highs-lows-book-launch1L’édition 2014 du Concours Eurovision fut constellée de moments incroyables (le public chantant Undo en chœur avec Sanna Nielsen), mémorables (les finalistes rejoignant Emmelie de Forest sur scène pour le final de Rainmaker), surréalistes (Lise Rønne distribuant leurs mets préférés aux mêmes finalistes), historiques (Saint-Marin et le Monténégro se qualifiant pour la toute première fois ) et terriblement émouvants (la victoire, les larmes et l’adresse au monde de Conchita).

En revanche, il y eut d’autres moments franchement embarrassants, qui donnèrent aux fans l’envie de se cacher la tête sous les coussins de leur sofa et de renier leur profession de foi, trois fois avant le chant du coq, comme Saint Pierre : les interventions à prétention humoristique de Lise, Pilou et Nikolaj. La production n’aurait-elle pu écrire à nos trois présentateurs, des textes plus drôles ? Contraindre Pilou à se laver les cheveux avant le début du Te Deum ? Mentionner à Nikolaj que caresser ses collègues de façon incessante susciterait l’hilarité et/ou l’agacement des spectateurs ? Penser à autre chose qu’à un musée de l’Eurovision à petit budget et à une reprise bancale de Wonderful Copenhagen (Friendly old girl of a town…) pour les pauses commerciales ?

Le fond fut probablement atteint durant les trois interminables minutes de leur 12 Points Song, une longue agonie musicale à l’humour insondable. Il apparut à cette occasion que notre charmant trio était sorti du cadre de ses capacités professionnelles, personnelles et artistiques, n’ayant pas été dotés par la Nature du don du chant. C’était en outre faire injure à tous les présentateurs de l’histoire du Concours qui firent briller la musique au firmament, lorsque leur tour fut venu. En leur souvenir ému et émerveillé, nous ouvrons à nouveau notre livre d’histoire sur l’étagère (et cette année, il aurait bien fait de se répéter).

Aujourd’hui donc : les cinq meilleures chansons interprétées par un présentateur du Concours.

5. 1997 – Ronan Keating & Boyzone – Let The Message Run Free

Arrivée au bout de son budget après avoir organisé le Concours à quatre reprises en cinq années, la télévision publique irlandaise parvint malgré tout à conclure cette coûteuse séquence honorablement. La production de l’édition 1997 fut plus modeste, mais aussi plus moderne. Et afin d’attirer une audience plus jeune, la RTÉ reprit une idée initiée l’année précédente : engager une pop star mondialement connue pour co-présenter le Concours. Leur choix se porta sur Ronan Keating, leader du groupe Boyzone, alors au faîte de sa gloire. L’entracte venu, le groupe interpréta un morceau composé spécialement pour l’occasion par Keating lui-même : Let The Message Run Free. Cette chanson servit de face B au single Picture of You, qui atteint par la suite, la deuxième place des classements en Irlande et au Royaume-Uni.

4. 1996 – Morten Harket – Heaven Is Not For Saints

Justement, c’est la télévision publique norvégienne qui en 1996, engagea pour la première fois comme présentateur, une gloire internationale de la chanson : Morten Harket, le leader de A-Ha. Le groupe avait connu un succès ininterrompu depuis 1985 et leur mythique Take On Me. Mais en 1994, A-Ha décida de marquer une pause, afin de permettre à ses membres de lancer leurs propres carrières en solo. Harket publia son premier album en anglais, en 1995, qui devint numéro un des ventes en Norvège. La NRK songea à lui, l’approcha et essuya un premier refus. Harket hésitait à associer son nom au Concours. Les discussions reprirent, se firent ardues, mais aboutirent à un accord : Harket accepta de co-présenter l’édition 1996, à condition de pouvoir interpréter en ouverture, son nouveau single Heaven Is Not For Saints. La chanson atteindra la neuvième position des classements norvégiens, puis la carrière solo de Harket s’enlisa. A-Ha se reforma en 1998 et triompha dès 2000, avec leur single Summer Moved On .

