Måns Zelmerlöw, Frans, Robin Bengtsson, Benjamin Ingrosso, John Lundvik. Ces cinq artistes partagent quelque chose en commun. Bien sûr, tous ont remporté le Melodifestivalen. Bien évidemment, tous ont porté les couleurs de la Suède au concours de l’Eurovision. Ils y ont même systématiquement terminé dans le top 10 (et même dans le top 5 pour quatre d’entre eux). Mieux encore : Måns a remporté l’édition 2015. Mais ce n’est pas là que je veux en venir. Ces cinq artistes partagent également ce « quelque chose » avec leurs dauphins respectifs. Si je dis Jon Henrik Fjällgren, Oscar Zia, Nano, Felix Sandman et Bishara, est-ce que cela vous met davantage sur la piste ?

Car ces dix artistes ont une « particularité » : tous sont des hommes, pour la plupart jeunes (moins de trente ans) – et plutôt apprêtés de leur physique qui plus est. Ce qui n’enlève en rien de leur talent, attention.

En effet, jusqu’à la victoire de The Mamas en 2020, la dernière chanteuse à avoir représenté la Suède au concours était Sanna Nielsen en 2014 : le pays a donc choisi de confier sa destinée eurovisionesque à cinq hommes sur la période 2015-2019. Et sur la décennie 2010, seules trois suédoises ont foulé la scène de l’Eurovision, contre sept hommes, tou.te.s en solo. À titre d’exemple, l’Allemagne, la Russie, l’Espagne ou les Pays-Bas ont envoyé une majorité de représentantes au concours, quand la France, le Danemark, la Grèce (bien que représentés par une majorité d’hommes du fait de la présence de groupes) ou l’Estonie ont été représentés par des femmes une année sur deux.

Cette sous-représentation des candidates parmi les suédois.es envoyé.e.s au concours a été soulignée par de nombreux observateurs et suscite un véritable débat en Suède, d’autant plus s’agissant d’un pays se revendiquant précurseur sur les valeurs d’égalité entre les femmes et les hommes dans bien des domaines. Si l’on s’en tient à celui de la représentation, à titre d’exemple, le Riksdag est la septième chambre des député.e.s la plus féminisée au monde et la première en Europe avec 47% de députées dans ses rangs (source). Autre exemple : la Suède fut le premier pays au monde à avoir instauré un suffrage ouvert aux femmes (bien que de manière restrictive) à la fin du XVIIIème siècle.

Mais si l’on mène plus précisément l’enquête, qu’en est-il est réellement de la place des femmes au Melodifestivalen ?

➡️ Un chiffre : en 59 concours auxquels la Suède a pris part, elle a été représentée par 102 artistes (solos, duos et groupes confondus), soit 63 hommes et 39 femmes.

Une majorité d’interprètes masculins

Premier constat : contrairement à ce nous aurions pu nous imaginer, la parité et le Melodifestivalen font deux. Ainsi, sur la période 2010-2020, 526 artistes ont foulé sa scène (artistes solos, duos et groupes inclus), et parmi eux, 313 hommes (59,51%) et 213 femmes (40,49%).

Tableau 1 : nombre et % de femmes candidates au Melodifestivalen par édition

 20202019201820172016201520142013201220112010TOTAL
F1919141615162121252324213
%52,78%46,34%38,89%37,21%36,59%42,11%32,81%44,68%37,31%46,94%37,50%40,49%
H1722222726224326422640313
%47,22%53,66%61,11%62,79%63,41%57,89%67,19%55,32%62,69%53,06%62,50%59,51%
TOTAL3641364341386447674964526

Avec seulement 32,81% de femmes, l’édition 2014 est la moins féminisée de la décennie, quand l’édition 2020 est la seule à atteindre la parité avec 19 femmes (52,78%) et 17 hommes (47,22%). Cela s’est d’ailleurs reflété dans les résultats de la finale, puisque les quatre premières places ont toutes été occupées par des femmes pour la première fois de l’histoire : The Mamas, Dotter, Anna Bergendahl et Hanna Ferm.

Le Melodifestivalen sur la voie de la parité ? Nous sommes en 2021, et la sélection compte … 60,87% d’hommes pour 39,13% de femmes.

