highs-lows-book-launch1Quarante-huit années. Quarante-huit longues, très longues années. Une des plus longues traversées du désert de l’histoire de l’Eurovision, à peine surpassée par les cinquante ans sans victoire du Portugal. Vous, moi, nous tous, avions perdu espoir de jamais revoir l’Autriche triompher au Concours. Et pourtant, en mai 2015, nous nous envolerons vers Vienne, preuve qu’il suffit d’un peu d’audace et de bonne volonté pour remporter le Grand Prix.
D’ici à ce que résonne le prélude orchestral du Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, ou du moins, d’ici à ce que des groupes folkloriques en culottes de peau, des cantatrices londoniennes inconnues ou des avocats sifflotant fassent refleurir la SRF, rouvrons notre livre d’histoire sur l’étagère et revisitons ensemble ces quarante-huit années de vaches maigres autrichiennes, qui, de 1966 à 2014, d’Udo Jürgens à Conchita Wurst, ont élevé l’Österreichischer Rundfunk au rang de bastion du surréalisme.

Aujourd’hui donc : cinq prestations autrichiennes inoubliables.

5. 1991 – Thomas Forstner – Venedig im Regen (Venise sous la pluie) – 22e place

Tout partait pourtant d’une bonne intention. En 1989, Thomas Forstner avait terminé à la cinquième place, avec la ballade Nur ein Lied (Juste une chanson), devenu numéro un des ventes en Autriche. Deux ans plus tard, Thomas revient sur la scène du Concours, avec une chanson similaire. Son mulet est un peu plus long ; son costume, un peu plus scintillant ; son résultat ; autrement plus dramatique. Thomas termine à la dernière place (la septième pour son pays) et écope de la plus infâmante des marques : celle du « nul point » (le troisième). Sa carrière est brisée net. L’Autriche rejoint la Norvège et la Finlande sur le podium des pays les plus malchanceux. Il lui faudra encore vingt-trois ans pour rompre la malédiction.

4. 1981 – Marty Brem – Wenn du da bist (Quand tu es là) – 17e place

Il est des questions existentielles qui resteront à jamais sans réponse. Par exemple : qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Qu’est-il passé par la tête de Marty Brem au moment de mettre son numéro en scène ? Le chanteur autrichien avait déjà représenté son pays, l’année précédente, au sein du groupe Blue Danube et avait terminé à une honorable huitième place. Il revient à Dublin avec une ballade de facture fort classique. Est-ce la volonté de se démarquer ? Marty ouvre le Concours et ses choristes entrent immédiatement dans l’histoire de l’Eurovision, non seulement pour leurs costumes étranges, mais surtout pour leurs pas de danse… comment dire ?… aléatoires ? absurdes ? Qui a dit « idiots » ?

3. 2003 – Alf Poier – Weil der Mensch zählt (Parce que l’être humain compte) – 6e place

L’édition 2003 du Concours demeure dans les souvenirs du plus grand nombre pour les esclandres du groupe russe t.A.T.u et l’incroyable suspense créé par le vote, qui déboucha sur la victoire de la Turquie. Le candidat autrichien attira pourtant une partie de la lumière sur lui. Le comédien Alf Poier apparut sur scène, entouré de quatre figures en carton représentant des animaux anthropomorphes et évoquant le message profond de sa chanson, une ode à la protection des animaux et de leurs droits. Grimaçant et gesticulant, Alf réussit l’exploit de se hisser à la sixième place du classement, le meilleur résultat pour l’Autriche depuis 1989 et notre inoubliable Thomas Forstner. D’aucun s’en serait réjouit. Pas Alf, qui emporté par son personnage, passa les heures suivant la finale à répéter à qui voulait l’entendre que ce « mauvais classement » était une honte, un scandale, bref que l’Europe entière manquait totalement de goût musical. Il conclut sa démonstration par un magistral « I hate this Contest ! Fuck this Contest ! », hurlé en direct aux caméras de la BBC et qui suscitèrent bien des rires et des ricanements dans le chef des commentateurs et des présentateurs…

2. 2012 – Trackshittaz – Woki mit dem popo (Remue ton popotin) – 18e en demi-finale

