Après des auditions s’étant déroulées dans une dimension spatio-temporelle encore inconnue des physiciens contemporains, la sélection biélorusse pour Rotterdam aborde sa grande finale. Celle-ci aura lieu vendredi prochain. Pour apaiser votre impatience (si, si, avouez…), revenons sur les finalistes et leur chanson et confrontons nos opinions à leur sujet.

LOREEN

Débutons, comme à notre habitude, par les Loreen, qui reflètent mon avis personnel. Si vous différez en la matière, exprimez-vous dans les commentaires.

Loreen attend l’année prochaine avec impatience. La BTRC a acheté les droits du X Factor et devrait s’en servir comme sélection pour l’Eurovision. Ce sera un véritable soulagement, tant les sélections nationales biélorusses sont un supplice à suivre, à écouter et à juger.

ChansonsCommentairesLoreen
Napoli – Don’t Let Me Down Napoli mériterait de représenter un jour son pays à l’Eurovision. Pour récompense de sa persistance, mais aussi de son talent. Elle l’a à nouveau prouvé lors des auditions : elle est impeccable dans les conditions du direct. Cette année, elle nous propose sa dernière démo et s’en tire bien. Car c’est là tout le drame de DLMD : ce n’est point une chanson aboutie, juste une démo. Une démo réussie dans son genre, avec une ligne musicale intéressante, mais une composition, des couplets et un refrain encore schématiques. L’on entrevoit le potentiel de cette proposition. Encore eusse-t-il fallu le concrétiser.
Sasha Zakharik – Rocky Road Concept : un générique de série télévisée des années 90, inutilisé et sorti tel quel de son tiroir pour l’Eurovision 2020. Choc des époques et curieuse madeleine de Proust. Le plus drôle là-dedans, c’est que ça fonctionne ! RR est une petite chanson entêtante qui se fredonne à première écoute. Du générique, elle a les qualités (légère, joyeuse, rigolote) et les défauts (répétitive, superficielle, creuse). Sasha incarne son morceau à merveille et en offre une interprétation réussie. Au final, une proposition agréable pour une finale biélorusse, mais pas au niveau d’une demi-finale de l’Eurovision.
Anastasiya Malashkevich – Invisible Cette chanson porte mal son titre. Elle devrait plutôt s’intituler Yaourt. Attention, il ne s’agit pas d’un hommage rendu par Anastasiya n°1 au produit laitier dont la Bulgarie se fait gloire. Non, plutôt à cette pratique portant tort à l’Eurovision et consistant à chanter en dépit du bon sens dans une langue à laquelle l’on ne comprend goutte et dont on ne maîtrise pas la prononciation. Invisible est en soi, une petite chanson pop inoffensive, un cliché eurovisionesque sans grand intérêt. Anastasiya n°1, quant à elle, est une excellente chanteuse. Elle l’a prouvé une nouvelle fois lors des auditions et sa place en finale n’est vocalement pas imméritée. Hélas, au final, l’on ne comprend rien de rien à ce qu’elle chante. L’on finit par rire devant ce naufrage linguistique, impossible à imaginer sur la scène de l’Ahoy.
Chakras – La-ley-la Concept : sur fond de cui-cui de zoziaux, trois prêtresses new-age font « la-la-la ». Et ce durant trois minutes. Le pire : elles y croient dur comme fer. À leur décharge : elles chantent très bien leur « la-la-la ». À mes yeux : le plus beau foutage de gueule musical de cette Saison 2020. Le tout généreusement subventionné par la télévision publique biélorusse, qui, décidément, n’en rate pas une. Qu’ont bien pu aimer là les jurés des auditions ? Mystère insondable qui rend cette proposition d’autant plus crispante. Rarement ai-je autant aimé détester une chanson.
Anastasiya Glamozda – Burning Again (Re)voyez l’audition d’Anastasiya n°2, vous prendrez la mesure du personnage. Quant au reste, fermez les yeux et songez un instant à tous les clichés éculés que l’on nous a servi à l’Eurovision ces dix dernières années. Vous y êtes : BA est un admirable condensé de ces stéréotypes musicaux qui ont tiré le Concours vers le bas, durant la décennie 2010. Au terme de ces trois longues minutes (pas insupportables, plutôt gonflantes), l’on arrive à la fatale conclusion : Anastasiya n°2, qui est également l’auteur et la compositrice de sa chanson (point à verser à son crédit), n’a plus regardé l’Eurovision, ni la télévision, ni YouTube, ni écouté la radio (je ne vous parle même pas de Spotify…) depuis plus de dix ans. Dommage pour elle, dommage pour nous surtout…
Anastasiya Razvadovskaya – Hello Elle nous dit « hello ». On a envie de lui dire « au revoir ». Après le générique de série des années 90, voici la bande-son de film des années 80. De film de série B, limite Z. Sur le plan musical, c’est Retour vers le passé, avec synthétiseur, réverbération et composition facile. Sur le plan de la prestation, c’est Retour vers le pot de yaourt. Anastasiya n°3 s’en sort vocalement bien. Mais sa prononciation est ici aussi désastreuse. L’on comprend si peu son anglais, qu’à tout prendre, elle aurait pu chanter en biélorusse. Le tout est une épreuve nerveuse de trois interminables minutes. Il n’y a rien à sauver dans cette proposition, véritable tue-l’Eurovision en puissance.
