highs-lows-book-launch1Ca y est ! Les sélections ont débuté, les premiers artistes ont été annoncés, les deux premières chansons ont été révélées ! L’Eurovision 2015 est sur ses rails, qui nous conduiront dans un périple enchanté et enchanteur jusqu’à Vienne, en passant par à peu près toutes les capitales d’Europe, Skopje, La Valette, Tirana, Minsk, Nicosie, Copenhague, Reykjavik, Vilnius, Riga, Belgrade, Chisinau, Helsinki, Oslo ou encore Stockholm, au gré des finales nationales. Avec un peu de chance, le convoi passera par Bruxelles et si la RTBF le permet, j’y serai, j’en serai. En attendant, alleï Loïc, alleï la Belgique !

Mais je m’égare… Revenons-en à la magie de ces moments eurovisionesques, à la magie du spectacle. Spectacle ? Vous avez bien dit « spectacle » ? Malheureux ! N’est-ce pas là ouvrir la boite de Pandore ? Le Concours possède, inscrit au plus profond de ses gènes et de son règlement, un critère identitaire qui le rend unique et souvent paradoxal. C’est le fameux point 1.2.1.b. : « La durée maximale de chaque chanson est de trois minutes. » Trois minutes, pas une seconde plus, qui peuvent s’avérer très longues  ou très courtes, mais trois minutes, point.

Les artistes se retrouvent ainsi contraints à un exercice périlleux : interpréter leur chanson sans erreur, convaincre l’audience de leur sincérité et marquer les esprits par un visuel unique, en trois minutes. En trois minutes, il leur faut toucher l’ouïe, la vue, l’imagination et l’enthousiasme des téléspectateurs et des jurys. Ce qui les amène à certains raccourcis, parfois géniaux, parfois extravagants, parfois surjoués. Tous courent après l’adjectif magique, dont nous avons vu qu’il permet de remporter le Concours à coup sûr : « mémorable ».

Mémorables, soyez mémorables et vous gagnerez ! C’est vrai, c’est avéré, au point que cela est devenu un poncif de l’Eurovision et que cela a percolé à travers l’imaginaire collectif. Prenez la peine de lire et relire les commentaires désobligeants des opposants à notre beau Concours, qui voudraient le renvoyer ad patres (car après tout, le monde se porterait mieux si l’on supprimait tous les événements télévisuels unissant la planète, et hop, hop, hop, à la poubelle les Jeux Olympiques, la Coupe du Monde et les mariages des membres de la famille royale britannique). Beaucoup pointent du doigt la nécessité de se montrer en spectacle pour gagner. Sous-entendu : les véritables artistes, les véritables chanteurs, les artisans de la musique, dans leurs atours les plus simples et drapés de leur seule modestie n’auraient aucune chance de médaille.

Triste ? Non, faux, faux, faux, archi-faux ! Comme la plupart des clichés et des plaintes à l’égard du Concours… La magie de l’Eurovision ne se loge pas uniquement dans le perfectionnement visuel des prestations : dépouillement et authenticité riment tout autant avec victoire, ou du moins classement dans les dix premiers. Et voilà les fans éblouis à leur tour : ils les ont supportés, encouragés, ils y ont cru envers et contre tous en ces petites mélodies toutes simples, en ces modestes chanteurs, en ces compositions originales et authentiques. L’Europe les a entendus, les a suivis et la surprise se crée : les lourdes machines restent à quai, les formules humbles s’envolent vers le sommet du tableau de vote. La preuve que l’Eurovision déjoue sans cesse les pronostics des plus acides et des moins informés…

Aujourd’hui donc : cinq chansons toutes simples qui ont créé la surprise.

