Nous y sommes. Dans exactement cinq jours, nous connaîtrons l’identité du ou de la succeseur(e) d’Andria Putkaradze, vainqueur surprise de l’Eurovision Junior 2024. Place désormais à l’édition 2025, « Unis par la musique », ou presque…
… Car force est d’avouer que le slogan du concours adulte, qui s’impose également au Junior à partir de cette année, a de quoi voir son sens interrogé aujourd’hui, à l’heure où l’Eurovision traverse une crise inédite. Nous y reviendrons ultérieurement (tant le sujet Israël est loin d’être évacué et ouvre le champ des possibles en termes de réflexion), mais soyons très honnêtes : à l’heure où Tbilissi s’apprête à vibrer au son de l’Eurovision Junior, le cœur n’y est pas complètement et l’enthousiasme, pas vraiment.
Bref, puisque le traditionnel grand rendez-vous de la fin d’année Eurovision approche à grands pas, tâche à nous d’en assurer la meilleure couverture possible, surtout que les premières répétitions individuelles ont démarré hier matin et pris fin aujourd’hui. L’occasion de découvrir un premier aperçu visuel des prestations proposées par les candidats, que vous pouvez découvrir en images dans l’article dédié (disponible à partir du lundi 8 décembre, 18 heures). Les pays ont donc à se saisir cette année d’une petite scène censée incarner la Géorgie hôte, entre le tambour traditionnel central et les formes géométriques évoquant les montagnes du pays. En même temps, difficile d’avoir les ambitions démesurées lorsqu’on reporte en dernière minute l’accueil du concours dans un hall de gymnastique de 1 400 places que la mairie de Cosne-Cours-sur-Loire n’aurait pas à envier (sauf notre respect pour la ville nivernaise)…
L’organisation, parlons en justement : le timing de communication du télédiffuseur hôte laisse perplexe, à l’heure où la Géorgie connaît une crise politique et institutionnelle grave qui semble remettre en cause les bases de la démocratie dans le pays – à tel point que le Conseil de l’Europe s’inquiète de la dérive autoritaire en cours du gouvernement pro-russe en place, parvenu au pouvoir suite à des élections très contestées l’année dernière. Impréparation réelle d’un concours que le pays a déjà pourtant accueilli en 2017 ? Passage au second plan (compréhensible) d’un événement que le télédiffuseur et le gouvernement présentent pourtant (à raison) comme l’opportunité d’incarner une vitrine internationale pour la Géorgie ? Volonté de contrôle extrême de la communication ? Les questions sont ouvertes, surtout lorsqu’on considère le changement soudain de salle à trois semaines du show ou l’ouverture tardive de la billetterie à 10 jours de l’événement, qui n’a pas de quoi encourager les fans internationaux à être du déplacement. Sans parler de l’absence de toute accréditation pour les médias, là aussi une première historique, qui semble être davantage la suite logique de la politique de restriction de la couverture médias de l’Eurovision par l’UER. Même si, au Junior, la préservation du bien-être des enfants est clairement un sujet primordial, à l’heure où la haine se déverse gratuitement sur les réseaux sociaux et où personne n’échappe aux fureurs de frustrés sous pseudonyme.
