highs-lows-book-launch1Conchita-ci, Conchita-là, Conchita à Vienne, Conchita à Londres, Conchita à Paris, Conchita à Madrid. Il semblerait que notre héroïne soit en route pour la gloire et la domination mondiale. Elle apparaît partout, chantant, défilant, manifestant, tenant la pose, déroutant l’opinion publique, prenant à rebours les censeurs et diffusant sans cesse son message d’ouverture et de tolérance. De mémoire de fans, l’on n’avait plus vu pareil engouement depuis des lustres. Tant mieux : l’établissement de Conchita dans l’inconscient collectif fait avancer la cause du Concours. Rarement l’image de ce dernier aura été aussi positive dans les médias francophones, français, belges et suisses. Aux orties les oripeaux « d’Internationale de la Chanson Guimauve » (Sic, par le journal belge Le Soir, il y a quelques années), place au bastion des libertés et des droits fondamentaux !

Que réservera l’avenir à Conchita ? Excellente question ! Car que réserve l’avenir aux gagnants du Concours ? Certains ont été découverts grâce à lui et ont connu par la suite, une brillante carrière internationale. Bien sûr France Gall, ABBA et Céline Dion. Mais n’oublions pas Gigliola Cinquetti, Sandie Shaw, Lulu, Vicky Leandros, Brotherhood of Man, Bucks Fizz. D’autres ont vu leur réussite commerciale limitée à leur pays d’origine : Jean-Claude Pascal, Isabelle Aubret, Udo Jürgens, Massiel, Nicole, Carola, Helena Paparizou, Lena. D’autres encore ont conclu là une longue et honorable carrière : Toto Cutugno, Katrina & The Waves, les Olsen Brothers, voire Sertab Erener.

Et puis, il y a les autres, tous les autres, qui étaient promis au plus brillant des avenirs, mais qui n’ont pas su concrétiser les possibilités qui leur étaient ainsi offertes, faute de répertoire conséquent (Grethe et Jørgen Ingmann), de management convenable (Séverine), de cohésion interne (Teach-In) ou encore de projet artistique commun (Ell & Nikki). Et pourtant, et pourtant, plusieurs d’entre eux auraient pu, auraient dû… Notre livre d’histoire sur l’étagère nous le renseigne d’ailleurs : leur deuxième single, sorti immédiatement à la suite de leur chanson gagnante était brillant. Hélas, la sauce commerciale n’a pas pris, sans que l’on puisse y fournir d’explication scientifique.

Aujourd’hui donc : cinq excellentes chansons qui auraient dû offrir une carrière internationale à un vainqueur de l’Eurovision… sauf que non !

5. Dana – I Will Follow You

Rosemarie Brown avait dix-neuf ans, lorsque le samedi 21 mars 1970, elle entra dans la légende du Concours. Sous le nom de scène de Dana, elle octroya sa première victoire à l’Irlande, en interprétant le cultissime All Kinds Of Everything. À son retour à l’aéroport de Dublin, Dana fut accueillie en héroïne nationale par la foule de ses admirateurs. Sa chanson remporta un immense succès commercial partout dans le monde et devint l’un des piliers du Concours. Le contraste ne put être plus grand avec I Will Follow You, son single suivant. La chanson fit un flop si énorme, qu’elle ne parvint même pas à entrer dans les classements irlandais et que Dana songea sérieusement à abandonner sa carrière de chanteuse. Le single suivant, Who Put The Lights Out , lui permit de redresser sensiblement la barre, sans pour autant retrouver le succès apporté par l’Eurovision. À partir de 1976, Dana se réinventa en reine du disco et renoua avec les classements, grâce notamment à Fairytale  et l’inénarrable Something’s Cooking In The Kitchen. Par la suite, elle devint chanteuse de musique religieuse, avant de se tourner vers la politique. De 1999 à 2004, Dana fut ainsi députée européenne et en 1997 et 2011, elle se présenta à l’élection présidentielle irlandaise. Sans succès et cela est bien dommage car une ancienne gagnante de l’Eurovision, présidente, cela aurait été d’un chic et d’un symbolique pour l’Irlande…

