« The Wrong Place est presque la bande originale d’un film qui n’existe pas »

Hooverphonic

La VRT les avait choisi en 2020 pour défendre les couleurs de la Belgique à l’Eurovision. Une année sans concours plus tard, le télédiffuseur flamand a choisi de renouveler sa confiance en ce groupe à la renommée internationale. L’Eurovision au Quotidien a eu la chance de rencontrer (virtuellement) ses membres Alex Callier, Raymond Geerts et Geike Arnaert : voici l’interview d’Hooverphonic !

EAQ  L’année dernière, vous deviez initialement participer à l’Eurovision avant son annulation en raison de la pandémie de la covid-19 ? Qu’est-ce que cela vous fait de participer à l’édition 2021 ?

Alex – J’espère qu’on vraiment réussir à participer cette année, parce que ce n’est pas bon pour ma santé (rires). J’ai écrit encore plus de chansons et nous devions ensuite choisir. Cela représente quand même beaucoup de stress, mais c’est cool que le concours puisse avoir lieu.

Geike – Dans cette période étrange, cela nous a donné un but.

Alex – On ne peut pas jouer en live. On est à la maison depuis le mois de mars de l’année dernière. Cela fait une année. Avec l’Eurovision, cela nous donne un objectif. On va pouvoir rencontrer les autres pays.

Geike – Cela nous maintient en forme.

Hooverphonic a été créé en 1995. Vous faites partie des artistes belges les plus reconnus dans votre pays et dans le monde. Pourquoi vous être embarqués dans l’aventure de l’Eurovision ?

Alex – Raymond et moi regardions le concours depuis que nous étions enfants. Beaucoup de fans trouvent cela bizarre, mais j’aime bien l’Eurovision. Je le regarde chaque année. J’aime bien le contraste entre cool et camp, entre grotesque et intimiste, entre des propositions qui relèvent presque du théâtre ou du cirque et d’autres plus « petites ». Chaque année, tu as quelques artistes que tu aimes bien, et qu’on a envie de soutenir.

Quels sont vos meilleurs souvenirs du concours ?

Alex – Il y a des souvenirs d’enfance. La victoire de Sandra Kim, en 1986, nous a marqué. J’aime bien Salvador Sobral, qui a gagné il y a quelques années. Il y a titres que je n’aimais pas et qui ont marqué ma mémoire. Il y a aussi Ein Bischen Frieden de Nicole et Gente di mare. Je me souviens aussi de Bucks Fizz avec les petites jupes et tout ça, c’était spécial. J’aimais aussi l’orchestre avec le chef. C’était différent, et génial pour un enfant. C’était magique. Dans les années 90, c’était un peu plus camp et kitsch, mais Urban Trad a quand même fini deuxième. À l’époque, on était en train de jouer à Istanbul le soir de l’Eurovision. Quand on a fini le concert, il y avait une télé dans les coulisses et on a regardé ensemble le show. C’est Lordi qui avait gagné avec Hard Rock Hallelujah. Kylie Minogue avait alors fait un grand tube avec Can’t Get You Out My Head, qui passait tout le temps à la radio.

Vous participez cette année avec la chanson The Wrong Place. Comment la décririez-vous?

Alex – C’était au moment du premier confinement. J’ai travaillé seul dans un studio pendant trois mois et à la fin du lockdown, un copain m’a téléphoné si je ne voulais pas écrire une chanson avec Charlotte Forêt, qui a un groupe qui s’appelle Charles. J’aimais bien leur premier single, et je me suis dit pourquoi pas. Elle est venue au studio. On n’avait pas vraiment de but. Ce n’était pas pour l’Eurovision, pour Hooverphonic ou pour elle. On écrivait une chanson juste pour le fun. Quand il n’y a pas de pression et que tu peux vraiment écrire en toute liberté, cela donne souvent de très bonnes chansons. C’est très fort. Quand on a terminé la chanson, Raymond l’a écoutée et il m’a dit « Ça, c’est vraiment pour Hooverphonic ». J’ai répondu que je devais demander à Charlotte, parce qu’elle voulait peut-être la garder pour Charles, et elle m’a dit okay pour l’enregistrement. Et quand Geike est revenue …

Geike – J’ai tout de suite été convaincue par le morceau.

Alex – On avait une liste de chansons. Geike était vierge de toute écoute.

