Samedi dernier, le Melodifestivalen a repris ses droits dans nos coeurs, entamant sa soixante-et-unième édition. Une édition particulière et mémorable, puisque sans public. Pour la première fois de son histoire et comme tant d’autres sélections. Restons optimistes : cette édition a lieu. La tradition n’a pas été rompue et hier soir encore, nous avons profité de ses merveilles et de sa magie bien rodée.

Grâce à notre rédacteur Rem_Coconuts et son immense investissement, nous vivons cette sélection suédoise 2021 littéralement au quotidien. Chaque journée de ces six semaines est repeinte en jaune et bleu, couleur du drapeau suédois. Une vaste fresque se compose sous nos yeux, faite de grands moments, de petites anecdotes, de joie, de suspense, de rire et de musique. Une occasion, une chance unique de nous divertir et d’oublier les maux de notre période.

Les efforts de Rem sont récompensés, soyez-en assurés. Vous êtes très nombreux et assidus à lire ses articles et à suivre présentations des artistes, mises en ligne des extraits et bien entendu, samedis soirs de demi-finale. Sur Twitter également, grâce à ses commentaires en direct, l’intérêt est vif et nous sommes rejoints par une dizaine de nouveaux abonnés chaque weekend.

Cela est la meilleure des récompenses du travail de Rem et nous vous remercions tous votre présence, votre intérêt et votre fidélité. Nous y comptions secrètement, tant chaque année, le Melodifestival suscite un émoi, une passion et un attachement très vifs sur ce site et partout dans l’Euromonde. Seul le Festival de Sanremo et la sélection nationale française génèrent un engouement équivalent. Les autres sélections sont éclipsées et rivalisent mal en audience avec le show suédois.

Pourquoi ? Vaste question qui revient comme un marronnier annuel. Pourquoi tant d’admiration et d’attachement parmi les Eurofans, en premier lieu desquels les Eurofans francophones ? Pourquoi le Melodifestivalen est-il souvent cité en exemple par d’autres diffuseurs et délégations ? Pourquoi suscite-t-il tant d’émules ? Pourquoi est-il scruté, suivi, décrypté et commenté avec tant d’attention ?

Les éléments de réponse sont nombreux. Tâchons de les résumer. Le premier à venir spontanément à l’esprit est l’exceptionnelle qualité de la production et de la réalisation télévisuelle. Le Melodifestivalen offre à son public, un spectacle d’une qualité seulement égalée par l’Eurovision lui-même. Les mises en scènes y sont sensationnelles, tout comme les numéros d’ouverture et d’entracte. Chorégraphies, costumes, décors, lumières, effets spéciaux concourent à des visuels mémorables et des moments anthologiques. La technique et la technologie semblent avoir une année-lumière d’avance sur les télévisions du monde entier. L’œil est ébloui, le téléspectateur est captivé devant son écran.

Sans secret aucun : pareille maestria est permise par un budget conséquent. Louer des salles aux quatre coins de la Suède, embaucher la fine fleur des techniciens, des artistes et des producteurs nationaux, concevoir des décors grandioses nécessitent des investissements colossaux de la part de la télévision publique suédoise. Pas de carton-pâte, de raccords bancals, ni d’effets spéciaux bon marché : tout est luxueux à l’écran, ou du moins, semble l’être. La SVT se donne les moyens de ses ambitions et se voit récompensée par d’excellents taux d’audience, la véritable monnaie de rétribution des diffuseurs.

Cette qualité télévisuelle intrinsèque est également due à une longue expérience en la matière. Créé en 1959, le Melodifestivalen est à la fois une tradition et une institution. Sa refondation en 2002 par Svante Stockselius et Christer Björkman s’est avérée un immense succès. Cette formule de quatre demi-finales, suivie d’une demi-finale de rattrapage, puis d’une grande finale, répétée depuis, a été rodée, fait ses preuves et est devenu un habitus. La SVT est désormais une championne de l’organisation d’événements télévisuels grand public en direct. Une expérience et un professionnalisme qui éclatent chaque année à l’écran et qui auront vu leur consécration avec la réalisation des Eurovisions 2013 et 2016.

Expérience, budget et savoir-faire s’allient, mais sont surtout au service de l’art, en l’occurrence de la musique. Les chansons en compétition sont bien évidemment le pilier et le point focal du Melodifestivalen. Chaque année, elles suscitent un intérêt inédit. Le jeudi, jour sacramentel de la publication des premiers extraits, voit les Eurofans se ruer sur le site de la SVT pour les écouter et ensuite, gloser à n’en plus finir à leur sujet. La sélection suédoise s’impose par sa capacité à susciter l’envie et le désir musical.

Nous avons ainsi tous en nous une chanson du Melodifestivalen. Que ce soit une chanson ayant remporté la victoire ou une chanson ayant été éliminée au premier tour de vote d’une demi-finale. La SVT nous présente chaque année vingt-huit nouveaux morceaux, inédits, reflétant la scène musicale suédoise et internationale, vingt-huit morceaux réécoutés, évalués et classés. De ces vingt-huit morceaux, il y en a toujours un pour nous électriser, nous ravir et se graver en nous pour l’éternité. C’est là une autre force d’attraction majeure du Melodifestivalen.