5. 2011 – Italie – Raphael Gualazzi – Madness Of Love – 2e place

L’Eurovision vit rarement retour plus étonnant et plus éclatant que celui de l’Italie en 2011. La RAI surprit le monde en annonçant qu’elle revenait concourir, après quatorze ans d’absence. L’heureux élu fut le vainqueur de la catégorie « Jeunes Talents » du Festival de San Remo, Raphael Gualazzi. Raphael était un véritable talent, mais sa chanson jazz, adaptée en anglais, semblait à mille lieux des standards habituels du Concours. Personne n’y crut une seconde, voyant là un pays revenant par la petite porte. Raphael ne dévia pas de sa ligne et de son univers. Et le vendredi 13 mai 2011, il ravit le cœur d’une centaine d’Européens, qui tombèrent amoureux de cette voix aiguë, de cette mélodie acrobatique, de ces cuivres et de ce piano tellement rétro, tellement tendances. Mais pas n’importe quels Européens : les jurys nationaux qui en firent leur vainqueur. Cette équation surprenante se révéla au fur et à mesure du vote. Parti du fin fond du tableau, Raphael revint au point et remporta quatre fois la note maximale, soit une fois de plus que le vainqueur de la soirée, l’Azerbaïdjan. « Welcome back, Italy ! » : Raphael termina à la deuxième place, à la surprise générale, y compris la sienne, offrant à son pays son meilleur résultat depuis sa dernière victoire, en 1990. Depuis la carrière internationale du jeune homme s’est envolée et l’Italie demeure chaque année proche de la victoire.

Moralité : du jazz tu joueras et les jurys tu séduiras.

4. 2013 – Hongrie – ByeAlex – Kedvesem – 10e place

En trois ans à peine, A Dal, la sélection nationale hongroise, s’est hissée au rang des meilleures de la Saison, égalant l’Eesti Laul, le Melodi Grand Prix et l’Uuden Musiikun Kilpailu, surclassant largement en terme de qualité, le Melodifestivalen et le Dansk Melodi Grand Prix. 2013 ne fit pas exception. Les fans attendaient une victoire d’András Kállay-Saunders, de Gigi Radics ou encore de Laura Cserpes. Mais les procédures de vote d’A Dal sont impénétrables : ByeAlex rafla en finale le vote du public et à la surprise générale, s’envola pour Malmö. Sa chanson, Kedvesem, écrite intégralement en hongrois, était un chef-d’œuvre de minimalisme et une formidable déclaration d’amour. Par conséquent, elle passa inaperçue dans la course au joli mois de mai. Sauf que, de façon assez remarquable, le scénario d’A Dal se répéta au niveau européen : Kedvesem laissa les jurys de marbre, mais remporta l’adhésion du public, un public décidément bien plus pointu dans ses choix que ne le veulent les clichés… ByeAlex se hissa à une formidable dixième place, obtenant au passage les douze points de l’Allemagne. La Hongrie n’est désormais plus qu’à une encablure de la victoire, attendue avec impatience par l’ensemble des fans.

Moralité : dans ta langue maternelle tu chanteras et le respect de tous tu gagneras.

3. 2010 – Belgique – Tom Dice – Me And My Guitar – 6e place

Lorsque la VRT dévoila son nom en novembre 2009, Tom Dice était surtout connu pour sa deuxième place à la version flamande de X-Factor. Son apparition à la conférence de presse fit bruire : un encore adolescent, un peu replet, vraiment ? Quatre mois plus tard, en mars 2010, les critiques recommencèrent à pleuvoir lors de la première de Me And My Guitar : trop simple, trop léger, totalement hors contexte. Et ce pauvre Tom, virez sa styliste, rhabillez-le ! Tout ce beau monde était loin de se douter de la suite. Car voici qu’au mois de mai, un Tom nouveau surgit des coulisses de la Telenor Arena. Il avait fait du sport, suivi un régime, était devenu un homme, était habillé désormais comme un gentleman. Sa chanson eut un impact bien plus grand sur la scène internationale : les jurys tombèrent à ses pieds, les fans hurlèrent « Belgium, Belgium ! » lors de l’annonce des qualifiés et la VRT s’offrit le luxe de remporter sa demi-finale, un exploit inouï qui se confirma en finale. Les jurys placèrent Me And My Guitar au deuxième rang de leurs préférences et la Belgique termina à la sixième place, son meilleur résultat depuis 2003. Et les critiques des débuts purent en manger leur chapeau car la VRT obtint grâce à Tom, le meilleur résultat de son histoire. Le chanteur poursuit, lui, sa carrière, obtenant des succès en solo, en duo et en collaboration, excellant dans tous les genres.

Moralité : de ta guitare tu t’accompagneras et les cœurs tu chavireras.