FOCUS : les autrices-compositrices au Melodifestivalen

Si les femmes interprètes à la sélection nationale suédoise sont nettement nombreuses que les hommes, le bât blesse encore plus lorsqu’il s’agit d’évoquer les autrices et compositrices, où les femmes sont extrêmement minoritaires. Suite à l’édition 2013, où seule une chanteuse et deux autrices se sont retrouvées qualifiées en finale, la production a mis en place un quota de 20% de titres comptant au moins une femme parmi ses auteurs dès 2014. Il a été relevé à 50% dès l’année suivante. Pour autant, les auteurs hommes restent majoritaires puisqu’en 2020, ils représentaient près de 80% des contributeurs : parmi 79 auteurs-compositeurs, 58 étaient des hommes et seulement 21 des femmes.

La production a toutefois décidé de passer un cap, et c’est ainsi qu’à l’horizon de l’édition 2022, tous les titres participants devront avoir été écrits et/ou composés tout ou partie par des femmes. En outre, elle soutient depuis plusieurs années l’initiative Mello-Kollo, un camp d’écriture dédié aux femmes. Cela va t-il réellement accroître la place des femmes ou restera t-il l’arbre qui cache la forêt ?

Toutefois, ces chiffres dissimulent la présence de nombreux groupes parmi l’ensemble des candidat.e.s. Or, ces groupes sont pour la plupart composés d’une écrasante majorité, si ce n’est d’une totalité, d’hommes. Ce qui, de fait, augmente mécaniquement leur présence numérique parmi les candidat.e.s. Qu’en est-il si on s’intéresse aux titres ?

Tableau 2 : nombre et % de chansons candidates au Melodifestivalen interprétées tout ou partie par des femmes par édition

20202019201820172016201520142013201220112010TOTAL
F1614141513131817161617169
%57,14%50,00%50,00%53,57%48,15%46,43%56,25%53,13%50,00%50,00%53,13%51,68%
H1214141314151415161615158
%42,86%50,00%50,00%46,43%51,85%53,57%43,75%46,88%50,00%50,00%46,88%48,32%
TOTAL2828282827283232323232327

Comme on peut le voir dans le tableau, une courte majorité de titres présentés au Melodifestivalen sur la période 2010-2020 compte au moins une femme parmi ses interprètes, en symétrie avec l’objectif que s’est fixé la production dès 2015 en termes de représentation des autrices et compositrices. Cependant, le nombre de titres interprétés tout ou partie par des femmes ne semble pas spécialement impacter leur nombre parmi l’ensemble des candidat.e.s en compétition. Autrement dit, un nombre supérieur de titres interprétés par des femmes n’engendre pas mécaniquement un nombre supérieur de femmes dans la sélection (exemple : 2014). Et bien que plus d’une moitié de titres compte au moins une femmes parmi ses interprètes, il n’en reste pas moins que ces derniers restent très majoritairement des hommes.

Malgré des podiums très masculins sur la période 2015-2019 (seules trois femmes ont réussi à décrocher une médaille, dont deux en duo avec un artiste masculin) et un déséquilibre genré tant chez les interprètes que chez les auteurs-compositeurs, les femmes et les hommes ont-ils autant de chances d’atteindre la finale du Melodifestivalen, voire d’y réussir?

Un plafond de verre pour les femmes

Le top 4 exclusivement féminin de l’édition 2020 pourrait nous suggérer que le nombre de femmes candidates et la proportion de titres interprétés par au moins une femme a un impact sur le nombre de femmes finalistes, voire sur leur réussite. Qu’en disent les chiffres ?

Tableau 3 : nombre et % de femmes finalistes au Melodifestivalen par édition

 20202019201820172016201520142013201220112010TOTAL
Femmes7645546143752
%46,67%40,00%23,53%33,33%29,41%26,67%37,50%5,88%17,39%21,43%53,85%29,38%
Hommes8913101211101619116125
%53,33%60,00%76,47%66,67%70,59%73,33%62,50%94,12%82,61%78,57%46,15%70,62%
TOTAL1515171517151617231413177

Exception faite de deux éditions, le pourcentage d’hommes en finale est systématiquement plus élevé que leur présence parmi les candidat.e.s de l’édition. Cette accentuation est souvent nette :

  • 2011 : les artistes masculins représentent 53,06% des candidat.e.s et 78,57% des finalistes (+ 25,51 points)
  • 2012 : 62,69% des candidat.e.s et 82,61% des finalistes (+ 19,92 points)
  • 2013 : 55,32% des candidat.e.s et 94,12% des finalistes (+38,80 points)

L’édition 2013 fait d’ailleurs toujours figure de triste record, puisque comme nous l’avions souligné précédemment, elle n’a compté qu’une seule femme parmi ses finalistes : Louise Hoffsten.

