C’est hier matin que Louane et la délégation française ont embarqué dans le train à direction de Bâle, destination l’Eurovision 2025. À quelques heures de la première répétition de notre représentante, retour sur cette aventure avec Alexandra Redde-Amiel.

Au cours de cette interview réalisée par L’Eurovision au Quotidien et En Route Pour l’Eurovision, la cheffe de la délégation française depuis 2020 (et directrice des jeux et des divertissements de France Télévisions) évoque sa rencontre avec Louane, les enjeux de la France au concours, mais aussi ses attentes vis-à-vis d’une communauté Eurovision de plus en plus active en France.

EAQ/En Route – Un an après Slimane, rallier un nouveau grand nom pour représenter la France à l’Eurovision était un immense défi vu l’historique parfois compliqué de notre pays au concours. Comment relève t-on ce challenge en tant que cheffe de délégation ? Quelle est la formule magique ?

Alexandra Redde-Amiel – Je pense que ce n’est pas une histoire de recette magique ou pas. L’idée est de mobiliser autant les artistes connus que les jeunes talents, de réunir tout le monde en réalité. L’Eurovision appartient à tous : je garde toujours à l’esprit que la France doit être rassemblée derrière son artiste, parce que je crois beaucoup à la force d’un pays. Le fait d’avoir des artistes aussi connus que Louane ou Slimane permet de mobiliser davantage les français. L’accueil qui leur a été réservé est absolument magique et exceptionnel. Accompagner le concours de cette manière-là sur la scène internationale est fantastique.

La rumeur a longtemps couru devant l’impatience de la révélation de l’identité de notre représentante. Beaucoup de noms ont circulé, puis ce fut Louane. Peux-tu revenir sur ce choix et cette rencontre artistique ?

Cette rencontre avec Louane est un moment unique, parce que l’Eurovision est une aventure et, quand je vais à la rencontre des artistes, on parle beaucoup de cet aspect, de l’alchimie et de l’investissement qu’il doit y avoir. Louane fait partie des artistes que je ne connaissais pas personnellement et quand je l’ai rencontrée, cela a été un moment absolument… Je ne saurai même pas le définir. Cela a été une connexion immédiate. On a tout de suite accroché par la passion, par l’envie, par cette Louane qui souhaitait représenter la France à l’Eurovision, mais qui se posait évidemment plein de questions. C’est à ce moment-là que s’est faite la connexion. Ce qui est très beau, c’est qu’après notre première rencontre, on ne s’est plus vues pendant des mois, mais on avait une envie profonde de le faire chacune de son côté. Elle a trouvé les solutions et, dans la foulée, on a embarqué dans cette aventure.

En quoi maman pourrait-il créer la connexion avec les européens ?

Plus que jamais, dans un monde compliqué, la famille a du sens et représente un socle. maman est peut-être l’un des plus beaux mots, qui peut se comprendre dans toutes les langues. Je pense que la mère est le lien de tous. Cette chanson est puissante, universelle et ce que j’appelle « connectée ». Certains comprendront, d’autres moins, mais il y a quelque chose d’extrêmement puissant dans le fait que Louane arrive à l’Eurovision avec une chanson très personnelle, qui parle à tout le monde, pour réaliser le rêve de sa mère.

L’enjeu est d’autant plus grand, puisque cela fait 48 ans que la France n’a pas gagné l’Eurovision. On peut parfois entendre ci et là une tentation de la résignation. En tant que cheffe de délégation, comment surmonte t-on cela ?

Il n’y a pas de résignation. La vie est une aventure avec un début et une fin, qu’il faut tout le temps croquer à pleines dents. Jamais je ne me dis qu’on peut être résignée. Nous, les êtres humains, ne sommes que des énergies, et si on déploie une énergie négative, on ne peut pas atteindre la victoire. Je pense que le chemin est long, mais surtout qu’il est beau et que, jamais, je ne baisserai les bras, parce que c’est dans l’énergie et dans une attitude positive qu’on remporte les plus belles victoires.