4. Alexander Rybak – Funny Little World

Vous étiez devant votre poste de télévision, ce samedi 16 mai 2009, et vous avez assisté à un moment historique : la troisième victoire de la Norvège, celle de tous les records. Record de points obtenus par une chanson gagnante (387), record du nombre de points séparant le vainqueur du deuxième (169) et record du nombre de « douze points » obtenus (16 – dépassé en 2012, mais nous y reviendrons). Alexander Rybak et son Fairytale enchantèrent l’Europe toute entière. Après le Concours, la chanson connut un vif succès, atteignant la troisième place du classement général européen. Le single suivant, Funny Little World, lui permit de devenir numéro un des ventes en Norvège et de se classer honorablement en Finlande, en Suède et au Danemark. La carrière internationale d’Alexander s’arrêta hélas là et par la suite, le succès commercial lui échappa, même en Scandinavie et en Russie. Il enchaîna pourtant les excellents morceaux, tels que Roll With The Wind, Europe’s Skies, Leave Me Alone et Into A Fantasy. Depuis, Alexander est devenu un invité récurrent, apparaissant avec son violon dans à peu près toutes les sélections nationales possibles et imaginables, revenant chanter sur la scène du Concours et surgissant par surprise des sables de la planète Solayoh.

3. Dana International – Free

À peine eut-elle remporté le K-Dam 1998, que Dana International devint un phénomène de société. Elle concentra sur elle toute l’attention des médias internationaux, au point d’éclipser les autres concurrents. Première artiste transsexuelle à participer au Concours, elle s’attira les foudres des politiques réactionnaires et des ultrareligieux. Les menaces de mort plurent sur sa tête et elle ne put se déplacer à Birmingham que sous la très haute protection de la sécurité israélienne. Même ses robes, dessinées par Jean-Paul Gaultier, bénéficièrent de leurs propres gardes du corps. Le vote fut un insoutenable suspense et Dana n’arracha sa victoire que sur le fil. Diva remporta par la suite un grand succès commercial, porté par la controverse et un clip inoubliable. Après une reprise mineure du Woman In Love de Barbra Streisand, Dana revint l’année suivante sur la scène du Concours, pour interpréter durant l’entracte, le single qui devait lancer sa carrière internationale, une autre reprise : Free, originellement de Stevie Wonder. Sa prestation fut plus que mémorable et décrite par Terry Wogan comme une nuit passée dans la Babylone antique. Hélas, pour un motif toujours mystérieux, les tractations avec la maison de disque Sony échouèrent et Dana ne put obtenir de contrat international. Sa carrière se limita à son pays natal, connaissant des éclipses, renaissant notamment grâce à Love Boy  ou Loca. Dana revint concourir à l’Eurovision en 2011, avec le très mineur Ding Dong, mais se fit sèchement congédier en demi-finale.

2. Loreen – My Heart Is Refusing Me

Rarement une concurrente et sa chanson auront autant électrisé les fans. Dès les premières notes d’Euphoria, lors de la première demi-finale du Melodifestivalen, le 4 février 2012, certains surent avec la plus précise des certitudes qu’elle gagnerait l’Eurovision. La suite le leur confirma, qui fut une promenade de santé : Loreen remporta la célèbre sélection suédoise avec le plus grand nombre de votes jamais enregistré, puis la seconde demi-finale du Concours et bien sûr la finale du 26 mai 2012, obtenant à dix-huit reprises la note maximale et surpassant ainsi le record d’Alexander Rybak. Euphoria fut ensuite numéro un des ventes de singles en Europe, triompha même dans des pays non participant (comme le Luxembourg, la République Tchèque et la Pologne) et devint le plus grand succès commercial de l’Eurovision depuis 1982 et Ein Bisschen Frieden. Dans la foulée, il fut décidé de sortir comme deuxième single international, un remix de My Heart Is Refusing Me, chanson avec laquelle Loreen avait concouru au Melodifestivalen 2011… et avait été éliminée à l’Andra Chansen. Le morceau passa quasiment inaperçu, tout comme le suivant, We Got The Power , rejetant la chanteuse dans l’ombre. Aux dernières nouvelles, Loreen s’apprêterait à publier son second album, dont le premier single serait Jupiter Drive.