Mais comment expliquer les exceptions 2010 et 2014, où les femmes ont réussi à accroître leur présence en finale par rapport aux séries ? La première édition de la décennie est d’ailleurs la seule à compter une majorité de femmes (53,85%, alors que les hommes représentaient 62,50% de l’ensemble des candidat.e.s). L’une des possibles explications résiderait notamment dans la forte présence de groupes masculins lors de ces éditions, groupes pour la plupart sortis dès les demi-finales.

Tableau 4 : nombre et % de chansons finalistes au Melodifestivalen interprétées tout ou partie par des femmes par édition

 20202019201820172016201520142013201220112010TOTAL
F5645545143446
%41,67%50,00%33,33%41,67%41,67%33,33%50,00%10,00%40,00%30,00%40,00%37,70%
H7687785967676
%58,33%50,00%66,67%58,33%58,33%66,67%50,00%90,00%60,00%70,00%60,00%62,30%
TOTAL1212121212121010101010122

Si l’on met en perspective ces chiffres avec le pourcentage de chansons finalistes incluant au moins une interprète féminine, la tendance se confirme. Là où quasiment une chanson sur deux compte une femme (ou plus) parmi ses interprètes (51,68%), le rapport s’inverse dès le passage du cap de la finale, où les titres participants sont très majoritairement interprétés par des hommes (62,30%), y compris lors des éditions les plus « féminisées » :

  • 2010 : 53,13% de titres interprétés tout ou partie par des femmes en série, mais seulement 40% parmi les finalistes (-13,13 points)
  • 2013 : 53,13% en série, 10% parmi les finalistes (-43,13 points)
  • 2017 : 53,57% en séries, 41,67% parmi les finalistes (-11,9 points)
  • 2020 : 57,14% de titres interprétés tout ou partie par des femmes en séries, mais seulement 41,67% parmi les finalistes (-15,47 points)

Les éditions 2014 et 2019 font figure d’exceptions avec une parité de titres interprétés tout ou partie par des femmes en finale … ce qui n’a pas empêché le top 5 de l’édition 2019 d’être quasi 100% masculin, avec la seule présence d’Hanna Ferm en duo avec LIAMOO à la troisième place.

Cela signifie donc que la majorité des titres interprétés par des femmes sont sortis en demi-finale ou en Andra Chansen, et que les votant.e.s privilégient donc les artistes masculins. Un fait : entre 2010 et 2020, aucune demi-finale n’a envoyé simultanément deux artistes féminines en solo direkt till final. Les chiffres nous l’affirment : les artistes masculins réussissent mieux au Melodifestivalen que leurs homologues féminines.

Pourquoi ?

Ce phénomène de surreprésentation des hommes parmi les vainqueurs n’est pas propre au Melodifestivalen. L’émission Idol en est un parfait reflet :

  • 🇸🇪 Suède : en seize saisons, onze hommes et cinq femmes ont remporté Idol
  • 🇺🇸 Etats-Unis : en dix-huit saisons, douze hommes et six femmes ont remporté American Idol
  • 🇫🇷 France : en treize saisons, cinq femmes et huit hommes ont remporté Nouvelle Star
  • 🇩🇪 Allemagne : en dix-sept saisons, trois femmes et quatorze hommes ont remporté Deutschland sucht den Superstar
  • 🇳🇴 Norvège : en onze saisons, trois femmes et huit hommes ont remporté Idol – Jakten på en superstjerne

Les exemples similaires sont nombreux :

  • 🇫🇷 Danse avec les Stars : deux femmes et huit hommes vainqueurs compte deux femmes et huit hommes parmi ses vainqueurs
  • 🇸🇪 Let’s Dance quatre femmes et onze hommes (à noter cependant que d’autres versions nationales de Danse avec les Stars – américaine, britannique, italienne… – sont nettement plus favorables aux femmes)
  • 🇬🇧 X-Factor UK dix artistes et groupes entièrement masculins sur quinze vainqueurs
  • 🇫🇷 The Voice : la plus belle voix n’a compté sa première lauréate qu’au bout de la septième saison (alors que là aussi, certaines versions nationalessont plus favorables aux candidates)

Libération avait d’ailleurs dessiné le portrait type du gagnant de télé-crochet en France et il est fort similaire à celui du Melfest. Quelle est donc l’origine de ce plafond de verre auquel sont confrontées les candidates ?