3. 1987 – Viktor Lazlo – Breathless

La genèse de l’édition 1987 du Concours fut épique à bien des égards. Les télévisions publiques belges francophone et néerlandophone étaient censées collaborer ensemble, afin de donner au monde l’image d’une Belgique unie. Il apparut rapidement que leurs responsables divergeaient sur tous les points possibles. La BRT se retira alors du projet et la RTBF se retrouva à assumer seule l’organisation et les frais. Le résultat fut cependant digne d’éloges et l’une des décisions les plus saluées, fut le choix de la chanteuse française Viktor Lazlo comme présentatrice. Lazlo avait remporté un très grand succès en 1985, avec Canoë Rose. Le soir venu, drapée dans un fourreau de Thierry Mugler, elle ouvrit le Concours en interprétant Breathless, sa toute première chanson en anglais, qui deviendra sa meilleure vente à l’international. Par la suite, Lazlo se diversifiera, devenant à la fois actrice, présentatrice et romancière.

2. 2012 – Petra Mede – Swedish Smörgåsbord

La preuve en fut faite cette année : peu importe que vous multipliez les présentateurs. Car il en suffit d’un seul excellent pour porter l’édition à bout de bras. Ainsi de 2013. La meilleure idée de la télévision publique suédoise fut de recruter la comédienne et présentatrice Petra Mede pour animer la soirée. Mede se montra drôle, brillante, chaleureuse, spontanée et surtout, professionnelle jusqu’au bout du bout de ses pires cauchemars (Ah, ces moments où la Terre entière vous regarde et où les logiciels informatiques vous abandonnent seule dans le désert…). Les robes de Mede, signées Jean-Paul Gaultier, firent jaser, mais ce furent ses textes, rédigés par l’excellent Edward af Sillén qui remportèrent tous les suffrages. Le clou fut atteint lors de l’entracte de la finale. Mede et la troupe de danseurs de la SVT interprétèrent un fantastique numéro de cabaret parodique, reprenant l’ensemble des clichés sur la Suède et ses habitants. La chanson entra dans la légende, également pour ses raccourcis hilarants, faisant rimer Volvo avec Garbo, Ikea avec Mamma Mia, Waterloo avec Diggiloo.

1. 1985 – Lill Lindfors – My Joy Is Building Bricks Of Music

Qui d’autre ? Qui d’autre pouvait figurer en tête de ce classement, que l’originale, l’unique, le modèle, l’extraordinaire Lill Lindfors (« all singing, all dancing », comme la décrivit si bien Terry Wogan, ce soir-là), la toute première présentatrice de l’histoire du Concours à avoir chanté durant une retransmission ? Lindfors avait participé au Concours en 1966 et terminé à la deuxième place, en duo avec Svante Thuresson. Choisie par la SVT en 1985, pour présenter le Concours, elle décida d’ouvrir la soirée par une surprise de taille : elle bondit sur scène et chanta My Joy Is Building Bricks Of Music. Il s’agissait en réalité de l’adaptation d’un de ses précédents succès, Musik Ska Byggas Utav Glädje . Lindfors jouta avec le saxophone, passa sans hésitation à l’a capella et entra dans la légende, tandis que l’orchestre et le public dans la salle applaudissaient en rythme et que Terry Wogan se posait une question existentielle : « Katie Boyle didn’t sing, did she ? »