Parler de chemin est intéressant, parce que si on regarde les dix dernières années, on constate des évolutions dans l’image de l’Eurovision en France, fut-ce le choix des artistes, les audiences, le traitement médiatique ou encore la recherche universitaire qui s’intéresse de plus en plus au concours. En tant que télédiffuseur, quels sont les moyens envisageables pour faire véritablement de la France un pays d’eurofans ?

Qu’on continue à mobiliser comme on le fait. Quand on réalise 9,5 millions de téléspectateurs sur la prestation de Louane au Stade de France, je considère que c’est le début d’une victoire de la mobilisation. Je crois que c’est avec de grands moments et des événements Eurovision tout au long de l’année que le concours devient une religion, comme il l’est en Suède ou en Italie.

Comment envisages-tu la relation entre les eurofans et le télédiffuseur ? Qu’attends-tu d’eux en tant que cheffe de délégation ?

J’attends d’eux des encouragements et une attitude positive. Pour moi, la délégation française est une grande délégation, dont vous faites partie. Même quand on croit moins en une chanson ou un artiste, il est primordial de l’accompagner et de dire que, quoi qu’il arrive, on est avec lui. C’est une stimulation qui permet d’avoir un soutien sans faille et c’est quelque chose qu’on attend tous de la part des eurofans au sein de la délégation.

Justement, que penses-tu de l’engouement des eurofans et des différents groupes sociaux ?

Je trouve cela très bien de voir autant de groupes se développer. Je lis beaucoup de choses et c’est vrai que, lorsque je lis des propos un peu plus durs, j’aimerais que tout le monde soit en soutien. Bien entendu, on ne peut pas plaire à tout le monde, mais j’aimerais qu’on gagne en puissance pour que chacun comprenne qu’on met tout notre cœur dans l’Eurovision, qu’on y va avec cette envie de gagner et de partager tous ensemble cette victoire. Quand je lis les français et que je vois votre soutien, je trouve cela formidable. Je voudrais que ce soit encore plus fort et plus puissant, pour qu’on forme une grande délégation française et qu’on vous ramène tous avec nous.

Tu disais quelques mois plus tôt qu’accompagner chaque artiste est une aventure différente, surtout quand on a affaire à un artiste confirmé. Avec Louane, quelle relation as-tu et quel rôle joues-tu ?

C’est une très jolie relation. Louane est très à l’écoute et dans le respect de l’expertise que j’ai, ce que je salue d’autant plus que, pour une artiste confirmée, c’est très impressionnant de voir à quel point elle s’adapte et réfléchit. C’est une relation très fluide et très belle à la fois, on s’entend extrêmement bien. Ce sont des échanges réellement constructifs que l’on entretient en permanence avec elle. C’est une artiste qui mérite d’être connue dans la vie, parce que c’est vraiment une belle personne.

Quel artiste as-tu eu le plus de plaisir à accompagner lors de l’Eurovision ?

C’est trop difficile de répondre à cette question, tant chaque aventure a été différente. Pour moi, l’Eurovision est une famille et je ne peux choisir entre mes enfants. Je suis ainsi tant dans ma vie personnelle que professionnelle. Je donne tout à chacun des artistes avec lesquels je travaille et de la même manière. Ils me le rendent tellement que je les aime tous de la même manière.

Depuis que tu es cheffe de délégation, on constate une majorité de ballades dans les choix musicaux qui ont été réalisés pour l’Eurovision. On est tenté d’y voir un choix délibéré face aux attentes des européens vis-à-vis de la France. Pourrait-on envisager de retrouver des titres plus pop ou urbains sur la scène du concours ?

Bien sûr. Certes, il y a ce répertoire français assez fort, que certains ramènent à Édith Piaf. Cela n’empêche pas que si, demain, on avait une très bonne chanson pop, on ne la retirerait pas de la course. Mais la grande chanson française reste très appréciée en Europe et il est aujourd’hui important d’arriver avec cet atout. L’Eurovision reste un concours et c’est essentiel d’essayer de répondre à cette envie européenne de voir la France briller avec une grande chanson.

