« La la la la la la la la »

Allongée sur mon divan telle la plus égyptienne des reines, je me prélassais, bouche ouverte et glotte détendue prêtes à accueillir les raisins blancs sans pépins que m’y portait Thibault O (comme l’histoire de). Et qui ne connaît pas mon désamour des pépins risque d’en subir, des pépins.

« La la la la la la la la »

Splendide baignée dans une architecture faite de colonnes grecques tout droit ramenées d’Olympie, main caressante et nonchalante sur la tête de ma tigresse May Tana (libérée par mes soins du Circus Mircus par une nuit d’ivresse printanière durant laquelle je séduisis le gardien du temple avec un spacecake de GHB). Libre et couleurs vives, je me pâmais, à peine correctement ventilée par les trois palmiers distendus qu’agitait sottement Farid. Dire que je le rémunérais pourtant grassement et chaleureusement… Ma kalor.

« La la la la la la la la »

J’ai beau apprécier le son de la harpe, qui plus est délicatement jouée par le tout aussi délicat, nouveau venu et peu vêtu Niklas, je commençais doucement à me lasser. Et dès lors que « lasse » s’invite dans le distingué vocable de la déesse Davidna …

« La la la la la la la la »

Putain, mais ce n’est pas bientôt fini ce bordel ? Et qu’est-ce qu’il commence à me chantonner l’autre, wesh ?

« Coulent des larmes de crocodiiiiiiiiile … »

ASSEZ !

Ce fut trop, du moins plus que je ne pus le supporter, et le bris de vase successif à la chose ne fit qu’accentuer ma colère titanesque. Sous le regard effrayé de ma suite décidément de moins en moins dotée (de compétences, cela s’entend), je me levais, encouragée par le rugissement de May Tana, qui déployait sa somptueuse gueule, quoique bien moins que la mienne – car les chiennes ne font pas forcément des chattes, ainsi parlait feu Silvia Nott (que j’offris en quatre heures à ma féline dès lors qu’elle tenta de concurrencer mon terrain). Décidée à ne pas laisser passer un tel affront, suivie de ma fidèle qui anticipait déjà l’ampleur de son festin, je partais à la quête vive et rapide d’un coupable qui ne devrait pas tarder à s’auto-désigner sous peine de voir le destin de tous s’achever dans l’estomac de ma camarade. Plus je me rapprochais des corps tremblants de mes sous-fifres, plus que je prenais malin plaisir à ressentir leurs frissons d’effroi et les gouttes de transpiration qui ruisselaient sur leurs corps trahis.

Qui ? 

Je posais quand même une première fois la question au titre de l’idéal démocratique, fort attachée au sujet telle la fière biélorusse de génitrice que je suis. Silence, et trémolos de Farid.

Je répète une fois ma question : qui ?

Silence tandis que je passais les troupes en revue, reniflées par le généreux naseau de May Tana. Désormais sanglots de Farid, auquel j’imposais désormais un face to face (ou nose to nose) visiblement malaisant pour le bel azéri qui, si tremblotant que je l’eus craint instantanément covidé, leva son doigt comme s’il s’auto-désignait pour grimper dans l’ascenseur vers l’échafaud (que je regrettais d’avoir revendu aux enchères).

Moi, maîtresse Davidna …

Les autres poussèrent un cri de stupeur, tandis que la féline commençait à se familiariser avec son futur tea time à coups de langue sur ses mollets bien charnus. Mais je ne pouvais en rester là, et d’un coup de cravache sur la coupe à fruits dont je fis exploser la vinasse, j’imposai silence et respect aux insipides.

ASSEZ J’AI DIT ! Et puis c’est Maîtresse Corinne, je vous l’ai DÉ-JÀ DIT !

Oui, maî-… Mais enfin, votre prénom, c’est Davidna !

ASSEZ ! Il suffit !

Mais pourquoi David- … ?

L’insolence allait trop loin.

Pourquoi ? Pourquoi ? Parce que vous croyez sincèrement que je n’en ai pas assez des Nuits Odile pour me coltiner une Nuit Pauline ?

Je me posais toutefois.

Il suffit.

Je m’accordais quatre secondes de réflexion, pas une de plus.

Niklas je vous prie.

