Cap sur la France pour ce dix-septième entretien avec une eurostar francophone, et retour au coeur des années 2000. Le monde de la musique est alors à un tournant de son existence. Dès 2001, une vague répondant au nom de télé-crochet s’est abattue sur la France et l’Europe entière avec l’arrivée de la Star Academy qui, en peu de temps, deviendra un insubmersible phénomène de société qui déchaînera les passions (dont celles de votre rédacteur !) et permettra à de jeunes artistes de faire leurs premiers pas sur scène.

A chaque pas que l'on fera
A chaque geste qu'on offrira
Ce sera le début dun autre demain...

Très vite, la concurrence verra le jour. Parmi elle, une émission s’était mise À la recherche de la Nouvelle Star, du moins pour sa première saison, et couronnera un petit belge qui deviendra alors l’une des coqueluches de la scène musicale française. Et si, à l’Eurovision 2004, la Russie a choisi de faire appel à l’une des demi-finalistes de la Star Academy locale, Julia Savicheva, France 3 a préféré opter pour la Nouvelle Star, en la personne de Jonatan Cerrada.

Classement : 15ème en 2004 (40 points)

C’est par téléphone, entre la Belgique et le sud-ouest de la France, que Jonatan Cerrada a longuement échangé avec nous.

EAQ – Comment t’es-tu retrouvé à participer à l’Eurovision ?

Jonatan Cerrada – Je me suis retrouvé à y participer parce que c’était une période où il se passait plein de choses. Je sortais à peine de la Nouvelle Star. Je ne connais pas les tenants et les aboutissants exacts des coulisses de ma sélection. Est-ce que c’est ma maison de disques qui a contacté France Télévisions ou est-ce que c’est France Télévisions qui les a contactés, je ne pourrais pas te le dire, mais un jour, mon label m’a proposé de participer à l’Eurovision. Évidemment, j’ai sauté au plafond, parce que c’était un concours qui me fascinait depuis tout petit. Je le suivais chaque année. J’ai des souvenirs incroyables tous les ans, en famille dans le salon, en train de regarder le grand gala de l’Eurovision. On donnait nos points pour chaque pays. On se prêtait vraiment au jeu. Pour moi, c’était une super nouvelle, donc je n’ai pas hésité une seule seconde. Ensuite, on s’est mis à travailler sur des chansons, on en a proposé deux et France Télévisions en a choisi une.

Ta participation s’inscrit dans une période d’effervescence dans ta jeune carrière entre ta victoire à la nouvelle Star, ton premier single, ton premier album …

C’était une période complètement folle, où les choses arrivaient très très vite. J’avais beaucoup de propositions. C’était extraordinaire pour moi. C’était un moment de ma vie très prolifique. Du coup, c’était d’autant plus incroyable qu’on me propose l’Eurovision, en plus en n’étant pas français à la base. C’est vrai que des artistes canadiens ou étrangers avaient porté les couleurs de la France à l’Eurovision, mais ça me paraissait totalement extraordinaire de choisir un petit belge pour la France.

Est-ce que tu aurais aimé que ce soit ton pays natal, la Belgique, qui te démarche ?

Non, pas nécessairement. C’est vrai que j’ai un amour particulier pour la Belgique, mais je suis né entre deux cultures. Mes deux parents sont espagnols donc en réalité, mon passeport est espagnol. Je ne suis même pas belge. Je me considère comme belge parce que je suis né ici. J’ai grandi ici. De toute façon, j’ai toujours été partagé et de fait, je ne suis pas spécialement attaché à un pays plus qu’à un autre. J’avais déjà adopté la France et je vivais déjà en France, donc j’étais au contraire honoré qu’un pays je ne sais combien de fois plus grand que la Belgique me propose de le représenter. C’était même encore plus extraordinaire à mes yeux que si j’avais représenté la Belgique.

Cette préparation du concours, comment l’as-tu abordée ?