La journaliste suédoise Maria Brander, chroniqueuse du Melodifestivalen pour Expressen Nöje, s’est récemment posée la question devant l’élimination de toutes les candidates lors de la première demi-finale de l’édition 2021. Dans sa chronique, elle explique qu’il ne s’agit nullement d’une coïncidence, puisque la compétition est structurée par une domination des hommes depuis plusieurs années. Elle évacue l’idée selon laquelle les artistes féminines de cette série auraient hérité de moins bonnes chansons et pose une hypothèse : en période de crise, le public se tournerait vers des autorités établies et incarnées par des hommes, et dresse un parallèle avec d’autres domaines (dont la politique).

Maria Brander –
Crédits photographiques : expressen.se

Pour d’autres, la raison de cette sous-représentation des femmes tiendrait à la composition du corps de votant.e.s. Si le Melodifestivalen réunit une part d’audience moyenne oscillant entre 70% et 80% – et touche donc potentiellement toutes les strates de la société suédoise, les télé-crochets et émissions de divertissement connaissent un succès plus marqué auprès de certaines catégories de population. En France, les chiffres Médiamétrie montrent que ces programmes suscitent un intérêt plus important auprès des femmes responsables des achats de moins de cinquante ans (la fameuse « ménagère ») et des jeunes. Ces groupes sont les plus enclins à décrocher leur téléphone ou à envoyer un SMS pour soutenir leurs favoris. D’où une théorie fréquemment évoquée : le public (féminin) soutiendrait-il davantage les candidats masculins et jeunes ? S’agissant de la France, elle est partagée par d’anciennes candidates de The Voice qui se sont confiées à Télé 2 semaines/programme.tv en 2014 : éliminée face à Amir, Manon affirme « Quand Kendji reprend Allumez le feu ou quand Amir interprète Comme un fils, ils ont de la voix. Après, en plus, ils sont beaux gosses, donc face à des adversaires de taille, on ne peut pas faire le poids. Le public de The Voice, ce sont beaucoup de femmes qui votent » , quand Stacey King dit « Ce sont les petites minettes de quatorze ans qui votent. Elles ont viré les femmes une à une samedi. Quand j’ai vu Élodie sortir, je me suis dit: Je sors. Elles sont capables de voter soixante fois pour leur préféré et n’ont envoyé que des garçons en finale. Ce sont elles qui achètent les CD, elles qui paient les places, elles qui votent. C’est le jeu. On ne peut pas lutter contre cette machine-là. C’est triste, mais c’est comme ça. Le temps nous dira si les ventes justifient les votes. Jusqu’à présent, c’est tout le contraire qui a été prouvé. ». Le JDD abonde dans ce sens : « Suivi en majorité par des femmes, plutôt jeunes et continuellement appelées à voter via SMS surtaxés, le télé-crochet The Voice n’avait donc que quatre jolis garçons en lice pour sa finale, hier soir en direct sur TF1. » Les propos cités évoquent ici un programme français, mais bien que la sélection suédoise fait l’objet d’un vote combiné télévote-jurys en finale, ils pourraient tout aussi bien s’appliquer à la sélection suédoise.

