Après avoir découvert son portrait en ce matin de premier jour de l’année, nous vous laissons découvrir à présent l’interview de Juliette Moraine !

EAQ – Quelle a été ta réaction quand tu as appris ta sélection à Eurovision France : c’est vous qui décidez ?

Juliette Moraine – Pour être tout à fait honnête, j’étais un peu choquée parce que tout s’est fait rapidement et j’avais envoyé ma chanson un peu au hasard. Quand je me suis retrouvée sélectionnée pour le tour final parmi sept cents personnes, je me suis dit que cette année était vraiment étrange. C’est un super beau cadeau. Je suis choquée et heureuse.

Comment t’es-tu retrouvée embarquée dans cette aventure ?

Vers fin juin, début juillet, j’ai vu passer une annonce où ils demandaient des chansons originales. Je venais d’en écrire deux trois et j’ai donc envoyé mes petites chansons. J’ai eu des nouvelles fin août, où ils m’ont dit qu’ils adoraient Pourvu qu’on m’aime et m’ont demandé s’ils pouvaient me revoir quelques semaines après.

Je suppose que tu as passé le casting ?

Ils ont fait une présélection avec les chansons. Ils m’ont demandé de faire un portrait, d’envoyer des covers pour voir comment je chantais autrement et on a eu un tour final début novembre, où nous étions encore dix-huit. De là, ils ont choisi douze finalistes.

Quel rapport as-tu avec le concours de l’Eurovision ?

Un rapport en dents de scie. J’ai le souvenir de l’avoir regardé quand j’étais plus jeune, avec mes parents. Il est ensuite parti de ma vie et il est revenu avec Amir, avec qui j’avais participé à The Voice en 2014 et qui est resté un copain. Quand il s’est retrouvé à l’Eurovision, je l’ai regardé, puis j’ai enchaîné avec Bilal et Madame Monsieur. Je me suis réintéressée au concours depuis quelques années. Mais j’ai toujours gardé un œil sur la finale et sur les vainqueurs. Ce n’est jamais resté très loin.

Un gagnant t’a particulièrement marqué ces dernières années ?

J’ai adoré Duncan Laurence et sa chanson. Ça correspond à ce que j’aime écouter. J’ai aussi adoré Netta avec sa chanson Toy. Ce que j’adore dans ce concours, c’est qu’une nana comme Netta peut gagner, une Conchita Wurst peut gagner, Bilal y va et tout le monde est à fond derrière lui, et a contrario, un Duncan Laurence qui ne paie pas forcément de mine, qui ne vient pas défendre une cause et qui vient juste faire de la musique, peut gagner. Je trouve ça chouette. Et Salvador Sobral ! Qu’est-ce que cette chanson était sublime ! C’était tellement épuré et tellement beau. J’adore qu’on puisse passer des lumières, des paillettes à quelque chose d’intimiste.

De nombreux artistes que j’ai interrogés me parlent de Salvador Sobral.

Je crois qu’il a vraiment touché les gens. Les chansons tristes touchent forcément un peu tout le monde, parce qu’elles viennent toucher une corde sensible. Tu peux ne pas parler la langue, on a tous quelque chose d’un peu dramatique en nous. On a besoin que cette corde vibre. Il y a des gens qui ont du mal avec les paillettes ou quand ça brille trop fort, parce que ça leur fait peur. Alors que le côté sensible parle à tout le monde. Je pense que c’est universel.

Comment décrirais-tu d’ailleurs ta chanson ?

Je la décrirai comme mon histoire de vie jusqu’à ce que je l’écrive, ce cheminement, tout ce qu’il s’est passé en moi. Un miroir dans lequel je me suis regardée. Tout ce que j’ai pu faire, comment j’ai pu agir. Ça m’a pourri la vie pendant très longtemps de toujours vouloir être parfaite, de me dire que je vais être aimée si je ne bouge pas, si je fais tout bien, si je suis la plus agréable du monde. C’est ce que je voulais le plus au monde et, au final, j’étais la plus rejetée (rires). Il y a quelque chose qui ne fonctionnait pas. Du moment où je l’ai écrite, j’ai eu l’impression de ne plus avoir besoin de faire ça. C’est peut-être kitsch ce que je dis, mais je me suis vraiment vue dans ce miroir me dire « Tu perds tellement de temps à faire ça. Arrête. Stop. C’est bon ». J’ai l’impression que c’est ça qui se passe dans ma chanson « Aime-toi et basta ».