Je l’ai abordée de manière plutôt sereine, parce que c’est plutôt dans mon tempérament, mais c’est vrai que j’y ai mis du cœur et du travail. Je savais que l’Eurovision, ce n’était pas qu’une chanson ou qu’un interprète. Il fallait qu’on propose un visuel assez marquant sur scène, donc j’ai proposé de travailler avec Kamel Ouali, qui a accepté. Pour moi, c’était aussi important que la tenue par exemple. J’ai essayé en tout cas de m’impliquer sur tous les aspects qui concernaient la prestation. Je pense avoir fourni beaucoup de travail. On était une chouette petite équipe entre les danseurs, les choristes, les stylistes … On était une équipe d’une quinzaine de personnes à partir représenter la France et à vivre ensemble pendant dix jours environ. C’était vraiment chouette. Il y avait un esprit colonie de vacances. Je ne pense pas avoir été très stressé, sauf évidemment le soir même où je pense avoir réalisé sur le coup ce qui était en train de se jouer.

Tu te retrouves à Istanbul en pleine semaine de préparation du concours. 2004 est une édition charnière, puisqu’il y a l’introduction de la demi-finale, avec trente-sept participants au concours au total. L’Eurovision passe vraiment à un grand format. Quel souvenir gardes-tu de cette expérience sur place ?

Celui d’une espèce de grande colonie de vacances, du moins au sein de l’équipe française. Et à la fois la sensation de rentrer dans une espèce d’énorme machine où le planning est vraiment calé à la minute près. Ces souvenirs sont assez lointains, mais je me souviens qu’on avait plusieurs répétitions calées dans la semaine, mais une répétition ne nous permettait d’interpréter qu’une seule fois la chanson, donc il ne fallait pas se louper. En tout cas, si on se loupait, il fallait bien en prendre note, faire un débriefing, pour qu’on ne refasse pas les mêmes erreurs à la répétition suivante, parce qu’on n’avait pas un quart d’heure qui nous était consacré pour répéter notre chanson, c’était trois minutes et basta. Ça donne la sensation d’être dans une grosse machinerie où il ne faut pas se rater, où il faut être carré. On n’a pas le « droit à l’erreur ». C’est aussi une grosse effervescence, un côté très festif, où ça grouille de monde partout. Il y a des soirées organisées tous les soirs. Dans les couloirs, il y a beaucoup de monde, on t’arrête, on prend des photos, on tape la discussion avec tout le monde. Un côté très fun. Ce sont plein de paradoxes.

Des moments t’ont-ils plus marqué que d’autres ?

J’ai été particulièrement marqué par ma rencontre avec Marie Myriam, qui s’est faite avant notre départ pour Istanbul, où elle nous a accompagné. Elle nous avait invité dans son restaurant à Paris. C’était une rencontre assez impressionnante pour tous les gens qui suivent l’Eurovision, même de très très loin, parce que tout le monde connaît Marie Myriam. Tout le monde sait que c’est la grande gagnante. En fin de compte, la glace s’est très vite fendue, parce qu’elle est super accessible et adorable. C’est vrai qu’elle me maternait beaucoup. Elle avait ce rôle de maman et je trouvais ça extraordinaire, parce qu’on pourrait se dire que vu que c’est elle qui détient le titre depuis tant d’années, elle pourrait se cacher derrière de faux arguments en exprimant le souhait que la France gagne, histoire de paraître positive, mais en fait non ! Elle souhaite vraiment que la France gagne ! Elle est là à nous soutenir, à nous pousser, à assister aux répétitions. Elle était vraiment impliquée, sans le moindre esprit de compétition. Ça m’a beaucoup touché.

Par ailleurs, chaque pays organisait sa propre soirée. Je me souviens particulièrement de la soirée espagnole, de par mes origines. J’ai pu y participer et je m’y suis bien amusé. On a eu l’occasion de faire un duo avec Ramon, le représentant espagnol. C’était un beau moment artistique.

Quand la délégation est arrivée sur place, vous aviez des attentes particulières au niveau du résultat ?

