Venerdi 13 maio. J-1 avant la grande finale, déjà, et réveil sans GDB à la surprise générale. Mes colocs d’un séjour turinois sont arrivés la veille, preuve en sont les traces de leur passage à 3h30 du matin, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de les croiser.

3h30, justement. L’heure à laquelle je découvre le tant attendu ordre de passage de la finale qui ne daignait pas arriver sur nos écrans. Sans surprise, les favoris accrochent les meilleurs spots, tandis que c’est en toute logique que la République Tchèque ouvre malheureusement le show après avoir mis le feu en demi-finale. La seconde partie, aux larges promesses soporifiques, sera donc clôturée de manière étonnante par l’Estonie, tandis que la Serbie se chope une vingt-quatrième place probable synonyme de carton en demi-finale. La France ? Ce put être pire qu’une sixième place, rang de passage pas foncièrement défavorable statistiquement parlant, entre la peu enthousiasmante Suisse et les, par contre, dynamiques norvégiens. Risqué, mais pas impossible. À prévoir des enchaînements diaboliques 9-10-11-12 et 20-21-22-23-24. Ou quand l’Eurovision se mue en loto des nations.

Cinema Paradiso

Quelques heures de sommeil dans les pattes, je décolle sans plus attendre vers LE symbole de la ville de Turin : la Molle Antonelliana. Avec ses 167,5 mètres de hauteur, elle surplombe la capitale piémontaise telle la Tour Eiffel ou l’Empire State Building. Un édifice spectaculaire, dont la montée peut s’effectuer à pied (au prix de cinq centaines de marches) ou en ascenseur, dont la suspension dans le vide et les vitres permettent aux vertigineux d’apprécier la hauteur de la tour en 59 secondes chrono. Pourtant dénué du mal, je ne faisais guère le malin, jusqu’à ce que l’atteinte d’une sommet nous donne à voir de splendides panoramas sur Turin.

Une fois redescendu sur Terre, passage à la visite du Musée National du Cinéma, créé en 1947 et que la bâtiment abrite depuis 2000. De quoi faire briller les yeux d’enfants du cinéphile que je suis, et une promesse tenue : c’est tout simplement un joyau qui nous est donné à voir. Tant de par la richesse de ses collections que par sa scénographie muséale, l’ensemble est exceptionnel, nous accompagnant sur le chemin de la création du septième art, puis nous donnant les étapes de la construction d’un film. Les niveaux supérieurs, qui longent la tour jusqu’à en atteindre les 75 mètres, surplombent le premier étage et accueillent des expositions – en ce moment une dédiée au maître italien de l’horreur, Dario Argento. Call It Magic.

En Route

Midi. Je descends à toute allure la Via Montebello, direction la Pizzeria 150, où je rejoins la fine équipe pour déjeuner. Pour ma part, c’est pizza rucola e speck, accompagné d’un Spritz et d’un verre de blanc pétillant aux allures de demi litre. Le verre de trop. L’erreur. C’est ainsi qu’à 14 heures se manifesta la monumentale gueule de bois.

15 heures. Direction l’Eurovillage, où une rencontre des eurofans est organisée par nos consoeurs et confrères d’En Route Eurovision (dont vous pouvez retrouver les pronostics de Christophe – débarqué à Turin la veille – lors du Melodifestivalen). L’occasion de retrouver ceux qu’on connaissait déjà, et de mettre enfin un visage sur les noms que je voyais circuler dans notre discussion de préparation à Turin. Le tout pour un moment hyper convivial et sympathique avec un team de folie, que ce fut un plaisir de partager ! Merci la team En Route pour votre accueil !!

Trois heures plus tard. Une fameuse et délicieuse gelato di latte Biraghi dans le gosier (pour deux euros seulement – quand on pense au prix des glaces en France et à leur saveur très discutable …), quelques mots de mon carnet de voyage rédigés sur le sol devant la gare centrale (peut-être que si j’y avais livré ma relecture d’In Corpore Sano, j’aurais pu rentabiliser mon voyage), je rejoins Régine, Michael et Manu, direction un tramway nommé désir (et plus que désir), comprimés de part et d’autre par une horde d’eurofans excités par la destination du soir : le Pala Alpitour. Revêtus des couleurs bleu, blanc, rouge et de la marinière, nous voilà prêts à donner de la voix et de l’entrain pour Alvan & Ahez, promis à tout déchirer en position 6 de ce Jury Show ô combien à enjeu.

