Le Melodi Grand Prix a parcouru cinq semaines télévisuelles faites de duels et de repêchages, pour atteindre sa conclusion. Samedi, nous assisterons à sa grande finale. Le moment sacramental est donc venu : confrontons nos opinions au sujet de ses finalistes et de leurs chansons.

LOREEN

Débutons, comme à notre habitude, par les Loreen, qui reflètent mon avis personnel. Si vous différez en la matière, exprimez-vous dans les commentaires.

Loreen demeure encore et toujours perplexe quant à la répartition entre demi-finalistes et finalistes automatiques et au recours à ces duels. Mais enfin, elle en prend son parti. Surtout qu’elle beaucoup ri de certaines prestations…

Notez que les chansons sont classées selon leur ordre de passage annoncé de samedi.

ChansonsCommentairesLoreen

Atle Pettersen – World On FireAh, les Melodifestivalen des années 2010 ! Que de bons souvenirs, que d’instants magiques et que de prestations mémorables. Bon, ce sont également de nombreux morceaux manufacturés, écrits en pensant trop fort à Christer Björkman et taillés sur mesure pour des artistes soucieux de préserver leur image médiatique propre et lisse. Surprise : un de ces morceaux s’est échappé de sa capsule temporelle et tel Hibernatus, débarque au beau milieu de ce MGP 2021. Qui a débranché le cryogéniseur ? Mystère. Pourquoi Atle a-t-il succombé à ce ressuscité de la décennie précédente ? Mystère. A-t-il été forcé et contraint par sa maison de disques ? Mystère. Et cela fait beaucoup de mystères et de points d’interrogations autour de cette proposition anodine, qui enfonce la plupart des portes ouvertes de l’Eurovision. La mise en scène est si basique qu’on peine à la décrire. Atle surjoue à mort, l’on croirait Greta Garbo dans Grand Hotel. L’on finit par rire de tout cela, car après tout, pris au second degré, oui, c’est drôle. Et WOF est une chanson inoffensive et qui se laisse gentiment écouter, malgré tout.

Raylee – HeroFascinant, tout simplement fascinant. Ces trois minutes exercent sur moi une fascination complète. Raylee est fascinante, charismatique, magnétique. Elle consume le plateau du MGP, les caméras et les écrans. Elle donne envie de la contempler, encore et encore et encore. Rarement une candidate aura suscité autant d’attrait en moi. La mise en scène est également fascinante, pleine de tiroirs, de surprises et de rebondissements. Une efficacité redoutable et jouissive, couronnée par cette douche finale déjà légendaire et cette mèche de cheveux, mouillée et rebelle qui sert de lauriers de la victoire à une Raylee habitée. Quant à Hero, il s’agit d’une chanson toute aussi fascinante. Pas d’une chanson en hommage aux années 80, ni d’une chanson inspirée par les années 80. Non, non. C’est une chanson des années 80, point. Une chanson de 1986 écrite en 2020. Ne cherchez pas l’erreur, il n’y en a pas et c’est là un parti-pris génial et surréaliste à la fois. L’ensemble est déjà gravé dans les yeux et les mémoires, pour toutes les bonnes et les mauvaises raisons possibles et imaginables. Que lui reprocher ? Avant tout, une prestation vocale peu fascinante, elle, spécialement dans les notes les plus hautes. Et un côté pompier qui frise la caricature. Alors ? À titre personnel, j’adore tout ici, y compris faiblesses et imperfections. Mais en mai, je m’interroge : jurés et téléspectateurs riraient-ils avec Raylee ou riraient-ils d’elle ?

Stavangerkameratene – BarndomsgaterUn pour tous, tous pour un ! Nos quatre mousquetaires norvégiens s’unissent et forment un groupe leur permettant de multiplier leurs fans, tout comme leur superficie médiatique. Leur expérience, leur talent et leurs voix s’harmonisent sans se neutraliser. Hélas, mille fois hélas, notre quatuor défend une chanson rétro-passéiste, une vieille soupe en conserve réchauffée de la veille au micro-ondes. Il ne manque plus que quelques boules de naphtaline flottant à la surface pour compléter ce plat. Durant trois minutes, l’ennui le dispute à l’agacement, jusqu’à ce que pointe un vague rire jaune. Le but recherché par cette proposition semble avoir été la nostalgie. Elle se fracasse hélas sur l’écueil de la monotonie poussiéreuse. Bref, sortez vos ramonnettes musicales, époussetez-moi ces trois minutes et revenons-en à la compétition.