Pour être très honnête, je n’avais pas d’attentes. Je voulais m’amuser. Je voulais évidemment représenter au mieux la France, qui m’avait choisi et honoré de ce beau cadeau. On n’avait pas fixé d’objectif de victoire ou de résultat. J’y suis allé dans l’idée de faire mon travail, de m’amuser, en me donnant au mieux pour le rôle qu’on m’avait attribué.

Tu finis quinzième. Quel a été ta réaction par rapport à ce classement ?

J’ai très bien réagi. J’étais content. Nous étions vingt-quatre et je trouvais que quinzième, c’était honorable. Alors bien sûr, ça aurait été mieux si on avait été dans les cinq premiers, mais j’avais la sensation d’avoir fait du mieux que je pouvais. J’étais content, et en même temps un peu soulagé que ce soit passé. Parce que même si, sur le moment, on s’amuse, on passe d’agréables moments et c’est extraordinaire, il y a quand même une accumulation de stress que peut-être je n’avais pas réalisé tout au long du parcours, jusqu’au soir de la grande finale où, par contre, il y a une espèce de montée en pression qui arrive à son paroxysme. Une fois que les résultats tombent, la pression retombe et on se dit « Waouh. C’est cool ce qui est arrivé. Maintenant, c’est derrière nous, passons à autre chose ».

A l’époque, tu as dix-huit ans. Entre la Nouvelle Star et l’Eurovision, tu passes du jour au lendemain de l’ombre à la lumière. Comment gère t-on ça à un si jeune âge ?

Sur le moment, ça a été une espèce d’euphorie. Comme une grosse vague, presque un tsunami j’ai envie de dire, qui m’emporte. On a tendance à tout trouver extraordinaire, puisqu’en même temps ce sont des choses extraordinaires qui qui me sont arrivées, et à vouloir tout essayer. J’ai fait un peu de comédie, deux albums, une tournée, il y a eu l’Eurovision, j’ai fait la première partie d’Eros Ramazzotti dans des Zéniths et à Bercy. Ce sont des choses complètement folles qui nous arrivent. On ne réalise pas trop, on surfe sur la vague, on suit le mouvement. C’est quand le soufflé retombe un peu qu’on réalise qu’on a vécu des choses aussi incroyables. C’est peut-être aussi à ce moment-là que j’ai pu davantage profiter et réaliser que j’avais vécu de chouettes moments, ce que tu n’as pas l’occasion de le faire quand tu les vis. C’est un mélange de plusieurs sentiments. Ça m’a d’abord apporté énormément de positif, mais la célébrité arrive aussi avec des aspects beaucoup moins faciles à gérer, d’autant plus quand on a dix-sept ans et qu’on ne s’est pas construit. J’étais un enfant à l’époque. Je n’étais pas construit en tant qu’adulte. Je n’avais pas non plus eu le temps de me construire une véritable identité musicale, de savoir vraiment ce qui me plaisait, ce que j’étais réellement en tant qu’artiste. J’avais tendance à faire confiance aux gens qui m’entouraient parce que j’étais très jeune. Mais au final, je suis très heureux d’avoir vécu toutes ces choses. Aujourd’hui, j’ai une vie un peu plus tranquille qui me correspond un peu mieux, du moins à ce dont j’ai envie à l’instant T, mais quoiqu’il arrive, c’était une expérience extraordinaire.

Depuis quelques années, tu es plus discret sur la scène médiatique. Tu as connu une exposition soudaine et fulgurante. Quand le soufflé retombe, comment le vit-on ?