Geike – Je n’avais pas encore vécu avec les morceaux. Je n’avais pas de favori.

Alex – C’était très objectif. Elle pouvait directement choisir des morceaux qu’elle aimait bien, et The Wrong Place est immédiatement sorti du lot.

Les fans risquent inévitablement de comparer le titre avec Release Me : comment appréhendez-vous cela ?

Geike – Il ne s’agit pas forcément de comparer.

Alex – Release Me a terminé cinquième de l’Eurostream, mais quand les fans comparent les deux titres, ils préfèrent plutôt The Wrong Place. Ce qu’on a appris l’année passée, c’est qu’on ne peut jamais savoir à l’avance ce qu’il va se passer. C’est presque impossible. En 2020, Release Me était moyennement classé par les bookmakers, on n’était pas dans leur top 10 et à la fin, on était deuxième du vote du public et neuvième de celui des professionnels de l’Eurostream. Ça nous a quand même donné un autre point de vue sur le concours. Salvador Sobral a par exemple gagné alors qu’il n’était pas un favori avant sa demi-finale. Duncan Laurence a inversement gagné tout en étant favori. Il n’y a pas vraiment de règles. Pour nous, The Wrong Place est complètement différente. Release Me était très personnelle. Elle parlait de mes adieux à mon père, décédé en 2019. The Wrong Place est plutôt la scène d’un film qui n’existe pas. C’est très hollywoodien, cinématographique, presque la bande originale d’un film qui n’existe pas.

Geike – Proposer des titres différents est dans l’ADN du groupe. Je suis contente de cette diversité.

Alex – On est aussi un groupe très éclectique, mais ce qui est toujours là, ce sont les influences des années soixante. C’est quelque chose d’assez fort, combiné à des beats électroniques., et il y a même temps des cymbales qui sont très John Berry, James Bond, … Il y a toujours ce mix. Nous sommes des rétro-futuristes.

Geike – Le contraste par rapport à l’année passée, c’est également la grande émotion de Release Me. Cette année, on est davantage dans de l’humour noir, même s’il n’y a pas que ça. C’est une autre histoire. J’apprécie le fait qu’on ait pu montrer ces deux côtés.

Quand j’écoute Hooverphonic, je trouve que votre musique dégage quelque chose de très cinématographique. Le septième art vous inspire-t-il ?

Alex – Oui, souvent. À l’époque, j’étudias le son à l’Académie de films de Bruxelles. C’est ça qui nous a inspiré pour le premier album. C’était une sorte de combinaison. J’écrivais déjà des chansons pop depuis mes quatorze ans. J’avais un professeur qui nous a introduit à Pierre Henry, un compositeur français qui faisait de la musique concrète, avec des bruits du quotidien. Ça nous a vraiment inspiré. À moment donné, on avait eu l’idée de combiner la musique pop et la musique concrète. C’étaient vraiment les débuts d’Hooverphonic. Il y avait déjà des influences cinématographiques parce que je réalisais des sons pour des films. Par la suite, je crois que les orchestrations sont devenues plus filmiques. On a utilisé beaucoup de cordes et de cuivres, qui donnaient un aspect chamber pop, avec des grandes orchestrations. Notre musique est également très souvent utilisée dans des bandes originales, des publicités, des séries, etc. C’est parce qu’il y a quand même un aspect très visuel dans notre musique.

Comment comptez-vous incarner The Wrong Place sur la scène de l’AHoy Rotterdam ?

Alex – C’est une surprise ! On a promis au diffuseur de ne pas parler de la scénographie, mais ça va être très band like. On est un groupe et on jouera comme un groupe.

Par rapport à l’année dernière, cette édition marque le retour de Geike dans le groupe. Comment s’est opéré votre retour après douze ans d’absence ?

Geike – On se donnait parfois des nouvelles, mais on n’était pas vraiment en contact. Là, j’avais besoin de lui parler par rapport à un morceau qui allait être utilisé dans Liefde voor Muziek (« Amour de la musique » en français, diffusé sur VTM, N.D.L.R.), un programme télévisé dans lequel des artistes effectuent des reprises d’autres interprètes. J’ai appelé Alex, et on a commencé à parler. On s’entendait bien. C’était très simple. Alex m’a raconté qu’ils allaient célébrer la vingtième année de la sortie de Mad About You et de l’album The Magnificent Tree. Ça m’a rappelé de beaux souvenirs.