Kiim – My Lonely VoiceUn grand chanteur, un grand artiste, à la voix incroyable et aux prestations vocales dignes de Mariah Carey et de Whitney Houston. Justement, il nous interprète un morceau tiré du répertoire de ces deux divas, apparemment une maquette non enregistrée en 1996 et ressortie du tiroir au fond duquel elle avait été oubliée. Légèrement mise à jour, MLV ne cause aucun déplaisir à l’ouïe et fait refluer à la surface les bons souvenirs de cette décennie dorée des ballades à voix. Mais quitte à ressusciter un pan entier de la musique pop, autant s’arranger, comme Raylee, pour que ce soit drôle et que le téléspectateur se gondole sur son canapé. Ce qui n’est pas le cas ici. La mise en scène plombe par ailleurs l’ambiance de ces trois minutes et ne reflète pas clairement le message de MLV. Au final, mon esprit s’est échappé vers une question existentielle : serait-ce déjà le retour des pantalons taille haute ?

Blåsemafian feat. Hazel – Let LooseCe n’est guère bon signe quand les meilleurs passages d’une chanson sont ses ponts musicaux non chantés. Ceux de LL sont excellents, mémorables et donnent envie de danser dans son salon. Hazel est une excellente vocaliste qui délivre des prestations impeccables. Hélas, les couplets de LL sont musicalement tièdes et aplatissent le morceau. Le rythme général en est entravé et l’on en vient à souhaiter que la malheureuse Hazel abrège ses passages pour nous laisser profiter de la musique. Ce déséquilibre interne pénalise une proposition qui rassemble de bonnes idées, sans les concrétiser parfaitement. À nouveau, il y aurait là de quoi décrocher une petite qualification en mai, suivie par un classement anonyme en fin de tableau final.

Emmy – Witch WoodsCurieuse proposition, atypique, originale, mémorable, mêlant les genres musicaux et ouvrant nombre de tiroirs, rebondissant à chaque surprise pour offrir de nouvelles perspectives musicales. La mise en scène est en accord parfait, pour un ensemble éminemment télévisuel. Emmy incarne sa chanson à merveille et en délivre des interprétations impeccables sur les plans vocaux et scéniques. À l’Eurovision, cette proposition se démarquerait sur la trame générale d’une demi-finale. Mais cela plairait-il au plus grand nombre ? Je suis perplexe. En ce qui me concerne, j’aime beaucoup. En serait-il de même pour des ménagères roumaines, des retraités israéliens ou des jurées albanaises ? Le doute m’habite…. WW me semble à double tranchant. Ses particularismes sont susceptibles de plaire autant que de déplaire. Mais son choix aurait au moins le mérite de l’audace.

TIX – Ut Av MørketUn chanteur talentueux, charismatique, mémorable, qui crève l’écran ; une prestation haute en couleurs ; une mise en scène à ravir l’Eurofan le plus blasé, entre anges en fourrure et démons sado-maso, le tout au service de la chanson… la plus plate, la plus banale et la plus anodine qui soit. Le contraste est fort perturbant, renforcé encore par l’incroyable passion que UAM semble déchaîner en Norvège. Visuellement, c’est enthousiasmant. Musicalement, c’est barbant. UAM est une chanson ni ridicule, ni médiocre, mais passe-partout. L’ensemble n’est remarquable que par TIX. Ce sera suffisant pour franchir le cap des demi-finales, mais pas pour s’extraire du ventre mou de la finale en mai prochain. À moins que d’ici-là, le morceau ne soit entièrement réécrit, recomposé et remixé. Cette probabilité étant faible, mieux vaudrait que les Norvégiens élisent une chanson plus intéressante.