Ça m’a fait beaucoup de bien quand c’est retombé parce que j’avais vécu tellement de choses, emmagasiné tellement d’aventures et d’expériences pendant trois ans … C’était très intense. J’ai pu prendre du recul, profiter à nouveau de la famille, des amis, des gens avec qui j’avais grandi et que je n’avais pas pu voir ou dont je n’ai pas pu profiter autant que je l’aurais voulu durant cette période complètement folle. Ça a été un soulagement, mais aussi une angoisse parce que je ne savais pas vers quoi me diriger. J’avais tendance à courir après des projets musicaux, parce que la seule chose que j’avais connu, c’était la musique. J’ai commencé très jeune, à l’âge de huit ans. Je n’avais fait que ça, tout le temps, avec un rythme très soutenu dès que j’ai commencé. J’ai intégré l’Opéra Royal de Wallonie et c’était du sérieux. J’étais à la maîtrise de l’Opéra, j’avais donc des horaires aménagés avec l’école. On était sur scène tous les week-ends et on finissait souvent très tard même en semaine. Quand tout s’est ralenti, je me suis dit que c’était peut-être le moment de penser à moi et de savoir ce que j’avais envie de faire à présent. Finalement, j’ai réalisé que, même si j’ai d’autres projets qui demandent beaucoup de travail, j’avais peut-être envie d’une vie plus tranquille, une vie de famille, une vie loin de Paris. J’ai d’ailleurs décidé de quitter Paris il y a cinq ans pour m’installer en Indonésie. J’avais envie de vivre autre chose.

Et quels sont ces projets que tu évoques ?

J’ai lancé une marque d’objets artisanaux en Indonésie, des pochettes pour ordinateurs, des porte-monnaie, … et puis plus récemment des vêtements, que je dessine, que je confectionne parfois par moi-même ou avec une petite équipe que j’ai rassemblée. Je vends ces produits dans plusieurs boutiques à Bali et aussi à travers ma boutique en ligne. 

À côté de ça, j’ai construit trois maisons à Bali, qui sont en location pour les vacanciers qui veulent découvrir l’île. J’ai aussi eu l’occasion de sortir plusieurs titres en indonésien il y a deux ans. Ce n’est pas arrivé par hasard. J’ai retrouvé un peu le goût à la musique que j’avais perdu quelques temps auparavant. C’est revenu assez naturellement. Je pense faire des titres pour les partager avec ceux qui continuaient à me suivre sur les réseaux sociaux, ce que j’ai fait. Mais les titres que j’ai fait en langue indonésienne ont rencontré un succès inattendu là-bas. Ça m’a un peu relancé dans cette dynamique du divertissement. J’ai fait beaucoup de promo en Indonésie, j’ai joué la comédie dans une sitcom, dans un film. Ça a un peu relancé la machine, mais c’était juste ponctuel, pour m’amuser et retrouver ce que j’avais toujours connu, la musique. Mais jamais dans l’idée d’en refaire professionnellement. Pour l’instant, ce n’est pas du tout l’idée.

Aujourd’hui, est-ce que ta participation à l’Eurovision te suit toujours ?

Oui, ça me suit. Bien sûr, j’ai passé le cap de cette période où on me reconnaissait beaucoup dans la rue. Ça m’arrive encore de temps en temps, mais cela fait déjà cinq ans que je suis à Bali, donc les gens là-bas m’ont davantage reconnu pour ce que j’avais fait en Indonésie que par rapport à l’Eurovision. Il est vrai que le concours m’a emmené vers un public qui, a priori, ne m’aurait absolument pas connu si je n’étais pas passé par cette scène là, qu’il soit européen ou de partout dans le monde, puisque l’Eurovision est très suivie. C’est vrai que ça m’a offert une exposition extraordinaire. Ce sont des gens qui m’écrivent de temps en temps des messages sur les réseaux sociaux pour me dire que la chanson les avait marqués. Je trouve ça toujours extraordinaire qu’on m’envoie un message de Suède ou d’un pays où a priori, ils n’auraient jamais eu affaire à ma musique si je n’étais pas passé par là. J’en suis heureux.

Pendant toute cette période, tu t’es senti bien accompagné ?

