Nouvel épisode de Que sont-ils devenus ?, et direction aujourd’hui Talinn, en 2002. Cette année-là, la Lettonie participe pour la troisième fois seulement au concours de l’Eurovision, dont elle aurait normalement dû être reléguée. Un petit « miracle » en fait alors la lucky loser et permet au pays balte de participer à l’édition de sa voisine estonienne. Pour porter ses couleurs, la sélection nationale organisée par la LTV désigne une révélation de la scène musicale lettone, où elle connaît une popularité croissante : Marie N., qui ne se doutait alors pas que l’Eurovision ferait basculer son destin à jamais. Vingt ans après, où son parcours eurovisionesque a t-il mené la seule vainqueure lettone de l’histoire du concours à ce jour ?

Avant l’Eurovision

Fille d’une actrice et d’un psychologue, Marija Naumova tombe dans la musique dès l’enfance.

C’est en 1994 qu’elle est découverte par le célèbre musicien Raimonds Paul. Un an après, elle fait le tour des festivals de musique et des concours de jeunes musiciens dans son pays, où elle se fait remarquer et reçoit des prix du public (notamment à Voice of Asia à Alma-Ata). Elle participe à de nombreux concerts dédiés au centième anniversaire de George Gershwin, et figure au casting de comédies musicales, tout en ressortant diplômée en droit de l’Université de Riga entretemps.

C’est en 1998 que paraît son premier album studio До светлых слёз qui, comme l’indique son titre, est intégralement en russe, dans la droite lignée des origines russophones de l’artiste. Très vite, elle s’impose comme l’une des révélations de la scène musicale lettone, où elle gagne en popularité au fil des années. En 2000, son deuxième album, Ieskaties acīs, devient disque de platine, tandis qu’elle réalise la première partie des concerts de Joe Cocker, avant de remplir elle-même les salles de concert lettones en solo.

Pendant ce temps, Marie N. commence à se rapprocher doucement, mais sûrement, de la sphère eurovisionesque. Elle participe pour la première fois à Eirodziesma, la sélection nationale lettone, en 2000, année où le pays participe pour la première fois à l’Eurovision et où l’artiste sort son second album Ieskaties acīs. Avec For You My Friends, Marie termine à la seconde place de la sélection derrière Brainstorm, qui reviendra de Stockholm avec une inattendue médaille de bronze.

L’artiste n’attend pas davantage que l’année suivante pour retenter sa chance. Tandis que sort son troisième album Ma Voix, Ma Voie (en français dans le texte), Marie N. se présente à la sélection lettone avec le titre Hey Boy Follow Me. Alors qu’elle termine largement en tête du télévote (qui ne compte que pour 1/5 du résultat final) avec quasi vingt mille voix d’avance sur le futur vainqueur, le proéminent jury la prive de la victoire, la reléguant de justesse à la troisième place.

Néanmoins, la 18ème place décrochée par Arnis Mednis à Copenhague est censée condamner la Lettonie à la rélégation, et donc à son absence du concours 2002 en Estonie voisine. Mais l’UER décide d’élargir le nombre de participants à 24, offrant la possibilité à Israël et au Portugal de participer. Nos amis lusitaniens ayant alors décliné’ la proposition, c’est à la Lettonie que revient la place du lucky loser, et donc la possibilité de prendre part au concours.

Pour Marie N., c’est l’opportunité du siècle. Jamais deux sans trois, la revoilà en sélection nationale avec le titre I Wanna, ce sans l’intention de la remporter. Et ainsi le décida le public letton : c’est à destination de Tallinn que l’artiste est invitée à faire le voyage au mois de mai suivant.

Pendant l’Eurovision

C’est relativement loin du costume de favorite que la Lettonie débarque en Estonie. À un mois du concours, Marie N. figure à une respectable dixième place des bookmakers, très loin derrière cependant de l’indétrônable quatuor Allemagne-Suède-Estonie et Royaume-Uni. Mais l’artiste lettone va déjouer les pronostics.

Alors que l’expérience eurovisionesque est riche en aventures (lentilles de contact oubliées, problème d’oreillettes lors des répétitiosn générales …), Marie N. tire au sort l’avant-dernière place dans l’ordre de passage, juste après l’attendu (et alors controversé) trio slovène. Avec une prestation scénique unique en son genre et un numéro de quick change qui joue sur les codes du genre, la représentante lettone vole contre toute attente la vedette à la concurrence.

