Martedi 10 maio, 11 heures. Rien de tel qu’une bonne nuit de sommeil pour un bon réveil, dirait la grande poétesse Rosita de las Sierras. C’est ainsi que je me mis donc en route vers le centre ville de la capitale piémontaise pour une journée tourisme car, vivre une ville en mode Eurovision, c’est également découvrir ses monts et merveilles. Et la Bruni-Tedeschi sait qu’avec sa riche histoire, Turin en recèle de nombreux.

Una storia importante

Capitale des Etats de Savoie dès 1563, Turin prend successivement la tête des Royaumes de Sicile et de Sardaigne au dix-huitième siècle, avant de se retrouver en conflit avec les français·es qui occupent la ville, puis en perdent le contrôle avant de le reconquérir. C’est toutefois sous l’égide du trio Victor-Emmanuel II (duc de Savoie et roi du Piémont-Sardaigne), Camillo Cavour et Giuseppe Garibaldi que Turin va lancer le Risorgimento, processus d’unification de l’Italie, au dix-neuvième siècle, et devenir la première capitale du pays unifié de 1861 à 1865. La ville devient par la site un bastion de l’industrie, puisqu’elle devient le siège historique du constructeur automobile FIAT et connaît un essor dans le secteur. La crise de ce dernier conduit toutefois à une forte baisse de la démographie (-25% d’habitant·es en trente ans), avant de connaître un renouveau dans la lignée des Jeux Olympiques d’hiver de 2006, dont elle est ville hôte. Voilà pour la minute il professore.

In modalita turistica

Attaquons donc les visites, et rien de tel pour commencer que l’un des monuments les plus emblématiques : le Palazzo Madama. Ce nom vous dit probablement quelque chose, pour la bonne et simple raison qu’il a accueilli le tirage au sort des demi-finales du concours en janvier dernier. Ancienne résidence personnelle de Christine de France (régente de Charles Emmanuel II) et de la veuve de ce dernier Marie-Jeanne-Baptiste de Savoie, c’est un bâtiment baroque et majestueux qui abrite également le musée d’art civique de la ville de Turin, juché au milieu de l’une des principales places de la ville. Outre les nombreuses peintures (dont les splendides scènes de vie communales de Granieri et une intéressante galerie de portraits et céramiques qu’on peut y trouver, c’est la beauté de l’édifice qui attire l’attention, avec ses plafonds ornementés de peintures et de fresques. Sans oublier la tour qui surplombe la ville et offre une vue imprenable.

Deux heures de visite plus tard (dont un échange avec la très sympathique agent de surveillance de la galerie des céraminiques, fort dépeuplée), des orecchiete al ragu en terrasse de la Drogheria Pugliese, une batterie externe dénichée en catastrophe, c’est parti pour une balade autour de la Via Roma, l’une des principales (et riches) artères commerçantes de la ville, sur laquelle je croise Manu, un eurofan belge avec lequel j’avais sympathisé lors des previews d’OGAE France, ainsi qu’une équipe de portugais. Direction ensuite Il Duomo (ou Cattedrale di San Giovanni Battista), qui abrite le fameux et troublant Saint-Suaire devant lequel de nombreux·ses pélerin·es se mettent en prière, avant de m’attaquer à une glace crema-fragolla-straciatella et de commencer ma marche direction l’Eurovillage, jour de première demi-finale oblige ! (Et bon, je suis objectivement conscient que le Routard est davantage votre meilleur ami que Rémi P. pour tout ce qui concerne les conseils touristiques).

L’organizazionne all’ Italiana (ou l’amour à la française)

18h30 environ. Arrivée à l’Eurovillage, où je retrouve Régine (camarade chocolatine dont vous risquez souvent de retrouver le nom dans ces lignes) et une partie de la Team En Route, du nom de nos très sympathiques consoeurs et confrères venu·es en nombre à Turin – dont Monsieur Bigoudène, alias Michael, qui fait sensation avec son costume hommage à nos breton·nes – et que c’est un plaisir de retrouver lors de chaque évènement Eurovision. Une évidence : cela sera blindé ce soir, et mon nez ne m’a point trompé, car ce fut évidemment le cas en ce soir de demi-finale, introduit par un plateau en live de choix constitué de Circus Mircus, Emma Muscat, wrs et Chanel, pour qui les eurofans espagnol·es avaient fait le déplacement en masse. Mais cela n’était que théorie.

19h15. Arrivée de Circus Mircus sur scène, rejoint·es sur la pelouse principale par notre ami belge. Un très beau set de cinq chansons fort bien accueilli par la foule, puis place à Miss Emma Muscat From Malta, entre deux appels à retrouver les parents du petit Constantinos de la part de Mario Corsi et son binôme. Sauf que la représentante maltaise n’est jamais arrivée. La faute aux embouteillages. Conséquence, ou problème : les autres non plus. Pas de Hola mi bébébé. Pas de SloMo. Et dès 20h30, le lancement du direct de la RAI sur les écrans.