Pas nécessairement. Je me suis senti très épaulé et entouré au cours de la période où je vendais beaucoup de disques. Je sortais d’une très forte exposition due à la Nouvelle Star, où nous faisions quand même un prime toutes les semaines pendant plusieurs mois. À l’époque, le gagnant devait sortir son album dans la foulée et avait très peu de temps pour l’enregistrer. Les albums se vendaient comme des petits pains et il n’y avait pas vraiment de travail à faire parce que l’exposition se faisait au travers de l’émission. Tous les gens me voyaient à la télé et me connaissaient, donc les albums se vendaient assez facilement. C’est lorsque le soufflé retombe et qu’il faut tendre davantage vers un travail de développement artistique – le travail du label – que je me suis senti moins soutenu. Le label était moins motivé au moment de la promotion du deuxième album. J’ai senti que j’avais mis les pieds dans du business. On ne parlait pas le même langage. J’étais là pour vivre de ma passion, pour faire de la musique, quelque chose que je ressentais au fond de moi, dans les tripes, tandis que le label était là pour faire de l’argent. Dans les télé-crochets, il y a chaque année un nouveau gagnant pour lequel il n’y a pas a priori beaucoup de travail à faire en termes de développement et de promotion, tandis que le vainqueur de l’année précédente est forcément moins dans la lumière. J’ai compris que j’étais dans un milieu de business où il fallait être performant, compétitif, comme une poule aux œufs d’or, au risque d’être mis de côté et de devenir soudainement moins intéressant. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis dit que j’aimais profondément faire de la musique, mais est-ce que j’aimais ce milieu ? Est-ce qu’il me correspondait ? Pas tant que ça.

Je suis de cette génération, et c’est une période qui m’a beaucoup marqué.

Quand la Star Ac est arrivée, ça a été un phénomène, un raz-de-marée – et la Nouvelle Star a suivi derrière. C’était la toute première saison. C’était une autre époque. Il n’y avait pas les réseaux sociaux. C’était incroyable.

L’Eurovision 2004 est d’ailleurs la première édition que j’ai regardée, parce que tu y étais !

C’est vrai ? C’était complètement dingue. J’étais tout jeune, participer à tout ça était un truc de malade, de barge. J’en ai récemment reparlé avec mes parents et mes sœurs, puisque je viens de rentrer en Belgique. On a évoqué cette période folle. Chacun m’a donné son avis, parce que tout le monde l’a vécu différemment, mais pour tous, ça a été un grand tournant dans nos vies. Ma vie a vraiment changé parce que ça m’a apporté une exposition et j’ai bougé à Paris. Mais les vies de mes parents et de ma sœur, qui était à l’école à ce moment-là, ont été aussi bouleversées. Tout le monde est plus ou moins du même avis, c’est-à-dire qu’on est content d’être passé par là, parce c’était une super expérience, mais que pour rien au monde on ne revivrait ces années de folie et surtout la période juste après la Nouvelle Star. Tu attises beaucoup de choses positives, mais paradoxalement, il y a aussi beaucoup de négatif. Autant les gens peuvent être gentils, autant ça attise aussi la jalousie. Je sais que mes frères en ont beaucoup souffert à l’époque. Ils se faisaient charrier et même plus que charrier, c’était compliqué. Cette période m’a apporté beaucoup de choses, elle m’a emmené à Bali – parce qu’il ne faut pas se voiler la face, j’ai pu ainsi acheter un appartement à Paris que j’ai ensuite revendu, pour ensuite reconstruire une vie de l’autre côté. Beaucoup de positif, mais je suis content que ce soit terminé et que les choses soient plus tranquilles maintenant. D’autant plus qu’à l’âge auquel ça m’est arrivé, j’étais un minot. J’allais encore à l’école, j’avais dix-sept ans et tu n’es pas construit en tant qu’adulte, tu n’as pas la confiance en toi que tu peux avoir aujourd’hui à trente ans. D’un coup, les gens t’adulent, les gens t’aiment, et puis lorsque le soufflé retombe, il faut pouvoir réagir. Ce n’est peut-être pas que la faute du label, ce sont peut-être aussi mes choix artistiques … C’est un ensemble d’éléments. Mais ce n’est pas toi, personnellement, qui est visé. Ce ne sont pas les gens qui ne t’aiment plus tout à coup, mais juste le milieu de la musique qui est ainsi.

Tu regardes toujours l’Eurovision aujourd’hui ?