Put you in the middle. You will be Konstrakta.

19 heures. Arrivée au Pala Alpitour … ou Olimpico, c’est selon le mood. L’ambiance se fait déjà davantage sentir que lors des deux demi-finales. L’on commence à voir les premiers costumes (dont évidemment quelques loups ouh-ouh et de ”vikings” néerlandais). L’Espagne est de son côté venue en masse, les drapeaux de la Roja fleurissant devant tout le parvis de la salle, et leurs eurofans gagnant largement par leur présence et leur voix. Seules exceptions : deux irréductibles galiciens affublés du drapeau régional et n’ayant toujours pas digéré le Tanxu-xit. Et moi de compatir, tout en leur rappelant qu’elles auraient été une concurrence trop féroce, voire rédhibitoire, pour nos bretons, et qu’ainsi soit-il. Comme le dirait la prêtresse Zero, Lolita de son prénom : « raaaan raaaaan ».

Attendre l’ouverture des portes est l’occasion d’échanger avec les eurofans du monde entier, et de marquer le moment en photos. C’est alors que je croise une horde d’eurofans serbe dotés de leur tee-shirt In Corpore Sano et de leurs serviettes :

добро вече ! Can we do a Biti Sdrava ?

-Yes of course !

Grazie miiiiiille.

Put you in the middle. You will be Konstrakta.

Put you in the middle. You will be Konstrakta. À ce mots, je n’étais plus qu’excitation. Ni une, ni deux, je me mis à genoux et c’est alor que j’exécutais un biti sdrava légendaire qui, non seulement fit sensation sur tout le parvis, et fit céder Régine, qui s’empressa de faire la même quelques secondes après.

C’est alors qu’une minute plus tard, une caméra de télévision nous interpella pour nous demander nos chansons préférées, outre celle évidemment de la France. Tandis que ma compatriote tarnaise exécuta son fidèle JEZEBEEEEEL (dont, parenthèse, nous avons réalisé une vidéo, moi revêtu d’un K-way jaune en mode strip-tease au moment du refrain – vidéo qui, pour d’évidentes raisons de dignité, ne sera jamais révélée au grand public), je renouvelais ma promotion du Biti sdrava, jeu de mains et de vilains à l’appui pour le plaisir des téléspectateurs étrangers. Enfin, c’est ce que je croyais avant que … Bref, nous y reviendrons demain.

Knockin’ On Heaven’s Doors

20 heures. Ouverture des portes. Une bière, des chips barbecue (précision importante), un passage par la boutique officielle où, gonna take a miracle (oh oh), les stocks restent denses et, ni une ni deux, je me retrouve devant le comptoir à dévaliser la chose. À moi l’album officiel, le tee-shirt Torino 2022, le tote bag et, évidemment, le pin’s de la France. Le tout avec une réduction de moins dix pour cent (soit le montant de la commission que je solliciterai auprès des italiens pour avoir subi leur désorganisation eurovisionesque totale à mes propres frais). Elle n’est pas belle la vie ?

20h30. Sur le côté de la salle, nous retrouvons d’autres eurofans français, parmi lesquels Elizabeth et Margaux, d’OGAE France, et Fabien Randanne, de 20 Minutes, deux questions nous brûlant les lèvres : à qui la victoire – si les bookmakers sont démentis – et quelle place pour Alvan & Ahez ? Nous échangeons nos avis respectifs sur la question, dont le mien : je mise alors sur un ultra-vote émotionnel pour l’Ukraine (350 points au télévote) dont la seule possibilité d’atténuation sera celle des jurys (que je ne vois pas politiquement beaucoup plomber le pays). Dans l’optique où le scénario exclurait l’Ukraine de la victoire (après tout, les bookies ne sont-ils pas plantés avec Lazarev), les jeux seraient alors beaucoup plus ouverts, Royaume-Uni, Espagne et Suède étant en pôle pour jouer la victoire devant la très très solide outsider serbe, dont la côte monte, monte, monte, monte et fait pic. Open Bar donc. Dio que la séquence de vote de demain sera terrible. Una altra birra, per favore.

20h45. Je retrouve non loin de moi le néerlandais accompagné de son mari, qui n’a de cesse de jeter des coups d’oeil vers mon humble personne (le néerlandais, pas le mari … quoique néerlandais aussi) #vousavezunmessage, ainsi que mes compatriotes, dans le carré or OGAE France. Munis de nos drapeaux, nous sommes prêts à mettre le feu dès lors que nos lions entreront dans l’arène !

