« Le Junior […] est un rituel attendu, qui inaugure ma Saison eurovisionesque. Il est dans mon esprit le point de départ d’un long parcours menant jusqu’en mai et à la finale du Senior. Surtout, il me permet de réunir autour de moi, mes meilleurs amis (et bientôt, leurs enfants), et de partager avec eux un dimanche d’Eurovision, de rires, de chansons, de divertissement et de bonheur. Deux heures légères, drôles, mémorables, vécues en communion les uns avec les autres et qui en annoncent d’autres, au fil des sélections, des demi-finales et de la grande finale ». (Pauly W.)

Enfin ! Après plus d’un an de disette, enfin, nous allons voir des cartes postales, enfin le tu-du-du-du-dum (pas celui de la plateforme de streaming, vous aurez compris, le nôtre) enfin des paillettes, enfin un scoreboard, E-N-F-I-N (a priori) une remise de trophée, quelque chose ! Enfin, et pour le coup, enfants. La Pologne, pour la deuxième année consécutive, compte bien mettre le paquet pour nous faire vivre un Concours (presque) normal. Même si les effectifs sont réduits, que les faux-directs n’auront pas tout à fait la même saveur, nous allons pouvoir à nouveau, le temps d’une après-midi, laisser cela de côté. Nous allons profiter d’un joli spectacle et fêter une victoire, bien que le suspens reste entier (un Top 5 net se dégage des tendances YouTube et des classements de fans, mais difficile d’en estimer son ordre final). Alors peut-être que vous n’avez pas prévu de regarder le Junior cet après-midi, auquel cas, laissez moi vous suggérer de reconsidérer. Pas de questions de commerces non-essentiels, ils sont fermés le dimanche, et pas de repas de famille qui s’éternise, c’est toujours prohibé : les astres sont alignés et rien ne se mettra entre vous et votre retrouvaille avec l’Eurovision. Et parce que ça se célèbre, nous, rédacteurs et rédactrices de l’Eurovision Au Quotidien, amateurs et amatrices du Junior, avons décidé de vous partager aujourd’hui ce pour quoi nous aimons l’Eurovision Junior. A ce qu’il paraît, la passion aussi, c’est contagieux.

Parce que les performances des jeunes artistes n’ont rien à envier à celles de leurs aîné-es.

Le Concours Eurovision Junior n’est pas une version « cheap » du Senior. C’est son antichambre, à bien des égards. Nous passerons rapidement sur le fait que c’est, au sens premier du terme, un tremplin pour de jeunes artistes avant de concourir à la grande messe de mai – Nevena Božović, les soeurs Tolmachevy, Michele Perniola, Anita Simoncini, Stefania, Destiny Chukunyere – car, depuis quelques années, cela devient aussi le lieu d’expérimentation de nouvelles règles ou pratiques (qui eut cru que le Melodifestivalen était le seul laboratoire de l’UER !). Fut un temps, on pouvait être plus de six sur scène à l’Eurovision Junior. On teste aussi de nouvelles méthodes de vote, avec l’expérimentation depuis quelques années de la plateforme en ligne (qui est d’ailleurs ouverte 48h avant le direct, mais finissez tout de même l’article avant d’aller enregistrer compulsivement vos votes pour Valentina toute l’après-midi !), et il a permis de réfléchir grandeur-nature au protocole technique et sanitaire qui garantira la tenue du Concours 2021. L’intégration du Kazakhstan depuis 3 ans est aussi une manière de créer et solidifier des liens entre la délégation kazakh et l’UER en vue d’une participation au Senior…

Durant ses toutes premières années, le Junior ne pouvait voir concourir seulement des artistes n’ayant jamais commercialisé de musique auparavant. Et avant 2010, les adultes n’avaient pas le droit de participer à la composition ou l’écriture de la chanson. Ces deux règles ont été modifiées afin d’attirer des artistes plus expérimentés et renforcer l’attractivité et la compétitivité du show. Le résultat n’est toutefois pas immédiat : La réalisation technique du show se muscle plutôt avec l’édition 2012, qui se tient aux Pays-Bas. Et finalement, c’est avec la victoire de la classieuse balade « The Start », par Gaïa Gauchi, en 2013, que le niveau musical monte lui aussi d’un cran pour se placer au niveau de ce que l’on y trouve aujourd’hui. La délégation maltaise s’investit considérablement dans l’organisation de l’édition 2014, et c’est selon moi celle qui illustre véritablement cette rupture d’avec l’époque « kermesse » du Junior. Oui, on reste sur un concours pour enfants, mais on est aussi véritablement à l’Eurovision. J’avais 15 ans en 2014, mais en revoyant aujourd’hui ce recap, je n’ai aucun mal à me souvenir pourquoi j’avais tant aimé cette édition.