Certaines participantes au Melodifestivalen se sont d’ailleurs exprimées sur le sujet dans un article paru sur le site hant.se. En 2018, sur les trois premières demi-finales, seule une femme parmi dix candidates s’est frayée un chemin direkt till final et seules deux ont obtenu un billet pour l’Andra Chansen. Le site a interrogé Jessica Andersson, Dotter et Barbi Escobar sur le sujet. De manière unanime – et sans placer le genre de la ou du votant.e au coeur du débat – elles invitent le public à adopter une posture réflexive sur leurs votes et à ne pas avoir d’attentes supérieures pour les femmes, comparé aux hommes. Une suédoise me disait d’ailleurs un jour que par le biais du télévote « Jamais une Sarah Dawn Finer ne gagnerait le Melodifestivalen. » S’il est très difficile, voire impossible, de saisir les motivations exactes des votant.e.s à choisir un.e candidat.e A plutôt qu’un.e candidat.e B de manière empirique, et si tant le Melodifestivalen que les télé-crochets ne sont guère avares en voix et en talents indépendamment de leur genre, il n’en reste pas moins que le télévote reste favorable aux artistes masculins.

Dans un papier à l’Aftonbladet de mars 2018, Julie Bergenholtz constate également la sous-représentation des femmes au Melodifestivalen et met notamment en perspective l’absence de gagnante depuis 2015 à la mise en place du vote par application dès 2016. Gratuit, bien que limité en nombre, il a toutefois entraîné une explosion du nombre de votes et notamment un rétrécissement des écarts de voix entre les candidat.e.s. Si elle souligne qu’en parallèle de la mise en place de l’appli, la place des femmes à la sélection suédoise a été fragilisée, ce n’est pas la seule cause. Selon elle, le système de vote est le résultat de la manière dont le public suédois perçoit la contribution des femmes à la scène musicale nationale et dont les propositions des artistes féminines sont (sous-) valorisées par rapport à celles des hommes. Elle invite la production du Melodifestivalen à se saisir de cette problématique et à envisager la manière dont la sélection et la scène musicale suédoise pourraient devenir plus égalitaires.

Dans un article bilan de l’édition 2019, le site escpanelen.se s’interroge sur la sous-représentation des femmes et leur manque de réussite au Melodifestivalen. Si l’auteur de l’article avoue quelques difficultés à poser des réponses concrètes sur ce fait, l’une de ses hypothèses repose sur l’âge des participant.e.s et leur notoriété au moment de leur participation. « Cause we’re still young, we are invincible … » Le fait est que sauf exceptions (et 2021 risque bien d’en constituer une avec la qualification direkt till final de Charlotte Perrelli et d’Arvingarna), la sélection nationale suédoise favorise largement les jeunes et tend à laisser sur le carreau de la demi-finale les « vétérans » (ainsi les appelle l’auteur). De même, nous l’avons vu la semaine dernière, avoir un nom et une première participation au Mello sur le CV peut être un atout. Et à ce jeu-là, l’impact est une nouvelle fois plus fort sur les femmes.

➡️ Quelles solutions ?

Si l’on fait une rapide comparaison des classements du télévote et des jurys internationaux au Mello ? Exception faite de Wiktoria, en général bien plus soutenue par le public que par les jurys, le télévote tend à offrir de meilleurs classements aux artistes masculins qu’aux femmes. Ainsi, Mariette, Ace Wilder, Margaret ou encore Lisa Ajax obtiennent-elles de bien meilleurs résultats chez les jurys que chez le public. Sachant que les séries et l’Andra Chansen sont soumises à un 100% télévote et qu’elles représentent un filtre de sélection particulièrement fort pour les candidatures féminines, le jury tendrait donc à exercer un rôle relatif de pondération en faveur des femmes face à un télévote décidément enclin à soutenir les hommes (au point qu’en 2018, la première femme n’est arrivée que huitième des votes du public, une première en seize ans).

Afin de prévenir le phénomène de surreprésentation des jeunes parmi les votant.e.s, la production du Melodifestivalen a décidé de réformer son système de vote en 2019 et de convertir désormais le télévote en points par catégories d’âge. Deux éditions après, il est constaté qu’à de rares exceptions près (un billet direkt till final en 2019 et un duel de l’Andra Chansen en 2020), le nouveau système de vote ne modifie qu’à la marge les résultats en nombre de voix, le top 5 des deux finales restant rigoureusement le même..

Notons cependant que cette inclination des votant.e.s pour les artistes masculins n’empêchent pas quelques exceptions qui confirment la règle. Ainsi, quand les jurys professionnels ont plébiscité Martin Stenmarck (2005), Mans Zelmerlöw (2009) et Salem Al Fakir (2010), le télévote préférait honorer Nanne Grönvall, Malena Ernmann et Anna Bergendahl. Et là où le vote par catégories d’âge a favorisé Paul Rey dans son duel de l’Andra Chansen 2020 face à Malou Prytz, le nombre de votes aurait fait pencher la balance en faveur de cette dernière.