Tant et si bien que, dès le début de la procédure de vote, le pays scrute le haut du classement, et joue très vite au mano a mano avec Malte, tous deux en piste pour décrocher une première étoile à l’Eurovision. Marie N. confiera d’ailleurs ultérieurement avoir prié pour ne pas gagner, car elle ne se sentait pas prête à affronter l’après, ne connaissant alors rien aux règles du show business et n’ayant ni carrière toute tracée, ni manager.  

C’est l’ultime vote, celui de la Lituanie, qui offrira finalement la victoire à la jeune artiste pour … 12 (symboliques) points. Une première pour la Lettonie, aux allures d’évènement national pour ses alors 2,31 millions d’habitant·es. Et de quoi inscrire sa représentante tant dans l’histoire de l’Eurovision que dans celle de son pays, pile l’année où elle sort son nouvel album, On A Journey et sa version lettone Noslēpumi.

Après l’Eurovision

Si la prestation de Marie N. est régulièrement citée comme l’une des plus iconiques de l’histoire du concours, I Wanna est à ce jour l’un des titres vainqueurs à avoir connu le moins de succès dans les charts, alors même qu’il est sorti partout à travers le monde. Ce qui n’empêche pas la vainqueure du concours 2002 de rester dans la lumière de l’Eurovision, puisque l’année suivante, c’est à elle et Renars Kaupers (de Brainstorm) que la LRT fait appel pour présenter le concours 2003 en direct de Riga. Pile au moment où sort le single I Feel Good.

Marie N. poursuit en parallèle sa carrière dans le monde des comédies musicales, et se voit offrir le rôle principal de The Sound of Music sur la scène de la Salle Kipsala de Riga. Elle sort également un nouvel album, On My Own, qui réunit chansons de sa propre inspiration et reprises de titres célèbres. Pour ce disque, elle use de ses talents de polyglotte, puisqu’elle mêle le letton, le français, l’anglais et le portugais. L’année suivante, elle devient envoyée de bonne volonté de l’UNICEF en Lettonie, tout en sortant son cinquième album, Another Dream.

Par la suite, la gagnante de l’édition 2002 s’éloigne doucement, mais sûrement, de la lumière des projecteurs. Après un huitième album, Lullabies, en 2010, Marie N. prend du recul et décide de se concentrer sur sa vie familiale. Elle emménage alors en France, et revient régulièrement en Lettonie, notamment pour y donner des séries de concerts intitulées Midnight in Paris.

Elle fait son grand retour sur la scène musicale lettone en 2016 avec l’album Uz Ilūziju Tilta, enregistré et composé à Paris avec les auteurs lettons Jānim Peteram un Kārlim Vērdiņam et le musicien français (et guitariste de jazz manouche reconnu à l’international) Sébastien Giniaux. Elle revient peu de temps après vivre dans son pays natal, après neuf années passées à Paris. Elle en écume régulièrement les scènes depuis, avec la passion et l’amour des mots qui sont les siens.

En 2017, tandis qu’elle monte sur la scène des Zelta Mikrofons (équivalent de nos Victoires de la musique) pour remettre un prix, elle fait ses premiers pas de comédienne sur la scène du réputé Théâtre Dailes de Riga, où elle joue Art de Yasmina Reza, sous la direction de J. J. Jillinger. Au printemps suivant, elle est jurée de Bravo, un télé-crochet diffusé dans l’ensemble des pays baltes.

C’est en 2019 que Marija Naumova sort un nouveau titre, Pa īstam, trois ans après son dernier album à ce jour et quelques semaines après être à nouveau montée sur la scène du World Jazz Festival de Riga. Un titre teinté des influences jazz chères à la chanteuse, elle qui apprécie également son pendant manouche.

