highs-lows-book-launch1Une roue de hamster, deux tambours géants, une barbe fleurie, un parachute, quatre violonistes, dix-huit spots lumineux, une balancelle, une patineuse, une culotte dorée, plusieurs paires de seins généreux, un tutu, un trampoline, un piano circulaire, de l’eau, du feu et fatalement, de la fumée… L’édition 2014 du Concours ressemble à un inventaire à la Prévert…
Et chacun de crier au génie, à l’inouï, à la révolution ! Dans la foulée, les fans sur les réseaux sociaux se souviennent de ces artistes et de ces prestations qui ont eux aussi, révolutionnés l’Eurovision : France Gall, Sandie Shaw, Jean-Jacques, ABBA, Schmetterlinge, Dschinghis Khan, Bucks Fizz, Jonny Nymoen, Dana International, les Olsen Brothers, Urban Trad, Lordi, Dustin the Turkey, Conchita Wurst et bien sûr, Alain Barrière. Oui, Alain Barrière, pour avoir le premier recouru à un accessoire indispensable, qui allait changer profondément la notion même d’« Eurovision » : le ventilateur.  Et vous qui croyiez qu’il s’agissait de Carola…
Mais les autres ? Tous ces participants dont le grand public a oublié le nom, le visage et la chanson ? Eux qui ont pourtant été les premiers à recourir à une astuce, un truc, un petit quelque chose en plus, anodin en apparence, mais appelé à devenir un topos incontournable de l’Eurovision, au point de s’inscrire dans ses gènes ? Ne serait-il point temps d’ouvrir ensemble un nouveau chapitre de notre livre d’histoire sur l’étagère et de leur rendre hommage ?

Aujourd’hui donc : cinq artistes méconnus ayant révolutionné le Concours.

1. 1957 – Allemagne – Margot Hielscher – Telefon, Telefon – 4e place

Il aura suffi d’un mot et d’un geste à la chanteuse allemande, Margot Hielscher, pour projeter le Concours dans une nouvelle dimension. Après que l’orchestre eut joué l’introduction de sa chanson et que le moment fut venu pour elle de chanter, Hielscher saisit le cornet d’un téléphone, posé à sa droite, et y susurra « Hallo ? How do you do ? Hallo ? Merci beaucoup ! » D’une pierre, deux coups : elle devint la toute première artiste de l’histoire de l’Eurovision à recourir à un accessoire et la toute première à intégrer des passages en langue étrangère dans ses paroles. L’accessoire et le multilinguisme allaient être appelés à la plus belle des postérités. Hielscher, quant à elle, revint l’année suivante, déguisée en Miss Jukebox, mais ne termina qu’à la septième place.

2. 1957 – Danemark – Birthe Wilke & Gustav Winckler – Skibet skal sejle i nat (Le bateau va prendre la mer ce soir) – 3e place

De toutes les années, 1957 demeure probablement l’une des plus révolutionnaires, nous en avons déjà touché un mot la semaine dernière. Mais plus encore que Margot Hielscher, ce furent les représentants danois, Birthe Wilke et Gustav Winckler, qui redéfinirent la notion de « prestation à l’Eurovision ». D’emblée, ils devinrent, grâce à une modification du règlement, le tout premier duo à concourir. Mais le bateau va prendre la mer ce soir… Pour mieux illustrer le thème de leur chanson, Wilke et Winckler revêtirent un costume : un bonnet de mousse et un pardessus pour elle ; une casquette de marin et un imperméable pour lui. Et ce fut le tout premier déguisement jamais vu au Concours… Puis, comme si tout ceci n’était que peu, une fois arrivés au terme de leur prestation, Wilke et Winckler s’embrassèrent passionnément, longuement, très longuement : onze secondes, devenant les tous premiers artistes de l’histoire du Concours à joindre leurs lèvres et les détenteurs du plus long baiser jamais échangé sur la scène de l’Eurovision. Ce baiser marqua tant les esprits qu’il reçut un hommage particulier, lors de Congratulations : 50 ans du Concours Eurovision de la chanson.

