idees-noelNoël ! La magie est dans l’air ! Les flocons de neige, les cadeaux sous le sapin, les guirlandes illuminées, les veillées en famille, les repas de circonstance durant lesquels les convives dévorent tous les amis de Bambi, à commencer par sa pauvre mère… L’enfance pare cette période enchantée de couleurs dorées, de souvenirs impérissables, qui en prolongent la magie jusqu’au terme de la vie. Pourtant, pour deux catégories de personnes sur cette Terre, Noël évoque plutôt un festival de rock alternatif, entré en collision avec un concours de pop symphonique et produit à la manière d’une émission chinoise de Nouvel An : le Festivali i Këngës, sélection nationale albanaise pour l’Eurovision, suivie par huit millions d’albanophones et nettement moins de fans du Concours, car il est vrai que ce streaming soviétique, ces publicités pour des petits commerces de Tirana, ces solos de guitare électrique, ces vocalises de castrats en cours d’électrocution et surtout, ce jury extraterrestre ayant cessé d’écouter la radio en 1989…

Le Festivali i Këngës est généralement la première étape d’un trajet européen au long cours que nous avons déjà évoqué : la Saison, durant laquelle sont choisies et révélées toutes les chansons participantes à la nouvelle édition de l’Eurovision. La Saison concentre l’énergie, l’attention, la vie entière des fans, et les mobilise parfois plus que les deux semaines du Concours. C’est là une dimension, une perspective qui échappe totalement aux néophytes, aux critiques et aux lambdas, pour qui l’Eurovision se résume à trois heures et demie, un samedi soir. Notez que cela échappe tout autant à certains télédiffuseurs, notamment francophones, qui ne médiatisent aucun prémices, relèguent les demi-finales sur des chaînes inconnues (voire les retransmettent en différé ou pire encore, les escamotent) et voient la finale comme une occasion bon marché d’engranger de l’audience,… Arrêtons-nous là, nous risquerions d’être mauvaises langues…

Or, il est impossible de saisir la magie profonde de l’Eurovision, sans saisir celle tout aussi intense de la Saison et de certaines sélections nationales. Nous en revenons à notre axiome : comprendre cette magie, c’est comprendre les fans, c’est comprendre les rouages profonds du Concours, c’est le comprendre. Dans ce nouvel épisode de notre chronique, nous nous pencherons donc sur ces sélections, nous en examinerons les ressorts et les principes, puis nous en tirerons les conclusions nécessaires. Cela impliquera une certaine… sélection ! Des classiques usés nous ont lassés et désespérés et partant, ont perdu leur droit à figurer ici. Ainsi du Festival da Canção, la sélection portugaise, incapable de produire un vainqueur en cinquante ans d’existence ; du K-dam, la sélection israélienne, qui changeant de formule à chaque édition, finit par se mordre la queue ; ou du Skopje Fest, la sélection macédonienne, restée bloquée à ses débuts, en 1996.

Saluons d’autres sélections, qui prometteuses, auraient pu rejoindre notre liste, mais manquent encore un peu de lustre. Ainsi du O Melodie Pentru Europa, la sélection moldave, qui vient de s’ouvrir aux auteurs et artistes internationaux, pour son plus grand bien ; du Supernova, la sélection lettone, entièrement nouvelle, très alléchante sur papier, qui doit se concrétiser à l’écran ; ou de l’Eurosong, sélection belge version flamande, dont la dernière mouture manquait encore de substance musicale. D’autres encore échappent à toute description possible et mériteraient un classement dada à elles seules. Ainsi, de l’Eurofest, sélection biélorusse, vaste farce orchestrée on ne sait trop dans quel but, puisque ses résultats sont souvent réarrangés par le pouvoir en place et les chansons élues, remplacées a posteriori ; de l’Eurovizijos, sélection lituanienne, où chansons et interprètes concourent séparément, pour le plus grand malheur de tous, sans cesse rallongée pour renflouer les caisses de la LRT ; ou de l’autre Eurosong, la sélection irlandaise, où l’acoustique désastreuse n’est rétablie que lorsque les juges décident de se crêper le chignon avec le public. Mais trêve de plaisanteries eurovisionesques…

Aujourd’hui donc : six finales nationales qui se doivent d’être regardées.

