Avec la convocation prochaine d’une Assemblée générale extraordinaire de vote sur la participation d’Israël à l’Eurovision 2026, c’est un scrutin incertain et inédit qui s’annonce. Qui plus est avec une lecture plus ou moins complexe des positions officielles des pays participants.

Qui s’étonnerait de l’aveu d’une division historique et sans d’autre issue que le vote ? Force est d’avouer que, selon les télédiffuseurs, les prises de positions sur la présence israélienne au concours dans le contexte de la tragédie en cours à Gaza et du système de vote sont d’une diversité toute en nuances, des plus radicales aux plus neutres, en passant par de nombreux entre-deux. On vous annonce d’emblée la couleur : faire la synthèse n’a pas été chose très aisée et on a essayé de faire au plus lisible et au plus factuel, en évitant de céder à des excès d’interprétation des déclarations des uns et des autres.

Les pro-boycott – et c’est radical

C’est d’eux dont on a le plus parlé ces dernières semaines : les pays qui ont d’ores et déjà annoncé une volonté de boycott en cas de confirmation de la participation d’Israël à l’Eurovision 2026. Sans surprise, on y retrouve une liste de télédiffuseurs déjà parmi les plus actifs sur le sujet ces deux dernières éditions : la Slovénie, l’Irlande, les Pays-Bas et l’Islande (cette dernière a toutefois mis l’option du retrait au conditionnel, contrairement aux quatre autres plus affirmatifs). C’est surtout la présence de l’Espagne qui suscite le plus d’attention, le pays étant membre du BIG 5 – donc parmi les plus gros contributeurs financiers à l’UER – et présent sans discontinuer à l’Eurovision depuis 1961. Surtout que le vote du conseil d’administration de la RTVE fait l’objet d’un fort soutien des eurofans espagnols, mais aussi du gouvernement, le Président du Conseil (PSOE, gauche) Pedro Sanchez et le ministre de la culture (Sumar, gauche radicale) Ernest Urtasun, ayant pris publiquement position contre la participation israélienne à l’Eurovision. Un mouvement qui s’inscrit dans la continuité d’un soutien historique de l’Espagne à la cause palestinienne, qui remonte à des décennies.

La rumeur court toutefois que d’autres télédiffuseurs pourraient être tentés de rejoindre le mouvement pro-boycott, à l’encontre toutefois de leurs absences de prise de position ou de leurs déclarations officielles à ce stade : le Portugal (selon la RTVE, mais sans position publique officielle à date, dont la candidate Iolanda avait été épinglée pour avoir peint des motifs de keffieh sur ses ongles pour sa prestation en finale en 2024 et dont le vainqueur Salvador Sobral est favorable au boycott), la Norvège (selon The Euro Trip Podcast, bien que le télédiffuseur ait confirmé sa participation, présence d’Israël ou non), la Finlande (selon El EuroRincón, même si la position officielle du télédiffuseur Yle est plus nuancée), la Belgique (où la VRT est ouvertement pro-boycott tandis que la RBTF, en charge de l’organisation cette année, soumet sa décision de participer aux résultats du vote) ou encore le Royaume-Uni (selon Kronen Zeitung, mais à l’encontre des déclarations attentistes de la BBC à ce stade). Selon le commentateur néerlandais de l’Eurovision, Cornald Maas, la cheffe de délégation du pays aurait été d’ailleurs contactée par plusieurs télédiffuseurs suite à l’annonce du boycott d’AVROTROS, qui déclaraient être sur la même position que le télédiffuseur batave sans savoir comment l’annoncer.

Les pro-Israël (prétendus ou affirmés) – mais c’est plus nuancé

En face, plusieurs pays sont, à l’inverse, présentés comme de sérieux soutiens à la présence d’Israël : l’Allemagne (plus gros contributeur financier à l’UER), l’Autriche, l’Italie (pays du BIG 5), la Suisse, la Grèce et Chypre, qui auraient activement (et supposément) défendu le pays lors de l’Assemblée générale de l’UER de juillet dernier à Londres. Mais… c’est plus compliqué en réalité.