Alex – À un moment, j’ai dit que c’était peut-être mieux de le faire avec la chanteuse originale, et elle a répondu « Pourquoi pas ? ». Ça s’est fait très spontanément. On voyait qu’on était impatients de retravailler ensemble et Raymond a également été tout de suite enthousiaste. C’était vraiment très organique.

Geike – C’était naturel.

Alex – Au bout d’une semaine, j’ai dit à Geike « By the way, on doit aller à Rotterdam pour l’Eurovision. » Ce n’est pas pour cela qu’elle est revenue, attention.

Geike – Même si je suis ravie parce que c’est beaucoup de fun. Je connais le monde d’Hooverphonic, nous sommes très bien à la maison, mais pour moi, l’Eurovision est tellement quelque chose de grand, plus que je ne l’avais imaginé, puisque c’est non seulement européen mais aussi international.

Alex – De temps en temps, on aime bien faire des choses qu’on n’attend pas d’Hooverphonic. Certains fans se demandent pourquoi on participe au concours. Parce qu’on aime bien l’Eurovision. « Hein ? Tu aimes vraiment bien l’Eurovision ? » J’adore ! Chaque année, je suis là, dans mon fauteuil, à le regarder. C’est ça qui est cool.

Votre participation à l’Eurovision coïncide d’autant plus avec la sortie de votre nouvel album le 7 mai prochain. Que pourriez-vous nous dire sur l’album ?

Alex – C’est un album génial ! (Rires) On est ravi. C’est en même temps très vintage Hooverphonic et 2021. La voix de Geike est superbe. On sent qu’on avait vraiment envie de sortir un album ensemble. C’est un album avec beaucoup d’émotion, mais aussi d’énergie. C’est ce que je me disais en écoutant le vinyle test la semaine dernière. Je trouve qu’on est dans un monde qui a besoin d’énergie.  

Dans la quasi-totalité des pays, les salles de concert et les lieux culturels sont fermés à cause de la pandémie. Comment vivez-vous cette période en tant qu’artistes ?

Alex – C’est difficile de voir à quel point quelque chose qu’on a mis plusieurs années à construire et dans lequel on a investi beaucoup d’énergie est fragile. Ce n’est pas évident d’être sur scène, apparemment. Dans le monde, dans nos sociétés, on trouve tous cela évident d’aller à un concert ou au resto, et tout à coup, on est confronté à une réalité de temps en temps très choquante. En même temps, je me dis qu’après, on va encore plus apprécier d’être dans un café, au resto, ou sur scène. Pour la plupart des gens, la situation actuelle est pesante, mais je crois qu’on va profiter davantage de la vie par la suite. Nous, on a de la chance, parce qu’on a une carrière de vingt-cinq ans derrière qui nous donne une liberté de financière que beaucoup de nos copains n’ont pas. Malgré un an sans concerts, on est encore là et on survit sans problèmes. Il y a beaucoup de gens qui sont pris à la gorge, et c’est triste de voir ceux qui nous entourent, qui travaillent durement, avoir du mal à survivre. C’est incroyable de les voir prendre des jobs complètement différents pour pouvoir continuer. On espère que lorsque la situation sera normalisée, on va avoir de nouveau une bonne équipe qui nous entoure. Il y a deux parties dans le groupe : l’une d’elles pense qu’au mois d’octobre, nous serons dans un tour bus en train de tourner en Europe, tandis que l’autre pense que ça ne se passera pas de la sorte. On verra. On ne peut pas le contrôler, et c’est difficile pour un control freak comme moi.

Avez-vous des favoris dans cette édition 2021 de l’Eurovision ?

Alex – La France ! La France va gagner cette année. J’aime également bien la Bulgarie, la Roumanie, la Russie et la Lituanie. Mais je crois que Voilà est la seule chanson que j’ai mis sur l’une de mes playlists à ce jour.

Un grand merci à Hooverphonic de nous avoir accordé cette interview. Nous retrouverons le groupe en onzième position de la première demi-finale le 18 mai prochain à Rotterdam, quelques jours après la sortie de leur nouvel album, Hidden Stories (prévue le 7 mai).

Crédits photographiques – Zeb Daemens