J’étais plus prête que jamais à rendre justice à mon statut.

Qu’on lui coupe la tête.

Effondré par une nouvelle que je jugeais pourtant adéquate, Farid tomba net à genoux, hurlant à s’en scléroser les cordes vocales tel le castra Farinelli (dont moi, j’avais au moins hérité du talent), laissant couler des larmes de crocodile sur le carrelage de mon espace détente dont j’étais pourtant vigoureusement attachée à l’hygiène. Tandis que Thibault O. semblait ébaubi (comme d’ordinaire), Niklas ne bougeait pas, comme aussi pétrifié que les mannequins d’infortune ayant eu le malheur de devoir escorter la Roumanie à Lisbonne. Je réitérai pourtant ma demande, sous les cris d’une victime qu’il me devenait insupportable d’entendre ne serait-ce qu’un dixième de seconde de plus, devant préserver la qualité de mes tympans en vue de l’opportunité musicale qui allait bientôt se présenter à moi.

Jamais aussi bien servie que par moi-même faute d’une équipe à la hauteur de mes ambitions (que j’aurais dû extrader vers Bakou depuis la nuit des temps), je dus moi-même m’emparer de la faucille (sans marteau, parce que je tiens tout de même à l’étendue de ma propriété privée). Plus rapide que l’administration française, plus efficace que Pôle Emploi, et moins fatigant que de traverser la rue (il n’y a vraiment que moi qui suis devenue une star en empruntant un passage piéton ?), j’allais ENFIN mettre un terme au contrat fictif et tacite qui me liait à celui que je jugeais même trop impotent pour ouvrir une porte et la refermer. Plus héroïque qu’Hélène de Troyes et sa pendante eurovisionesque Elina Nechayeva, plus vivante que les anonymes (car éblouies par ma célébrité céleste) Nadia Moşneagu et Viorela Moraru réunies – pour qui il ne faut jamais abandonner et, surtout, tout remède est bon à appliquer, je m’emparais de l’arme fatale.

Telle une lanceuse de javelot prête à resplendir sur le Mont Olympe avant la funeste arrivée du sport professionnel (car je n’ai nul besoin de sport pour l’être, svelte et professionnelle), je m’apprêtais à aiguiser d’un coup sec d’un corps auquel je signifiais le terme de presque dix ans de collaboration.

Dix ans ? Comme quoi, ni une médaille d’argent, ni l’Azerbaïdjan ne mènent à une carrière plus prometteuse que celle d’assistant de la grande, que dis-je l’immense, Davidna Lamburosco. Force est néanmoins de constater que je me demande surtout comment avoir pu supporter l’humiliation de son intrinsèque sottise pendant tant de temps. Qu’importe : past is past, et l’avenir immédiat s’apprêtait enfin à me délivrer du terrible sort, qu’importent les sanglots bollywoodiens de ma victime et les plaintes jacassantes de ses alliés de circonstances, peu soucieux de leur propre honneur (contrairement à moi, particulièrement inquiète du mien, car je suis l’Honneur).

Hélas, il fallut que je ne sois qu’à quelques dixièmes de secondes de l’irrémédiable pour me retrouver soudain torturée par le vacarme et ensevelie par un amas de poussières et de gravats indigne de ma condition, ce bien que toujours femme debout. Alors que la faucille m’échappa des mains pour mieux cibler la fresque mosaïque qui surplombait une magnificence nommée The Davidna Jacuzzi, je découvris interdite que deux voitures béliers venaient de dévaler les escaliers en marbre qui menaient au sauna et d’en défoncer la porte par tous les orifices. Autant vous dire qu’eu égard à ce que ça coûterait en personnel de surface, ça allait gueuler. Tel un funeste présage, alors que je m’apprêtais à me faire l’armada qui osait venir me narguer en plein moment de luxure et de volupté à coups de nunchaku, je vis May Tana s’étourdir, les quatre lourdes pattes en l’air, telle la fainéante qu’elle se révélait être parfois souvent. Moi qui croyais la vidoche monténégrine adaptée au régime alimentaire des félidés …

Davidna Lamburosco ? demanda la cheffe du groupe en descendant de la voiture telle la pseudo leader d’un troupeau de stewards et d’hôtesse de l’air embauchés par une société aussi offshore et discount que la BBC.