Bref, à l’heure où la Géorgie s’éloigne d’une possible adhésion à l’Union européenne, elle défend pourtant l’organisation du concours comme un moyen de renforcer l’intégration européenne dans le domaine des arts et de la culture. Paradoxal, non ? Quoiqu’il en soit, au travers de l’Eurovision Junior, c’est d’une manière ou d’une autre l’Europe dans la musique qui sera sous la lumière des projecteurs samedi 13 décembre, « u-nie-par-la-mu-si-que ». Ce qui, vous en conviendrez, est toutefois bien plus simple avec des enfants, malgré leur pleine conscience du monde et tant qu’ils ne sont pas pervertis par le cynisme et la violence des adultes, censés pourtant faire preuve de maturité, de sagesse et surtout d’intelligence…
Ce monde ou plutôt notre monde : parlons en, tant les chansons du Junior semblent, année après année, de plus en plus imprégnées par les problématiques sociétales et les maux qui traversent un monde à la fois en transition et en pleine zone de turbulences. Combien d’appels à la paix, combien d’évocations des problématiques environnementales, combien de titres sur le harcèlement scolaire… Oui, nos juniors sont conscients de ce monde qu’ils veulent meilleur et pour lequel ils ne manquent pas d’idées. À tel point que, cette année, l’Eurovision Junior semble parfois avoir perdu de sa résonnance junior, tant certains textes et compositions semblent bien matures pour nos 9-14 ans, à tel point qu’ils ne dépareilleraient pas au concours adulte, c’est dire ! Une tendance que l’on observe depuis plusieurs années et qui interroge, là aussi, sur l’essence d’un concours junior. Certes, le temps des Bzzz est heureusement révolu (merci pour nos oreilles). Certes, les enfants et les jeunes ados ne sont pas imperméables à ce qu’il se passe dans un monde auquel ils sont de plus en plus connectés, et voir la jeune génération se saisir des problèmes qui traversent le monde et la société est une vraie source d’optimisme dans ce déferlement de négatif. Il faut d’ailleurs saluer la capacité des juniors à être des porte-voix, des lanceurs d’alerte ou des ambassadeurs de causes, telle Zoé Clauzure sur le harcèlement scolaire, et leur incarnation musicale est aujourd’hui indispensable à l’Eurovision Junior, en 2025.
Mais, en parallèle, il ne faut pas oublier que l’Eurovision Junior reste un concours junior, et certains télédiffuseurs semblent l’avoir oublié, pas que dans le texte (parce qu’on peut, après tout, aborder des problématiques sérieuses dans des sonorités junior, Zoé – encore une fois – l’a bien fait avec Cœur). D’ailleurs, cette édition 2025 se caractérise musicalement par un nombre important de ballades assez similaires dans le style (voire parfois plombantes) là où, du côté des titres à la veine vraiment junior, on sent l’influence croissante et continue des films d’animations et des comédies musicales pour ados, mais en moins bien. Autrement dit, même si quelques titres sortent du lot, ce cru 2025 déjà relativement moyen aurait gagné à être plus pétillant et punchy à mes yeux. Où sont les J’imagine, LOVIU, Dance!, Let’s count a smile, Comme ci, comme ça, Bim Bam Toi et autres qui ont enflammé et enjoué l’Eurovision Junior par le passé ? Plus j’écoute et je réécoute, plus cette édition me semble manquer de titres accrocheurs, entraînants, entêtants, capables de tourner en boucle sur ma playlist ou dans ma tête, à de très rares exceptions près (Saint-Marin notamment, mon petit coup de cœur de l’édition qui semble produire son effet sur les eurofans et qui, je l’espère, trouvera son public et ses jurys). Bref : exception faite de quelques titres (et pas forcément les meilleurs), ça manque vraiment de chansons junior à Tbilissi.
À l’heure de jouer aux parieurs, l’Eurovision Junior 2025 semble relativement ouverte, puisque quatre grands favoris se dégagent : l’Arménie, l’Ukraine, la France et la Pologne, avec l’étonnant Saint-Marin et la Géorgie hôte en embuscade. La côte de l’arménien (vainqueur du Conseil de classe de la rédaction de l’EAQ) semble d’ailleurs en hausse ces derniers jours, les spécialistes misant probablement sur la performance vocale d’Albert pour capter les points du jury façon Géorgie 2024 et comptant sur la solide assise de l’Arménie au vote en ligne (au-delà des qualités objectives de Brave Heart bien entendu). Longtemps restée en pôle position depuis le début de la saison, l’Ukraine se retrouve, quant à elle, une nouvelle fois en position de favorite avec la chanson et la performance accrocheuses de son interprète charismatique et énergique, en mesure d’apporter au pays la deuxième victoire de son histoire tout juste un an après en être passée près. Quant à la Pologne, véritable bastion du Junior, son titre pop agréable mais assez générique apparaît aujourd’hui comme en position de disputer la victoire, là où il serait passé inaperçu certaines années, preuve du niveau général de l’édition malgré toute la bonne volonté, l’enthousiasme et l’engagement des kids (comme dirait Nikos Aliagas). Mais, depuis les victoires de Lissandro en 2022 et d’Andria l’année dernière, on connaît désormais l’adage au junior : plus qu’à l’adulte, ce dernier est perméable aux grosses surprises, et nul n’est à l’abri de voir le Portugal décrocher une victoire surprise samedi soir (ce qui ne serait pas pour me déplaire, tant pour la musique qu’en termes de perspectives touristiques).