Ces chansons sont portées, incarnées par des artistes nationaux, plus rarement internationaux, des figures emblématiques qui s’impriment dans nos mémoires et forment un panthéon semi-divins. Au-delà de notre attachement à la sélection, nous nous attachons profondément à ses concurrents et c’est en ça aussi que le Melodifestivalen exerce son empire sur nous. Débutants, revenants, inconnus au bataillon, multirécidivistes, grands noms, nouvelles étoiles, vieilles gloires, Eurodivas, Schlagerdivas, Ventilodivas, hommes, femmes, non binaires, jeunes, moins jeunes, solistes, duos, groupes, amis, rivaux, choristes passés au premier plan, membres de groupe se lançant en solo, humoristes, romanciers, les candidats parcourent tout le spectre possible du milieu musical.

Et chaque année, ces artistes nous touchent, nous émeuvent, nous emportent, nous font rêver, frémir, rire, nous rendent amoureux, nous rappellent de bons souvenirs, nous comblent, nous déçoivent, nous émerveillent, bref, nous divertissent. Rares, très rares sont les sélections dont les participants suscitent autant l’intérêt des Eurofans. Non sans raison, car ces aspirants suédois incarnent des Eurostars rêvées, talentueuses, charismatiques, ambitieuses, drôles, spontanées et accessibles. Là, réside un autre facteur de succès du Melodifestivalen : le talent et l’humanité jointes de ses artistes, simples et brillants à la fois, dont les participations se suivent comme une chronique mi-mondaine, mi-humaine.

Ce grand spectacle, ces chansons, ces artistes forment à eux seuls un ensemble éminemment attractif. Ensemble qui est élevé encore par son rythme intrinsèque. Six semaines, six soirées menées tambour battant, sans anti-climax. Pas de tunnels publicitaires, pas d’interventions interminables de jurés intransigeants, pas de défaillances techniques, pas d’improvisations désespérantes, pas d’invités surprises tirant la couverture à eux par des monologues sans fin, pas de confessions intimes des artistes dans les coulisses. Les interventions des présentateurs s’enchaînent sans languir, les prestations filent droit et les entractes sont mesurés. Le résultat atteint la perfection : le téléspectateur ne s’ennuie pas un seul instant, ni n’est tenté de s’échapper sur une autre chaîne, voire sur une autre sélection.

Les réalisateurs du Melodifestivalen mettent également en œuvre une mécanique imparable qui retient le téléspectateur captif, le souffle court, le corps tendu sur son canapé : le dévoilement des qualifiés, puis du grand vainqueur, un sommet de suspense eurovisionesque. La sélection suédoise est la reine de ce suspense, au point que l’Eurovision en a adopté les codes. Il vous faut regarder le spectacle jusqu’à sa dernière minute pour en connaître le résultat. À peine s’il vous est possible de cligner de l’œil. Le génie du Melodifestivalen, cruel génie pour ses participants, réside là également : même si aucune des sept chansons en lice ne vous plaît, vous vous retrouvez happés par les annonces de qualifiés, des repêchés et des éliminés. Souvent copiée, cette mécanique demeure inégalée.

Cette cruauté partielle est compensée par un autre élément constitutif majeur du Melodifestivalen : l’humour. Un humour ravageur, pince-sans-rire et second degré qui réussit l’exploit de provoquer l’hilarité chez des Eurofans ne comprenant pas un traitre-mot de suédois. Artistes et présentateurs tournent à la dérision la Suède, les Suédois, leur culture, le Melodifestivalen, la SVT, l’Eurovision, jusqu’à eux-mêmes, nous rappelant qu’au fond, tout ceci n’est qu’un divertissement léger à prendre avec recul et insouciance. Les téléspectateurs rient et ces moments de joie les attachent plus encore à la sélection. Chaque année, nous attendons le grand moment d’humour, l’entracte insolemment drôle, la plaisanterie juste et vacharde, qui nous fera rire jusqu’aux pleurs.

Ce sont ces éléments constitutifs qui sont à l’origine de notre passion pour le Melodifestivalen. Plus encore : ce ne sont pas ces éléments pris séparément, mais bien fusionnés tous ensemble qui cimentent la gloire, l’attraction et les liens indéfectibles caractérisant la sélection suédoise. Aucune autre sélection nationale ne réunit autant de paramètres de réussite. Certaines alignent des chansons de haute qualité, mais sont affligées d’un rythme désespérant. D’autres offrent une plus-value télévisuelle équivalente, mais sont plombées par des procédures de vote absconses, voire injustes. D’autres enfin sont menées allegro, mais alignent des chansons insipides et vite oubliées.

À cet ensemble multidimensionnel, ajoutons un dernier élément constitutif, remarquable et unique : la ferveur suscitée par le Melodifestivalen chez les Suédois eux-mêmes. Le public présent dans la salle contribue grandement par ses cris, ses encouragements, ses applaudissements, ses déguisements et ses pancartes à créer une atmosphère survoltée, dont l’énergie rejaillit dans les foyers des téléspectateurs. Même assis à des milliers de kilomètres de Stockholm, les Eurofans communient avec le public suédois, admirent et partagent son enthousiasme, ce qui rend l’expérience plus prenante et vivante encore.

Vous le voyez : seul le Melodifestivalen allie à la perfection tout ce qu’est, tout ce que doit être, tout ce qui fait une sélection nationale réussie. L’engouement que suscite chacune de ses éditions est la récompense de tant d’efforts, de temps et d’énergie investis en lui par ses organisateurs. Justement, cette année, Christer Björkman s’efface. Qu’il entame sereinement un nouveau chapitre de sa vie : son grand-œuvre perdurera longtemps encore, hissé au rang de bien culturel européen et de référent musical commun à des millions de personnes partout à travers le monde.