Il n’y a pas qu’en France que la situation politique est chaotique ! Du côté de l’UER, la participation d’Israël à l’Eurovision 2026 continue de diviser les télédiffuseurs qui, pour la majorité, restent dans une démarche attentiste. Mais une série a toujours des rebondissements…

Alors que l’Union européenne de radio-télévision avait fixé la tenue d’une Assemblée générale extraordinaire à début novembre, la date de la convocation semble se faire attendre (et pour cause – on y reviendra en fin d’article). Pendant ce temps, les pays les plus engagés sur le sujet continuent d’affirmer leurs positions, face à une majorité silencieuse aux votes incertains. D’autant que c’est la première fois qu’un événement auto-déclaré « apolitique » invite ouvertement ses membres à adopter une position politique. Le directeur général de la BBC a récemment admis la complexité de la décision à prendre pour l’UER, déclarant que le télédiffuseur britannique était en pleine réflexion sur son vote et la position à adopter. Et il n’est pas le seul, même si les plus expressifs se trouvent ailleurs.

Pour le camp du non, c’est non !

Alors qu’ils avaient annoncé se retirer de l’Eurovision 2026 en cas de maintien de la participation israélienne, l’Espagne et les Pays-Bas persistent et signent en déclarant qu’ils voteront, sans surprise, contre la présence du pays à Vienne lors de l’Assemblée générale de l’UER, confirmant leur absence du concours même en cas de cessez-le-feu à Gaza. Un porte-parole d’AVROTROS (Pays-Bas) a ainsi déclaré : « Notre décision sur notre participation en 2026 a été prise attentivement et délibérément, basée sur les évènements de cette année, les faits prouvés et les reports vérifiés. Nous n’oublierons pas la souffrance humaine sérieuse à Gaza, ni l’érosion des libertés de la presse et les nombreux blessés parmii les journalistes. L’interférence du gouvernement israélien dans la dernière édition a aussi pesé dans notre prise de position. Si un cessez-le-feu survient dans un avenir proche ou que le conflit se développe différemment, cela ne changera pas notre position pour 2026. Nous réévaluerons notre participation dans les années suivantes, selon les circonstances à ce moment-là. »

L’Islande, de son côté, prendra sa décision finale lors du conseil d’administration de la RÚV le 29 octobre prochain. L’issue du vote ne fait cependant guère de doutes si l’on en croit son directeur général, Stefán Eiríksson, qui a évoqué l’éventualité d’un retrait islandais en cas de confirmation de la participation d’Israël à l’Eurovision. Surtout, le président de la télévision publique, Stefán Jón Hafstein, s’est fait plus direct dans une tribune du 5 octobre dernier, ensuite reprise sur le site du télédiffuseur. Il dégaine ainsi six arguments pour appuyer une possible disqualification israélienne :

  • Le rapport d’un comité d’enquête spécial de l’ONU qui conclut qu’Israël commet un génocide à Gaza,
  • La condamnation du gouvernement israélien par plus de 200 organisations internationales et ONG (dont la Croix Rouge, Amnesty International, Human Rights Watch et des agences onusiennes) et un nombre similaire d’acteurs de la société civile islandaise (dont le parti travailliste local, actuellement au pouvoir),
  • L’existence de précédents s’agissant de l’exclusion temporaire de pays de l’Eurovision (à savoir la Russie dès l’invasion de l’Ukraine, alors spécifiquement ciblée par l’UER en tant que pays et non par le biais de son télédiffuseur), dénonçant le « deux poids, deux mesures » de l’UER,
  • L’utilisation par le gouvernement israélien de la joie de l’Europe comme « une machine à propagande pour lui-même » et la dépense d’une grande somme d’argent afin d’influencer le résultat du télévote, ce à des fins politiques selon lui,
  • Le non-respect de l’objectif premier de l’UER par le gouvernement israélien, avec l’interdiction d’accès sur place faite à des journalistes et la censure de la couverture médiatique de la situation à Gaza,
  • L’espoir dans un futur plan de paix, mais en n’ayant confiance que dans les actes et non seulement les mots.

Cette tribune a été écrite en son nom propre et non au titre de la RÚV. Mais il peut déjà compter sur le soutien public de sa vice-présidente et de nombreux islandais, puisqu’ils sont 60% à soutenir un boycott islandais à l’Eurovision en cas de participation d’Israël selon un récent sondage. Preuve que les tenants du « non » trouvent des soutiens de poids, fut-ce au niveau politique, citoyen ou artistique.

Le gouvernement autrichien prêt à renoncer à l’accueil du concours ?

La chanson n’est pas tout à fait la même du côté germanique. Alliés historiques d’Israël pour d’évidentes raisons historiques, l’Allemagne et l’Autriche incarnent la défense en première ligne de la participation du pays au concours. Non contents de l’expression de la voix de leurs télédiffuseurs respectifs, ce sont à présent les acteurs politiques de premier plan qui s’en mêlent.

Le chancelier allemand Friedrich Merz a ainsi jugé « scandaleuse » l’éventualité d’une éviction d’Israël de l’Eurovision : selon lui, le pays fait pleinement partie du concours (il participe sans discontinuer depuis 1973 à de rares éditions près, N.D.L.R.) et sa participation ne devrait pas être remise en cause. Discuter d’une perspective d’exclusion est, à ses yeux, une erreur, d’autant qu’il rappelle les liens historiques forts entretenus entre Israël et l’Allemagne, notamment dans le domaine culturel. Le chef de gouvernement se fait même plus explicite : il estime qu’en cas de disqualification d’Israël de l’Eurovision 2026, son pays devrait se retirer du concours en signe de soutien à l’État hébreu. Pour rappel, la décision de la participation d’un pays au concours relève exclusivement de son télédiffuseur et non de son gouvernement et, pour l’heure, ni l’ARD ni la SWR n’ont publiquement menacé de se retirer en cas d’exclusion d’Israël, malgré la rumeur.