21h. Début du show avec un medley par Laura Pausini, qui nous fait profiter de sa voix somptueuse et reprend ses incontournables, parmi lesquels Io Canto (qu’elle reprend en français) et La Solitudine (qu’elle ose chanter en anglais dans la droite lignée d’Il Volo en demi-finale. Escandalo). Ale et Mika débarquent ensuite et tre, due, uno … May The Eurovision Song Contest 2022 begiiiiiin !

Plutôt que de revenir sur la finale en 12 points, je vais cette fois partir en mode textuel. Ou de l’intérêt d’un ordre de passage réussi …

Expérience salle (finale)

Top à la vachette !

En #1, la République Tchèque met évidemment d’entrée l’ambiance avec un titre efficace et une prestation très réussie. Quel dommage qu’elle se fasse oublier par la suite… Suit la Roumanie (dont je suis un initial détracteur et que j’aurais sorti en demie), qui met le feu à la salle avec son entêtant et latino Holà mi bébébé : je m’incline devant la performance. Moment de grâce en #3 avec la délicate Maro, puis petit passage à vide, jusqu’à ce que … COCORICO ! Avec une prestation de folie et un titre singulier doté d’un véritable ADN, les français embarquent la salle … dont j’avais oublié qu’elle ne s’arrêtait pas au carré or français. Pris dans la tourmente, nous émettons en effet le manque d’enthousiasme du reste du public, alors qu’Alexis, Marine et les deux Sterenn saluent le camp français et tombent dans les bras de la délégation une fois la prestation terminée, visiblement aussi satisfaite que nous, c’est-à-dire très.

Le public, quant à lui, semble beaucoup plus enjaillé par les loups norvégiens et carrément ressuscité par le duo italien, qui nous livre une superbe prestation, tout en émotion et en sensibilité. C’était sans compter que, trois minutes après, una reina plierait le game du show et de l’applaudimètre d’une salle ayant viré à l’hystérie : Madame Chanel. Mais quelle p**ain de show-woman !!! Je suis autant conquis de la salle, et l’Espagne confirme sa remontada dans mon top.

En #11, vouée au sacrifice par l’ordre de passage, S10 assure une nouvelle fois une sublime prestation et marque des points, avant de laisser la place à l’Ukraine, évidemment attendue car ultra-favorite et Ukraine à la fois. Je ne m’en cache pas : Stefania ne m’a jamais conquis sur le plan musical en dépit de ses qualités, y compris au moment du Vidbir (des preuves existent). Et force est de constater que si la salle assure un accueil de soutien et de solidarité au groupe, tant le titre que la performance n’embarquent pas les foules, et que l’ensemble se fait à nos respectifs sens rapidement oublier. Quel flair. L’enchaînement 13-19 est difficile, très difficile, pour ne pas dire clairement ennuyeux, malgré de très belles prestations, mais oubliables et peu impactantes. Dommage pour la touchante Allemagne et la splendide Lituanie, sacrifiées sur l’autel d’un ordre de passage de seconde moitié très très discutable. Dommage pour la Grèce, puissante et éternelle. Puis, réveil au numéro #19, avec la fête à la saucisse moldave qui manque de faire faire la chenille aux huit mille spectateurs tout entiers. Cela m’inquiète pour le télévote, cette affaire-là. Retour enfin au bon goût en #20, avec la très grande Cornelia Jakobs, qui nous rappelle qu’elle est bel et bien au rendez-vous, décidée à accrocher une septième étoile (ou plutôt un septième micro) sur le maillot jaune et bleu. (J’en ai même oublié les douces islandaises, que j’adore.)

En #21, l’Australie impressionne vocalement, mais précède l’autre grand favori de l’édition : le Royaume-Uni, avec l’extrêmement et démesurément sympathique Sam Ryder qui, clairement, ouvre la voie à une plus que possible victoire britannique, ce qui m’irait parfaitement du moment qu’on s’épargne une victoire politique. Suit un nouveau sacrifié : le bel Ochman qui, avec sa prestation vocale impressionnante, risque de pâtir de sa succession immédiate au Royaume-Uni et d’une mise en scène certes belle et travaillée, mais too much et too dark. Surtout que débarque sous les cris de la foule la divinité Konstrakta. Le numéro démarre. Le public se questionne: What does the Phoque say ? Il suffira alors d’un signe, celui du Biti Sdrava, addictif, hypnotique, possessif, quasi euro-sectaire pour que les spectateurs cèdent à l’effet In Corpore Sano. De sorte que la salle devint hystérique au moment où mon amie Konstrie plongea les mains dans son seau. Fin de presta. Salle en délire. La Serbie peut rêver à une deuxième victoire à la surprise générale. Envolée chez les bookmakers, avant une conclusion estonienne qui me fait globalement ni chaud ni froid, bien que j’apprécie l’ensemble.

