Alors qu’un quatuor venu de Suède gagne le concours (et dont la musique pop ne va pas tarder à déferler sur le monde), quatre malheureux pays vont connaitre les affres de la dernière place. La faute à un système de vote « favorisant » les last places multiples. Heureusement l’année suivante verra l’apparition des fameux twelve points, douze points. En attendant faisons la connaissance de…

Cindy & Bert

Cindy de son vrai nom Jutta Gusenburger est née le 26 janvier 1948 à Völklingen dans le land de la Sarre tout proche de la frontière française. Son père est agent municipale et surtout organiste et chef de chœur. Elle grandit donc dans un foyer où la musique a une place importante. Mais ses parents tiennent à ce qu’elle ait un vrai « métier » et elle poursuit des études de commerce pendant 2 ans. Au mitan des années 60, un guitariste dans un groupe amateur dénommé Bert passe une annonce afin de trouver une chanteuse…

Bert a pour nom de naissance Norbert Maria Berger. Il naît lui aussi à Völklingen le 12 septembre 1945. Il est issu d’une famille de musiciens Son grand-père était organiste (lui aussi) dans l’une des l’églises de la ville entre 1888 et 1931, place que prendra le père du futur Bert entre 1931 et 1973. Norbert, lui, n’est pas intéressé par cela. Alors que le rock’n roll a déferlé sur le monde quelques années plus tôt, il apprend à jouer de la guitare basse. Il intègre un groupe les Blue Birds. Mais il manque une voix…

… Et c’est ainsi qu’en passant une annonce, il tombe vocalement sur le charme de Jutta puis… Sous le charme tout court ! Le groupe se renomme Jutta & the Quintet Royal. Mais le couple a des envies d’ailleurs. Tout d’abord, ils se marient le 20 mai 1967. Puis décident de créer un duo. Pour cela ils changent de prénoms et deviennent Cindy & Bert. Ils signent leur premier contrat en 1969, ce qui leur permettent de sortir quelques titres qui rencontrent un tout petit succès d’estime. Parmi eux, Der Hund von Baskerville (Le chien de Baskerville), une adaptation assez particulière de Paranoid, du groupe de heavy metal Black Sabbath. Durant la 1ère partie des années 70, le couple vit une période faste, puisque leurs huit singles intègrent les charts allemands. Immer wieder Sonntags (à chaque fois le dimanche) se classe même 3ème des meilleures ventes. C’est ainsi qu’ils tapent dans l’œil de la délégation allemande pour le concours Eurovision…

Les Stone & Charden d’outre Rhin !

Et l’Eurovision dans tout ça ?

Et oui, on y vient à notre concours musical préféré ! En 1972, portés par leurs succès à répétition, Cindy et Bert décident de prendre part à la sélection allemande. Et c’est avec la chanson Geh’ di Straße (marcher dans la rue) qu’il se présentent devant les téléspectateurs ouest-allemands. Mais ils doivent s’incliner en superfinale devant Mary Roos.

L’année suivante, leurs deux titres, Wohin soll ich geh’n (où dois-je aller) et Zwei Menschen und ein Weg (deux personnes et un chemin), ne terminent que 8ème et 9ème. Les époux ne se découragent pas pour autant et proposent un nouveau titre en 1974, pour la troisième année consécutive donc. Mais le jury d’experts chargé de sélectionner le représentant pour Brighton considère qu’aucune des chansons soumises n’est de qualité suffisante pour concourir.Par conséquent, les dirigeants de l’ARD (chaine publique de l’Allemagne de l’Ouest) invite des auteurs et des compositeurs à écrire aux artistes volontaires un titre plus percutant. C’est ainsi que Cindy et Bert se voient proposer Die Sommermelodie (la mélodie de l’été).

Nous voici donc le samedi 6 avril. 17 pays participent (sans la France. La mort, quelques jours plus tôt du président Georges Pompidou force la délégation à déclarer forfait). L’Allemagne passe en 14ème position. Et si le titre proposé est bien charmant, le charme n’agit pas sur les jurés. Seules la Grèce, la Belgique et la Suisse empêchent le couple de repartir avec un 0 pointé. Große Enttäuschung (grosse désillusion).

Et après l’Eurovision ?

Déterminés à faire oublier l’affront subi à Brighton, le duo décide de retenter sa chance à la sélection allemande en 1978 et soumet deux titres, Was die Sterne lenkt ? (qu’est ce qui guide les étoiles ?) et Chanson d’été (en français dans le texte, sûrement pour marquer le coup puisque cette année-là, le concours se déroulait en France) , qui se classent 5ème et 6ème. C’est le chant du cygne pour le couple, qui ne renouera pas avec le  succès. Dix ans plus tard, Cindy et Bert divorcent. La jeune femme poursuit une carrière en solo sous le nom de Cindy Berger (elle participera même deux fois à la sélection allemande, en 1988 et 1991) tandis que son ex-époux se tourne vers la production. Au milieu des années 90, le duo se reforme provisoirement pour les besoins d’une tournée où se produisent d’anciennes gloires de la variété – l’équivalent de nos Stars 80 en somme. Puis en 2006, il participent à une édition du Loft Story local. Le dernier disque de Cindy sort en 2013.