Son homologue autrichien Christian Stocker (soutenu par le secrétaire général de l’ÖVP Alexander Pröll) fait carrément monter les enchères. Au-delà d’une opposition à l’exclusion d’Israël de l’Eurovision 2026 (un porte-parole du parti chrétien-démocrate juge notamment inacceptable qu’« un artiste juif soit interdit de venir »), le gouvernement envisage de faire pression sur l’ORF et la Ville de Vienne afin qu’elles renoncent à accueillir le concours sur le sol autrichien ! Une grande première dans l’histoire de l’Eurovision, jamais un pays n’ayant menacé d’annuler l’organisation de l’événement après avoir été confirmé dans son rôle d’hôte.

Spoiler : si un éventuel renoncement de l’Autriche en tant que pays hôte serait inédit, c’est en réalité compliqué dans les faits. Au-delà de l’inévitable recherche d’un nouveau pays organisateur à sept mois seulement de l’événement, le télédiffuseur autrichien est déjà contractuellement engagé à organiser l’Eurovision. Conséquence : en cas de retrait, le gouvernement serait forcé de payer une amende considérable estimée à 26 millions d’euros d’après le média autrichien OE24 ! Une somme qui pourrait même monter jusqu’à 40 millions d’euros selon la clause de pénalisation de l’UER… De quoi dissuader toute décision hâtive, y compris en cas d’absence d’Israël de la compétition, et ce n’est pas le maire (SPÖ) de Vienne qui dira le contraire : bien qu’opposé à l’exclusion de l’État hébreu, Michael Ludwig a également rappelé les enjeux économiques de l’accueil du concours pour sa ville, qui attend de belles retombées (comme les autres villes hôtes avant elle).

Les pays nordiques se sont donnés rendez-vous à Reykjavik

Alors qu’ils sont naturellement partenaires et qu’ils échangeaient déjà à ce sujet, les télédiffuseurs du bloc scandinave membres de l’UER se sont récemment retrouvés à Reykjavik afin de discuter notamment de leurs prises de position quant à la participation d’Israël à l’Eurovision 2026. Un médiateur de l’UER était également présent sur place pour tâter le pouls dans la région. L’objectif était-il réellement de dégager une position commune ? Compliqué sur le papier, DR (Danemark) et SVT (Suède) ayant d’ores et déjà annoncé ne pas vouloir voter contre la présence d’Israël (tout en soumettant leur propre participation à certaines modalités), là où l’Islande semble clairement prendre le pli contraire.

Hôte de cette réunion, le président de la RÚV – toujours lui – a invité ses homologues nordiques à s’inscrire dans les valeurs exprimées par le Président finlandais, Alexander Stubb, à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU le 24 septembre dernier à New York. Ce dernier avait notamment déclaré que les Etats membres de l’organisation internationale doivent avoir une « compréhension commune des valeurs fondamentales, notamment le droit des États à l’autodétermination et à l’intégrité territoriale, l’interdiction du recours à la force, ainsi que les droits de l’homme et les libertés fondamentales », ciblant les attaques de la Russie contre l’Ukraine et les violations du droit international commises par Israël en Palestine. Selon le président du télédiffuseur islandais, ces propos font écho à la réputation qu’ont les pays nordiques dans plusieurs pays engagés dans la coopération internationale et doivent être le moteur d’un engagement par rapport au premier ministre israélien.

De son côté, le télédiffuser norvégien TV2, membre de l’UER et non participant à l’Eurovision, hésite à prendre part au vote sur la participation d’Israël, dont il discute actuellement en interne. Cinq autres télédiffuseurs seront dans le même cas que lui, à savoir être amenés à s’exprimer sur la présence de l’Etat hébreu en tant que membres de l’UER dont le pays participe à l’Eurovision via un autre télédiffuseur local : TV2 (Danemark), ZDF (Allemagne), TG4 (Irlande, diffuseur du Junior), MSP (Luxembourg) et United Kingdom Independent Broadcasting (Royaume-Uni).

Quid en cas de cessez-le-feu ?

C’est sans doute la question principale aujourd’hui. L’accord de paix (dont la BBC a recensé les principaux points de la première phase) validé par le gouvernement israélien et le Hamas sous l’égide des États-Unis pourrait venir bousculer la donne, la tragédie à Gaza étant le point crispant quant à la participation israélienne pour plusieurs pays. Alors que les bruits de couloir donnent le « non » à la participation israélienne vainqueur dans les urnes en cas de vote à bulletin secret, de nombreux télédiffuseurs pourraient ainsi s’interroger sur la position à adopter désormais. Même si le cessez-le-feu reste soumis à plusieurs interrogations et ne mettra pas fin au conflit israélo-palestinien.

Pour l’heure, l’Assemblée générale extraordinaire de l’UER, initialement convoquée début novembre, pourrait être reportée dans la deuxième partie du mois selon la presse allemande, en fonction de l’évolution du processus de paix. L’ORF, télédiffuseur hôte autrichien, semblerait placer en tout cas tous ces espoirs dans ce dernier afin d’éviter d’aller au vote sur la participation d’Israël. Du côté de l’UER, le conseil de surveillance doit se réunir lundi 13 octobre pour évoquer l’Eurovision 2026.