Répétitions des interval act. L’on découvre que Maneskin passe son tour et laisse des danseurs la jouer stand in rehearsal sous les huées du public. Gigliola Cinquetti, Signora Cinquetti scusa, elle, est bien présente, et presque soixante ans après, la magie Non ho l’età agit plus que jamais, sans que rien n’ait vocalement changé. Incredibile.

Et cette finale en mode Jury Show du coup ? UK, Espagne, Suède et Serbie au top, Grèce, Pays-Bas et Italie en position d’outsiders, une République Tchèque hélas reléguée aux oubliettes d’une première partie trop à fond et d’un milieu de tableau aux allures de terrible passage à vide. Des français qui ont assuré le job. Et un concours plus ouvert que jamais, d’autant plus que l’Ukraine n’a pas vraiment fait d’étincelles ce soir.

Dance It en Slo Mo-Mo-Mo-Mo

23h45. Nous quittons le Jury Show au moment de la répétition de l’Interval Act de Mika, direction chez Pablo, à 45 minutes de là, pour dîner avec la clique, avant que je ne prenne la direction de ma première soirée clubbing turinoise. Il faut dire que, comme je vous l’ai déjà raconté, l’organisation italienne a failli sur la communication de l’Euroclub. Mais alors échec total, ragazze. Boooo. De dix lieux initialement annoncés, nous étions passés à un seul, situé aux environs de Pampelune, Navarre, Espagne, déjà sold out une fois arrivé sur place. Adio The Roop, les Animaniacs de Keiino, Suzy et tutti quanti … Encore aurait-il toutefois fallu savoir que, déçus de l’élimination de leur poulain en demie, les israéliens avaient déserté la soirée Wiwi Jam de jeudi, et donc laissé énormément de places à la revente. Damn.

Bref, comme tout bon eurofan en quête de vie nocturne dans une Turin décidément trop paisible à notre sens – mais qui semble de plus en plus en proie aux démons de minuit -, plusieurs d’entre nous étaient en recherche de plan B jusqu’à ce qu’un mirage apparut sur les abords du Parco del Valentino : le Club 84. Pas estampillé Eurovision, pas axé Eurovision, mais peuplé d’eurofans et sur la scène duquel Brooke et ma déesse Ronela (que je loupe ce soir, arrivant à 2h) ont performé leurs eurotubes respectifs. Je rejoins Loïc ainsi que d’autres eurofans, et croise notre trio de camarades de 12 points, le podcast. Soirée de folie, peuplée de beaucoup d’espagnols évidemment déchaînés (et moi avec) aux premières notes de SloMo (Mo-Mo-Mo-Mo…), où les stars américaines côtoient Raffaella Carra et, grazie mile, La Rappresentante de Lista dans les hauts parleurs, au milieu de Queens décidées à ambiancer la salle.

4h30. Fermeture (déjà). La troupe française en perd un (finalement rentré à l’hôtel, mais nous l’ignorions). Une heure de recherche, au milieu d’espagnols peu décidés à aller se coucher, possédés par la Chanel mania et les ennivrantes notes de son désormais euro-hit, entrecoupées de Rigoberta Berti, Tanxugueiras et Luna Ki. Je n’ose imaginer le rêve d’une Eurovision à l’espagnole. La vodka aidant, je suis convaincu : l’Espagne doit absolument l’emporter cette année.

5h30. Taxi sous la flotte et la grêle. Le chauffeur est conquis par la Roumanie, Israël et la France. Che domanda il populo ?

Sur ce, con le gambe, con il c**o, coi miei occhi, ciao (ciao, ciao, ciao, ciao, ciao, ciao, ciao).

Da non so dove piu, ni cuando.

Con 24 000 baci

Rémi

P.S. : auriez-vous des bananes à donner à ces loups ? #help

© Rémi P.