  1. Söngvakeppni Sjónvarpsins

À quelques rares exceptions près, l’imprononçable Söngvakeppni Sjónvarpsins (Concours Télévisé de la Chanson, abrégé en 2012, en Söngvakeppni) a servi de sélection nationale à l’Islande, depuis ses débuts au Concours, en 1986. Chaque année, le Söngvakeppni demeure un immense succès populaire et permet à la télévision publique islandaise d’afficher des taux d’audience effarants de 90% et plus. Voilà l’intérêt de cette sélection : elle mobilise littéralement tout un pays, toute une nation. Le règlement est d’ailleurs inflexible : tout doit y être islandais, des auteurs aux interprètes, en passant par les paroles des chansons. Ce qui conduit souvent à des joyeusetés, lorsqu’une chanson, initialement rédigée en anglais, doit être retraduite en islandais, pour avoir l’honneur de concourir… Le Söngvakeppni, ce sont aussi des décors épurés jusqu’à l’austérité, une ambiance familiale et beaucoup, beaucoup de papotes et de palabres, incompréhensibles pour les fans, mais qui ont l’air de ravir les téléspectateurs locaux… Surtout, le Söngvakeppni, ce sont dix à douze chansons imparables, qui font mouche à la première écoute et qui chacune, mériteraient de représenter l’île à l’Eurovision. Choisir sa préférée est un renoncement déchirant, qui pose une question existentielle : pourquoi diable les diffuseurs francophones n’imitent-ils pas la RÚV ? Tout de même : dix chansons dans un décor en bois blanc, ce n’est pas le Pérou ! Quant aux résultats, ils parlent d’eux-mêmes : une série interrompue de qualification en finale depuis 2008…

À retenir : la promotion des talents nationaux

À revoir : les interminables conversations avant, pendant et après les chansons



 

  1. Unser Song für…

Il y a cinq ans de cela, l’Allemagne était une nation perdue pour l’Eurovision. Ce pays fondateur du Concours accumulait les sélections calamiteuses et les résultats désastreux, côtoyant les autres des « Big Four » en bas, tout en bas, du classement. Une seconde victoire allemande semblait alors une chimère aussi illusoire qu’une qualification en finale des Pays-Bas… La télévision publique nationale, ayant atteint les tréfonds du désespoir et de la honte, s’en remit alors entièrement au seul auteur-compositeur-interprète qui lui avait apporté quelques succès durant la décennie précédente : l’inénarrable, l’immarcescible, l’épique Stefan Raab. De fanfaron, il devint homme providentiel, sortant de son chapeau un concept entièrement nouveau, un télécrochet renouvelé : Unser Song für… Et devant les yeux stupéfaits de l’Allemagne, des fans, puis de l’Europe et du monde, le miracle se produisit. Raab découvrit une pépite, Lena Meyer-Landrut, et convainquit de grands talents de fournir des bijoux musicaux pour la finale. Le reste appartient à l’histoire du Concours…  La formule « jeunes talents » rapporta une victoire et deux classements dans le top 10 pour l’Allemagne. L’intérêt pour l’Eurovision atteignit dès lors des sommets en République Fédérale, de quoi laisser rêveurs les pays situés de l’autre côté du Rhin… Unser Song für… procéda à sa révolution copernicienne en 2013, passant à une formule « talents confirmés ». Désormais, ce sont les meilleurs artistes allemands qui concourent pour représenter leur pays à l’Eurovision. La sélection impressionne par la qualité et la diversité des morceaux présentés. Bémol malgré tout : les résultats au Concours proprement dit ont faibli. Car si Unser Song für… nous présente le meilleur de la scène musicale allemande, le système de vote ne convainc toujours pas.

À retenir : la diversité des genres musicaux

À revoir : les trois tours éliminatoires, avec présentation de la seconde chanson au deuxième tour seulement



 

  1. Eesti Laul

S’il y a deux choses dont les Estoniens sont fiers et auxquelles ils sont particulièrement attachés, ce sont bien leur langue et leur culture. Hélas pour eux, leur sélection nationale, l’Eurolaul, ne rendait hommage ni à l’une, ni à l’autre. Après cinq années consécutives de meurtres musicaux, de non qualification et l’accouchement d’une des pires chansons jamais présentées au Concours, une honte nationale pour un pays à la pointe de la modernité et de l’avant-garde, la télévision publique estonienne changea radicalement son approche et en 2009, inventa l’Eesti Laul (La Chanson Estonienne). Désormais, l’objectif serait la mise en valeur et la promotion du meilleur de la scène musicale estonienne : les meilleurs auteurs, les meilleurs compositeurs, les meilleurs interprètes. L’Eesti Laul se hissa sur le champ au rang des sélections les plus innovantes, les plus pointues et les plus suivies de la Saison, accouchant dès sa première édition d’un joyau. Depuis, ce ne furent que régals et délices pour les oreilles, un incroyable festival de découvertes et l’impression ineffable d’écouter une radio diffusant les tubes de demain. L’Estonie donne réellement le « la » en matière d’Eurovision, alors que d’autres pays peinent encore à en saisir le concept… Mieux encore : les producteurs demeurent très critiques envers leur réalisation et sans complaisance aucune, s’efforcent chaque année de l’améliorer. Bien que l’Eesti Laul ne serait rien sans son intraitable jury, qui refuse la facilité et la légèreté, au profit de l’excellence.