Et la France, dans tout ça ? Une nouvelle fois, elle est au rendez-vous avec l’impressionnante Lou Deleuze, 11 ans à peine et une voix incroyable de maturité pour son âge. Exit toutefois les habituelles chansons pop junior qui étaient la marque de fabrique de la France et à l’origine de son succès insolent : pour la première fois de son histoire au concours, le pays a choisi de présenter une ballade dans le plus pur style français, entre Barbara Pravi et Claudio Capéo, non sans convoquer l’esprit de la légende Edith Piaf. Musicalement, un très beau choix, assurément, tant la proposition est objectivement qualitative. Stratégiquement, cela reste à voir à l’heure où l’on parle d’un concours junior, dont une grande partie de l’audience est junior. Si la performance live est à la hauteur de la version studio, Lou peut très largement prétendre à séduire les jurys, amateurs de belles voix, de ballades et de la France junior. Pour le vote en ligne, cela pourrait être plus complexe, si l’on part du principe que le public est plus friand des titres pop et teintés junior : si on retire son carton plein historique aux jurys, la Géorgie n’avait terminé qu’à la 6ème du public en 2024 avec 59 points.
Deux facteurs peuvent toutefois jouer en faveur de la France : malgré l’afflux de ballades, Ce monde est particulièrement identifiable dans le style et, surtout, il est très accrocheur. « Ce monde, ce monde »… « Voilà, voilà »… Bref, vous aurez compris. Même si, restons réalistes, au vu de l’état critique des finances du télédiffuseur public et déjà détentrice de trois victoires récentes au Junior, la France cherchera avant tout un très bon résultat plus qu’une victoire (bien que cette dernière pourrait être un beau bonus auquel elle est en capacité de prétendre et un moyen d’égaler les quatre victoires de la Géorgie chez elle). Preuve en est, le basculement de la diffusion du concours sur France 4, ce qui n’est pas sans le reléguer considérablement vu les audiences habituelles de la chaîne (entre 1 et 1,2% de PDA mensuelle sur l’année 2025), sachant que les chiffres du concours sur France 2 étaient déjà certes corrects, mais pas mirobolants (au contraire du rugby, qui sera diffusé pendant ce temps sur la deuxième chaîne). Pas de quoi promettre une audience exceptionnelle un samedi à 17h30…
Il est l’heure à présent de vous souhaiter une bien belle semaine de l’Eurovision Junior 2025, en espérant qu’elle vous permettra de déconnecter un peu de la triste actualité du concours adulte. Surtout, la rédaction envoie toutes ses bonnes ondes à Lou Deleuze et à la France, que nous espérons voir ramener la quatrième étoile à la maison. Si vous voulez d’ailleurs lui filer un coup de main, rendez-vous dès vendredi soir 21 heures sur https://vote.junioreurovision.tv/ pour apporter votre soutien à notre représentante et voter pour la France (car, oui, au Junior, on peut voter pour son propre pays). Sinon, rendez-vous samedi 13 décembre à 17h30 sur France 4 aux côtés de Stéphane Bern et Zoé Clauzure (aux commentaires) pour suivre l’Eurovision Junior 2025, 23ème édition du nom.
Crédits image : UER/GPB









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