Il a suffi d’une petite phrase d’Alexandra Redde-Amiel pour enflammer la planète Eurovision : et si l’Eurovision 2026 marquait le retour à une sélection nationale française ?

invitée de Valérie Expert et Gilles Ganzmann sur Sud Radio vendredi dernier, la cheffe de la délégation française (et directrice des jeux et des divertissements de France Télévisions) est longuement revenue sur la candidature de Louane à l’Eurovision 2025. Mais c’est une toute autre déclaration de sa part qui a suscité l’émoi et les interrogations de l’euromonde tout au long du week-end (à partir de 21’20 dans la vidéo).

Répondant à Gilles Ganzmann qui l’interrogeait sur sa responsabilité dans le choix du représentant français, Alexandra Redde-Amiel a lâché ce que certains apparentent à une bombe : « On reviendra et on a l’ambition de revenir à une sélection nationale. » Une phrase qui reflète, en réalité, une constante dans la position de la cheffe de délégation, puisqu’elle avait déjà fait une déclaration relativement similaire dans une interview à l’EAQ un an plus tôt (relire ici), mais aussi en off aux journalistes présents lors de la conférence de presse de l’Eurovision Junior 2024 en octobre dernier. Auprès de l’EAQ, comme sur Sud Radio d’ailleurs, elle évoquait sa volonté de créer un Sanremo ou un Melodifestivalen à la française, affirmant ainsi l’ambition de créer une véritable sélection nationale pour la France. Un tel choix marquerait une rupture dans l’histoire française de l’Eurovision, puisque les modalités de désignation du représentant tricolore ont varié ces vingt-cinq dernières années entre des sélections internes (à 17 reprises) et des sélections nationales (à 9 reprises).

Le retour à une sélection : une bonne idée, vraiment ?

S’il est fort à parier qu’une majorité des eurofans français (et internationaux) serait enthousiaste à l’idée de voir la France revenir à une sélection nationale, l’évocation d’un Melodifestivalen ou d’un Sanremo place France Télévisions face à plusieurs défis de taille. Là où les deux programmes sont historiquement installés en Suède et en Italie, où ils réalisent des audiences records (70 à 80% de parts de marché), France Télévisions n’a jamais trouvé une formule capable à la fois de mobiliser en masse et de s’imposer auprès des téléspectateurs français. Pour rappel, l’édition 2022 d’Eurovision France : c’est vous qui décidez n’avait été regardée que par 1,47 millions de téléspectateurs pour une part de marché de 8,8%, loin, très loin des standards de France 2 en prime time. Là où la plupart des pays ont des sélections nationales identifiées (Eesti Laul, UMK, Festival da Canção…), le télédiffuseur public n’a eu de cesse d’osciller entre plusieurs formats (Un candidat pour l’Eurovision, Eurovision : et si c’était vous ?, Eurovision : Et si on gagnait ?, Destination Eurovision, Eurovision France : c’est vous qui décidez…) sans qu’aucun ne soit parvenu à s’inscrire dans la durée.

Surtout, les sélections nationales françaises ont souvent pêché par un manque d’artistes confirmés et des propositions inadaptées à l’Eurovision (voire même au marché français…). Là où les stars locales se battent pour aller au concours dans d’autres pays, France Télévisions a dû le plus souvent composer avec des artistes inconnus du grand public, des révélations souffrant d’un manque criant d’expérience pour la scène internationale de l’Eurovision ou encore d’anciennes gloires sur le retour, venues donner un nouveau souffle à des carrières musicales en déclin. De quoi entrer en contradiction avec les ambitions de victoire affichées par France Télévisions, D’autant que la plupart des meilleurs résultats de la France ces vingt-cinq dernières années ont été réalisés par des artistes choisis en interne, à l’exception notable du « miracle » Barbara Pravi, vainqueure d‘Eurovision France : c’est vous qui décidez en 2021 et future deuxième de l’Eurovision.

La délégation française est aujourd’hui capable de recruter d’aussi grands noms que Louane ou Slimane pour défendre les couleurs de la France à l’Eurovision, de quoi permettre d’accroître considérablement la visibilité et la popularité du concours au niveau national. Des artistes confirmés seraient-ils aujourd’hui prêts à dire oui à une sélection nationale, quand même le Benidorm Fest semble avoir du mal à attirer des grands noms dans un pays où l’Eurovision est pourtant très populaire ? Attirer de grands noms français au concours était inenvisageable il y a quelques années du fait d’une image négative de l’Eurovision dans notre pays, aujourd’hui en nette amélioration. Mais imaginerait-on des Clara Luciani, Santa, Vianney, Zaho de Sagazan, Juliette Armanet et autres (non, ceci n’est pas une liste de vœux) prendre part à Eurovision France ou s’exposer au danger d’une sélection nationale, là où les artistes français sont culturellement réticents au concept de compétition ? De quoi susciter des interrogations… même si le retour à une sélection nationale pourrait être en réalité un signal positif, sous plusieurs conditions.

À quelles conditions un retour à une sélection serait-il souhaitable ?