Tu l’as écrite pour exorciser tes démons ?

Oui. Je n’avais pas pensé à ça, mais je l’ai écrite en me demandant qu’est-ce qui me faisait le plus mal. Au travers de cette phrase, je me suis demandée quel était mon problème. C’était ça. D’où « Pourvu qu’on m’aime, c’est mon problème ».

Les deux autres chansons que tu as écrites et proposées posaient les mêmes questions ?

Elles ne posaient pas forcément les mêmes questions, mais tournaient aussi autour de l’amour. J’avais envoyé la chanson Où va l’amour ?, qui sera sur mon album, parce que je trouvais que c’était également une question intéressante. Pourquoi peut-on aimer très fort les gens et pourquoi ça s’en va ? Où est-ce que ça va quand ça s’en va, quand je te dis « Je vais t’aimer toute ma vie » et que d’un coup je ne t’aime plus le matin en me réveillant ? J’adore me poser ces questions-là sur le fonctionnement de la vie. J’avais écrit un autre titre sur mes parents et leur amour à eux. Je me demandais comment s’aiment les gens que j’ai vu s’aimer. J’ai décrit leur amour. J’aime bien observer et décrire ce que je vois.

C’était une évidence pour toi d’opter pour une ballade ?

Ce sont eux qui l’ont choisi. Sur ces deux-trois chansons que j’ai envoyées, ils ont choisi Pourvu qu’on m’aime. C’est leur choix et ça me va, parce que j’aime cette chanson telle qu’elle est. À l’époque, je n’avais pas écrit l’intégralité de l’album et je n’écrivais que des ballades. Je n’avais pas d’autres styles en fait.

Ce sont les premières chansons que tu écris ?

Tout à fait. J’avais vaguement co-écrit un premier texte en 2014, après The Voice. J’avais sorti un clip. Là, j’ai écrit le texte et la mélodie fin mai, j’ai envoyé la chanson début juillet et nous sommes fin décembre et je me retrouve à Eurovision France avec un album de prêt. C’est n’importe quoi (rires).

Veux-tu nous parler de cet album ?

Il repose sur une promesse : celle d’écrire un album avant mes trente ans et je les ai eus en novembre. J’avais déjà ces petites chansons que j’avais récoltées au printemps. J’ai rencontré ensuite Cyril Taïeb, un réalisateur qui a travaillé avec Anggun, Louis Chedid, et plein de gens merveilleux. On a très bien matché et il m’a dit qu’il travaillait en fulgurances. Il m’a expliqué que j’allais écrire le plus de chansons possibles, qu’on allait se donner une date pour se voir et enregistrer l’album. C’est ce qu’on a fait. On s’est laissé tranquille tout l’été, j’ai écrit, j’ai vécu des choses, mes petites histoires. J’ai d’ailleurs vécu une petite histoire d’amour et ça a donné une chanson qui s’appelle Amour de vacances. J’ai vécu, et je suis rentrée en septembre. On s’est vu toutes les semaines, on a écrit, on a arrangé toutes les chansons et début octobre, on est entré en studio et on a tout enregistré. Ça s’est fait très rapidement, très simplement et à chaque chanson, je parle de quelque chose qui me tient à cœur. Je n’ai pas réfléchi plus que ça, j’ai écrit sur des thèmes, mais je ne me suis pas dit « Je vais raconter … ». Tout l’album n’a pas qu’une histoire, mais c’est au final une longue histoire, ça me paraît cohérent. C’est très intimiste. Je suis consciente que ça ne peut pas plaire à tout le monde, mais je me dis que si je parle de ce qui me touche, peut-être que ça peut toucher d’autres personnes, parce que je crois qu’on est là pour ça, nous, les artistes. C’est de dire tout haut des choses que les gens pensent tout bas et n’osent pas dire.

Tu as participé à The Voice il y a six ans. Tu es arrivée jusqu’en quart-de-finale. Que t’a appris cette expérience avec le recul ?

J’en retire une aventure assez folle, et le plus important pour moi est toutes les amitiés que j’ai pu lier après. Humainement, ça s’est tellement bien passé ! Ils ont fait en sorte de nous mettre en valeur et que ça se passe bien. Le deuxième défi était d’être capable de chanter en direct avec la pression qui va avec, parce que c’est une très grosse pression. Ils m’ont laissé chanter de très belles chansons du répertoire français comme Bang-bang, Comme un boomerang, … Ils m’ont fait confiance, je me suis faite confiance et j’ai gagné des gens fabuleux dans ma vie. C’est tout gagnant pour moi.