A ce stade, seul le télédiffuseur hôte autrichien de l’Eurovision 2026, ORF, a ouvertement déclaré par la voix de son directeur général Roland Weißmann soutenir la présence du pays au concours (même si la décision revient selon lui à la KAN et à l’UER). La ministre des affaires étrangères (NEOS, centre) Beate Meinl-Reisinger a quant à elle ouvertement exprimé ses inquiétudes quant au mouvement pro-boycott et écrit à ses homologues européens en rappelant que l’Eurovision est un espace d’échanges à travers l’art et la culture et qu’ils doivent s’unir pour réfléchir aux manières d’améliorer la situation à Israël et à Gaza. Côté Suisse, le responsable de la communication du télédiffuseur a, quant à lui, déclaré au média israélien Mako que l’Eurovision est un concours entre télédiffuseurs et non entre gouvernements, qu’Israël peut en principe prendre part à l’Eurovision 2026 et que le concours doit rester aux marges de la politique. Sans déclaration officielle de la SRG-SSR à ce stade toutefois.

La position allemande semble un poil plus nuancée : alors que le pays est historiquement l’un des plus grands soutiens d’Israël sur les plans politique et militaire, et fait de la sécurité du pays une « raison d’Etat » (même si le chancelier Friedrich Merz a récemment haussé le ton devant la situation à Gaza), la rumeur courait que le télédiffuseur pourrait se retirer en cas d’exclusion d’Israël. Or, s’ils ont réaffirmé dans un communiqué commun que le concours était organisé par les télédiffuseurs – et non les gouvernements – dans le respect « des valeurs de diversité, de respect et d’ouverture, au-delà des origines, des religions et des croyances », SWR et ARD ont aussi réitéré leur soutien au processus de consultation et aux décisions de l’UER, dans l’objectif « de trouver un accord bien-fondé et soutenable aligné avec les valeurs de l’UER. », sans référence à Israël.

Annoncée sur la même ligne que l’Allemagne (à savoir un soutien à la présence d’Israël et un retrait en cas d’exclusion du pays), l’Italie a connu ces derniers jours un rebondissement inattendu. Alors que le soutien à la cause palestinienne semble grimper dans le pays selon les mobilisations des derniers jours et un récent sondage (et que le gouvernement semble infléchir ses positions sur la possible reconnaissance d’un Etat palestinien), aucune position officielle sur la participation au concours n’a été publicisée à ce stade. Mais trois membres du Conseil d’Administration de la RAI ont ouvertement appelé à un boycott du pays en cas de participation d’Israël à l’Eurovision 2026 : pour que le télédiffuseur italien adopte une telle résolution, il doit toutefois réunir une majorité de quatre voix, puisque le CA compte sept membres.

Sans déclaration officielle sur son positionnement, la Grèce a démenti publiquement la rumeur (diffusée par The Telegraph) selon laquelle ERT voterait en faveur de la présence d’Israël à l’AG extraordinaire. Sans position officielle du télédiffuseur local PBS à ce stade (annoncé par la rumeur comme pro-boycott), la présence d’Israël au concours peut également compter sur le soutien du ministre de la culture (travailliste) de Malte, Owen Bonnici qui, loin d’appeler au retrait, a déclaré « Je pense que l’Eurovision est un lieu de dialogue. Même si je critique totalement les actions du gouvernement israélien, je pense que la porte du dialogue doit toujours rester ouverte. » Pas de déclaration officielle non plus du côté de Chypre…

Les attentistes (ou présents sous conditions)

Une même catégorie pour deux positions de nuances. Un premier groupe se distingue par une position d’attentisme, conditionnant sa participation à l’issue des discussions avec l’UER (et désormais du vote). On y retrouve la Belgique où, à côté de la position radicale de son homologue néerlandophone VRT qui soutient les pays pro-boycott et une non-diffusion du concours sur ses antennes en cas de participation d’Israël, la RTBF (en charge de l’Eurovision 2026) a officialisé une position plus nuancée. Le télédiffuseur francophone a déclaré poursuivre le processus de sélection de son candidat et remettre la décision sur sa présence à Vienne aux décisions prises par l’Assemblée générale de l’UER (n’oublions pas l’enjeu des discussions autour du système de vote).

La Pologne avait initialement annoncé une décision à l’automne, considérant l’avancée des discussions avec l’UER et dans une logique de respect des décisions de l’UER tant qu’elle refléteront les valeurs d’unité, de diversité et de tolérance du concours. Or, la pression monte pour pousser la TVP à boycotter l’Eurovision 2026 si Israël est au rendez-vous. OGAE Pologne et plusieurs médias polonais spécialistes du concours (parmi lesquels Dziennik Eurowizyjny,  Eurowizja.orgDobry Wieczór Europo et Misja Eurowizja) ont publié une déclaration de soutien à la TVP dans le cas où elle prendrait une telle décision. A titre personnel (mais publiquement quand même), la ministre de la culture (Pologne 2050, centre) Marta Cienkowska s’est carrément déclarée favorable au retrait polonais si Israël participe à l’Eurovision 2026.