« Ce que j’aime le plus dans le Junior, c’est la qualité des titres et des prestations, qui tient la dragée haute au concours adulte. D’ailleurs, certaines chansons y auraient toute leur place, je pense par exemple à Superhero ou même Anyone I Want To Be. Le talent des enfants m’impressionne. L’ensemble résonne vraiment très pro, et nous épargne le Bzz Bzz Bzz simple et naïf (un trauma). Ca envoie du lourd, et on voit que les pays sont investis dans ce concours pourtant relativement peu regardé, eu comparaison aux audiences du senior. Si certains pouvaient miser autant sur le concours adulte… (coucou l’Espagne, la France, la Pologne). » (Rémi)

Pour le plaisir d’un concours où la représentation culturelle prime sur la compétitivité.

Une part de vous ne peut s’empêcher de souhaiter le retour à la langue nationale obligatoire à l’Eurovision ? Prenez-donc une dose de Junior ! Vous aurez la garantie d’y entendre la langue de tous les pays participants. Ce pour deux raisons : Déjà, parce que c’est obligatoire. C’est même, sûrement, la principale raison pour beaucoup. Le règlement de l’Eurovision Junior impose en effet qu’une partie de la chanson soit chantée dans l’une des langues nationale du pays. Cela dit, on ne peut pas s’arrêter à cela. Le Junior se présente aussi sur une toute autre logique que le Senior; il n’est pas aussi influent, il n’y a pas autant d’enjeux (ni de moyens investis) et donc finalement il est allégé de nombreuses pressions. Aucune délégation ne va au Junior avec une logique de rentabilité commerciale de la chanson, même si il arrive de voir passer des enfants-stars (la fratrie Sandén, Krisia Todorova, Viki Gabor, pour ne citer qu’elles…).

Je ne dis pas, qu’à l’inverse, aucune délégation ne va à l’Eurovision adulte avec la volonté de représenter sa culture ! C’est d’ailleurs totalement faux, ne serait-ce que parce que le Portugal, par exemple, met un point d’honneur à n’y présenter presque qu’exclusivement des chansons intégralement en portugais. Mais l’argument de la réussite commerciale des chansons l’a emporté sur les partisans d’un Concours Eurovision comme vitrine de la culture européenne (encore que cette opposition soit largement débattable et loin d’être aussi manichéenne), comme nous le savons, et de nombreux pays choisissent de chanter en anglais pour favoriser la diffusion de leur chanson. Et c’est compréhensible. Tout comme il est aussi compréhensible qu’il soit aussi plus simple pour de très jeunes artistes, pour la plupart non-bilingue anglais à un si jeune âge, de s’exprimer dans leur langue natale. Pour toutes ces raisons, au-delà du fait qu’il soit impératif de chanter partiellement dans une langue nationale, de nombreux textes ne contiennent pas un seul mot d’anglais. Au « pire », cela se limite souvent à un couplet et/ou un refrain.

Certaines délégations y vont même spécifiquement avec l’objectif de représenter leur identité et leur culture. Tel est le cas des délégations du Pays de Galles et de l’Irlande, respectivement 2 et 5 participations à leur actif, qui acceptent uniquement des chansons en gallois et en irlandais dans leurs sélections nationales (bien que la chanson irlandaise que je vous propose ci-dessous comporte aussi deux phrases en latin). Mentionnons aussi que Malte a, par trois fois, présenté des chansons bilingues anglais/maltais (2010, 2017 et 2019) alors qu’il faut remonter à… 2000 pour entendre du maltais à l’Eurovision senior ! (et avant cela, l’île n’a envoyé de chanson intégralement en maltais qu’en 1971 et 1972).

Pour les ondes positives et la candeur de l’ensemble.

« « Les enfants sont capables de nous éblouir par leur capacité à créer, imaginer et rêver. Evidemment, vous me direz qu’ils imitent les adultes mais c’est tout à fait normal, nous leur servons de modèle. Leur rêve est de devenir grand et de pouvoir réaliser les choses comme des grandes personnes. […] Quoi de plus normal pour des jeunes artistes aimant le chant et la danse de pouvoir monter sur scène pour vivre leur rêve » (Marie)

Visuels remplis d’emojis, chorégraphie en « hoverboard », dabs compulsifs : pas de doute, ce Concours est extrêmement perméable à son époque (si vous en doutez encore, je vous suggère de vous reperdre parmi les récap’ d’avant 2010 où foisonnent les mulets et autres crêtes, vestiges d’un temps où savoir danser la tektonik suffisait à faire de vous un cool kid). Sur une note plus sérieuse, rappelons-nous aussi de l’édition 2019. Lors d’une année marquée par une grande prise de conscience écologique, par les jeunes investissant l’espace public comme jamais auparavant lors des Marches pour le Climat, à la fin de laquelle le magazine Forbes désigne comme personne la plus influente de l’année une activiste écologiste d’alors 16 ans (qui est aussi la fille de Malena Ernman, « La Voix » de la Suède en 2009), cette année là, à l’Eurovision Junior aussi, bam, 5 chansons sur 19 parlent littéralement de sauver la planète. Et logiquement, cette année, les textes d’espoir, de positivité, de résilience, auront une résonnance particulière (et, honnêtement, est-ce qu’on en a pas un peu besoin ?).

