La rentrée des classes passées, les lectrices et lecteurs continuent de nous proposer leurs cartes blanches ! Aujourd’hui, Dustin prend la plume avec un récit personnel sur son coming out en tant qu’eurofan.
“Everyway that I can”
À l’âge de sept ans, je découvre l’Eurovision Song Contest. Cette année-là, c’est Dana International avec “Diva” qui remporte le concours. Mais c’est en 2003 avec Sertab Erener et Urban Trad que je deviens un eurofan. À l’époque, il n’y a pas Youtube, alors j’enregistre les concours sur VHS et me les repasse en boucle. Avec internet, je découvre la joie du téléchargement et agrémente mes premières playlists eurovionnesques.
Autour de moi, je vois bien qu’on n’écoute pas les mêmes chansons. La plupart écoute les titres qui passent à la radio, moi je suis en boucle sur l’Eurovision. J’écoute des chanteurs serbes, des chanteuses grecques et apprends les danses ukrainiennes. Tanzen ! L’Eurovision fait de moi un bon élève, car je sais à la fois où se situe sur une carte la Bosnie-Herzégovine et comment dire Lettonie en anglais. Autour de moi, on se moque du concours, alors je ne partage pas mon secret sur mes connaissances.
“Tonight we can be glooooooooorious …”
Au lycée, je me retrouve à une soirée le même soir que l’Eurovision. Première décision mature, je fais le choix difficile, d’aller à la soirée plutôt que de rester chez moi à regarder le concours tout seul. Par chance, il se trouve qu’à cette soirée la télé est allumée et diffuse en fond l’Eurovision. Je me place suffisamment proche pour garder l’écran dans mon viseur et y jeter quelques coups d’œil. Mais pendant la soirée, ce n’est pas évident. J’entends tous types de remarques qui me blessent sans que je puisse vraiment le montrer : “C’est vraiment de la merde.” / “Mais en fait ils copient tout sur les chansons américaines.” / “C’est toujours les mêmes qui gagnent.” / “C’est vraiment ringard, regarde les flammes qui sortent du piano.” Bon … Pour ce dernier commentaire, je n’ai pu m’en prendre qu’à la délégation roumaine, qui avait eu la bonne idée d’installer leur artiste Paula Seling et Ovi à un piano en verre. Alors qu’ils criaient “can’t you see we are playing with fire” il y avait littéralement des flammes qui sortaient du piano. C’était pourtant une bonne chanson merde ! En plus, cette année-là c’est Lena avec “Satellite” qui l’emporte et on ne peut pas dire qu’elle fasse partie des chansons signées Eurovision. Quelques jours plus tard, alors que je joue cette chanson en boucle, un ami rentre dans ma chambre et me dit “C’est quoi ? C’est vachement bien.” Première victoire ! Mais je n’ose pas être tout à fait honnête, alors je réponds avec un certain détachement “oh c’est une artiste allemande que j’ai découvert.” Faisant allemand LV1, il n’a pas cherché à approfondir.
Mais lorsqu’en 2013, l’Allemagne envoie le groupe Cascada, je me dis “ENFIN !”. Ça y est l’Eurovision va être populaire. Enfin un groupe suffisamment connu pour que mes amis s’y intéressent. Mais après le flop de leur titre, je fais à nouveau profil bas.
“You’re the one who’s making me strong …”
Quelques années plus tard, je me découvre bisexuel et en couple avec un garçon. Me voilà officiellement membre de la communauté : le cliché du parfait eurofan, quelle angoisse … Ce n’est pas de cette manière que je vais réussir à convaincre les détracteurs du concours. Je continue de suivre l’Eurovision mais je suis moins assidu, un peu plus lassé par le manque de renouvellement. Ce n’est donc pas un problème pour cacher cette information à mon copain, qui lui a des goûts musicaux irréprochables. Lui c’est un vrai, il écoute la musique avec des vinyles. Alors, je n’envisage même pas de lui avouer ma passion pour l’Eurovision.