2. 2014 – Pays-Bas – The Common Linnets – Calm After The Storm – 2e place

Au début était Ilse DeLange, chanteuse néerlandaise qui avait remporté de nombreux succès commerciaux dans son pays natal, sans jamais pourtant percer sur la scène internationale, à son grand regret. Sa découverte et son étude de la musique country, lui donna en 2013 une idée : créer un groupe dans ce genre musical, qui servirait de plate-forme à des artistes néerlandais pour se faire connaître et reconnaître à l’étranger, notamment aux États-Unis. Ilse s’adjoignit alors Waylon, chanteur issu de Holland’s Got Talent, et ensemble, ils formèrent les Common Linnets. Dans la foulée, en novembre, ils furent retenus par la télévision publique néerlandaise pour la représenter à Copenhague. La première de Calm After The Storm, en mars 2014, suscita des commentaires déjà entendus : trop simple, trop léger, trop country, pas assez mémorable, pas assez spectaculaire, pas assez Eurovision. Puis ce fut le grand soir et la magie ! L’incroyable alchimie entre les deux chanteurs, leur interprétation parfaite du morceau, la sobriété totale de la prestation et du décor touchèrent l’Europe au cœur. Les Common Linnets remportèrent leur demi-finale, puis furent conduits jusqu’au triomphe d’une deuxième place en finale, recevant à huit reprises la note maximale. Les Pays-Bas remportaient là leur meilleur résultat depuis leur dernière victoire, en 1975. Bien plus : Ilse et Waylon vendirent plus de disques après le Concours que Conchita en personne, un couronnement en soi.

Moralité : un genre musical différent tu choisiras et la médaille d’argent tu remporteras

1. 2013 – Pays-Bas – Anouk – Birds – 9e place

Entre 2005 et 2012, l’un des pays fondateurs du Concours connut la pire des descentes aux Enfers et remporta un infâmant record : huit éditions consécutives sans qualification ! À huit reprises, les Pays-Bas furent en effet éliminés en demi-finale, le fond étant touché en 2011 lorsque les 3JS terminèrent à la dernière place. Ce furent des années de misère, d’incompréhension, d’horreurs, d’échecs, de sélections prometteuses se terminant en quenouille, de finales nationales désastreuses, de choix idiots et de prestations ratées. Le ban et l’arrière-ban de la télévision furent appelés à la rescousse, y compris Jan De Mol, le pape de la téléréalité, en vain ! Mais dans l’ombre, une chanteuse attendait son heure… Elle vint en 2013, lorsque la télévision néerlandaise s’en remit entièrement à elle pour la sauver. C’était Anouk, la rockeuse qui avait remporté de très grands succès, dès 1997 et son Nobody’s Wife. Elle présenta sa chanson en mars 2013, et prit par surprise les fans du Concours et ses propres fans. Birds était un morceau sobre, intemporel, romantique, teinté de nostalgie et de tristesse, sans effet ni surcharge, ni guitares. Perfection pour les uns, déception pour les autres. Mais l’histoire, l’histoire ! Le 14 mai 2013, à Malmö, Anouk reçut une ovation de la part des spectateurs. Pourtant, après l’ouverture de neuf enveloppes… toujours rien ! Le public, surchauffé, se mit à crier son nom et à scander « Netherlands, Netherlands, Netherlands ». Lorsque la chanteuse apparut à l’écran, ce ne fut plus qu’un vaste hurlement. Puis, enfin, le drapeau des Pays-Bas se déploya à l’écran et l’hystérie, le soulagement, la joie, les cris, les pleurs se mêlèrent en une apothéose eurovisionesque. La malédiction était rompue, enfin. Anouk confirma la magie de sa prestation en finale et termina à une excellente neuvième place. Elle ouvrit ainsi une nouvelle ère qui allait voir les Pays-Bas devenir la coqueluche du Concours et l’espoir des fans pour la prochaine victoire.

Moralité : de style complètement tu changeras et l’histoire tu écriras.

Bonus

Les petites chansons toutes simples ont de l’avenir au Concours et de l’avenir tout court. Plus aucune sélection nationale sans sa petite chanson toute simple, donnée favorite, plébiscitée par les fans, embrassée par le jury, mais passée sous le radar du public. Voici pour conclure en beauté, cinq d’entre elles, qui incarnent parfaitement tout ce qu’est et doit être l’Eurovision et qui hélas ont échoué à remporter leur couronne nationale. Espérons que cette année encore soit émaillée de ces mélodies simples et non simplistes, de ces vrais moments de poésie musicale, bref de ces trois minutes de bonheur et d’enchantement.

Belgique – Sil – What’s The Time In Tokyo – 5e en finale

Hongrie – Bogi – We All – 2e en finale

Islande – Greta Mjöll Samúelsdóttir – Eiftir Eitt Lag – éliminée en finale

Malte – Debbie Stivala – Pin The Middle – 2e en finale

Norvège – Moi – Bensin – éliminée en demi-finale