Kaja Rode – Feel AgainEn parlant d’audace, ces trois minutes en sont complètement et totalement dépourvues. C’est le principe de précaution appliqué à l’Eurovision : surtout n’effrayer, ni ne déplaire à aucun téléspectateur. L’objectif est atteint, au détriment de toute originalité. FA fait l’effet d’une soupe en sachet sans sel, ni poivre. Cela s’écoute sans difficulté, sans déplaisir et hélas, sans émotion particulière. Kaja n’a rien à se reprocher : elle est une chanteuse talentueuse, qui capte la lumière avec classe et élégance. Elle aurait mérité une chanson à la hauteur de sa voix et de son charisme, une chanson capable d’arrondir de surprise et de ravissement la bouche des téléspectateurs. Une chanson pleine de vie, de piment, d’émotion et d’attitude. Pas ce bol aseptisé et industrialisé qu’est FA, poudre lyophilisée diluée dans de l’eau tiède. Et au fait, Loreen a appelé : elle aimerait récupérer son pyjama et sa robe de chambre…

Rein Alexander – Eyes Wide OpenLe roi de la chanson pompier est de retour, pour trois nouvelles minutes recyclant une dizaine de propositions eurovisionesques précédentes. L’an dernier, OLT m’avait collé un prurit jusque dans le slip. Cette année, surprise, surprise, EWO exerce une étrange emprise sur mon esprit. Rendons à César ce qui lui appartient : Rein est un chanteur exceptionnel. Sa voix profonde, son coffre inégalé et sa maîtrise vocale sont une leçon pour les autres concurrents. Il se joue habilement du premier et du second degré et incarne ses personnages avec cet art consommé du grand acteur qu’il est. La mise en scène et le visuel se marient pour rendre sa prestation captivante. EWO frôle le génie, mais le manque d’une manière si camp et involontairement humoristique que l’on finit par rire avec et de cette chanson. L’ensemble exerce donc sur moi une fatale attraction. La dernière voix de la raison me hurle de vouer cette proposition aux gémonies, mais je me retrouve à la réécouter et à la revoir en boucle. Bref, un pêché capital, auquel il est délicieusement répréhensible de succomber.


Imerika – I Can’t EscapeL’Eurovision est l’empire des ballades. Il y eut même des périodes où l’Eurovision n’était que ballades. Présenter une ballade au Concours est donc à la fois une option sûre, car une ballade rencontre souvent son public et une voie périlleuse, car l’on se mesure à des chansons qui ont forgé l’histoire de l’Eurovision, de Refrain à Arcade en passant par Non ho l’età ou Ein bisschen Frieden. Pour éviter d’être oubliable, puis oubliée, une nouvelle ballade doit comporter fraîcheur et émotion, doit faire battre nos cœurs à la mesure de ses prédécesseurs. C’est ce que réalise I Can’t Escape. C’est ce que réalise Imerika. Et c’est un miracle en soi. Après six décennies et demi de ballades, Imerika touche nos âmes dès la première mesure. Son I Can’t Escape est sobre, mais infiniment émouvant et prenant. Durant trois minutes, l’on en oublie le monde et la vie, pour n’écouter que la voix de la chanteuse. L’on vibre avec elle et la dernière note envolée, l’on reste suspendus entre deux nuages, avec l’envie de revivre ces émotions à l’infini. Imerika n’a besoin d’aucune mise en scène, d’aucun visuel et sans doute pas d’un quintet à cordes. Sa chanson et elle suffisent. Pour moi, la meilleure proposition de cette sélection et sans doute, l’une des meilleures de la Saison. Rotterdam, la voilà !


Keiino – MonumentIl est noble, courageux et ambitieux de revenir à la compétition, après avoir remporté une sixième place à l’Eurovision. Il est tentant d’emprunter la même voie que la première fois et de reproduire une formule gagnante. Hélas, c’est avant tout un risque. Le risque de ne pas surprendre, voire de décevoir et donc, de décroître en amour et en intérêt. Avec Monument, Keiino navigue sur cette crète difficile. Il ne s’agit pas d’un copier-coller servile de SITS, plutôt d’une suite avec variantes. L’identité musicale du groupe s’y retrouve avec bonheur. Alexandra, Tom et Fred nous rejouent leur harmonie et leur complémentarité vocale, avec d’autres interprétations très réussies. La dramaturgie demeure la même, mais fonctionne à l’écran. Monument est une fort bonne chanson, mémorable à première écoute et construite en crescendo. L’on ne s’ennuie pas un seul instant. Hélas, bémol majeur : tout élément de surprise a disparu. La vision de ces trois minutes rappellent mille-et-un bons souvenirs, sans parvenir à les effacer à leur profit. Un choix évident, qui obtiendrait une qualification sans coup férir et sans doute un beau classement en finale, mais dans une catégorie « à vaincre sans péril ».