3. 1959 – Allemagne – Alice & Ellen Kessler – Heute abend woll’n wir tanzen geh’n (Ce soir, nous voulons aller danser) – 8e place

Eh bien, dansez maintenant ! Il aura fallu à peine trois ans pour que jaillisse de la tête d’un concurrent, une idée casquée, simple, évidente, pourtant terriblement complexe à mettre en œuvre en 1959 et qui allait transformer le Concours à jamais et pour toujours : danser durant sa prestation. Les micros de l’époque étant encore fixes, les deux novatrices durent se contenter d’exprimer leur talent de danseuses de façon restreinte, en se déhanchant sur place. L’Eurovision prenait la direction du spectacle total… Quant à ces représentantes allemandes, les sœurs Kessler, fleurons du Lido de Paris, elles allaient faire voir double aux spectateurs. Car un autre topos s’est glissé dans ces trois minutes à Cannes : la gémellité. Alice et Ellen (mais laquelle est laquelle ?) furent en effet le tout premier couple jumeau de l’histoire du Concours.

4. 1966 – Danemark – Ulla Pia – Stop, mens legen er go (Arrête-toi, tant que cela est bon) – 14e place

Curieuse petite chanson et assez prophétique que ce Stop. Car sa quatorzième place entraîna le retrait immédiat du Danemark. Les responsables de la télévision danoise, désappointés et furieux, estimèrent que leur argent pourrait être mieux investi que dans le Concours. Le pays tira sa révérence et ne revint que douze ans plus tard, en 1978. Mais où est la révolution ? À vos mirettes : elle arrive par surprise, à la très exacte moitié de la prestation d’Ulla Pia. La caméra l’abandonne soudain pour se concentrer sur un deus ex machina : un couple de danseurs surgissant de l’escalier et venant occuper la scène durant le pont musical. L’histoire a retenu leurs noms : Steen Hasle et Ulla Pedersen, les tout premiers « backing dancers » (mais comment diable traduire cela en français ?). Un petit pas de danse pour l’homme, un grand bond pour l’Eurovision et un pas de côté pour le Danemark…

5. 1966 – Pays-Bas – Milly Scott – Fernando & Philippo – 15e place

Rarement chanson de l’Eurovision connut d’ouverture plus mémorable que « Tong-ki tong ti-ki kong-kong-kong », avant que d’embrayer sur un triangle amoureux entre deux mariachis et une demoiselle résidant à San Antonio. Mais oublions un instant la chanson, qui importe moins à notre propos, pour nous concentrer sur la révolution. Une révolution en deux volets, qui débute par la toute première utilisation au Concours d’un micro portable. Regardez Milly descendre l’escalier, puis le remonter, en se débattant avec l’interminable fil de transmission. Elle est la première artiste de l’Eurovision a ainsi se déplacer sur la scène, tout en chantant. S’ensuivront dix-sept années de drame cornélien (danser ou chanter ?), avant que les micros sans fil soient introduits, en 1983. Ensuite, Milly Scott prit son droit d’entrée au Panthéon des Immortels du Concours, car elle fut bien la toute première artiste noire de l’Eurovision. Un immense symbole d’ouverture à elle seule et la preuve que le Concours fut toujours en avance sur son temps…

Double bonus

« L’Eurovision, c’est p’us d’la chanson, c’est d’la foire ! On voit p’us que des hommes habillés en femmes et des femmes habillées en hommes ! Moi, je vous l’dis : c’est une honte ! » Et voilà Madame Michu qui décide d’apparaître dans notre bonus… C’est qu’il s’agit d’un double bonus, destiné à illustrer deux autres révolutions mineures. Celles-ci doivent nous aider à relativiser l’importance des costumes au Concours (un Concours de chanson, faut-il le rappeler ?) et nous démontrer avec humour que la confusion vestimentaire des genres est un motif récurrent de l’Eurovision. Car cela fait belle lurette qu’on y voit des femmes porter des pantalons et des hommes porter des jupes. 1966, autre année révolutionnaire d’importance, vit ainsi la première concurrente en tailleur pantalon, un geste terriblement audacieux et avant-gardiste pour l’époque : la norvégienne Åse Kleveland. Quant au représentant britannique, d’origine écossaise, Kenneth McKellar, en décidant de porter un kilt, il devint le tout premier concurrent en jupette. Sur ce, retournez vous coucher, Madame Michu…