Yan Yaroche – Fire Concept : Richard Clayderman a eu un fils caché en Biélorussie. Vingt ans plus tard, celui-ci, ayant découvert la vérité sur ses origines, tente d’obtenir la reconnaissance de son père en présentant un pastiche chanté d’une oeuvre paternelle à la sélection nationale pour l’Eurovision. À sauver : Yan, qui est un excellent chanteur et le prouve. Sa voix est aussi mémorable que son physique. À jeter : tout le reste, à commencer par cette chanson, sortie d’une faille temporelle eighties. Fire est une ballade au piano comme l’on en entendait à l’Eurovision circa 1984. Mention spéciale aux choristes de l’audition qui ont visiblement été appelées à la rescousse au dernier moment et tenu le texte de Fire à bout de bras durant ces trois minutes du feu de dieu. Sur ce, question importante : avez-vous eu récemment des nouvelles de Richard Clayderman ?
Angelika Pushnova – True Love Angelika frôle les deux Loreen souriantes avec ce True Love, presque réussi. TL a l’envergure d’une cinquième place en demi-finale du Melodifestivalen, ce qui, ramené au niveau de cette sélection, est un compliment. Il s’agit d’une joyeuse petite chanson, bien rythmée et agréable à écouter. Sa composition est intéressante. Angelika, quant à elle, est assez irrésistible. Elle nous offre une prestation enjouée et primesautière, tenant la route vocalement. L’on sent à nouveau tout le potentiel sous-jacent de cette proposition. Bémol : des paroles simplistes et surtout, un refrain manquant d’intérêt. Un choix possible pour Rotterdam, à condition d’en confier la réfection à une équipe de professionnels.
Darya Khmelnitskaya – On Fire Je pourrais copier et coller ici mon commentaire précédent, mon analyse étant identique. OF est l’une des propositions les plus contemporaines de cette sélection. Sa composition est dans l’air du temps ; son tempo, actuel. Darya incarne sa chanson à merveille et en livre une prestation vocale sans reproche. Mais encore une fois, la production et l’écriture ne sont pas au niveau des réalisations actuelles. Il y a là des éléments intéressants, des idées porteuses, quelque chose, quoi. Si Darya est choisie, ce ne sera pas un scandale. Néanmoins, il lui faudra rentrer immédiatement en studio pour transformer ce caillou mal dégrossi en pépite pop.
Aura – Barani svajo Aura assume le biélorusse et nous épargne un yaourt. Lors des auditions, elle a démontré une nouvelle fois l’étendue de ses talents vocaux. Ici, s’arrêtent les compliments. Le reste est une plongée dans l’Enfer de l’Eurovision. Imaginez une violente collision musicale entre un vieux morceau de rock de par-delà le Mur de Berlin et une chanson traditionnelle écossaise. Ambiance cuir et cornemuse pour Aura, malheureusement sans rugbyman en kilt… Le résultat est pénible aux nerfs et aux tympans. Deux envies me saississent : couper le son et offrir une radio à Aura. Elle aura ainsi le loisir, d’ici à l’an prochain, de découvrir un monde qui lui encore étranger, celui de la musique contemporaine…
KeySi – Chili Pepper Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Ce proverbe décrit à la perfection la place de KeySi au sein de cette finale. À l’Eurovizijos atranka, elle aurait été éliminée au premier tour. Au Melodifestivalen, elle aurait été éliminée à l’Andra Chansen. Ici, elle a toutes les chances de l’emporter. Les paroles de CP feront hurler les poétesses albanaises de cette Terre. Sa composition dérèglera les sonotones des retraités allemands. Heureusement, les Eurofans trouveront en CP une occasion idéale pour se trémousser à l’Euroclub durant les deux semaines du Concours. Cette chanson est plus putassière encore que le Chains On You d’Athena Manoukian, ce qui est peu dire. Malgré tout, l’ensemble fonctionne et KeySi en livre une prestation réjouissante. Pensez à Zena et à son Like It, mais en mieux, en plus abouti, en plus drôle. L’antithèse absolue des propositions italienne ou belge pour cet Eurovision 2020, certes. Voyez plutôt CP comme un contrepoids musical.
Val – Da vidna Concept : trois minutes de musique de centre commercial un premier jour des soldes, interprétées par une chanteuse ayant enfilé le complet veston de son père et soutenue au synthé par le sosie de Mark Ronson. Rendons à Val son dû : sa prestation vocale est impeccable. L’on déplore donc que tant de talent soit mis au service de pareil néant musical. Dv est vide de tout : vide de sens, vide d’intérêt, vide de passion, vide d’émotion. Il n’y a rien à en attendre, ni rien à en espérer. Un autre tue-l’Eurovision à précipiter au plus tôt dans les oubliettes de la musique contemporaine.

Et dire qu’il faudra me farcir cette finale en direct ! Petit Jésus ! À pleurer et à vous faire regretter d’être Eurofan… Certaines propositions sont tellement horribles et insupportables qu’il m’est impossible d’en rire…

Bref, un peu par défaut, un peu par plaisir, je choisirais KeySi. J’en reviens là à ma maxime eurovisionesque habituelle : quand tout est perdu, autant en rire et s’amuser sans arrière-pensée. C’est précisément le programme que nous offre Chili Pepper. Donc, allons-y pour ce piment biélorusse à prendre au second degré !

SONDAGE

À votre tour à présent de vous exprimer ! Donnez-nous votre avis.

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Sur ce, rendez-vous vendredi prochain pour la grande finale !

Crédits photographiques – BTRC