Depuis 2023, le candidat français est choisi via une sélection interne, sans appel à contributions. Quelle est, selon toi, la plus-value et les éventuelles limites de ce mode de sélection ?

Je pense qu’il n’y a pas de plus ou moins. Quand on veut solliciter des artistes connus sur la scène internationale, on doit passer par une sélection interne, parce que cela reste très compliqué de les convaincre de participer à une sélection nationale. Mais au fur et à mesure, je sens que les artistes ont une appétence à participer à l’Eurovision. Comme je l’ai évoqué dans la presse, je réfléchis à la création d’un Sanremo ou d’un Melodifestivalen à la française, pour créer un événement susceptible de réunir des jeunes talents et des artistes confirmés. Mais chaque chose en son temps et il est très important qu’on parvienne d’abord à faire venir les artistes confirmés sur la scène internationale avant de créer un événement de cette envergure.

On avait déjà évoqué cela un an auparavant et tes récentes déclarations dans la presse à ce sujet ont enflammé les réseaux sociaux.

Aujourd’hui, l’Eurovision attire des artistes implantés en France. C’est une nouvelle victoire, qui nous permet de construire progressivement le concours en France, jusqu’à réaliser ce rêve. Ce serait merveilleux d’instaurer un événement comme Sanremo en France, parce que cela permettrait de créer chaque année un véritable rendez-vous pour les eurofans et les français, mais aussi pour la scène musicale et la culture françaises.

En cas de victoire à l’Eurovision 2025, une ville hôte serait-elle déjà dans les tuyaux ?

Non, parce qu’on devra procéder à un appel d’offres. Paris serait une option formidable, mais il y a d’autres villes qui pourraient être de magnifiques choix potentiels, dans le sud par exemple. Pour l’instant, on garde juste cela dans un coin de notre tête, car le processus devra être très rapide en cas de victoire. Mais on n’y pense pas encore. On se laisse d’abord le temps d’arriver à Bâle.

Le dispositif de France Télévisions pour l’Eurovision 2025

Du 12 au 16 mai – tous les soirs à 20h40 sur France 2 : Basique avec toute l’actualité de Louane et de l’Eurovision 2025
13 mai à 21h sur Culturebox/France 4 : demi-finale 1 de l’Eurovision 2025 commentée par Stéphane Bern
13 mai après la demi-finale sur Culturebox/France 4 : Basique – concert d’Amir
15 mai à 21h sur Culturebox/France 4 : demi-finale 2 de l’Eurovision 2025 commentée par Stéphane Bern
15 mai à 21h10 sur France 2 : Envoyé Spécial (présenté par Élise Lucet) – « Eurovision 2025 : cette fois c’est la bonne ? »
15 mai après la demi-finale sur Culturebox/France 4 : Basique – concert de Louane
17 mai à 20h30 sur France 2 : Dans les coulisses de l’Eurovision 2025 présenté par Stéphane Bern
17 mai à 21h sur France 2 : finale de l’Eurovision 2025 commentée par Stéphane Bern et Laurence Boccolini

L’EAQ et En Route remercient Alexandra Redde-Amiel pour nous avoir livré son état d’esprit et ses impressions à quelques heures de la première répétition de Louane sur la scène de la Halle Saint-Jacques, salle hôte de l’Eurovision 2025 à Bâle. Merci également à Ludovic Hurel, responsable communication auprès de la direction de la communication des antennes et des programmes de France Télévisions, pour l’organisation de cette interview.

Rendez-vous à 19h20 pour la première répétition de Louane, dont le descriptif devrait être publié dans la foulée sur le Reddit officiel de l’Eurovision. Les trois photos extraites de la performance seront quant à elle diffusées demain matin.

Crédits photo : Jean Ranobrac