Avant de leur jeter à nouveau la pierre, rappelez-vous que vous devez leur être redevables de deux accomplissements majeurs. Primo, d’avoir introduit au Concours, une nouvelle langue, le mühlviertlerisch, dialecte de Haute-Autriche, leur région d’origine. Secundo, d’avoir battu lors de la finale nationale, nulle autre que Conchita Wurst , lui offrant l’opportunité de revenir deux ans plus tard et de remporter magistralement la victoire à Copenhague. Quant au reste, rarement une chanson et une présentation auront été aussi ouvertement sexuelles. Le groupe nous narre une nuit d’aventures scabreuses dans un club de strip-tease, nuit au cours de laquelle ils encouragent les demoiselles autour d’eux à remuer cette partie charnue de leur anatomie prévue initialement par la Nature pour le confort de leur assise. L’Europe ne maîtrisant pas toutes les subtilités du mühlviertlerisch, trois charmantes jeunes filles, fort distinguées, accompagnèrent les Trachshittaz sur scène, afin de renforcer l’impact visuel de leur message. Pour solde de tout compte : une dernière place en demi-finale à Bakou et les foudres des mouvements féministes…

1. 1977 – Schmetterlinge – Boom Boom Boomerang – 17e place

Le jour où l’Eurovision a ouvert la boîte de Pandore… Toute première chanson parodique, toute première chanson dont les paroles ne font pas sens, toute première chanson se moquant implicitement du Concours, toute première prestation comportant des masques, Boom Boom Boomerang demeure l’un des moments fondateurs du Concours. Le groupe folk Schmetterlinge entendait protester contre les dérives commerciales de l’industrie musicale et partant, de l’Eurovision. Ils reçurent un accueil glacial des jurys nationaux, sans doute peu sensibles à leur message et à leur numéro loufoque, et terminèrent à l’avant-dernière place. Leurs trois minutes allaient pourtant engendrer un culte qui les verra réapparaître dans à peu près tous les montages vidéo sur l’histoire du Concours. Symbole de l’idiotie de l’Eurovision pour les uns, de sa prodigieuse diversité et de son sens de l’autodérision pour les autres, Schmetterlinge conserve un mérite incontestable : susciter le rire depuis trente-sept ans, un record typiquement autrichien…

« Pfff… L’Eurovision, c’est p’us ce que c’était ! Du temps de Marie Myriam, ça ressemblait encore à queq’chose, mais maintenant… » Chère Madame Michu, révisez votre manuel d’histoire : Schmetterlinge fut l’exact contemporain de cette chère Marie, tous deux ayant concouru à Wembley. Les archives vous le prouveront en outre : le premier âge d’or du Concours fut émaillé de très nombreux artistes excentriques, aux costumes extravagants et aux prestations surréalistes. Or le podium de 2014 dément vos propos : l’heure est désormais au sérieux, au professionnalisme, à la compétence et… à la réussite commerciale ! Belle mise en abîme des paroles de Boom Boom Boomerang : rarement les chansons en compétition auront rencontré autant de succès en-dehors de la sphère de l’Eurovision !

Bonus

Une sixième prestation autrichienne demeure inoubliable, qui n’a pourtant jamais eu l’honneur de la scène du Concours. Il s’agit d’un de ses moments méconnus et uniques, indispensables à connaître pour un fan. Nous sommes en 1990, entre les deux prestations de notre très cher Thomas Forstner. L’ORF organise une finale nationale, dont le déroulement est interrompu par un gros malaise… au sens le plus médical du terme ! Arrivée au beau milieu de sa chanson, la moitié féminine du duo Duett (mise en abyme…) s’évanouit soudain. Son compère continue un temps, avant que la production ne suspende la retransmission. L’histoire ne s’arrête pas là : Duett reprendra sa chanson et… remportera cette finale autrichienne ! Sauf que… il apparut quelques jours plus tard que Das Beste avait déjà participé à la sélection allemande de 1988 ! La chanson fut disqualifiée sur le champ et c’est celle arrivée en deuxième position, Keine Mauern mehr (Plus jamais de murs), interprétée par Simone, qui représenta l’Autriche à Zagreb.