Merde. L’inspection du travail.

Davidna !!! hurla Thibault. May Tana a fait un malaise !

La ferme, Thibault ! Vous voyez bien qu’on a de la visite.

Mais elle ne respire plus ! commençait à s’inquiéter Niklas.

Tu parles Charles ! Allumez la channel sur Chanel, vous veillez que ça la réveillera en SloMo.

Madame Lamburosco ? insista l’assistant en visite sur les lieux.

Furieuse d’être contestée par ceux que j’avais pris soin de reléguer au plus loin de mon organigramme, je me dirigeais vers la féline, prête à faire sa fête à la reine des incapables. Quand je vous dis que je suis mal entourée … D’un léger coup de talon, je l’encourageais à se lever. Allez, sac à puces !

Davidna, je crois qu’elle nous a quittés, crut bon d’ajouter Niklas.

Quittés ? M’enfin ! Vous voyez bien qu’elle est toujours là !

Elle tirait quand même la langue, May Tana. Sans doute l’inconfort de la situation.

Davidna…, tremblait Farid. Enfin, Maîtresse, Niklas a raison je crois.

C’était trop. Certaine de la bonne forme de ma tigresse, je poussais les Davidna Boys et me précipitais sur elle, tentant tout de même deux ou trois compressions thoraciques pour la réveiller. C’est alors que je l’entendis (et surtout la sentit) expirer d’un crachat qui fit sursauter les garçons – tandis que j’ignorais encore l’armada pourtant en train de me défoncer la baraque.

Madame Lamburosco ! insista la matronne. Valeria Ditonella-Piaga, inspectrice divisionnaire du Ministère des Finances, et ma collègue Maître Maria-Francesca Rettore da Lugdunum, huissier de justice de la République d’Italie. Nous sommes au regret de vous informer d’une saisie immédiate de l’ensemble de vos biens (ou presque), faute d’absence à nos multiples relances concernant le règlement de vos impôts sur le territoire italien.

Comment osaient-ils me couper de la sorte tandis que je pleurais intérieurement la douleur de la perte de ma fidèle compagne, morte de choc devant la situation et désormais officiellement expirée ? Je veux bien que son départ aura au moins le mérite de me faire économiser des thunes de véto pour financer ma scéno turinoise, voire même de recycler ma belle sous la forme d’un costume, mais il est dans certaines circonstances question de décence. Outre ce deuil violent et soudain qui me brisait intérieurement, j’avais toutefois d’autres tigres à fouetter.

Bien sûr, nous vous laisserons le stock d’exemplaires de « Love In The Tropico » et de la « Reine du bal ». Parce qu’avant de tenir à votre intégrité, nous tenons à la nôtre.

Davidna !! Ils embarquent les meubles et les statues !! Ils prennent même vos disques de platine !!

Décidée à ne pas me laisser abattre, et sous le regard inquiet des Davidna Boys, je m’avançais vers le duo infernal, que je toisais, plus forte et impétueuse que jamais.

C’est « Aqui soc la reina de ball » je vous prie, et puis d’où vous violez la propriété d’une eurostar ?

Piscine à balles ou pas, on prend tout … y compris l’animal, paix à son âme.

Je vous prie de dégager immédiat- …

On vous laisse cependant votre discographie avec grand plaisir. Parce qu’objectivement, mieux vaut s’économiser l’écoute de l’inécoutable.

C’en était trop. Mes nerfs ne purent résister davantage, et en hommage à la mémoire de May Tana dont le souvenir venait d’être insulté (et surtout le mien), je déployais magistralement ma mâchoire, et je me jetais sur l’inspectrice, que je tentais de dévorer à cru sous les hurlements choqués de l’huissière – dont la blonde chevelure bouclée fit un bond de six mètres.

Si on m’avait dit que l’Histoire se répèterait si vite.