Entre Amir et sa chanson “J’ai cherché”. C’est la première fois que j’adhère entièrement à une proposition française. C’est la première fois que j’entends jouer une des musiques à la radio. C’est la première fois que je pense qu’on peut enfin se rapprocher du podium et peut-être l’emporter. Me revoilà, un fan acharné. Cela devient plus difficile pour dissimuler mon obsession pour cette chanson. Avant Élodie Gossuin, c’était moi qui me surprenait à lâcher des “Youhouuuhouhou” tout seul dans la salle de bain. L’Eurovision approchant à grands pas, et comme tout eurofan, je trépigne. C’est la première fois pour moi que je suis en couple au moment de l’Eurovision et je ne sais pas comment faire. J’écoute les morceaux en secret, avec la peur d’être démasqué, comme si je regardais du porno ou que je faisais quelque choses de malhonnêtes. C’est d’autant plus difficile que je passe tout mon temps libre avec lui. À cette époque, je n’ai même pas annoncé à mes amis et encore moins à ma famille, que je sortais avec un garçon. Mais annoncer à quelqu’un d’autre que j’écoute volontairement des chansons de l’Eurovision me semblait être une épreuve encore plus difficile. Un jour, après lui avoir fait écouter la chanson d’Amir, je lui dis que c’est la chanson qui représente la France à l’Eurovision. Il me regarde d’un air détaché, avec ses grands yeux verts qui me déstabilisent. Un peu honteux, je baisse les yeux, puis je lâche : “j’aime l’eurovision”. Comme une preuve d’amour, comme un je t’aime, j’ose enfin dire “J’aime l’Eurovision.” Il fait une moue de déception, comme s’il souffrait d’avoir entendu ces mots, puis me répond du tac au tac : “Mais c’est nul.” Je suis brisé, humilié. Je change de sujet et l’Eurovision devient à nouveau un tabou.
“Thunder and lightning, it’s getting exciting …”
Épuisé, mais pas abattu, je me mets en tête de lui faire changer d’avis. Je commence à intégrer de manière anodine des morceaux par-ci par là, noyés dans la masse. J’observe mon sujet avec attention, j’analyse ses réactions. Souvent il n’y en a aucune. Je vois bien qu’il n’est pas réceptif. J’essaie d’être discret, je lui joue des morceaux qui ne sont pas trop étiquetés eurodance, pour justement lui prouver que l’eurovision c’est autre chose. Une fois, après avoir partagé un moment intime, il m’enlace et me dit : “dis donc c’était pas une chanson de l’Eurovision qu’on a entendu ?” Je ne pouvais pas le nier, j’étais démasqué. Quelques minutes plus tôt Ira Losco, la représente maltaise, nous criait qu’elle avait l’impression de marcher sur l’eau, évidemment il ne pouvait que le remarquer ! Mais bon, cette chanson est une de mes guilty pleasure. L’Eurovision redevient un sujet. Je profite de cette opportunité et me lance dans un monologue enflammé afin de lui démontrer à quel point l’Eurovision est plus que ce qu’il a en tête. Au-delà des chansons, du spectacle, de la géopolitique… de tout. Je m’épuise moi-même, il est plus ou moins convaincu. Il ne m’a pas largué, c’est déjà ça. Mais il ne regardera pas pour autant l’Eurovision avec moi. Néanmoins, cette discussion m’a permis d’oser exprimer pour la première fois l’amour que je porte pour ce concours. Et je me rends compte que même si mon copain ne partage pas forcément cette passion, il ne me juge pas pour autant et ça me libère d’un certain poids. Maintenant que nous habitons ensemble, je me permets d’écouter les morceaux sans me cacher. 2019 marque d’ailleurs notre premier Eurovision ensemble. En écoutant certains titres, je l’entends dire “Ah mais je connais déjà.” ou “J’ai déjà entendu cette chanson, c’est pas nouveau.” En effet … je rigole intérieurement mais ça fait des mois que je les joue en toute discrétion. Il est complètement perdu, il ne comprend rien aux règles, ni aux personnes qui sont sur scène : Mans, Eleni, Netta et Verka… “Mais what the fuck qui sont ces gens ?”. Spoiler Alert, aujourd’hui il est incollable.
“I feel my heart is on fire…”
Depuis, il est devenu mon partenaire officiel de l’Eurovision. Chaque année pendant une semaine, on célèbre ensemble le concours. Évidemment en contrepartie sur la table basse, il y a de la bière et du saucisson, mais on regarde ensemble les demies finales et la finale comme une compétition sportive. Moi, je connais déjà les morceaux, lui les découvre et se fait un avis sur le moment. Et ça rend l’expérience encore plus intéressante.
Avec la pandémie, j’ai pris conscience qu’il fallait aussi vivre à fond l’expérience et ne pas attendre désespérément la victoire de la France. Alors nous avons eu l’opportunité de participer à l’Eurovision Junior à Paris et d’aller aussi à Turin en 2022 pour l’Eurovision. Un grand moment et beaucoup d’émotions ! On a aussi eu la chance de voir le groupe Hooverphonic, Go A et Gjon’s Tears en concert.