Bert décède d’un pneumonie le 14 juillet 2012. Lui et Cindy avait eu en enfant en 1975, Sacha qui a choisi la même voie que ses parents puisqu’il est devenu musicien.

Dans son malheur, l’Allemagne a pu compter sur l’accompagnement sur la dernière marche de sa voisine suisse. et la république fédéral était représentée par…

Piera Martell

Piera Martell est née le 2 juillet 1947 à Jona dans le canton de Saint Gall qui est situé dans la partie germanophone de la Suisse. Pas grand chose ne nous est parvenu concernant son enfance et ses débuts dans l’industrie musicale avant de participer au concours, Mais en 1973, elle prend part à une des plus grandes compétitons de Schlager (genre musical fortement apprécier dans les pays de langue allemande et en Scandinavie) : le Schweizer SchlagerFestival (Festival suisse du Schlager). Son titre Der Himmel über mir (Le ciel au dessus de moi) connait un petit succès qui attire l’œil des producteurs de la sélection helvète pour le ESC.

Et l’Eurovision dans tout ça ?

La SSR ( Société Suisse de Radiodiffusion) organise le 24 janvier 1974, une finale nationale. Parmi les candidats, on retrouve le trio Peter, Sue & Marc multi représentants du pays (en 1971, 1976, 1979 et 1981). Le mode de scrutin n’étant pas connu, tout ce que l’on peut dire c’est que c’est Piera qui partira vers le Royaume Uni avec une chanson en allemand Mein Ruf nach dir (Mon appel à toi). Faisons une avance rapide de 2 mois et demi pour arriver au début du mois d’avril dans la charmant ville balnéaire de Brighton. La jeune suissesse est idéalement placée puisqu’elle est antépénultième (juste après l’Allemagne et avant le Portugal, on va en reparler !)… L’appel de Piera aux jurés sera… Sans appel ! Elle ne pourra compter que sur 3 pays : le Royaume Uni, la Belgique et l’Allemagne qui lui donneront chacun 1 point. Große Enttäuschung (bis)

Mon appel à toi… C’est plutôt le score qui a été sans appel !

Et après l’Eurovision ?

Rentrée en Suisse, Piera fait quelques apparitions dans les émissions de variétés du pays (surtout celles de la SRF, chaine publique de langue allemande). Malgré sa décevante dernière place, elle retente les sélections dans son pays en 1976 avec le titre Ein neuer Tag (Un nouveau jour), en 1977 avec la chanson Aldo Rinaldo et enfin en 1978 avec Hier, Pierre. Toutes ses tentatives sont des échecs (meilleure place : 4ème en 1977). Elle sort encore quelques 45 tours et décide en 1981 de mettre un terme à sa carrière.

Piera a fêté ses 81 ans il y a quelques semaines.

Le prochain artiste a la particularité d’avoir mêlé à la petite histoire de l’Eurovision l’ histoire avec un grand H de son pays !

Paulo de Carvalho

Manuel Paulo de Carvalho da Costa est né le 15 mai 1947 à Lisbonne. Son entrée dans le monde de la musique se fait grâce à son apprentissage de la batterie. Instrument où il excelle véritablement et qui lui permettra, en 1963, de monter son 1er groupe, les Sheiks qui se rapproche aussi bien dans le style musical que vestimentaire des Beatles, alors aux prémices de leur fulgurante carrière. A noter que l’un des autres membres, Carlos Mendes sera double représentant du Portugal en 1968 et 1972. Le succès des Sheiks (qui comprend aussi bien des reprises des 4 de Liverpool que leurs propres textes) met un terme aux rêves footballistiques de Manuel (se faisant désormais appeler Paulo) qui se voyait bien jouer au Benfica Lisbonne. En 1968, le groupe se dissout et notre jeune lisboète vivote dans différentes autres formations.

Les Beat… Heu… Les Sheiks !