À retenir : la sélection musicale novatrice

À revoir : le duel de la superfinale (mais nous avons été entendus : les superfinalistes seront désormais au nombre de trois)



 

  1. A Dal

La Hongrie et l’Eurovision connurent des éclipses dans leurs relations. Le pays débuta en 1994, se retira en 1999, revint en 2005 pour une excellente douzième place, repartit, revint en 2007 pour une brillante neuvième place, avant de sombrer à la dernière place en 2008 et de virer au tragique en 2009, avec une sélection aux allures de naufrage et une prestation à pleurer. Là-dessus, la télévision publique hongroise se retira encore, changea l’équipe en charge du Concours et en 2011, reparut par la grande porte. Les esprits étaient mûrs pour l’introduction d’une sélection nationale, l’Eurovision étant revenue en faveur auprès du public hongrois. Ce fut A Dal (La Chanson) et un succès immédiat, en matière d’audimat, mais aussi de qualité musicale, d’appréciation par les fans et surtout de résultat au Concours : trois qualifications en finale en trois éditions, avec des rangs croissants, vingt-quatrième, dixième et cinquième. À nouveau, comme pour la sélection estonienne, sont réunis le meilleur de la scène musicale hongroise, les meilleurs artistes, les meilleurs auteurs, les meilleurs morceaux en devenir, le tout emballé dans une présentation visuelle digne de l’Eurovision lui-même. A Dal s’est ainsi hissée sur le pavois des sélections les plus louées et les plus suivies par les fans, là où ils entendent le futur de la musique. Mais A Dal, c’est comme à l’Eesti Laul, un jury, un jury omnipotent et impitoyable, qui a priorité sur le public et qui sélectionne de façon assez autoritaire les aspirants, faisant preuve d’intransigeance et de partialité. Un parti pris point si sot, au fond, puisque les résultats suivent…

À retenir : la stature internationale des interprètes

À revoir : le poids censitaire du jury



 

  1. Uuden Musiikin Kilpailu

Jadis était l’Euroviisut, une petite sélection nationale d’un classicisme confinant à l’académisme. Durant cinquante ans, l’Euroviisut servit à déterminer le représentant finlandais à l’Eurovision, avec des résultats à tout du moins contrastés : une victoire, une seule, mais neuf dernières places (dont trois « nul point »). Il apparut aux responsables de la télévision publique finlandaise que le concept avait fait son temps et qu’il était temps de renouveler leur approche. Ils créèrent ainsi le très innovant mais ardu à prononcer Uuden Musiikin Kilpailu (Concours de Musique Nouvelle). Sa première édition, en 2012, tint hélas plus de la catastrophe industrielle que du divertissement musical. Les concepteurs naviguèrent à vue, changeant le règlement quasiment chaque semaine, au grand dam des fans, complètement perdus dans le brouillard, et des téléspectateurs finlandais, qui inondèrent de plaintes les boîtes postales et numériques de l’YLE. L’étonnement fut général lorsque Pernilla Karlsson remporta la finale. Son élimination à la demi-finale du Concours ne fit que renforcer les suspicions et les doutes à propos de l’UMK. Pourtant, son postulat de base demeurait génial : découvrir les talents finlandais de demain. Dès 2013, le concept, revu et corrigé, porta ses fruits : les fans louèrent l’excellence musicale retrouvée et se passionnèrent pour la compétition. Enfin, ils bénéficiaient d’une sélection avec des artistes jeunes, talentueux, nouveaux, prometteurs, portant tous des chansons liées à leur univers propre, chansons fraiches, inédites, susceptibles de conquérir les classements européens. La messe était dite : l’UMK était devenu LA référence, LE modèle à suivre, surpassant même l’Eesti Laul en la matière. Certes, les étapes de sélection laissent encore un peu dubitatif, néanmoins imaginez pareil concept étendu à l’ensemble des télédiffuseurs francophones…