« J’aime beaucoup la fraternité, la camaraderie qui se dégage du mini-concours. La chanson commune est pour moi un must » (Pascal)

« Son moment le plus emblématique est la réunion sur scène de tous ses participants qui interprètent à l’unisson son hymne annuel. Un symbole qui fait battre mon cœur : des enfants, l’avenir de notre monde, amis par-delà les frontières, les barrières, les langues, les cultures et créant une communauté pacifique et bienveillante. La promesse, sous mes yeux d’adulte sarcastique, d’une Terre meilleure… (Ah, où ai-je mis mon mouchoir…) » (Pauly W.)

De plus, comme le souligne Marie, l’ambiance est extrêmement bienveillante. La coutume était que chaque artiste reçoive 12 points d’office avant le début de la phase de vote; elle a été abandonnée il y a peu car le nouveau système de vote permet d’assurer une répartition plus proportionnelle des voix, et il est donc moins probable qu’un enfant se retrouve sans aucun point (par rapport à un système avec top 10 où une chanson qui serait classée 11e chez chaque jury serait quand même à 0 point.)

« Je pense que l’Eurovision Junior est est un concours qui respecte les enfants dans son ensemble. Ce n’est pas le cas de toutes les émissions. Il y a des émissions où l’on ne se retourne pas pour voir l’artiste qui chante et je trouve que c’est spécialement dur quand il s’agit d’enfants mais à leur corps défendant, ils s’adaptent très vite. L’Eurovision Junior permet aux enfants d’interpréter leur chanson jusqu’au bout dans un même souci d’égalité et de pouvoir représenter leur pays dont ils sont très fiers ». (Marie)

Parce que, franchement, on se prend moins la tête.

Oui, on est pas censés le dire, c’est aussi encombrant que demander à des parents s’ils ont un enfant préféré, mais quand même, entre nous, le Junior c’est moins de stress. Pas de demi-finales, et donc pas de possibilité que votre favori s’y vautre – alors que quand même, enfin, il était dans le top 5 des OGAE et des parieurs ! -, pas de vautrage de votre favori donc pas de larmes, pas d’envie de quitter l’euromonde parce que la vie est trop injuste, et pas d’oreilles qui sifflent pour les producteurs suédois – mais non, enfin, ce n’est qu’une coïncidence si on passe tôt dans la soirée depuis 5 ans ! -, bref, pas de né-ga-ti-vi-té on a dit.

« Le concours est bien moins politisé et cela fait du bien de voir des enfants s’amuser en chantant dans l’insouciance » (Betty)

« Je regarde l’Eurovision Junior pour soutenir mes pays d’origine, la Grèce, l’Espagne et la France. Même si parfois j’aime moins, comme l’année dernière, je trouve que la plupart de ces jeunes artistes chantent bien et c’est un sympathique spectacle » (Sakis)

Après, si on veut y réfléchir, il y a beaucoup de choses que l’on peut penser dans ce Junior. Notamment concernant le système de vote, qui a subi de nombreuses évolutions, la dernière en date étant de détacher le vote du public du pays d’appartenance pour y convier le monde entier : tout le monde peut voter… Mais tout le monde peut donc du coup, aussi, voter pour son propre pays ! Outil créateur d’engagement qui a pour effet pervers de favoriser les communautés de fans nationales les plus mobilisées, il va en tout cas dans cette direction d’un concours « dédramatisé », « bon enfant », et après tout tant pis si les grandes personnes en profitent pour laisser de côté le fair-play. D’ailleurs, je ne sais pas vous, mais moi j’ai toujours été très surprise des résultats du Junior. Je ne trouve pas que nous voyions le titre gagnant arriver à des kilomètres, des semaines à l’avance, comme c’est souvent le cas à l’adulte. De manière générale, je pense que nous pouvons nous accorder à dire que nous plaçons moins d’attentes dans le Junior : il ne vient pas clore un long hiver de montagnes russes émotionnelles au gré des sélections nationales, le vainqueur ne gagne rien d’autre qu’un beau moment de gloire et de joie, puisque le pays n’a pas l’obligation de prendre en charge l’édition suivante, et puis, quand le Junior est terminé, ce n’est pas la dépression post-Eurovision, au contraire, on se réveille et déjà il est l’heure d’entamer le Festivali I Këngës. D’ici là, continuez à prendre soin de vous et de vos proches. N’hésitez pas à partager vos réflexions sur le concours et sa version Junior en commentaires, et je laisserai les mots de mon camarade clore cet article.

« Quelqu’un qui hésiterait encore à regarder pour la première fois l’Eurovision junior, je lui dirai qu’il n’a pas à avoir peur que ce soit trop enfantin ou insignifiant : bien au contraire ! Soit il découvrira des jeunes candidats qui interprèteront des chansons conformes à leur jeunesse, pétillante et qui mettront l’ambiance dans la salle, soit, ils mettront en avant leur puissance vocale comme un adulte dans des ballades émouvantes. Tous les publics y trouveront leur compte ! » (Marc).