Flashback – 26 mars 2022 – Promzona Club – Bishkek (Kirghizstan)

Deux années plus pandémiques que la passion Béatrice m’avaient rendue plus célèbre que jamais à travers l’Europe et les steppes de l’Asie Centrale. Tant et si bien que, contrainte et forcée, et surtout parce que la rémunération était à peine à la hauteur de mes espérances, je m’envolais depuis Charles-de-Gaulle (l’aéroport, pas le général, ni son épouse) en direct du Kirghizstan où, dès mon arrivée sur le tarmac de l’aéroport international de Manas, je compris que j’allais vivre une aventure unique : celle de l’organisation de la première finale nationale pour l’Eurovision de l’histoire du Kirghizstan – dont l’UER n’avait même pas eu la décence de songer à la participation, mais qu’importe, je promis de faire du forcing une fois la nouvelle délégation installée à Turin.

Dès que j’eus posé un demi-ongle d’alux dans les allées labyrinthiques du bazar d’Osh, la foule se jeta sur moi, hurlant de bouleversants et déchirants « Davidna » sur mon passage, sollicitant des autographes à tout va celle qu’ils attendaient depuis la Nuit des Temps, faute de personnalités musicales digne de ce nom dans la reculée contrée. Je m’étonnais même de la surprenante présence d’une échoppe de chaussures où, par bénédiction vis-à-vis de mon désormais peuple, je fis quelques investissements qui furent accueillis avec bienvenue. Tandis que les flashs crépitaient et que les fans s’inclinaient, je volais, mieux, je voguais, traversant les rues avec plus d’assurance que le généralement bien élu président du Kirghizstan, heureuse de constater que les attentes eurovisionesques du pays étaient démesurément fortes. Je m’étonnais pourtant de l’absence de toute campagne de communication sur le sujet, et surtout de ne voir que ma tête couronnée de simple « guest » resplendir sur les affiches partout disséminées dans la ville. Une marque d’amour envers ma personne ô combien gratifiante certes, mais sans aucun doute un moyen de ne pas dévoiler le visage des concurrent·es à la population probablement surexcitée par la perspective de.

Quoiqu’il m’en coûte – et en l’occurrence beaucoup, toute promotion me serait bonne à prendre avant de filer à Madrid et, surtout, à Turin, où je me vêtirai des couleurs de l’Europe pour la juste quête de ce Micro de Cristal qui me tend les bras, à peine séparé de lui par la jalousie de trop nombreux corrompus. L’on pourrait ainsi me dire nigaude d’assister à la célébration d’un nouveau concurrent du côté du Kirghizstan, mais tel est le prix de ma propre promotion, d’autant plus que le vainqueur de Turinonun baarı (Tous à Turin) risque d’être objectivement moins compétitif que moi.

J’eus le plus grand mal à rentrer à l’Orion Hotel où j’étais installée dans une convenable suite sans ma suite (que je laissais à domicile pour cette saison, préférant ne me priver d’aucune opportunité pour des raisons de coût), à tel point que le Ministre Niyazbekov lui-même dut dépêcher sa propre équipe de sécurité pour me garantir l’accès à temps à mon espace de relaxation et de préparation. Car ce n’était rien de tel que le plus grand concert de l’année, si ce n’est de tous les temps, qui était programmé le soir même au Promzona – et je ne parle pas ici de la sélection dont je ne suis, je le rappelle et j’insiste, que la guest et désormais présentatrice sur ma demande. Dire que ce n’est que par décence et modestie que j’ai opposé mon veto au Spartak Stadium…

2 heures du matin. L’excitation et le degré de préparation étaient tels que je n’entendais même pas les vivats de la foule scandant mon nom et s’impatientant du show historique que j’allais leur délivrer en guise de préliminaire à la finale nationale, n’en déplaise à cette pauvre Gulzada Ryskulova, que m’a-t-on dit fort vexée de l’appétence kirghize pour ma personne et pour mon œuvre. Lassée toutefois de me faire désirer, et quoiqu’étonnée de n’avoir croisé aucun des finalistes (sans doute préféraient-ils eux aussi me laisser la surprise et surtout le privilège d’introduire le spectacle d’un véritable showcase comme il est de coutume dans certains pays), c’est conquérante que je grimpais sur la scène du plus célèbre night-club de la ville, dont l’hiver allait être soudainement réchauffé par la bourrasque Lamburosco.