Sans être un eurofan, mon copain m’accompagne et prend un certain plaisir lui aussi dans cette aventure. D’une certaine façon, je suis aussi heureux d’avoir pu lui apporter une autre vision du concours et de l’amener à s’y intéresser. Je m’étonne même parfois à l’entendre me donner des informations sur le concours. Par exemple, il était au courant avant moi de la sélection de La Zarra pour représenter la grande France.
Cet été, alors que nous étions dans un pub londonien bien viril, on s’est étonné d’ entendre “Solo” de Blanka. Lorsque j’ai entendu “Bejba”, même si je n’aime pas cette chanson, j’étais heureux de pouvoir compléter les paroles et me dandiner sur mon siège, sans aucune honte. Autant plus heureux en regardant mon copain fredonner “solo solo” et faire les gestes de la main. Une complicité que je ne pensais pas un jour possible vivre à travers l’Eurovision.
“Let’s get happy !”
Alors maintenant que j’ai pleinement assumer mon coming out eurovisionnesque avec mon copain, qu’est-ce-qui m’empêche de l’assumer auprès de mes amis ? Duncan Laurence, Maneskin, et Loreen, qui ont déjà envahi les radios et les playlists de mes amis, alors ça ne devrait plus être difficile.
Dustin Todomondo
Un grand merci à Dustin pour sa contribution à nos cartes blanches. Si, vous aussi, vous avez envie de prendre la plume et de nous proposer une carte blanche, n’hésitez surtout pas à nous contacter par mail à redaction@eurovision-quotidien.com. Si, par la même occasion, vous voulez poser votre candidature pour rejoindre la rédaction, vous êtes les bienvenu·es !
Très jolie histoire et très bien racontée. Merci Dustin !
Ton pseudonyme est tout à fait original, alliant le pire (Dustin the Turkey) au meilleur (Todomondo, leur chanson méritait d’être dans Un jour, une chanson).
Tu as démontré qu’on ne doit pas être une bête curieuse d’aimer l’Eurovision. Et à force de passion, tu as su transmettre ton amour et tes goûts pour cette institution à ton compagnon et tes copains et copines.
Personnellement, je ne parle à mes collègues et surtout à ma meilleure amie qui refuse de suivre l’Eurovision Junior préférant l’Adulte qu’au moment où je connais le ou la lauréat(e) pour représenter la France et toutes les chansons sélectionnées qu’au mois de mars.
Ensuite, ma meilleure amie voit sur You Tube les extraits et quand ça lui plaît plus en entier et me livre son Top 5. Je lui renvoie le mien.
Dustin, tu as gagné la partie, tu te sens plus libéré. Bravo pour ton obstination.
Une narration digne de Père Castor !
J’avoue un peu la même situation vis à vis de l’Eurovision et un peu les mêmes tactiques fourbes pour le dédiaboliser mdr.
Tellement d’anecdotes de piégeage de gens qui n’aiment pas l’Eurovision via une chanson dans une playlist savamment cachée, une remarque sur la playlist des gens qui contient des chansons de l’Eurovision alors que la personne trouve que les chansons du concours sont de la merde ou encore par l’utilisation de chansons adaptées au goût des personnes pour leur faire découvrir l’Eurovision …
– Voilà un témoignage très intéressant et très concret de la difficulté à rendre le concours de l’Eurovision attractif aux « communs des mortels » : tu expliques parfaitement les embûches, les déceptions et même les grosses hésitations à qualifier une chanson issue du concours.
– Je le confirme : lorsque j’en parle à mes collègues enseignants et à mes élèves le soir de la finale et le lundi après les résultats, je reçois au mieux une écoute évasive polie, ou alors une indifférence totale voire moqueries ou des reproches. Autant dire que lorsqu’il arrive exceptionnellement qu’une personne adhère à ma passion, c’est une petite victoire et je comprends que pour toi et ton compagnon, ça a été un long chemin mais finalement, tu as réussi par petites touches à le convaincre.
– J’aurais tellement d’anecdotes à raconter à ce sujet… En tout cas, merci de nous avoir fait partager ton expérience.
Je vois que tu découvre l’ eurovision une année où la France termine avant-dernière, le début de notre série noire. Nous avons obtenu à nouveau ce classement en 2000, on s’ habitue. mais il y a pire que nous.