On a tous son chiffre ou son nombre fétiche. Me concernant, c’est le 12. Tout simplement parce que né le 12.12. Parce que 12 avant le 13. Parce que la musicalité brute, coupée nette et bien carrée, du 12.

Il est parfois des pensées futiles, qui vous traversent sans savoir pourquoi, sans y accorder d’importance particulière. Pas vraiment de l’ordre de la superstition, encore moins une intuition, ne parlons même pas de vision. Loin de l’obsession, la pensée vous traverse. « C’est comme ci, comme ça ». Peut-être parce que, tout simplement, « je veux ci, je veux ça » ?

Lundi 20 novembre, Hôtel Negresco, cérémonie d’ouverture de l’Eurovision Junior 2023. Vient l’heure du tant redouté tirage au sort de l’ordre de passage, que l’on sait (du moins que l’on suppose) déterminant. Et la pensée, subreptice, futile, furtive, traverse l’esprit : « si la France tire le numéro 12, elle gagnera l’Eurovision Junior. » On connaît désormais la suite.

Dès la première écoute, le potentiel était évident, tant celui de Cœur, un titre solaire et pop qui évoque le harcèlement scolaire, que celui de notre pétillante Zoé Clauzure, son énergie, son talent et son timbre de voix légèrement cassé, unique parmi toustes. Dès le 27 septembre 2023, où je découvre le titre dans les salons du Negresco, Cœur se révèle accrocheur, imprime immédiatement, pour ne plus sortir de la tête. Loin de moi l’idée que, deux mois plus tard pile …

25 novembre 2023. A l’approche du grand jour, la France s’inscrit parmi les favorites logiques de l’Eurovision Junior. Un sentiment confirmé par les répétitions où, malgré l’intensité du marathon1 et l’évidente fatigue, Zoé excelle et conforte son installation parmi les prétendantes évidentes au Micro de Cristal, aux côtés de l’Espagne, des Pays-Bas, de l’Arménie, du Royaume-Uni ou encore de l’Ukraine. Le Press Poll post Dress Rehearsal et l’Audience Poll post Jury Show (que l’on pensait biaisé par la présence tricolore massive dans la salle) le confirment : la France peut croire au doublé. Après deux victoires en 2020 et 2022, jury et public européens seraient-ils toutefois prêt à offrir une nouvelle fois leurs suffrages à notre pays ? That’s the question.

Si le mérite artistique de Zoé ne faisait aucun doute, je n’osais alors imaginer ce qu’il allait advenir, tant du point de vue de la superstition qu’au prisme de l’analyse. J’y croyais, j’espérais, j’en rêvais, mais les chances de doublé à domicile me semblaient statistiquement improbables. Quasi nulles, non, si l’on considère le doublé polonais de 2018 et 2019. Mais improbables devant le constat du nombre de pays qui avaient échoué devant l’objectif (Ukraine 2013, Géorgie 2017, France 2021 et Arménie 2022). D’autant plus devant l’hypothèse fictive d’une troisième victoire française en quatre ans (la Pologne avait failli le faire en 2021).

26 novembre 2023. Jour J. A Nice, Côte d’Azur, France, devant 5 000 spectateurs et sous les yeux de 30 millions de téléspectateurs, Zoé Clauzure remporte l’Eurovision Junior 2023 et offre à la France non seulement une seconde victoire consécutive, mais la troisième en quatre ans !

« Tout commence par un j’imagine » et au final, « un, deux, trois, just clap your hands ! » Avec une prestation qui a su mêler la solarité de la chanson avec sa composante dramatique (le sujet du harcèlement scolaire) et diffuser un message d’espoir, Zoé fait battre et palpiter les cœurs de l’Europe et du reste du monde. Forte et fragile à la fois, notre nouvelle Reine du Junior a su imprimer sa patte propre, incarner à la fois la lumière, le caractère et la résilience. Juchée du haut de son piano en forme de cœur, entourée de ses danseurs Thiméo Garin, Lily, Mahdy, Lola Dalquier et Yana (quasi toustes déjà du tableau victorieux de 2022), elle l’a affirmé haut et fort : « T’inquiètes pas, t’es pas seul ». Avec sa sincérité et son état d’esprit de combattante, elle tient aujourd’hui sa revanche. Zoé : une super-héroïne, tout simplement.

Parmi nos 16 super-héroïnes et héros de l’après-midi, je pense également à la candidate espagnole, Sandra Valero, en pleurs à l’issue des résultats, qui ont offert à l’Espagne la deuxième place, un exploit d’autant plus louable que l’artiste avait ouvert le show en première position, la plus redoutée. Comme quoi, lorsqu’une prestation est marquante … Avec son panache, son énergie et la lumière de son LOVIU, notre voisine ibérique aurait elle aussi mérité la victoire. Mais la règle est implacable : de vainqueure, il ne pouvait y en avoir qu’une seule, et nul doute que, bientôt, l’Espagne aura également droit à son moment de gloire au Junior, autour duquel elle tourne depuis son retour en 2019.

