Aaaah 1983 ! Quelle excellente année ! Yannick Noah qui remporte Roland Garros (bon… C’est le dernier français à l’avoir gagné !). Corinne Hermès qui remporte le concours Eurovision pour le Luxembourg (bon… C’est la dernière française à l’avoir gagné !). Mais surtout… C’est l’année de naissance de votre servitrice ! Comme le dirait ma mère : « les fleurs ne sont pas chères, c’est pour cela que je me les offre, ça me fait plaisir ! » Bref, partons en direction de l’Allemagne de l’Ouest. Cette semaine, ce n’est pas une mais deux lanternes rouges que nous allons découvrir ! Et la première est…

Remedios Amaya

Remedios Amaya, de son vrai nom María Dolores Amaya Vega est née le 1er mai 1962 dans le quartier Triana à Séville (elle est la deuxième d’une famille de dix enfants). Triana est considéré comme le berceau du flamenco et où la communauté gitane a longuement vécu, et ce, jusque dans les années 70 (décennie où le développement immobilier espagnol a explosé). L’attrait pour la musique de Remedios lui vient tout simplement de sa famille. Sa mère, Josefa chante énormément à la maison. Son père, Antonio, est danseur de flamenco et son oncle maternel Alejandro est chanteur. En 1973, à l’age de 11 ans, elle entame sa carrière dans les tablao. Les tablao sont des locaux du style café concert parisien du XIXᵉ siècle où se jouent exclusivement des spectacles de flamenco (musique, chant, danse). Elle est surnommée la « india chica » (la petite indienne). 5 ans plus tard, elle monte à Madrid pour tenter sa chance. Elle est remarquée par les propriétaires de La Venta del Gato et Los Canasteros, deux tablao de la capitale qui lui proposent des contrats. La même année, elle sort son 1er album studio qui porte son nom d’artiste et devient la protégée de Camarón de la Isla (que l’on peut traduire par… Crevette des iles), une légende de la musique andalouse. On la surnomme, à ce moment-là, la « Camarona de Triana » (la crevette de Triana). En 1979, un deuxième 33 tours est publié, Cantaron las estrellas (Les étoiles ont chanté). La popularité de Remedios est maintenant établie. La voilà partie en tournées sur les routes ibériques. Quand arrive la fin de l’année 1982…

La chanson Cantaron las estrellas qui donne aussi son nom au 2ᵉ album de Remedios

Et l’Eurovision dans tout ça ?

Après un début de décennie où l’Espagne a essayé: la ballade disco en 1980, un morceau pop masculin (un petit bonbon estival que je vous conseille d’écouter, d’ailleurs) en 1981 et le tango en 1982, le pays (et surtout la TVE) décide de revenir à ses racines profondes en choisissant en interne, Remedios et son titre ¿Quién maneja mi barca? (Qui conduit mon bateau ?). Pour notre lanterne du jour, ce voyage vers l’Allemagne est une grande première, car elle n’avait jamais quitté sa terre natale. Mais tout ne se passe pas comme elle avait espéré. La tenue noire qu’elle avait choisie en amont du concours est de la même couleur que la scène, si bien qu’elle passe inaperçue. Une autre robe, blanche, cette fois-ci, est bien trop lumineuse. On lui demande donc de porter la robe qu’elle porte dans le clip. Remedios se résout aussi (à reculons par peur de lui porter malheur. Ce qui se révèlera vrai) à ne pas porter de chaussures, car elle n’en a aucunes assorties à ses vêtements. Des répétitions loin de tout repos qui nous amène au samedi 23 avril. Remedios passe en 7ᵉ position entre la Turquie (on en reparlera) et la Suisse. Alors qu’au terme des 3 minutes de son titre, le public de la Rudi-Sedlmayer-Halle (devenue le BMW Park depuis 2011) est nombreux à l’applaudir, il n’en sera pas de même pour les jurys nationaux. Car ils vont complètement la snober. Aucun point n’est donné à l’artiste ibérique (pas même par les voisins portugais… C’est dire !). Au moins le cauchemar eurovisionesque de Rémedios est terminé et c’est non sans soulagement qu’elle repart vers l’Andalousie.

Un bateau qui s’est cogné à un iceberg nommé « Jury ».

Et après l’Eurovision ?

Les semaines post-Eurovision ne sont tout de même pas sereines pour notre lanterne rouge. Les médias et le public espagnol tentent d’oublier cette dernière place en l’écartant des programmes télés. Certains l’accusent même d’avoir présenté une mauvaise image du pays, car elle aurait utilisé le cliché raciste et sexiste de la « gitane » habillée à l’orientale et pieds nus. Si elle sort un album en 1984, c’est le silence total jusqu’en 1993 où le réalisateur français Tony Gatlif la sort de l’ombre en la faisant tourner dans son film sur les communautés rom et gitane, Latcho Drom. 2 ans plus tard, c’est son compatriote Carlos Saura qui la filme pour son documentaire, Flamenco.

Son vrai retour dans la musique s’opère en 1997 quand elle sort ENFIN un nouvel album en compagnie du guitariste Vicente Amigo. Intitulé Me voy contigo (Je vais avec toi), il contient le titre Turu Turai qui devient un succès surprise en se vendant à 150 000 exemplaires.