La parfaite transition géographique semble toute trouvée, puisque l’influente Scandinavie (qui compte 14 victoires au concours et a envoyé trois superviseurs exécutifs de l’Eurovision depuis 2003) est à la croisée de l’attentisme et de la participation sous conditions selon les pays, entre lesquels des discussions semblent se dérouler. Attentive à la situation à Gaza, la Finlande avait déclaré attendre l’issue des discussions avec l’UER pour statuer sur sa participation, tout en rappelant que l’UMK serait diffusé en qualité de programme indépendant si le pays n’allait finalement pas à Vienne (de quoi alimenter la rumeur d’un possible boycott ?). Ses trois voisins se sont quant à eux fait plus affirmatifs de manière assez similaire, mais pas à n’importe quel prix. Le Danemark et la Suède ont tous deux confirmé leur volonté de participer à l’Eurovision 2026, mais sous conditions : incarnation d’une communauté internationale forte (pour la DR), large soutien européen au concours (pour la SVT), garantie de la sécurité pour les participants & le public et d’un cadre apolitique au concours (pour les deux). La SVT a également rappelé l’indépendance de son télédiffuseur et qu’elle ne prendrait pas de position politique, ni pour ou contre la présence d’un autre pays.

La Norvège a, elle aussi, confirmé sa volonté de participer, tout en rappelant l’invitation de l’UER à une prise de position concrète de ses membres sur la présence d’Israël, les vulnérabilités d’un système de vote qu’Israël a tenté d’influencer et l’enjeu de la sécurité des participants, des équipes de la NRK et des autres télédiffuseurs. Mais la NRK fait confiance au processus démocratique en cours et à l’indépendance de sa propre politique internationale. Le télédiffuseur subit toutefois des pressions en interne pour une position de boycott et des sources internes à la NRK auraient confirmé à The Euro Trip Podcast que la Norvège opterait pour un retrait en cas de maintien de la participation d’Israël.

Alors que la rumeur l’annonce aussi proche d’un boycott et que de nombreuses voix s’élèvent en ce sens dans le pays, le Royaume-Uni, dont la BBC est l’un des plus gros contributeurs au financement de l’UER (et du concours), est pour le moment en position d’attente. Son directeur général Tim Davie a déclaré devant une commission parlementaire que l’Eurovision n’avait jamais été un événement politique et qu’il devrait rester une célébration de la musique et de la culture qui relie les gens. Il a affirmé le soutien de la BBC au travail de dialogue engagé par l’UER avec ses télédiffuseurs membres et a déclaré 48 heures plus tard au micro de la BBC Radio 4 que le Royaume-Uni prendrait une décision à l’issue du processus de consultation et du choix effectué par l’UER.

Les pays baltes ont, quant à eux, confirmé le renouvellement de leurs sélections nationales respectives. Si la Lettonie n’a fait aucun commentaire public à ce stade, la Lituanie a déclaré à The Euro Trip Podcast que le télédiffuseur LRT était conscient des sujets en cours et qu’il poursuivait d’abord ses discussions avec l’UER, dont il attend la décision avant de communiquer officiellement sur sa participation en 2026. Sans davantage de commentaires, le télédiffuseur estonien ERR a juste déclaré que, quelques soient les circonstances, l’Eesti Laul se déroulerait comme prévu.

Les neutres (ou présents sans conditions)


Parce qu’au milieu de ce flot de réactions, il y a en a qui réagissent peu… ou quasi pas. Au premier rang desquels le dernier pays du BIG 5 : la France. C’est avec un communiqué des plus expéditifs et laconiques que France Télévisions a confirmé sa participation à l’Eurovision 2026 par ces mots : « Le groupe réaffirme son soutien à la création musicale, aux artistes et à ce rendez-vous unique. ». Rien de plus, rien de moins et pas même une mention aux polémiques en cours, de la part d’un télédiffuseur dont la PDG n’est autre que la présidente de l’UER. S’il a déclaré officiellement suivre le processus de discussion et le débat autour des futures décisions avec l’UER, le Luxembourg a, lui aussi, choisi la bannière de la neutralité en rappelant les valeurs d’échanges culturels, de rassemblement, de diversité, de tolérance et de respect du concours, au-delà des frontières, des croyances et des origines.