Oui, c’est un programme que je suis toujours. Malheureusement, en étant à Bali, c’était un peu compliqué de suivre l’émission. Par contre, je m’y suis toujours intéressé même en étant en Indonésie sans pouvoir suivre le programme en direct. Je regardais toujours les prestations après, et je regardais même les clips des participants en amont. J’ai toujours suivi le concours. L’Eurovision, ça a toujours fait partie de ma vie depuis tout petit. Il y a des années où je le suis moins que d’autres, mais globalement, tous les ans, je sais qui y participe plus ou moins et surtout qui a gagné. À présent, je suis de retour en Europe sur du long terme, puisque je me réinstalle ici, donc je vais pouvoir suivre à nouveau le programme, c’est cool.

Justement, ces dernières années, des titres t’ont-ils particulièrement marqué ?

J’ai été très marqué par la chanson du Portugal, de Salvador Sobral. C’est une très belle chanson qui faisait totalement ovni par rapport à ce qu’on a l’habitude d’entendre à l’Eurovision. Je l’ai trouvée très belle et j’aimerais éventuellement la reprendre pour la partager, parce qu’elle fait partie de mes chansons préférées de l’Eurovision. J’ai également aimé les Pays-Bas, qui ont gagné en 2019.

Quand tu as participé au concours, son évolution vers un show à grand spectacle était en cours. Comment perçois-tu cela ?

Je trouve ça génial, parce qu’à l’époque où j’ai participé, l’Eurovision pouvait avoir un côté désuet. Une partie du public qui ne le regardait pas. J’ai l’impression que cette image est en train de changer. Il y a toujours cette part du public qui trouve que c’est désuet, démodé, kitsch, mais qui va quand même le regarder pour passer un bon moment et rigoler. C’est bien que cela fédère de plus en plus de monde. Ils invitent désormais des stars internationales. C’est quelque chose d’énorme, qui a pris de plus en plus d’ampleur.

Quand tu as participé, certains pays envoyaient des stars locales – je pense à Ruslana, Zeljko Joksimovic ou Lena Philippsson, et quand on arrive en tant que révélation et qu’on fait face à des poids lourds, n’est-ce pas impressionnant ?

Je n’ai pas le souvenir de m’être comparé aux autres en termes d’expérience. Pour moi, c’était un challenge avec moi-même. Du coup, je n’étais pas trop impressionné par ça. Par contre, j’étais terriblement impressionné par la taille de la scène, par le fait que quand tu interprètes le premier couplet, c’est très difficile de te mettre dans la chanson, parce qu’il y a ton cerveau qui mouline et qui te dit qu’il y a des centaines de millions de téléspectateurs qui sont en train de te regarder chanter. Tu visualises ta famille, tes parents devant leur écran. Ça donne vraiment le tournis pendant les premières secondes.

C’était l’une de tes premières grandes scènes, avec ta première partie pour Eros Ramazzotti.

Je l’avais peut-être déjà fait avant l’Eurovision … La différence, c’est qu’au concours, il y a les caméras. Ça va au-delà des gens dans la salle. Ce ne sont même pas eux qui sont impressionnants, c’est plus le fait qu’on chante en direct et que tu ne puisses pas t’empêcher de penser qu’au-delà de la salle, il y a tous ces gens qui sont devant leur poste et que tu imagines. C’est nettement plus impressionnant. J’ai toujours eu plus de difficultés à chanter devant une petite salle, une petite audience, que devant un parterre de gens, au contraire. Un parterre de gens représente plus une masse, tandis que sur une petite scène, tu fais vraiment face à des individus, et ça m’impressionne plus à la limite.

Tu participes à une période où les résultats de la France à l’Eurovision perdent de leur vigueur. Depuis, outre un rebond avec Amir, Alma ou Madame Monsieur, la situation reste difficile, au contraire de la Belgique qui a vu réussir Loïc Nottet ou Blanche. Pourquoi selon toi ? 