Ce triomphe lui rouvre les portes des médias et lui permet de refaire des concerts. Entre 2000 et 2016, elle publie 3 albums, tous nommés au Latin Grammy Award. Hélas, le destin se joue de Remedios car juste avant la promotion de son dernier CD (en 2016, donc), on lui diagnostique un cancer du sein. Heureusement, traitée à temps, elle est aujourd’hui guérie.

Rémédios est mère de 3 enfants. Une fille, Samara, qui suit les traces de sa mère et deux garçons : Lucas qui chante lui aussi et Luis. Le 1er mai dernier, Remedios a fêté ses 63 ans.

Mais en cette belle année 1983, elle ne fut pas la seule à finir dernière. En effet, un autre artiste l’a accompagné et c’est…

Çetin Alp

Çetin Küçükarsian, dit Çetin Alp, naît le 21 juin 1947 à Malatya, dans l’est de la Turquie. Et… C’est tout ce que nous savons de son enfance ! En revanche, on apprend qu’il débute sa carrière dans les années 70 quand il remporte le concours de chant Altın Ses (qui signifie Voix d’Or). À la même époque, son titre Son Defa Görsem (Si je te vois pour la dernière fois) est un grand succès dans son pays et lui permet de décrocher un disque… D’or. Durant les années qui suivent, il sort plusieurs 45 tours, qui lui apportent quelques succès.

On remarquera les lunettes aviateur fumées so années 70 !

Et l’Eurovision dans tout ça ?

En 1979,alors en pleine gloire, il participe pour la première fois à la sélection nationale pour le Concours Eurovision. Mais il se classe avant-dernier avec Elveda (Adieu). La tristesse de cette décevante place est cependant vite oubliée, car la Turquie décide quelques semaines plus tard de retirer sa candidature en signe de protestation contre Israël (où le Concours doit se tenir), considéré comme responsable de la crise pétrolière. Et oui, les dramas au concours ne datent pas que d’aujourd’hui !

Le deuxième essai de Çetin Alp est plus concluant. Le 4 mars 1983, dans les studios de la télévision publique turque à Ankara, il se présente non plus seul, mais accompagné de son groupe The Short Waves, il gagne son billet pour Munich (grâce à un vote 100%jury) avec le titre Opera, surpassant ainsi Beş Yil Önce On Yil Sonra (qui représentera la Turquie l’année suivante et finira avec le titre Halay à la 12ᵉ place, meilleur classement du pays à l’époque) et Aysegül Aldinç (candidate turque en 1981 avec la chanson Dönme dolap, 18ᵉ sur 20 participants).

Mais en Allemagne, la chanson ne récolte aucun point. Est-ce la faute à un titre un peu décousu ? À l’aspect terriblement kitsch de Opera (même pour 1983) ? Dans tous les cas, c’est la première fois que la Turquie subit cet affront (mais ça ne sera pas la dernière). Les réactions sont très violentes envers Çetin, que tout le monde juge responsable de cet échec. Le malheureux rentre donc au pays, la tête basse.

Et après l’Eurovision ?

Selon ses propres dires, le chanteur reconnaîtra plus tard que le retour au pays a été un enfer. Néanmoins, il remonte la pente. Le 26 juillet 1986, il présente O Kadin (Cette femme) au premier Concours de musique de Kuşadasi (ville balnéaire de la mer Égée). Il ne gagne pas, mais le public le redécouvre… Et sa carrière est relancée. Il décroche par la suite une troisième place au Concours de la Chanson de Los Angeles, et la victoire lors d’une compétition en Bulgarie en 1990. En compagnie de sa troisième épouse Suna Yildizoğlu, il entreprend de longues tournées, qui le mènent sur les routes pendant neuf ans.

Mais Çetin a de graves problèmes cardiaques depuis de nombreuses années. Les opérations chirurgicales se succèdent et affaiblissent beaucoup le chanteur, d’autant que les effets secondaires des médicaments qu’on lui prescrit l’obligent à subir l’ablation d’un rein. Ce n’est donc une surprise pour personne quand il décède d’une crise cardiaque à Istanbul le 18 mai 2004, soit trois jours après la finale du Concours Eurovision qui s’est justement tenu dans la métropole turque du Bosphore. Son corps est découvert dans son appartement par une de ses filles. Il avait 56 ans.

Çetin s’est marié à 3 reprises. La 1ʳᵉ fois avec Ergül Kuğuoğlu avec qui il a eu des jumelles, Fulya et Filiz (nées en 1970) et un fils Ahmet en 1976. Il se remarie avec Şermin Küçükaslan. Mais la noce prend fin en 1982. Et enfin avec Suna Yildizoğlu, avec qui, il crée un duo. Mais, là aussi, l’union se termine en divorce.

Vous reprendrez bien une dernière chanson avant de partir !

Eh bien, il y en avait des choses à dire (et à entendre) !

On se retrouve la semaine prochaine !

Crédit photo : Lolotte pour l’EAQ

Crédit vidéo : chaine officielle Youtube de Remedios Amaya / Georgios Symeonidis / Ossi Müzik / Çetin Alp / EUROSONG /