27 : c’est le nombre de pays à avoir choisi leurs artistes et/ou leurs chansons via une sélection nationale en 2025. Un chiffre important qui en dit long sur la volonté des télédiffuseurs d’ancrer la marque Eurovision auprès de leurs audimats respectifs : ainsi a t-on vu l’Arménie ou la Grèce revenir à des finales nationales après de longues années de sélection interne. À côté, plusieurs pays semblent s’interroger sur le retour à une sélection nationale, parmi lesquels les Pays-Bas, Chypre ou encore… la France. Parce qu’une finale nationale permet de faire vivre le concours en mobilisant la scène musicale locale et les téléspectateurs, invités à se prononcer sur l’identité de l’artiste qui portera ses couleurs au sein de la plus grande compétition musicale au monde. Certains argueront qu’en renonçant à leurs sélections internes, des pays ont sérieusement downgraded par rapport aux dernières éditions (l’Arménie, la Grèce, la Slovénie…). D’autres répondront qu’une sélection interne peut également conduire à des choix musicalement douteux ou des erreurs de casting (la France n’est pas exempte en la matière) et que ces derniers ne sont pas l’apanage du public.

Pour mobiliser le public et s’imposer en tant que vitrine de l’Eurovision, une sélection nationale doit répondre à des critères incontournables. À commencer par un casting solide et expérimenté, mêlant artistes confirmés et révélations, routiniers de la scène et un minimum des caméras de télévision, capables de courir le marathon de la préparation du concours. Faire sa première télé le soir de la finale nationale n’est pas une option : tout participant à une sélection doit être apte à se produire quelques semaines plus tard sous les yeux de 10 à 15 000 spectateurs réunis dans une arena enflammée et le regard de 160 millions de téléspectateurs partout dans le monde. Surtout, une sélection nationale doit réunir des titres qui, ensemble, forment un éventail représentatif de la scène musicale nationale et de ses tendances, tout en étant compétitifs pour un concours international. Ce qui ne signifie pas formaté ou générique, attention – le Festival da Canção en est la preuve vivante ! Là où de nombreux artistes confirmés sélectionnés tendent d’ailleurs à céder à l’écueil d’un formatage Eurovision (de quoi faire l’objet d’un nouvel édito)…

Une sélection nationale ne doit être réduite à une simple sélection nationale, comme ce fut toujours le cas en France jusqu’à présent ou dans d’autres pays dans lesquels, sitôt passés en sélection, artistes et titres participants sont sitôt oubliés. Pour la bonne et simple raison que les chansons choisies sont souvent pensées comme exclusivement taillées pour l’Eurovision, alors qu’elles ne correspondent bien souvent en réalité ni aux « exigences » du concours (vous noterez que je ne parle pas de standards), ni à celles de l’industrie musicale locale. Combien de Madame, Navigateure, Comme une grande et autres Allez leur dire ont ainsi disparu dans les limbes du marché français après une existence éphémère ? Une sélection nationale doit parvenir à faire vivre ses titres pour l’Eurovision, bien sûr, mais aussi au-delà, car ancrer la marque Eurovision et de potentiels candidats au concours doit passer par une validation préalable ou concomitante des acteurs de l’industrie musicale (radios, médias, public…). Ainsi est-ce le cas du Melodifestivalen qui, en plus d’être une sélection nationale, est avant tout le principal programme musical de Suède.

Des ambitions pour l’Eurovision

L’évocation d’un Sanremo ou d’un Melodifestivalen à la française témoigne des ambitions décuplées du télédiffuseur (et de la cheffe de délégation) pour la France à l’Eurovision. Un changement de cap que les sélections de Louane et de Slimane ont rendu visible, de même que le choix stratégique effectué par France Télévisions de révéler la chanson française pour l’Eurovision 2025 au Stade de France, qui a occasionné un buzz médiatique sans précédent. Nul doute que la France veut enfin décrocher cette victoire qui lui échappe depuis tant d’années : un objectif auquel semblent désormais davantage souscrire les français, si on en croit la popularité croissante du concours auprès du public et au-delà du cercle des eurofans. Une véritable sélection nationale, digne de ce nom, permettrait de poursuivre l’installation de la marque Eurovision en France et d’aider à l’accomplissement des ambitions du télédiffuseur. Pour cela, il faut justement se donner les moyens de ses ambitions, et de cela, la cheffe de délégation a parfaitement conscience. « Chaque année Eurovision est différente » a t-elle ajouté : autrement dit, Alexandra Redde-Amiel ne se lancera probablement dans une nouvelle sélection nationale que lorsqu’elle sera sûre et certaine de son coup.

Surtout que les artistes confirmés pourraient, contre toute attente, répondre présents dans cette affaire. Interrogée à ce sujet par les eurofans lors des previews d’Eurofans OGAE France le week-end dernier (compte-rendu bientôt disponible sur le site), Louane a ainsi délivré une réponse surprenante, déclarant qu’elle aurait été prête à prendre part à une sélection nationale télévisée. Une déclaration étonnante, toutefois signée d’une fidèle de l’Eurovision depuis sa plus tendre enfance et grande amatrice du Festival de Sanremo. Alors, simple réponse destinée à satisfaire le public en présence ou réel éclairage sur la possibilité de faire enfin venir de grands noms en sélection ? Comme dirait l’autre : « That is The Question« .

Comme le chantait Sandrine François : « Il faut du temps« , et France Télévisions semble l’avoir bien compris. Alors, plutôt que de s’avancer imprudemment sur le retour d’une sélection en 2026 (qui n’a pas été déclaré comme tel par ailleurs), rendez-vous au prochain épisode !