C’est en 1970 qu’il entame une carrière en solo. En voilà, une bien belle idée puisque la RTP (chaine publique portugaise) l’appelle l’année suivante pour lui signifier qu’il est sur la liste des candidats au fameux Festival da Canção (FdC)… Où il termine second avec sa contribution Flor sem tempo (Fleur sans age). Cela lui ouvre les portes des studios et lui permet de sortir son 1er LP. S’ensuit une participation à la musique d’un film puis au festival international de Rio de Janeiro et un retour en 1973 au FdC avec le titre Semente (La graine). Édition à laquelle il finit à une honorable 4ème place. Mais le chanteur promet de très vite revenir à la sélection portugaise pour le concours Eurovision de la chanson…

Et l’Eurovision dans tout ça ?

… 1974. Alors que l’on sait que le concours se déroulera en terre britannique, la RTP prépare son festival de la chanson portugaise qui a lieu le 7 mars . Parmi le sélectionnés, on trouve José Cid (futur représentant du pays en 1980) et… Paulo da Carvalho avec son nouveau titre, E depois do adeus (Et après au revoir) ! Celui-ci va prendre lors de la finale lusitanienne (dont l’organisation est différente d’aujourd’hui puisqu’elle ne jouait que sur une seule soirée), une confortable avance sur le groupe arrivé 2ème (245 points contre 144). Sacré revanche pour notre star du jour ! Un mois quasiment tout pile plus tard, il n’en sera pas de même. Paulo passe en 16ème position juste après l’Allemagne et la Suisse. De là à dire que les 3 pays forment la trinité de la Lose, il n’y a qu’un pas… Que nous franchissons car Paulo, comme les 2 pays sus-cités ne récoltera que 3 points qui lui viendront de l’Espagne (1 point) et l’Allemagne (2points), décidément très généreuse avec les nations qui sont dans le même bateau qu’elle.

Mais là n’est pas le plus le important. Car 3 semaines après le concours, plus exactement le 24 avril alors que E depois do adeus passe à la radio à 22h55, celui-ci devient le signe de ralliement des troupes rebelles au régime dictatorial mis en place par Salazar. Malgré son titre (voir plus haut sa traduction), la chanson n’avait pas de porté politique ou polémique et pouvait passer inaperçue aux yeux du pouvoir en place. C’est ainsi qu’une lanterne rouge rentre dans la légende !

Et après l’Eurovision ?

Il est évident qu’après les événements d’avril 1974, la carrière de Paulo de Carvalho n’allait pas s’arrêter. Le leader du parti démocrate, Francisco Sá Carneiro lui demande d’écrire l’hymne du parti. Puis vient de nouvelles participations au FdC. En 1975 (avec un 3ème place à la clé). Ensuite en 1977. Edition qu’il gagne avec le groupe Os Amigos et qui le ramène dans le giron de l’Eurovision. La chanson Portugal no Coração (Le Portugal au coeur) termine à la 14ème place sur 18.

Retour au FdC en 1984 (7ème), puis en tant que compositeur de la chanson représentant le pays en 1993. Entre temps, les anciens membres des Sheiks se réunissent pour des concerts exceptionnels. La carrière de Paulo do Carvalho couvre plus de 6 décennies avec une trentaines d’albums publiés. Le 8 juin 2009, il a été fait officier de l’Ordre de la Liberté (puis en 2023, Commandeur) autant pour sa longévité artistique que pour son engagement caritatif. En effet, dans les années 90, il a écrit des titres dont les fonds sont revenus à la lutte contre le SIDA. En résumé l’on peut dire qu’il a eu une vie musicale exceptionnelle où il a exploité aussi bien le genre yéyé, rock, pop, funk, jazz, ethnique et fado.

Paulo a fêté le 15 mai dernier, ses 77 ans. Il s’est marié 3 fois. Avec sa 1ère femme, il a eu une fille, Matilda, qui est devenue chanteuse. Avec sa deuxième femme, Helena Isabel, présentatrice à la RTP, un fils, Bernado est venu agrandir la famille. Celui-ci a aussi choisi la même voie que son père en devenant chanteur sous le nom de Agir. Sa 3ème femme a donné naissance à un garçon, Paulo Nuno. Avec sa compagne actuelle (et avec qui il n’est pas marié, donc), l’artiste Susana Lemos, il a eu deux filles.

A la semaine pro…

– Mais attends, Lolotte, tu as dis en début d’articles qu’il y avait 4 lanternes rouges en 1974 ?

– Ah oui, c’est vrai. Mais la 4ème lanterne a ceci d’exceptionnel, qu’elle aura droit à son propre article. Patience, mon chaton !

Et oui… il vous faudra attendre pour connaitre la vie de la 4ème lanterne (et chut, ne dis rien en commentaire, Fabien ! ^^)

A la semaine prochaine pour une nouvelle lanterne rouge !

Crédit photo : Lolotte pour l’EAQ

Crédit vidéo : chaine Youtube de : BlueSilverstar/ Schlagerparty / Pocson Steph /Sheiks / Xyre / Georgios Symeonidis