Depuis, tu chantes dans la comédie musicale Roméo et Juliette.

C’est mon métier, c’est ce qui me permet de vivre aujourd’hui. Ça fait cinq ans que je suis dedans et qu’on fait des tournées en Asie. L’année dernière, nous sommes allés pour la première fois en Russie. On est censé y retourner l’année prochaine.

Cette expérience internationale dans une comédie musicale d’envergure pourrait-elle t’aider si les français décidaient de t’envoyer à Rotterdam ?

Honnêtement, je pense que la vie fait bien les choses et qu’il a fallu que je passe par tout ça. Si la vie m’a mis cela sur le chemin, c’est pour une bonne raison. Si c’est pour gagner et aller à Rotterdam, on y va, mais je pense que je suis capable de le faire et que je saurais gérer la pression et toutes ces choses qu’il y a autour d’un concours aussi important que l’Eurovision. Je pense que ça pourrait faire une belle prestation. C’était le cas des artistes qui l’ont fait, à chaque fois, mais c’est un petit plus que je peux avoir. Je sais ce que c’est de chanter en direct avec la pression devant des tas de gens qui te regardent. J’ai chanté malade, aphone, dans tous les états sur Roméo et Juliette. Je me connais, je connais mon corps et je sais que je peux le faire.

À quelques semaines de l’émission, tu ressens une pression particulière ?

Je ne vais pas mentir, c’est stressant, parce que c’est tellement un gros truc, et cette année a été si étrange que je n’en peux plus, j’ai envie d’être sur scène et que tout se passe bien. J’ai envie de pouvoir faire les choses bien, mais c’est plus moi qui me mets la pression. Je n’ai pas la pression quant à la prestation. J’ai envie de le faire. J’ai plus hâte que peur. J’ai envie de me dire « On y va, faisons-le », et les français choisiront ce qu’ils ont envie et besoin d’entendre, et ça ne remettra pas en question qui je suis. Je suis déjà tellement heureuse d’être là et d’avoir l’occasion que des gens puissent écouter mes petits mots, mais ce n’est pas plus stressant que ça aujourd’hui. Si on s’est au téléphone une semaine avant, je ne te dirais peut-être pas ça (rires).

Tu évoquais ta prestation : as-tu imaginé comment faire vivre ton titre sur scène ?

On a commencé à y réfléchir et on a décidé d’un commun accord de partir sur quelque chose d’assez sobre dans la mise en scène pour laisser la chanson et ses mots résonner plus que d’être racontés. J’entends qu’il n’y aura pas forcément de mapping ou de photos de moi petite qui défileront derrière. Ce sera sûrement moi, une très belle lumière avec peut-être des éléments de décor, et juste moi qui vais regarder une caméra dans les yeux et essayer de raconter mon histoire, d’embarquer les gens avec moi. Donc sobriété.

Le verdict sera délivré fin janvier-début février. Si jamais tu venais à remporter Eurovision : France et faire le voyage jusqu’à Rotterdam pour porter les couleurs de notre pays à l’Eurovision, qu’est-ce que cela te ferait de représenter la France ?

En t’écoutant juste le dire, j’étais là, « Ouh là là » (rires). Je trouverais ça fou par rapport à l’histoire telle que je l’ai vécue. Ça vient comme ça, au compte-gouttes et je prends tout ce qui vient. Je crois très fort au fait que la vie fait bien les choses. Je serais incroyablement fière et j’essaierai de nous défendre le mieux du monde, et d’apporter les valeurs qui sont importantes pour moi, c’est-à-dire s’accepter, s’aimer, des valeurs de communauté. On est tous dans le même bateau, la covid nous l’a très bien appris. Tu peux être le plus riche du monde, la vie a mis tout le monde sur le même piédestal. La santé, c’est ce qui compte et tu reviens à ce qui est le plus important pour toi, les gens qui t’aiment, ce que tu as vraiment envie de faire dans ta vie. L’argent ne compte pas. Je serais très heureuse de pouvoir amener tout ce petit bout de moi là-bas. Et puis c’est un concours dont je n’ai entendu que du bien. Il paraît que c’est fou. J’aimerais trop vivre cette expérience.