Jorn – Faith Bloody FaithQui se dévoue pour le prévenir que le Mur de Berlin est tombé ? Car en réécoutant ces trois minutes, une image se forme dans mon esprit : Jorn devant la Porte de Brandebourg, tentant de se faire entendre jusqu’à Berlin-Est. Avec FBF, c’est une autre époque musicale qui ressuscite : le hard-rock fin 80-début 90, les Scorpions, Europe, Status Quo,… Vous voyez le tableau. Rien de tout cela qui ne m’ait jamais plu. A priori, la proposition de Jorn aurait dû récolter d’une Loreen grimaçante. Mais il a eu le génie diabolique de mâtiner son FBF d’un soupçon de schlager et de l’enrober dans une mise en scène à hurler de rire, où l’on hésite sur ses intentions. Est-ce du premier ou du second degré ? De l’humour ou de l’attitude ? Le spectacle est au final, total. L’on en prend plein les yeux et les oreilles. Les amateurs prendront leur pied. Les autres, leurs jambes à leur cou. Moi, je suis partagé entre fou rire, surprise complète de le voir là, déception que ce ne soit pas un autre, ravissement de plaisir coupable et vive curiosité quant à son impact sur le télévote norvégien. Au final, autant en rire pour cette fois. Mais s’il l’emportait, je rirais moins. Exactement comme au Siste sjanse

Au final, un excellent cru du Melodi Grand Prix. Cette sélection affiche une belle diversité des genres musicaux et humains. Chaque y trouvera son compte et en appréciera la finale à bon droit, car elle s’annonce comme un sommet artistique de cette Saison 2021. Un sommet de suspense également, nombre de candidats faisant figure de vainqueurs potentiels.

Mais résumons-nous. Dans la catégorie « non, juste non », je placerais donc le Barndomsgater des Stavangerkameratene, seul morceau à faire tache dans ce bel ensemble.

Dans la catégorie « à écarter pour manque d’originalité », je placerais World On Fire d’Atle Pettersen, My Lonely Voice de Kiim et Feel Again de Kaja Rode. Avec ces trois propositions-là, la Norvège ne serait pas en mesure de se distinguer à Rotterdam et risquerait de rester sur le quai de sa demi-finale.

Dans la catégorie « fausses bonnes idées », je placerais Let Loose de Blåsemafian et Ut Av Mørket de TIX. La première a pour principal intérêt ses ponts musicaux. La seconde a pour principal intérêt sa mise en scène et son visuel. Or nous sommes à un concours de chanson, télévisé certes, mais malgré tout en quête d’émotion et de mélodies imparables, ce que n’offre aucune de ces deux propositions.

Dans la catégorie « plaisirs coupables, très coupables », je placerais Hero de Raylee, Eyes Wide Open de Rein Alexander et Faith Bloody Faith de Jorn. Le genre de chansons que l’on se garde sous le bras pour se les repasser lors des longues soirées d’été, quand l’Eurovision reste loin à l’horizon. Toutes trois sont drôles et involontairement drôles, camp à mourir et leurs mises en scène contribuent à part égal à leur festin coupable. Ces trois interprètes débordent de charisme et seraient certainement adulés des Eurofans pour l’éternité s’ils représentaient la Norvège à Rotterdam. Néanmoins, leurs chansons, aussi rigolotes soient-elles, n’en demeurent pas moins des tartes à la crème balancées à pleines mains sur nos écrans. Déjà cultes, mais prospectivement des planches savonneuses pour la Norvège en demi-finale.

Dans la catégorie « oui, mais », je placerais Monument de Keiino et Witch Woods d’Emmy. Potentiellement deux très bons choix, grâce auxquels la Norvège capterait la lumière. Certainement pour se qualifier en finale. Ensuite, je serais plus circonspect. La première est une variante d’un succès précédent. La seconde ne touchera pas les cœurs des 200 millions des téléspectateurs attendus. Une bonne surprise demeure possible. Donc pourquoi pas ?

Vous l’aurez compris, dans la catégorie « oui, mille fois oui », je placerais I Can’t Escape d’Imerika et rien qu’elle. C’est la chanson qui m’a le plus ému, le plus enthousiasmé, le plus convaincu. Choisie, elle ferait, selon moi, de la Norvège une sérieuse concurrente pour la victoire. Elle atteint la perfection eurovisionesque et réalise la promesse fait par le chef de la délégation norvégienne de nous présenter des vainqueurs potentiels.

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Sur ce, rendez-vous samedi pour la grande finale !

Crédits photographiques – NRK