Alors que sa victoire à l’Eurovision est considérée par LA.LV comme l’un des 30 évènements les plus marquants de la période 1988-2018 en Lettonie, Marie N. a déclaré dans une interview réalisée à l’occasion que « [son] cheminement intérieur et musical [l’] a emmenée dans une direction différente. L’Eurovision n’est pas [sa] musique, le show business n’est pas [sa] voie. »

Quoiqu’il en soit, le concours ne figure jamais bien loin dans la trajectoire de Marija. Elle en a ainsi commenté la finale en 2021 aux côtés de Toms Grēviņš, après avoir été porte-parole du télévote letton en 2005. Systématiquement sollicitée par les médias à l’approche du concours, si elle a regretté par le passé son évolution vers ce qu’elle estimait être un show à grand spectacle mêlé à des enjeux géopolitiques, elle y salue aujourd’hui le retour à la musique, à l’émotion et aux langues et identités nationales. Évoquant entre autres Maro et Systur, elle a d’ailleurs confessé un coup de cœur pour Monika Liu et révélé que la chanson ukrainienne n’était pas sa préférée. Pour la petite histoire, on apprend également que sa célèbre robe rouge de l’Eurovision 2022 est désormais conservée au musée national d’histoire de la Lettonie de Riga.

Comme de nombreux·ses artistes, Marija Naumova a vécu deux années pandémiques durant laquelle son énergie créative a été mise à mal. Cela ne l’a pas empêchée de monter sur scène dès que ce fut possible, notamment pour ses traditionnelles séries de concert de Noël, et de publier un nouveau titre, Par to es domāšu rīt, en août 2020.

Cette année, le public letton a pu la retrouver sur scène lors de plusieurs concerts caritatifs dédiés aux réfugié·es ukrainien·nes et sur la scène du théâtre russe Mikhail Chekhov de Riga en mai dernier (dont elle est une fidèle) pour un spectacle dédié aux romances mondiales. Par ailleurs issue de la (forte) minorité russophone de Lettonie (comme une certaine Samanta Tina), Marie N. est régulièrement invitée à évoquer la guerre en Ukraine dans les médias, elle qui porte un message de paix entre les peuples (sa famille apporte de l’aide aux réfugié·es ukrainien·nes) et un discours très critique envers la sphère politique.

En outre, la gagnante du concours 2002 offre cet été des soirées musicales à la française dans les manoirs et palais de Lettonie, dans le prolongement de Midnight in Paris quelques années auparavant. Une tournée intitulée Francu Saulrieta, durant laquelle elle aura une nouvelle fois l’occasion de faire une déclaration d’amour à la France et à sa légèreté, sa liberté et son romantisme qu’elle loue partout où elle passe. Tel un clin d’oeil, le premier concert de cette série aura lieu le jeudi 14 juillet.

Mais 2022 marque surtout les vingt ans de la victoire de Marija Naumova à l’Eurovision, la seule de la Lettonie à ce jour. Dans une interview à TV3, elle est d’ailleurs revenue sur cette aventure, et révèle qu’après mûre réflexion, elle a privilégié ce qu’elle aimait, sans rechercher la gloire et le succès, et avec ce que cela comporte d’incertitude. Elle confirme qu’après avoir fondé sa famille, elle a préféré réduire son activité musicale, mais continue de travailler sans avoir à s’inquiéter de sa diffusion en radio ou de son existence sur les réseaux sociaux. Celle qui se fait à nouveau appeler Marija Naumova prend ainsi plaisir à monter sur scène pour y mêler les langues, les cultures et les littératures, à contre-courant des tendances musicales et populaires du moment, ce qui ne l’empêche pas d’attirer le public et l’attention des médias, dans lesquels elle reste extrêmement présente.

Alors que Marie N. fêtera l’année prochaine ses cinquante ans, elle mène aujourd’hui une carrière musicale qui l’a peut-être éloignée des grandes scènes et de l’international (dont les portes ne se sont pas ouvertes après l’Eurovision), mais où elle privilégie ses envies et ses désirs au travers de cadres et de projets intimistes. Loin d’avoir délaissé la sphère médiatique, elle y évoque souvent son cheminement spirituel (notamment passé par l’Inde, où elle est restée bloquée en début de pandémie) et l’équilibre de vie qu’elle a réussi à trouver, ce avec une sincérité reconnue de tou·tes. Il est où le bonheur, il est où ? Il est là, tout simplement. Et si elles étaient là les véritables clés de la réussite pour Marija Naumova, vingt après sa victoire surprise à l’Eurovision ?

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