C’est une bonne question. Il y a peut-être des questions de géopolitique. Je ne me risquerai pas à donner un avis tranché, certain. La France s’était quand même classée huitième avec Patricia Kaas. Ça peut paraître prétentieux, mais c’est peut-être une histoire de qualité de chanson, tout simplement. Je ne pense pas que la France soit moins appréciée que la Belgique, bien au contraire. J’ai adoré les chansons de Blanche et de Loïc Nottet aussi. Elles avaient un aspect très international et un peu pointu. Mais difficile de savoir. C’est une question d’affinités. C’est vrai que j’ai eu un coup de cœur pour Loïc Nottet et pour Blanche. City Lights figure dans l’une de mes playlists, sur mon téléphone et je l’écoute régulièrement. Je n’ai pas eu de coup de cœur avec la France depuis un certain moment.

C’était lequel ton dernier ?

J’avais beaucoup aimé Patricia Kaas, c’est pour cela que je t’en parle. Sa chanson était très belle. J’avais également aimé Anggun. Le classement n’était pas très bon, mais la chanson était pourtant forte. Mais je peux être aussi à côté de la plaque !

Et quelle solution verrais-tu pour qu’on s’en sorte mieux ?

C’est difficile à dire. Je pense qu’il faut une bonne chanson. Il est montré qu’un spectacle scénique avec des effets et des danseurs peut aussi bien marcher que pas du tout. Le Portugal est la preuve qu’en n’ayant pas grand chose sur scène, on peut s’en sortir royalement. Au final, je pense que c’est la chanson qui parle aux gens, que c’est elle qui fait qu’on se démarque ou pas. Ce peut être aussi bien une très belle ballade qu’un titre plus rythmé. L’important est qu’elle touche les gens au cœur, qu’elle leur parle, mais c’est une histoire d’alchimie, de magie. Il n’y a pas de recette.

Avec le recul, à refaire, tu le referais ?

Avec l’expérience et avec la sagesse, je me reposerai un peu plus pour avoir une voix un peu plus en forme, puisque j’ai eu un couac lors de ma participation. C’était du au manque de repos, au stress, mais aussi à l’accumulation de pression. On me parle souvent de la chorégraphie en me disant qu’elle était farfelue, mais moi, je l’aimais. Les erreurs que j’ai faites, elles correspondent à l’innocence que j’avais à l’époque. Avec l’expérience, avec l’âge, la sagesse, je te dirais qu’il aurait peut-être fallu faire comme ci ou comme ça, mais je l’ai fait avec tout mon cœur et le bagage que j’avais à l’époque. J’avais dix-huit ans. Mais c’est sûr qu’avec mes trente-cinq ans d’aujourd’hui, je me dirais « Dors plus, repose-toi, protège ta voix ». C’est un conseil de vieux con (rires).

Si jamais l’Espagne par exemple – même la Belgique ou la France – venaient te chercher pour refaire l’Eurovision, ce serait un défi que tu serais prêt à relever ?

Ça me ferait extrêmement peur et stresser, mais on n’est pas à l’abri que je dise oui, parce que c’est vrai que je n’ai jamais trop réfléchi lorsqu’on m’a proposé des projets, j’ai toujours dit « Oui, je veux ! » parce que ça me paraissait tellement dingue qu’on me le propose, et c’étaient de belles expériences. J’ai toujours tendance à être assez vite convaincu par les invitations qu’on me lance, alors on n’est pas à l’abri que je dise oui.

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L’actualité de l’artiste :

Jonatan Cerrada a sorti plusieurs titres en Indonésie, dont ceux extraits de la bande originale du film Liam Dan Laila d’Arief Malinmudo, sorti en 2018, dont il est l’acteur principal.

La bande-annonce du film :

Couronné de succès dans son pays d’adoption, Jonatan a également tourné dans une sitcom, et il publie de temps à autre des covers sur les réseaux sociaux.

L’activité principale de Jonatan est toutefois la création et la vente d’objets artisanaux et d’articles de textile via sa marque Made by Made Bali.

Pour suivre l’actualité de Jonatan Cerrada, rendez-vous sur :

Pour découvrir sa marque Made by Made Bali, c’est par ici ⬇️

Un immense merci à Jonatan Cerrada pour sa gentillesse, sa disponibilité et sa confiance !

Crédits photographiques : page Facebook de l’artiste (avec son aimable autorisation)