Tout en mettant en lumière un réel désavantage pour les femmes à l’épreuve du Melodifestivalen, qui de l’impact de la qualité des chansons présentées sur les résultats ? Chose ô combien subjective, et une nouvelle fois non quantifiable. Plus qu’ailleurs, les sélections nationales sont censées accordées une importance particulière à la chanson, dans la mesure où il s’agit d’en envoyer une compétitive dans le cadre d’un concours international . On pourrait alors repartir de l’hypothèse réfutée par Maria Brander : celle selon laquelle les femmes pourraient bénéficier de moins bonnes chansons que celles des hommes, théorie qui présente quelques limites tellement un titre est difficilement dissociable de l’interprète qui le porte. Si Euphoria avait été proposé à Danny Saucedo (!), il est aujourd’hui inséparable de Loreen, tout comme Rise Like A Phoenix est Conchita. Et si c’est dans le costume de favori ou a minima de grand outsider que Frans, Robin Bengtsson, Benjamin Ingrosso et John Lundvik ont remporté le Melodifestivalen, peut-on affirmer que la supériorité de leurs titres était une évidence au vu de la concurrence, sachant de plus que les écarts de votes sont de plus en plus réduits ? À moins que ce furent des victoires « par défaut » dans un contexte où une baisse globale de la qualité de la sélection suédoise et un manque de renouvellement sont de plus en plus pointés du doigt ? Parce qu’à ce jeu, à titres de qualité équivalente, ce sont les artistes masculins qui sont favorisés par le télévote.

Les femmes marquent l’histoire du Melodifestivalen… et ce n’est pas fini !

Pour autant les femmes marquent l’histoire du Melodifestivalen, et plus largement de la Suède au concours de l’Eurovision. Ainsi, le premier artiste à avoir porté les couleurs du pays au concours est une artiste, en la personne d’Alice Babs avec le titre Lila Stjärna en 1958.

Sur six victoires à l’Eurovision, trois ont été remportées par des femmes en solo (Carola, Charlotte Perrelli et Loreen) et une par un célèbre groupe (ABBA) dont les deux interprètes principales étaient des femmes.

Loreen est d’ailleurs l’artiste féminine à avoir remporté le plus de points (268) et le plus fort pourcentage de votes en finale (32,7%).

Les artistes féminines à avoir obtenu le plus de votes en finale (depuis l’instauration du vote par appli) sont The Mamas, avec 1,61 millions de votes.

Le record de participations au Melfest est détenu par une femme : Ann-Louise Hanson, avec quatorze participations – la dernière en 2019 – et une quatrième place pour meilleur classement.

Mais d’autres ont également foulé la scène du Melodifestivalen à de nombreuses reprises. Parmi elles, plusieurs ont marqué l’histoire de la sélection nationale suédoise :

  • Kiki Danielsson (onze participations)
  • Nanne Grönvall (huit participations)
  • Sanna Nielsen, Jessica Andersson (sept participations)
  • Lotta Engberg, Elisabeth Andreassen, Shirley Clamp, Linda Bengtzing, Lina Hedlund, Tess Merkel (six participations)
  • Charlotte Perrelli, Sylvia Vrethammar, Gladys del Pilar, Pernilla Wahlgren (cinq participations)
  • Siw Malmkvist, Marie Bergman, Lena Philipsson, Mariette, Sonja Aldén (quatre fois)
  • Monica Zetterlund, Towa Carson, Loreen, Jenny Silver, Afro-dite, Caroline af Ugglas, Anna Book, Dotter, Anna Bergendahl, Wiktoria, Dolly Style, Ace Wilder, Ellen Benediktson, Sahlene (trois fois)
  • Timotej, Eva Dahlgren, Sarah Dawn Finer, Cecilia Vennersten, Jessica Folcker, Amy Diamond, Molly Sandén, Sibel, Lili & Susie, Marie Serneholt, The Mamas, Molly Hammar (deux fois)

Les détentrices du record de victoires au Melodifestivalen (3) sont également des femmes : Carola (seule artiste à avoir remporté le Mello trois fois en solo en 1983, 1991 et 2006) et Marie Bergman (en 1971 et 1972 avec Family Four et en 1994 aux côtés de Roger Pontare).