D’un « People, make so nooooiiiiise », j’imposais le respect, et la réponse ne se fit pas attendre. Plus blindé que jamais (à quelques espaces près), le Promzona m’aurait moins acclamé s’ils avaient vu Christer Björkman (alias le Christ, mais sans la virginité) marcher sur l’eau. Littéralement possédée et déchaînée, la foule scandait les trois syllabes de mon divin gentilé, faisant de moi une nouvelle Présidente de la République bien mieux élue que les risibles 79,83% de Japarov. Et ils n’avaient pas encore vu que de la lumière allait jaillir El Fuego, et que celui-ci porterait le nom de Davidna (enfin, ça, ils le savaient au moins, surtout s’ils sont lettrés). Parce qu’il devenait de plus en plus évident que les flammes ne viendraient pas de la concurrence artistique locale, pour laquelle aucune pancarte n’était de sortie. Peut-être ont-ils interdit aux familles de venir sur place ?

La première partie (ou plutôt le concert, terme plus honorifique pour moi) commença, et silence dans la salle. Que d’attention, me dis-je. Sont-ils stressés à ce point de voir Almasbek et Kanykey se disputer un billet pour l’Eurovision ?

Je dégainais Pépita Davidna, histoire de bien compris à qui ils avaient affaire, et silence dans la salle. Remarquable, me dis-je, mais cela risque d’être plus enjaillé à l’arrivée des compétiteurs.

Humide, je me déhanchais chaleureusement au son de Be Hot, Be Strong, et silence dans la salle. Je veux bien qu’ils furent bons élèves, mais il est de coutume de mettre l’ambiance, me dis-je.

Étonnée, et un tantinet agacée (bien que j’apprécie être écoutée et vénérée, je préfère quand l’on m’encourage au déchaînement), je poursuivais le concert, et silence dans salle. Quelques départs même. Sans doute le métro bishkékois ne fonctionne-t-il pas de nuit, mais cela revient presque à insulter l’Eurovision qui vient frapper à leur porte.

Je sortis alors la carte Love In The Tropico, ou l’amour sous les tropiques, histoire d’apporter un peu de chaleur aux restos du cœur (et surtout de soigner les engelures de mon public sans doute sidéré par le froid). Silence dans la salle. Non par altruisme, je me décidais toutefois à interroger la direction de la salle, qui m’apprit ainsi dans les coulisses qu’il était uniquement question d’un concert de ma personne, et non d’une finale nationale pour un concours auquel le pays ne participait pas. Méprise agaçante, mais tant mieux pour ma propre gloire, tant que la cagnotte tombe dans la bourse.

Je décidais alors de tenter le tout pour le tout. Ambitieuse, prometteuse, dotée d’une niaque impondérable, j’étais donc plus motivée qu’Ani Lorak elle-même à offrir au public une avant-première exclusive – que j’aurais certes préféré réserver à Madrid, mais j’avais la certitude qu’ils n’en sauraient rien.

үч эки бир, Давидна шоу башталсын !


(Sur la musique de Chimica – Ditonellapiaga et Rettore)

Chiquita – Davidna Lamburosco

Tu m’as bien prise pour une bille
Une guenille
Et tu crois que je t’aurais dit oui ?
Mais ici c’est moi qui torpille
Qui dégoupille
J’suis la diva qui va te dire couic

Faut pas me prendre pour La Citta
Car j’ai beau me faire La Cheetah 
Et m’en réjou-i-i-ir

Je veux juste qu’on te déshabille, 
Qu’on t’embastille, 
Et que ce soit juste bientôt fini

Car pour toi je ne suis
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Comment je peux te dire ?
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita

Tu l’as bien vu que je te grille, 
Avec Bertille, 
Pendant que je trinque au whisky
Laisse-moi juste prendre ma faucille
Tu pues l’anguille,
Parfait pour le barbeuck de midi

Je t’explose comme une piñata
Fais-moi pas la tua Conchita
Car tu vas très cuire -cuire -cuire

Un coup de béquille, 
Toi le gorille, 
Car la Davi elle fait du bruit dans toute l’Italie !

Car pour toi je ne suis
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Comment je peux te dire ?
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Car pour toi je ne suis
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Comment je peux te dire ?
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Comment je peux te dire ?