L’Eurovision est un concours extrêmement populaire en Europe et dans le monde. En France, il a longtemps souffert d’une image kitsch et dépréciée par rapport aux pays scandinaves par exemple. Depuis quelques années, France Télévisions fait appel à des talents issus de The Voice. Selon toi, est-ce que ça ne participerait pas à l’évolution de l’image du concours en France ?

Je crois vraiment qu’ils essaient d’enlever cette image que les français se sont faits. Moi-même, avant de me retrouver dans cette aventure, j’en avais une vision un peu vague. Je ne sais pas pourquoi les gens ont une image dépréciée, mais je pense que c’est parce qu’ils ne savent pas. Je résume la chose, mais je pense aussi qu’ils voient France 2 comme une chaîne au public plutôt âgé. Je crois qu’ils essaient d’avoir des candidats de The Voice, comme Casanova et Terence, qui sont allés en finale, qui ont été vus et qui passent de TF1 à France 2, pour injecter du sang neuf. C’est ce qu’Amir avait très bien fait. Je pense que la production qui s’occupe d’Eurovision France : c’est vous qui décidez veut aller encore plus loin. Ils nous incitent à nous mettre sur Tik-Tok et sur des réseaux qui sont plus jeunes pour essayer d’enlever cette image vieillotte qu’a le concours. Je pense qu’ils ont pensé à ça en faisant leur sélection. J’espère qu’on arrivera à intéresser le plus grand nombre.

Les titres ont fuité il y a quelques jours. Comment perçois-tu l’accueil de ton titre ?

Je suis vraiment aux anges parce que je ne m’attendais pas à ce que ça touche autant les gens. Déjà que ça avait touché mes gens à moi, mes amis, ma famille, … Ils me disaient que c’était une très bonne chanson, mais je me disais qu’ils m’aiment et qu’ils n’étaient pas objectifs. D’un coup, des gens que je ne connais pas prennent le temps de m’écrire, de me dire que la chanson les touche, que ça leur parle, que c’est très joli, qu’ils l’aiment beaucoup, qu’ils y croient … Et je t’avoue que moi-même, je commence à me dire « Pourquoi pas ? » (Rires). Chaque jour, j’ai un ou plusieurs petits messages d’inconnus qui m’écrivent sur les réseaux sociaux et prennent le temps de me parler des émotions que ça leur a procuré. Je trouve ça tellement touchant, parce qu’on est dans une société où on regarde, on fait défiler les posts sur Instagram et que les gens s’arrêtent pour me dire ce qu’ils pensent, c’est le plus cadeau.

J’ai lu que te considères comme une outsider dans cette sélection ?

C’est la première fois que j’écris mes chansons et je suis la seule à ne pas avoir signé en maison de disques. Je n’ai pas de label, je fais tout en indépendante, je paie et je gère tout. J’étais tranquille dans ma petite comédie musicale, j’avais toujours eu envie d’écrire des chansons, mais je ne pensais pas que ça pourrait se retrouver dans ce genre de concours ou que ça pourrait plaire. Je l’ai fait comme ça, et au final, le résultat est que ça fonctionne. Je me sens un peu outsider parce que je n’avais pas prévu ça.

Qu’aurais-tu envie de dire au public pour qu’il vote pour toi et te porte jusqu’à Rotterdam ?

(Elle réfléchit) J’ai envie de dire aux gens que si cette chanson leur parle, qu’elle leur fait du bien ou qu’ils pensent qu’elle pourrait faire du bien à encore plus de gens, il faut qu’elle soit écoutée par plus de gens et qu’on aille à Rotterdam. Je suis sûre que je peux défendre cette chanson sur cette scène internationale. Je ferai en sorte d’apporter des jolies valeurs et de représenter la France du mieux que je peux, en fière petite bourguignonne que je suis. J’adore la France, j’adore nos valeurs et je me sens capable d’être cette ambassadrice 2021 après cette année chaotique. On a besoin d’un peu d’amour et de bienveillance et je pense que c’est ce que je suis, du moins ce que je veux dégager en tout cas.

Un immense merci à Juliette Moraine d’avoir accepté de nous accorder cette interview. Rendez-vous demain pour découvrir les avis des rédactrices et rédacteurs dans le conseil de classe de l’EAQ !

Crédits photographiques : @juliettemoraineoff