En 2020 a été créé le Melodifestivalen Hall of Fame, destiné à célébrer les artistes, auteurs et compositeurs qui ont marqué l’histoire de la sélection. Parmi eux, de nombreuses femmes, comme Lill Lindfors, première femme à atteindre le podium de l’Eurovision en 1966 …

… Ingela Forsman, autrice de quarante chansons pour le Melodifestivalen depuis 1981, dont trois gagnantes : Bra vibrationer (1985), Se på mig (1995) et Kärleken är (1998) …

… ou Monica Zetterlund, arrivée dernière à l’Eurovision 1963, mais avant tout une immense dame de la chanson suédoise.

Puisque nous parlions d’une autrice, seules deux ont remporté l’Eurovision pour la Suède à ce jour : Britt Lindeborg (autrice des paroles de Diggi-Loo Diggi-Ley) et Linnea Deb (co-autrice des paroles de Heroes et de nombreux titres du Melodifestivalen chaque année, pour deux victoires à ce jour).

Avant de participer à deux reprises au Melodifestivalen, Molly Sandén a représenté la Suède à l’Eurovision Junior en 2006 et y atteint la troisième place, le meilleur classement du pays à ce jour.

Vainqueure du Melodifestivalen 2009, Malena Ernmann est l’autrice de l’une des plus grandes remontadas de l’histoire de la sélection. Seulement huitième avec cinquante-huit points de retard sur le premier à l’issue des votes des jurys, elle remporte le télévote avec 3 705 voix d’avance, en empoche les 144 points et parvient à repartir avec le trophée pour onze points devant Caroline af Ugglas.

En parlant de votes serrés, deux des dénouements à suspense les plus emblématiques de l’histoire du Mello ont opposé des femmes.

  • 2014 : pour sa septième candidature, Sanna Nielsen se voit concurrencée par la débutante Ace Wilder. C’est d’ailleurs cette dernière qui remporte le vote des jurys avec sept points d’avance. Le public décide cependant d’inverser les positions, et offre une courte avance de neuf points à la première. Résultat des courses : Sanna Nielsen s’impose pour deux petits points.
  • 2020 : les votes des jurys se révèlent très serrés, et à leur issue, The Mamas et Dotter pointent en tête ex-aequo. Le télévote est donc déterminant, et à ce jeu-là, le public offre un petit point d’avance au groupe qui remporte donc le Melodifestivalen devant la grande favorite des eurofans pour … un point.

Certaines artistes ont représenté d’autres pays à l’Eurovision avant de prendre part au Melodifestivalen. C’est le cas d’Anna Sahlene (Estonie 2003), Maria Haukaas Storeng (Norvège 2008), de Baccara (!) (Luxembourg 1978), de Krista Siegfrids (Finlande 2013) mais aussi d’Helena Paparizou, vainqueure de l’Eurovision 2005 pour la Grèce.

Comment conclure cet article sans évoquer les femmes qui se sont succédées à la présentation du Melodifestivalen ? Parmi elles, une a même marqué l’histoire de l’Eurovision en présentant le concours à deux reprises – et ce avec brio : Petra Mede !

Une autre a également marqué l’histoire du Melodifestivalen pour ses multiples casquettes. Elle a été candidate, présentatrice, mais s’est aussi révélée sous sa double identité : Sarah Dawn Finer.

Et last but not least, c’est Karin Gunnarsson qui est devenue productrice exécutive du Melodifestivalen suite au départ de Christer Björkman (et cheffe de la délégation suédoise au concours de l’Eurovision).

Karin från Vetlanda blir ny juryordförande | SVT Nyheter

L’édition 2021 du Melodifestivalen compte à cette heure-ci parmi ses finalistes deux titres interprétés par des femmes et quatre titres chantés exclusivement par des hommes. L’Andra Chansen est quant à elle pour le moment paritaire à ce niveau. Qu’en sera t-il lors des prochaines étapes ? Et surtout, la Suède sera t-elle une nouvelle fois représentée par une ou des femme(s) ou se tournera t-elle à nouveau vers un homme jeune ?

Crédits photographiques – image de couverture : SVT