Le concours adulte avait l’Irlande 1992-1996, le Junior a désormais la France. Une France qui continue d’asseoir sa domination, si ce n’est son monopole, sur l’Eurovision Junior. Depuis son retour en 2018, notre pays compte ainsi 3 victoires (2020, 2022 et 2023) – désormais co-recordwoman en la matière avec la Géorgie, une médaille d’argent (2018), une médaille de bronze (2021) et une cinquième place (2019). Quatre victoires consécutives chez les jurys (2020-2023), un top 4 systématique au vote en ligne, … Aucun superlatif n’est assez fort devant les faits et la réussite incontestable de la recette française de l’Eurovision Junior (qu’Alexandra Redde-Amiel tient évidemment à garder bien secrète !). Le fruit d’un véritable travail de fond de la délégation, de la savante construction d’une ligne directrice, d’une identité, d’une marque de fabrique Eurovision Junior France développée par les équipes de France Télévisions.

Une French Touch qui a également resplendi sur la scène du Palais Nikaïa où, deux ans après la magie de la Seine Musicale, les équipes de France Télévisions nous ont offert un spectacle cette fois-ci héroïque. Le conducteur filait à merveille la thématique des « héros », tant dans le décor ailé, extrêmement réussi, que dans les cartes postales, parfaitement scénarisées, qui mettaient aussi bien à l’honneur l’héroïsme de chacun et à son niveau que la belle et lumineuse ville de Nice, hôtesse plus qu’agréable pour la fin novembre. Aussi bien dans la technique que dans le rythme, ce sont 2h30 d’un show irréprochable qui nous ont été offertes sur la scène du Palais Nikaïa, ce grâce au savoir-faire des équipes de France Télévisions, aujourd’hui prêtes à organiser l’Eurovision adulte. Mais au-delà du savoir-faire technique, et comme elle l’avait déjà fait en 2021, la France est une nouvelle fois parvenue à illuminer nos yeux des mille et une lumières de la Côte d’Azur et à réveiller nos âmes d’enfants une après-midi durant.

Une après-midi où, tandis qu’Olivier Minne (OLIVIIIIIIIIIIIIIIIIIIIER 💗💗💗) et Laury Thilleman formaient un duo de chic, de choc et de charme à la présentation aux côtés d’Ophenya, ambassadrice réseaux sociaux, la scène du Nikaïa a vu se succéder des tableaux aussi somptueux les uns que les autres. De l’ouverture rythmée par le défilé des drapeaux sur Heroes, l’hymne officiel aux entractes de feu signées Lissandro et Amir (mais pourquoi ne pas avoir sorti une telle scénographie pour J’ai cherché en 2016 ?), le spectacle ne fut qu’émerveillement, avec la reprise collective de We Are The World en point d’orgue, teintée du mot Paix inscrit sur les tee-shirts des artistes et les pancartes distribuées à l’ensemble des spectateurs du Palais. La présence de danseurs et de choristes issus de toutes les générations a permis au Junior de parler à toustes, tandis que la soliste Florence François a été la vraie révélation du show, avec ses partitions vocales au goût du sublime.

Mais LA séquence émotion du soir, ce fut peut-être la plus spontanée, la plus naturelle, de ces étoiles qui forment la constellation d’un moment de grâce. Tandis qu’elle assurait sa reprise de lauréate, Zoé fut en effet rejointe par l’ensemble des candidats qui, au-delà de la déception légitime, se sont précipités sur notre eurostar pour la féliciter, l’embrasser et reprendre sa chanson en chœur avec elle, exhortant le public à faire de même. Sans aucun doute le moment le plus marquant de cet Eurovision Junior 2023, où nos super-héroïnes et nos super-héros se sont retrouvés autour de la Reine Zoé. Unis par la musique. Unis par Nice. A tout jamais.

Bravo et merci. Bravo Zoé pour cette splendide victoire. Notre fierté est immense, et la portée du mot dépasse ici l’entendement. Merci à la superbe artiste que tu es, et que ce Micro de Cristal t’ouvre la voie d’une longue route musicale.

Merci, merci. Merci à France Télévisions pour l’organisation de ce show fabuleux, pour avoir su réveillé les enfants présents dans chacun d’entre nous. Merci d’avoir porté une nouvelle fois la France au firmament de l’Eurovision Junior. Et rendez-vous pour la suite.


(1) Cette année, l’UER n’a ouvert le centre médias que le vendredi après-midi, soit un jour et demi seulement avant le live. C’est donc dans un laps de temps court à l’extrême que les candidats ont dû répondre à une avalanche de sollicitations médiatiques, accentuant ainsi la fatigue d’un marathon eurovisionesque déjà éreintant pour toustes. Au regard de la politique de protection de l’enfance nouvellement mise en place par l’UER, il conviendrait sans doute à l’avenir d’ouvrir le centre médias 24 ou 48 heures plus tôt pour permettre aux enfants de souffler là où l’agenda médiatique couplé à celui des répétitions ne leur offre aucun répit (et permettre accessoirement aux médias d’effectuer leur couverture dans de meilleures conditions, c’est un autre sujet). Saluons toutefois l’attention et la bienveillance des délégations, qui ont su préserver leurs candidats et répondre par la négative aux sollicitations médiatiques lorsque cela s’imposait.

Crédits photo : Rémi P.