De son côté, l’Australie a confirmé sa présence en rappelant simplement que la SBS diffuse le concours depuis plus de quarante ans sur place et qu’elle partage « cette célébration globale de la diversité et de l’inclusion avec tous les australiens » alors qu’en off, des voix soulignent qu’une possible exclusion d’Israël pourrait fragiliser la place (souvent débattue) de l’Australie à l’Eurovision, au sein de laquelle elle bénéficie d’un statut d’invité renouvelable. La Serbie a également confirmé sa participation sans envisager aucun recours quant aux questionnements passés sur la présence d’Israël dans la compétition et sur le système de vote. La responsable de la communication de la RTS semblait toutefois espérer que les tensions soient réglées d’ici 2026 et que l’Eurovision retrouve la place qui était la sienne. Bien qu’annoncé par la rumeur comme susceptible de retrait en cas d’exclusion d’Israël, l’Azerbaïdjan a confirmé sa participation indépendamment de la présence des autres pays sur la ligne de départ, refusant toute prise de position politique. Trois autres pays ont quant à eux réaffirmé l’intérêt d’une participation à l’Eurovision pour leurs scènes musicales respectives et/ou la plateforme de partage culturel qu’il représente, sans mention à Israël : le Monténégro, Saint-Marin (qui a pourtant longtemps menacé d’un retrait en raison de son insatisfaction sur le système de vote et fait l’objet de pressions pro-boycott de la part d’artistes locaux) et l’Ukraine.

En outre, plusieurs pays ont confirmé leur participation sans déclaration officielle de leurs télédiffuseurs quant à la présence ou non d’Israël à Vienne ou aux autres interrogations en cours : l’Albanie (dont la RTSH est plus préoccupée par le règlement de sa dette à l’UER pour pouvoir participer), la Croatie, Chypre (pourtant annoncé au rang des favorables à la participation d’Israël), Malte ou encore la Tchéquie. Aucune nouvelle de l’Arménie et de la Géorgie quant à une éventuelle participation à l’Eurovision à ce jour.

Et Israël dans tout ça ?

Sans surprise, la KAN semble déterminée à défendre sa place dans le concours jusqu’au bout. Devant l’organisation précipitée du vote sur sa participation par l’UER, le télédiffuseur israélien a publié un communiqué officiel (en partie erroné sur les règles du vote, puisqu’il s’agira d’un vote à 50% + 1 voix, cf. article à ce sujet).

KAN, la société publique de radiodiffusion israélienne, exprime son espoir sincère que le Concours Eurovision de la chanson continuera à défendre son identité culturelle et apolitique.

La disqualification potentielle de la chaîne publique israélienne KAN, l’un des participants les plus anciens, populaires et couronnés de succès du concours, serait particulièrement préoccupante à l’approche de la 70e édition du concours, fondé comme symbole d’unité, de solidarité et de fraternité. Une telle décision pourrait avoir des implications considérables pour le concours et les valeurs défendues par l’UER.

Les statuts de l’UER stipulent à juste titre que les décisions extraordinaires de ce type requièrent une majorité de 75 % de l’Assemblée générale, soit une majorité exceptionnelle. Nous sommes convaincus que l’UER préservera le caractère professionnel, culturel et apolitique du concours, qui célèbre cette année le 70e anniversaire de son histoire marquée par l’union à travers la musique.

Un média israélien avait évoqué trois propositions faites par l’UER à la KAN afin de trouver une position « consensuelle » visant à éviter au pays une « disqualification humiliante » : un retrait du télédiffuseur pour un an, une participation sous bannière neutre ou un communiqué officiel du télédiffuseur condamnant l’action militaire du gouvernement israélien à Gaza. Si l’UER a démenti l’existence de ces propositions, elle avait alors réitéré être consciente des sensibilités autour du conflit au Moyen-Orient, poursuivre les discussions sur la gestion des tensions géopolitiques au concours et respecter les décisions des télédiffuseurs quant à leur participation ou non à l’Eurovision 2026.

Mais quelle sera l’issue du vote des membres de l’UER, dans une configuration des plus tendues et divisées ? Que restera t-il de l’Eurovision à l’aube de ses 70 ans ?

Crédits image : eurovision-quotidien.com (usage exclusif)