À retenir : la découverte d’artistes très prometteurs

À revoir : les étapes intermédiaires de sélection (mais elles seront renouvelées cette année)



 

  1. Melodi Grand Prix

En cinquante-cinq ans d’existence, le Melodi Grand Prix aura offert à l’Eurovision certains de ses moments les plus anthologiques et… les plus terribles. Nous lui devons ainsi Åse Kleveland, Jahn Teigen en duo avec Anita Skorgan, Hanne Krogh en duo avec Elisabeth Andreassen, Silje Vige, Rolf Løvland en duo avec Fionnuala Sherry, Elisabeth Andreassen en solo, Maria Haukaas Storeng avant qu’elle ne change de nom, Alexander Rybak bien sûr ou encore Margaret Berger en duo avec cette robe blanche. Hélas, nous lui devons aussi Odd Børre, Kirsti Sparboe, Anne-Karine Strøm, la seule artiste de l’histoire du Concours à avoir terminé deux fois à la dernière place, Jahn Teigen en solo pour le plus mythique des « nul point », Sverre Kjelsberg en duo avec Mattis Hætta, les Dollie De Luxe, Tor Endresen ou encore Haldor Lægreid. Rendons à César ce qui est à César : depuis 2006 et la révision du format sur le modèle du Melodifestivalen, le niveau des chansons sélectionnées n’a eu cesse de croître, au point d’atteindre, l’an dernier, la quasi perfection. Pas un seul morceau qui ne soit un tube en puissance. C’est à se demander si le Melodi Grand Prix n’est pas meilleur au fond que l’Eurovision lui-même… Au-delà de cette remarque sacrilège, au-delà des incroyables talents et des moments musicaux inoubliables, c’est la qualité ajoutée du spectacle et de la production qui frappe. Les visuels sont parfaits, l’image léchée, les entractes légendaires. Plus encore : le Melodi Grand Prix demeure une affaire de professionnels. Là travaille le meilleur en matière de télévision norvégienne, des présentateurs aux techniciens. Pas d’à peu près, de discussions superfétatoires, de systèmes de vote alambiqués, de jurys pinailleurs ou d’éliminations absconses : rien que la perfection. Hélas, pourquoi ? Pourquoi la NRK a-t-elle jeté une ombre sur notre bonheur en décidant cette année de supprimer les demi-finales ? Il faudra se consoler avec le retour de l’orchestre…

À retenir : tout

À revoir : la suppression des demi-finales



 

Bonus

Il est impossible de parler de sélection nationale en faisant l’impasse sur la plus célèbre, la plus connue, la plus suivie et la plus critiquée d’entre elles : le Melodifestivalen, la sélection suédoise, véritable barnum musical, télévisé et médiatique. Le côté lumineux du Melodifestivalen réside dans la ferveur et l’engouement qu’il suscite en Suède, la communion générale des Suédois autour de lui. À cela s’ajoute une production grandiose, avec des chorégraphies et des numéros droits sortis d’une comédie musicale de l’Âge d’Or d’Hollywood. Et puis, il y a ce suspense, cet incroyable suspense, savamment orchestré, où, jusqu’au dernier moment, le nom du gagnant nous échappe, où l’on reste le souffle court sur son canapé, où l’on se retrouve terrassé par la surprise. L’emballage demeure un sommet… Ce qui nous amène au côté obscur : le contenu, c’est-à-dire la qualité musicale des morceaux retenus. Et là, la consternation prévaut généralement sur le ravissement. L’on a parfois peine à le croire : 2200 chanson reçues par la SVT et il a fallu qu’ils retiennent celles-là !? Sans compter les interprètes : fantômes du passé, vieilles gloires fanées, revenants récurrents, minets à minettes en solo, minets à minettes en groupe,… Les quelques artistes alternatifs et crédibles semblent être là pour le quota… et la figuration, car ils se font éliminer d’emblée, sans regard de la qualité de leur morceau… Alors, oui, les fans s’offusquent, s’indignent, jurent leurs grands dieux, vouent Christer Björkman aux gémonies… et finissent malgré tout par suivre religieusement leur Melodifestivalen, car qui sait ? sur un malentendu suédo-suédois, le meilleur peut advenir



Sur ce, depuis Bruxelles, je vous embrasse fort et vous souhaite à tous d’excellentes fêtes de fin d’année. Profitez-en au mieux, entourés de votre famille, de vos proches, de tous les gens qui vous aiment, et gardez-en de merveilleux souvenirs ! Il me tarde de vous retrouver en 2015…

Magie de Noel