À quel point ça me titille,
Que j’en vrille, 
À la caisse du Géant Casino 
J’ai envie d’un jet de vanille,
Que ça te fusille, 
Ah merde j’ai zappé le Coca Zero

Je vais faire de toi un brasero
Avant d’aller à Monaco
Recto sans verso so sot

Reste chez toi mon pauvre Rocco
Tu vaux pas mieux que Romano
T’es qu’un rococo !

Car pour toi je ne suis

Que celle dont t’ouvres le frigo,
Je n’ai pas assez de Desperado !
Che bevo,
Ho bevuto

J’aime être une star du porno Martino
Tu veux un litre de curação ?
Ciao ciao, non ritorno, Manolo
Ciao ciao, mi pulisco con il mio cocco

Car pour toi je ne suis
Comment je peux te dire ?
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Car pour toi je ne suis
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Comment je peux te dire ?
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Comment je peux te dire ?
Que Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
A gagné au bingo
Go Chiquita, Chiquita
Va te faire, pauvre gogo !
Go Chiquita, Chiquita
J’dévalise le Mango !
Go Chiquita, Chiquita
Chi-chi-chi-chi-chi Chiquita Chiquita
Bouffe le kakémono !

Fin de la prestation.

Les bras en croix dévoilant la largesse des manches de ma robe reptile, j’attendais l’onction des spectateurs.

Silence. Sans doute la timidité de voir leur déesse se mettre à nu sur scène, qui plus est dans un cadre beaucoup plus intime que le centre-ville.

Silence.

J’attendais.

J’attendrai longtemps s’il le faut. Et bien m’en prit.

De timides applaudissements se firent sentir au fond de la salle, vite interrompus par les vigiles, qui ne purent toutefois pas contenir l’acclamation générale et généreuse du public, certes étrangement moins enthousiaste qu’à mon arrivée, mais tout de même constante et régulière. Toutefois sociologue de mon regard et fort observatrice des mœurs étrangères et des us et coutumes des aires culturelles différentes de la mienne, je constatais rapidement ce dont je ne doutais guère : leur avarice ne rime qu’avec l’admiration et le respect le plus profond au travers duquel le public approuvait la qualité d’une prestation objectivement majestueuse.

Alors que je m’étais chauffée pour faire le rappel avant même qu’on ne me rappelle, je fus interrompue par une jeune et souriante journaliste (bien que j’aurais préféré un homme pour la troisième mi-temps), venue avec un micro et un caméramen.

Malgré sa maîtrise approximative de l’anglais, je répondis aux questions auxquelles je ne compris que peu, impatiente de délivrer ma reprise de Shady Lady à une foule qui reprenait subitement du poil de la bête (sans doute l’effet de mon « Tournée générale ! » qu’ils ont pris au pied de la lettre), ce avant de m’acquitter à ma tâche de présentatrice. Le public riait à mes réponses traduites en simultané, et cela me faisait le plus grand bien. L’humour à la française, sans doute, est l’une de mes qualités premières. Car la suite se mua très vite en le parfait contraire d’un soupçon d’humour à la kirghize.

« Plagiat » prononça Aizirek.

Stupeur du public. Stupeur personnelle, moi qui ignorais le sens de ce terme dans l’idiome local.

« Plagiat » répéta Aizirek, tout sourire.

Le public s’échauffait, tandis que je m’enthousiasmais. « Spiaggia » voulait-elle dire ! J’ignorais pourtant la présence d’une façade maritime dans le pays.

« Plagiat » répéta Aizirek, tout sourire.

La foule semblait subitement mécontente. N’auraient-ils pas pu me dégotter une véritable journaliste ?

« Plagiat » répéta Aizirek, tout sourire.

Je ne comprenais point l’insistance. Sans doute désirait-elle que je me dévoile en bikini ?

« Plagiat » répéta Aizirek, tout sourire.

Mal à l’aise, le responsable du club (amoureux solitaire avec lequel j’avais sympathisé à mon débarquement dans le club)  daigna enfin approcher de mon oreille, pour mieux me traduire les propos de la journaliste tandis que, dans la salle, certains commençaient à huer virulemment la pauvre employée du service public.