1. Gali Atari & Milk And Honey – Goodbye New York

Hallelujah la’olam, Hallelujah, yashiru kulam… En deux strophes, la chanteuse israélienne Gali Atari érigea à Jérusalem, le samedi 31 mars 1979, un monument éternel du Concours et le point d’orgue de son premier âge d’or. Le vote délivra un intense et mémorable suspense, qui n’accorda la victoire à Israël qu’à son ultime terme, sous un tonnerre d’applaudissements du public dans la salle. Hallelujah connut par la suite un immense succès commercial. Mais le ver était dans le fruit… Car initialement, Hallelujah avait été offert par ses auteurs, Kobi Oshrat et Shimrit Orr, au groupe Hakol Over Habibi… qui l’avait décliné ! Oshrat et Orr, désireux de participer au K-Dam 1979, persuadèrent la chanteuse Gali Atari de se joindre au groupe Milk And Honey et de concourir avec eux. Après leur victoire au Concours, le quatuor décida de pérenniser son succès international en enregistrant un morceau disco, Goodbye New York. Malgré l’air du temps, le single fut totalement ignoré et le groupe se recentra sur son pays natal, remportant d’autres succès avec Galgal Anak (La grande roue) et Shir Lashirim (La chanson des chansons. Un an plus tard, Gali se sépara de Milk And Honey pour entamer une carrière solo, qui la verra triompher durant toutes les années 80. Lea Lupatin la remplaça dans le quatuor, qui tenta à nouveau sa chance au K-Dam en 1981 et en 1989, mais sans succès.

« Ouais, ben, à part ABBA, c’foutu concours a rien produit de valable ! J’me d’mande toujours à quoi y’sert ! » Fiche et diantre, Madame Michu ! Le but ontologique de l’Eurovision n’a jamais été de lancer des carrières planétaires. Ses fondateurs voulaient faire de lui un événement qui permettrait : primo, de populariser l’Union Européenne de Radio-télévision ; secundo, d’unir plus étroitement ses membres ; tertio, de développer la technologie télévisuelle ; quarto, d’exploiter le réseau Eurovision ; quinto, d’encourager la production de musique populaire et sexto, de faire connaître des artistes nationaux sur le plan international. Vous aurez ainsi beau retourner dans tous les sens les écrits et le testament de Marcel Bezençon, nulle part vous n’y trouverez exprimée la volonté de transformer l’Eurovision en machine de guerre commerciale. Mais déjà ce débat nous entraîne sur l’opposition éternelle entre réussite artistique et réussite commerciale… Cette dernière, chère Madame Michu, dépend uniquement des artistes eux-mêmes et de leur management, point du Concours et de ses organisateurs. Et vous devrez admettre que l’Eurovision a révélé bien des talents, sans pour autant qu’il s’agisse de vainqueurs. Songez à Domenico Modugno, Hugues Aufray, Alain Barrière, Françoise Hardy, Nana Mouskouri, Henri Dès, Julio Iglesias, Patrick Juvet, Jeane Manson, Lara Fabian, Ofra Haza, Anna Vissi, Patrick Fiori, Natasha Saint-Pierre, Sébastien Tellier et Raphael Gualazzi pour ne citer qu’eux…

Superbonus

Parce que. Oui, parce que. Parce que cette rubrique a été écrite à quatre mains, avec mon meilleur ami. Parce qu’il est néerlandophone ; parce que je suis francophone ; parce que nous résidons et travaillons tous deux à Bruxelles ; parce que nous résumons ainsi la Belgique. Parce que nous ne nous serions jamais rencontrés sans l’Eurovision et sans « elle » ; parce qu’« elle » demeure son idole ; parce que chacune de « ses » apparitions me fait mourir de rire. Parce qu’« elle » aurait mérité une carrière aussi fructueuse que celle de Céline Dion (qui n’aurait d’ailleurs jamais existé sans « elle ») ; parce qu’en réalité, « elle » n’a jamais cessé de chanter ; parce que gagnante francophone, « elle » aura remporté plus de succès en Flandre ; parce qu’« elle » demeure, envers et contre tout, une icône belgo-belge et qu’il n’y ait pas un seul citoyen du Royaume de Belgique qui ne connaisse son nom et soit incapable de fredonner « J’aime, j’aime la vie ». Bref, parce qu’« elle » est « elle » ; parce que nous sommes nous, rendons un hommage très appuyé à Sandra Kim et à sa carrière, en revoyant ses meilleures chansons, année après année, de 1986 à nos jours. Je t’embrasse fort, mon très cher Oiseau Bleu (Vous verrez, il se reconnaîtra…) !
1986 – Tokyo Boy

1987 – La Vie (générique du dessin-animé Il Était Une Fois La Vie…)

1988 – Souviens-Toi

1989 – Coup De Cœur

1990 – Slow-Moi, Rock-Moi (en duo avec Luc Steeno)

1991 – Look Infernal

1992 – Je Veux Ma Part De Rêve

1993 – Je T’Ai Tout Donné

2001 – J’Ai Pas Fini De T’Aimer

2010 – Anyway The Wind Blows