20h45. Déplacement sur la pelouse secondaire, ou plutôt devant, car la sécurité daigne n’ouvrir l’espace qu’à 21h pile, heure de l’ouverture du concours. Autant vous dire que ça a couru grave (et que j’étais à deux doigts d’ajouter un passif de crêpe à mon genou actuellement estropié) pour se retrouver devant où, sagement assis, nous avons regardé et apprécié le show. Pour l’ambiance, on repassera, quand bien même notre amie Ronela enflamme la scène dès la première chanson. Sans parler de la tentative vaine de norvégien·nes de lancer un flash mob sur Donnez une banane à ce loup. Non, cela reste assis, désespérément. Mais cela réagit, avec un très gros accueil pour la néerlandaise (dont les dernières notes brisées par l’émotion me touchent profondément, la grecque, les moldaves (pfffffffff…) et – évidemment – les ukrainiens, mais nous ne nous sommes pas mis debout cette fois, la faute à l’ambiance très so quiet (shhhh shhhh). Beaucoup de longueurs (les trois éternelles minutes slovènes …) et de « blancs » musicaux dans une demi-finale relativement faible sur le plan de la compétition, toutefois relevées par quelques très belles prestations, comme celle de Maro et ses ragazze, juste hors du temps. parler des mouvements aléatoires de caméra de la RAI, sauf lors des splendides interval acts, avec en acmé le moment Diodato. Sublime, et chut. Dire qu’il aurait pu éblouir Rotterdam avec Fai Rumore …. Autres points éminemment positifs : la scène, splendide, et le trio de présentateur·ses, complices et énergiques, pour lequel j’ai un crush (ciao Ale – geste équivoque de la main). Dommage pour les problèmes d’image sur l’écran (quatre prestations vues sur moitié de l’écran) et de son.

22h45. Pelouse blindée. Ses abords avec. Deux bières dans la vessie, et une envie pressante. Impossible, toute sortie de la zone étant définitive. Je pose la question à un gars de l’orga. Lequel me demande 10 euros en backchich pour me laisse rentrer à nouveau. Je gueule. Il passe à 5. Je gueule. Il me dit « Job is Jb ». Je réponds « Un corno » (expression assez vulgos en français désignant une partie arrière centre du corps humain, si vous voyez ce que je peux dire). Je réponds évidemment en français, tenant à ma vie. Et en plus, il garde le buisson … Bref, ça attendra la sortie. Faisons plutôt un triomphe pour nos français·es, guère suivi·es par la foule qui préfère s’époumoner sur Brividi. Il faut parfois s’incliner, surtout devant un pays hôte.

23h. L’heure des résultats a sonné. J’avais personnellement choisi l’Albanie, la Lituanie, la Suisse (en dernier qualifié), l’Ukraine, les Pays-Bas, le Portugal, la Grèce, l’Arménie, la Norvège et l’Islande. 9/10 du coup. Je me disais bien que le suisse. Sauf que je n’avais pas vu le drame arriver …

J’avais tout prévu. Le chant guerrier. La danse de la victoire. Jurys et télévote en ont décidé autrement, et ils me le paieront cher, très cher. Davidna, sors de ce corps, et que sois déifiée la Reina Ronela, injustement abattue ce soir par une horde de votant·es qui t’ont incompris, cara mia. Et que ton nom ne soit plus cité pour les quarante-huit heures à venir, car je ne suis que douleur, et je risquerais surtout d’être profondément exécrable. Comment une telle chose a t-elle pu arriver dans une première demi-finale ? Prochaine fois, pense à prendre un train pour Chisinau avant de venir à l’Eurovision, effet fête à la saucisse oblige. Sache en tout cas que s’il le faut, je plaiderai ta cause sous les crachats du Parlement albanais, dear Ronnie. Et comme dirait l’autre : sincères condies pour cette élimination. Dannazione.

Le notte turinesse

23h15. Évacuation de l’Eurovillage. Destination l’Euroclub, dont nous avons appris l’existence il y a peu (merci la communication turinoise), avec pléthore de soirée accueillant des eurostars sur scène. Au menu ce soir-là : The Roop (VAIDOTAS !!!!) et mes Animaniacs de Keiiiiino ! Déesse intérieure en flammes, mais un écueil de poids : la soirée est sold out, et les cinq à venir avec. Et de rares préventes dispos à présentiel à l’ouverture, pile pendant les shows, hashtag pratique. Qui ne tente rien n’a rien, je m’embarque avec la Team à l’autre bout de la ville (hashtag deux stations de métro et 45 minutes de marche à perpète déserte sans âme ni voiture ni violence) à Hiroshima mon amour, club du beau nom du célèbre roman de Marguerite Duras. L’endroit a beau avoir l’air sympathique, quelle idée d’avoir collé un euroclub (sur lequel zéro communication ne nous est parvenue, alors que dix étaient initialement annoncés) certes à 25 minutes à pied de la salle, mais si loin de l’Eurovillage, et au parcours d’accès aux allures de l’Enfer, paumé au milieu d’environ nulle part ? Par ailleurs : pourquoi ne pas avoir créé des lignes de transport spéciales Eurovision, desservant l’ensemble des sites ?

©Hiroshima mon Amour

Prêt à tenter les yeux doux auprès des videurs (et surtout la négoce), je prépare aussi 5 euros de backchich, que je n’aurais point le temps de sortir (grazie per il mio bilancio) puisque nous apprenons entretemps la fermeture de la billetterie. Qu’importe donc. Avec deux camarades d’infortune, nous laissons le reste de l’équipe dotée de billets entrer et prenons un taxi direction le centre pour poursuivre la soirée dans un bar.

2 heures. Un kebab dans l’estomac (comme bien des eurofans affamé·es), nous arpentons un centre ville décidément désert et mort malgré sa taille et sa semaine Eurovision. Une heure environ de galère plus tard, nous trouvons enfin un bar ouvert – lui aussi vibrant de calme) et nous installons en terrasse pour parler concours autour d’un cocktail, mes deux camarades me partageant leurs expériences eurovisionesques précédentes, jusqu’à ce que fermeture nous soit annoncée. Rendez-vous est pris pour la suite du séjour.

3h30. Ritorno alla casa. Écriture de l’épisode 1 du carnet de voyage. Impossible de fermer l’oeil devant tant d’émotions eurovisionesques.

De Collegno 12 maggio, 11h, té, e in ritardo da te.

Con 24 000 bacci.

Rémi

© Rémi P.