musicale, plus efficace qu’on ne saurait le croire : les téléspectateurs et les jurys de l’Eurovision sont en réalité fort friands de fraîcheur, de décalage et de nouveauté. Enfin, celui de l’expérience musicale, logique : un artiste ayant accompli de nombreuses tournées et reçu de nombreux prix sera plus à même d’atteindre le niveau d’excellence requis par une compétition internationale comme l’Eurovision. Ces trois conditions sine qua non étaient réunies par le groupe de rock MaNga, couronné l’année précédente aux MTV Europe Music Awards par deux prix : Meilleur Artiste Turc et Meilleur Artiste Européen. Leurs clips avaient été dès lors diffusés par la fameuse chaîne musicale. Le groupe tint ses promesses à Oslo, offrant une prestation anthologique, digne des plus grands. Le résultat fut mécanique : la Turquie remporta sa demi-finale et termina en finale, à la deuxième place, avec trois notes maximales et les faveurs des téléspectateurs.

Bref, avant de poser ta sélection interne, regarde MTV pendant cinq ***bip*** de minutes !

3. 2013 – Italie – Marco Mengoni – L’Essenziale – 7e place en finale

En matière de résultats, l’Italie n’a plus rien à prouver, ayant terminé à trois reprises consécutives depuis 2011, parmi les dix premiers. La télévision publique italienne s’en remet entièrement, pour cela, au plus prestigieux des concours musicaux de la péninsule, qui rassemble la fine fleur des auteurs et des interprètes du pays : le Festival de San Remo, inspirateur du Concours lui-même. Les artistes en lice sont « simplement » (s’il est possible de l’exprimer ainsi) les plus populaires et les plus vendeurs du moment. Le succès commercial est pour eux au rendez-vous, avant, pendant et après le Festival : leurs albums et leurs singles caracolent en tête des ventes en Italie. La télévision italienne, en leur offrant de la représenter à l’Eurovision, leur ouvre une précieuse fenêtre internationale qui leur permettra d’accroître leur notoriété et de s’exporter partout en Europe. Assez subtilement, la participation au Concours demeure facultative : les artistes approchés demeurent libres de leur choix et souvent, ce sont leurs maisons de disque qui font pencher la balance dans un sens ou un autre. Nous aurions pu citer ici Raphael Gualazzi ou Nina Zilli, mais Marco Mengoni résume à lui seul l’excellence de la scène musicale italienne contemporaine, lui qui occupe sans discontinuer la première place dans les classements italiens depuis 2009.

Bref, avant de poser ta sélection interne, consulte les ***bip*** de classements officiels de ton pays !

2. 2013 – Pays-Bas – Anouk – Birds – 9e place en finale

Voilà un cas emblématique, la sélection interne portée au rang d’art, de grand art. Nous en avons déjà discuté, en long, en large et en travers. Après huit années consécutives d’élimination en demi-finale, un bien triste record, la télévision publique néerlandaise décida d’en revenir à la raison et d’enfin accepter l’offre d’une des artistes nationales les plus connues : la chanteuse Anouk, célèbre depuis 1997 et son Nobody’s Wives. Rarement l’on vit victoire changer plus rapidement de camp : les Pays-Bas se qualifièrent enfin pour la finale et y terminèrent à la neuvième place, leur meilleur résultat depuis 1999. La télévision publique néerlandaise poursuivit dans cette voie en 2014 et obtint tout simplement son meilleur résultat depuis 1975 : une deuxième place en finale, avec les Common Linnets, autre duo emblématique de la scène musicale néerlandaise. Il est heureux de souligner que ces grands artistes sont non seulement les meilleurs, mais aussi les plus volontaires et les plus honorés du monde de représenter leur pays au Concours. Un autre monde…

Bref, avant de poser ta sélection interne, accepte les propositions de tes ***bip*** de meilleurs artistes nationaux !

1. 2014 – Autriche – Conchita Wurst – Rise Like A Phoenix – 1e place en finale

Qui d’autre aurait pu occuper la première place de ce classement ? En 2014, la télévision publique autrichienne se souvint apparemment de la maxime imitée de Virgile et de la phrase de Danton. La première leur dit « La Fortune sourit aux audacieux » et la seconde, « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ». Ce fut donc Conchita Wurst, l’une des sélections internes les plus audacieuses de cette décennie. Audacieuse, mais pas superficielle, car Conchita se révéla une artiste éprouvée, disposant d’un univers artistique abouti, d’une personnalité charismatique et lumineuse et véhiculant un message à portée universelle. Audacieuse, mais pas pathétique, car Conchita prouva rapidement qu’elle était une très grande chanteuse, capable de tenir la note en direct et a cappella. Ce choix fut plus que payant : Conchita devint sur le champ un sujet de conversation mondial et même les moins intéressés des téléspectateurs avaient entendu parler d’elle, avant le début du Te Deum de Charpentier. Sa victoire se transforma en triomphe critique et public, puis en véritable domination mondiale. Avec Conchita, l’Eurovision s’est trouvé une icône éternelle, une pasionaria, qui a bien redoré sa médaille. Et la télévision autrichienne se voit récompensée de son audace, en remportant enfin une seconde victoire, si méritée après ces quarante-huit années de néant musical…

Bref, avant de poser ta sélection interne, va t’acheter une ***bip*** de paire de c***biiiiip*** !

Bonus

Pas de bonne chronique, sans un bon bonus ! Celui-ci sera purement personnel, subjectif et partial. Ces derniers mois, je suis demeuré attentif aux artistes français. Voici cinq d’entre eux qui m’ont particulièrement marqué et dont j’ai écouté la chanson en boucle. Ils me semblent résumer à eux cinq, la qualité et la diversité de la scène musicale française actuelle. Vous constaterez que mes goûts demeurent commerciaux, complétez-les vous-même avec vos propres découvertes personnelles, cela m’intéresserait au plus haut point. Vous prendrez également garde : je ne m’attendais pas à ce que l’un de ces cinq chanteurs représente la France au Concours. Je m’attendais simplement à ce que la chanson retenue par France Télévisions sonne à l’oreille comme l’une de celles-ci…

Black M – Madame Pavoshko

Cécile Corbel – Entendez-Vous

Adrien Gallo – Crocodile

Indila – Dernière Danse

Shy’m – L’Effet De Serre