« Tintin ! L’Eurovision, c’est beaucoup d’argent dépensé pour pas grand-chose, hein ! Y feraient mieux de nous tourner un programme de qualité avec ça ! » Chère et bien-aimée Madame Michu, en bonne citoyenne de la République française, vous oubliez une donnée-clé de l’Eurovision, que ne cesse de nous rappeler l’honorable et omniprésent Nicola Caligiore, chef de la délégation italienne : l’Eurovision demeure un concours entre diffuseurs nationaux. Certains sont même « desperate to win », pour reprendre les mots de Graham Norton, en 2011, à propos de la télévision azerbaïdjanaise. La séquence 2013/2014 nous l’a prouvé : la télévision danoise voulait à tout prix gagner et se présenter au monde sous son meilleur jour. D’où cette fantastique production audio-visuelle, la plus importante, la plus coûteuse et la plus technologiquement avancée de l’histoire du Danemark. D’où aussi ce record absolu et historique d’audience pour la DR : 86% de parts de marché. Ne vous étonnez plus, Madame Michu, si les autres pays y mettent tant d’efforts et d’argent, recrutent les meilleurs présentateurs qui soient et cherchent chaque année à atteindre les étoiles : eux savent pourquoi…

Super bonus

À quoi bon bouder notre plaisir ? Tant que nous y sommes, revoyons ensemble les autres prestations de nos présentateurs chéris, et par ordre chronologique cette fois. Débutons par 1986, où Åse Kleveland, dans la foulée de Lill Lindfors, reprit quelques brèves strophes et sur l’air du Te Deum de Charpentier, chanta Welcome To Music :

En 1991, le Concours fit naufrage, mais surnagea dans son ouverture, lorsque les deux présentateurs, Toto Cutugno et Gigliola Cinquetti, interprétèrent leurs chansons gagnantes, Insieme et Non Ho L’Eta :

En 1999, la télévision publique israélienne décida d’innover en confiant la soirée à trois présentateurs, une grande première. Durant la pause commerciale, Dafna Dekel et Sigal Shahamon, un verre de vin à la main, portèrent un toast aux deux millénaires et chantèrent en duo To Life (à 1:07:00) :

En 2002, le Concours fut présenté par un duo atypique : la cantatrice Annely Peebo et l’acteur Marko Matvere. La voix particulière de Peebo marqua les fans, au point d’en acquérir une existence propre, tout comme la curieuse décision de la production de faire flirter les présentateurs, trois heures durant. Durant la pause commerciale Peebo et Matvere finirent par se déclarer leur flamme en chanson, sur A Little Story In The Music :

En 2003, les présentateurs, Marie N et Renārs Kaupers, ne chantèrent pas en direct durant la retransmission. Néanmoins, tous deux apparurent dans la vidéo de l’entracte. Marie y chanta I Feel Good et Renārs, accompagné de son groupe Brainstorm, A Day Before Tomorrow :

En 2006, ce fut le spectacle d’ouverture de la demi-finale qui retint toutes les attentions. Les dieux de l’Olympe eux-mêmes montèrent sur la scène pour interpréter un medley des plus grands succès du Concours. Le final les vit être rejoints par un chœur d’enfants et par les deux présentateurs, Maria Menounos et Sakis Rouvas pour une reprise de Love Shine A Light. Rouvas revint ensuite lors de l’entracte pour interpréter I’m In Love With You, adaptation anglaise d’un de ses précédents succès S’Eho Erotefthi.

En 2011, à eux deux, les présentateurs Anke Engelke et Stefan Raab assurèrent une grande partie des ouvertures et entractes musicaux. Lors de la première pause musicale de la première demi-finale, ils interprétèrent Mein Vater war ein Wandersmann (Mon père était un vagabond) avec les concurrents. Durant la seconde pause musicale de la seconde demi-finale, ils reprirent en version acoustique plusieurs chansons marquantes du Concours. Enfin, lors de l’ouverture de la finale, accompagnés par Judith Rakers et quarante-trois sosies de Lena, ils reprirent en version rockabilliy, Satellite.

Notre parcours s’achève (enfin !) en 2012, avec Eldar Gasimov. Lors de la deuxième demi-finale, il apparut en compagnie de Nigar Camal et de quatre précédents vainqueurs pour une reprise impérissable de Waterloo. Et lors de l’ouverture de la finale, Gasimov et Camal reformèrent pour une dernière fois, leur duo gagnant, pour la reprise de leur monumental Running Scared.