« Vous présentez Chiquita comme un titre original alors c’est une vulgaire réécriture de Chimica de Ditonellapiaga et Rettore. C’est du plagiat. Vous n’êtes que plagiat, Davidna. »

Mieux vaut parfois se taire que de dire des âneries – même si le faux est parfois teinté de vrai. À l’annonce du terrible verdict, c’est un déchaînement auquel je dus faire face. Huées, vivats, crachats, jets de tomate, jets d’orties, et même bazooka, je fus littéralement humiliée par un public qui aurait dû me remercier par génuflexion d’avoir fait le déplacement. D’autant plus que l’accusation de plagiat était largement usurpée : le texte du duo dingo (et non Duolingo) n’étant pas à la hauteur du morceau (de même que les interprètes d’ailleurs), je me devais d’en ressusciter l’essence auprès de spectateurs que l’on tend à considérer trop souvent comme des bovins. J’assume donc la responsabilité, et surtout l’immense fierté, d’avoir redoré le blason légitime d’une composition insultée, arguments que je tentais de porter auprès d’une foule de plus en plus inexplicablement vindicative – sans doute avait-elle été payée pour cela, par qui je ne sais pas. C’est ce que l’on appelle une chanson o-ri-gi-na-le ;

Je ne me laissai évidemment pas faire, et protestais avec la vigueur qui était la mienne. La partie de ping pong ne faisait que commençait. Prise à partie par certains, je répondais avec vigueur, jusqu’au moment où je ne pus plus supporter une telle vindicte populaire et, sans états d’âme, décidai de me jeter dans la fosse telle une néo-impératrice Néron décidée à venger l’injustice dont elle était victime.


27 mars 2022 – 5h30 – Flash d’info spécial sur Asman TV : « Une criminelle en liberté ! »

De nombreuses voitures de police et de secours garées en travers, gyrophares allumés. Une foule choquée.

La journaliste à l’antenne (en kirghize) :

« C’était effroyable … Elle était déchaînée. Même les vigiles n’arrivaient pas à la maîtriser, et l’un d’eux y a laissé son oreille – que l’on cherche activement dans les futs à bière. Apparemment, les services de renseignement sont d’ores et déjà sur le qui-vive pour la retrouver, parce que l’avoir en liberté est un danger pour l’intégrité de la Nation… »

Derrière elle, on voit Davidna approcher, dentition de sortie et robe étrangement rougie.

« C’est une folle furieuse … Appelez la population à rester confinée chez elle le temps qu’on la retrouve … C’est un miracle que tout le monde soit indemne, même si elle en a niaqué quelques uns. »

Entendant des pas et une respiration derrière elle, la journaliste se tourne et s’interrompt d’un hurlement infini, tandis que Davidna se jette sur elle avec ses dents, arrêtée par la sommation des forces de police.

Présent

C’est ainsi que l’Etat kirghize m’accusa d’être anthophage.

J’ignorais pourtant que la légitime défense était un crime.


Seule dans le séjour de la Royal Davidna House, à peine entouré des Davidna Boys dépités et pleurnichards, je constatais les dégâts. De la maison, il ne restait alors que les murs, et pas même les colonnes grecques. Enfin si, la piscine était toujours bel et bien pleine, et surplombait l’Atlantique. Mais de mon mobilier de palace et de mes tenues d’enchanteresse, il ne restait rien, le tout embarqué par le fisc italien, débarqué en France sous le contrôle d’un huissier de justice. À peine mes stocks de disques étaient-ils restés dans le garage, tandis que la Résidence était devenue un véritable bordel, la faute à ces souillons peu enclins à l’élégance dans l’enlèvement de mes effets.

Assise en tailleur au milieu du Salon Premier, les yeux hébétés, je tenais à la main un document qui me réclamait près de deux millions d’euros, que je ne savais sortis d’où et surtout de qui (et heureusement que je n’avais pas déclaré Paris). Dommage que l’Italie ne compte plus en lires, vingt dieux.

Je me levais, chancelante, tandis que les garçons commençaient aimablement à faire le ménage. À travers la baie vitrée, je regardais au-delà de l’horizon, par-dessus l’Atlantique, décidée coûte que coûte à récupérer mes biens et mon honneur et, surtout, à mettre les choses au clair avec Sanremo, celle-là même qui m’a privé de l’opportunité unique de porter les couleurs de mon deuxième pays à domicile.