Nous avons tous nos sélections nationales préférées. Beaucoup d’Eurofans ont le cœur qui bat la chamade devant le Festival de Sanremo ou le Melodifestivalen. Le baroque du premier, le barnum du second séduisent et attirent, édition après édition, les aficionados du monde entier. Ils s’annoncent d’ailleurs à l’horizon. Émotions et joies reviendront intactes.

D’autres, dont certains de nos plus fidèles lecteurs, vouent un attachement profond et sincère au Festival da Canção, son caractère éminemment lusitanien, ses mélodies fado et ses expérimentations musicales atypiques. Tous ces éléments rendent en effet la sélection portugaise unique et agréable à aimer. D’autres encore ne manqueraient pour rien au monde l’Eesti Laul, ses mises en scène futuristes, ses chansons imparables, ses artistes de qualité et son humour pince-sans-rire, si eesti.

Vous le savez, je voue quant à moi une passion effrénée au Festivali i Këngës et à l’Eurovizijos atranka. Tout y est réuni pour le meilleur : des artistes de premier ordre, des morceaux anthologiques, des prestations mémorables, mais aussi des règles tarabiscotées et fluctuantes, des jurés intraitables et acerbes, des résultats imprévisibles et des rebondissements assaisonnés de quelques Eurodrames. Surtout, un long et douloureux cheminement vers le meilleur. Deux diffuseurs, la RTSH et la LRT, qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour décrocher un Saint-Graal désespérément désiré : le Micro de Cristal. Deux diffuseurs qui sont parvenus à transformer des émissions poussives en bulles pop jouissives. Deux diffuseurs qui mériteraient d’être cités en exemple (à quelques détails près…).

Mais de toutes les sélections nationales, il y a une qui dépasse en intérêt et en intensité les autres, même les plus passionnantes, même les meilleures du genre : celle de son propre pays. Ah, quelle exaltation, quel bonheur, quelle soirée d’être devant sa télévision et de communier avec ses concitoyens dans le choix de son représentant pour l’Eurovision ! Les sentiments sont décuplés, amplifiés, avivés : joie, angoisse, excitation, frustration, ivresse, colère. Il n’y a guère que l’Eurovision lui-même pour procurer des sensations aussi marquées.

À titre personnel, j’ai vécu certains de mes moments eurovisionesques les plus mémorables devant les sélections nationales belges. J’ai vibré avec une intensité inédite devant les Eurosong 2006, 2008 et 2014, organisés par la VRT. J’en ai tiré un plaisir si vif qu’il ne saurait être égalé même par ces éditions 2020 et 2021 du FiK et de l’Ea. Et comme vous vous en doutez, la déception de leurs résultats finaux aura été aussi grande que la félicité qu’elles m’auront procuré. Depuis, les sélections belges ont cessé, sans doute à raison. Nos classements à l’Eurovision ont connu une floraison inouïe. J’en suis l’Eurofan le plus heureux, mais mes Saisons comportent un vide, un manque…

Vous, Eurofans et lecteurs français, avez eu la chance d’assister hier soir à votre sélection nationale. J’espère que vous en avez retiré le meilleur des plaisirs eurovisionesques et que ce samedi soir restera pour longtemps gravé dans vos mémoires. Cette finale d’Eurovision France, c’est vous qui décidez, réussie à maints égards, aura vu le couronnement attendu de Barbara Pravi et de Voilà. Le vote fut, comme souvent, le moment le plus épique et le plus prenant de la soirée. Sans doute vous aura-t-il laissés, le souffle coupé, sur votre canapé. Les saluts de la gagnante, débordants d’émotion et de passion, auront conclu en beauté cette sélection française 2021.

Le spectacle s’est révélé à la hauteur des attentes placées en lui et aura atteint ses objectifs. Bien sûr, désigner l’artiste qui portera les couleurs de la France à l’Eurovision 2021. Mais aussi, comme nous l’avions souligné dans des éditoriaux précédents, mettre en avant des auteurs, compositeurs et interprètes encore peu connus, leur offrir une plateforme nationale pour promouvoir leur musique et ainsi, soutenir l’art et la culture française. Enfin, offrir aux téléspectateurs français, francophones et étrangers du monde entier, un programme de divertissement léger, de qualité, leur permettant de se distraire en ces temps difficiles et moroses. De véritables missions de service public que seul permet l’Eurovision.

Quant à vous, Eurofans et lecteurs français, sentez-vous privilégiés. Que vous soyez euphoriques ou que vous accumuliez d’éventuels griefs, regrets ou chagrins : que l’emporte dans vos esprits et dans vos cœurs, ce sentiment de privilège et d’exception. Vous avez concouru au choix de votre pays, vous avez partagé cela avec des milliers de vos semblables, vous avez été unis l’espace d’une soirée. Cette sélection vous aura offert des semaines entières de dérivatifs, de découvertes, de lectures, de discussions, d’articles, d’interviews, de décryptages, de vidéos, de classements, de votes, de sondages et de partages avec l’Euromonde.

C’est là un autre privilège : au beau milieu de la tourmente mondiale, France Télévisions aura conçu une bulle musicale vous offrant évasion et récréation, une planche de salut à la morosité et à la tristesse. Remercions le diffuseur de ses efforts. Il aura maintenu ses plans malgré les restrictions sanitaires. Il aura investi temps, argent et énergie dans la préparation de cette émission. L’Eurovision au Quotidien en aura grandement bénéficié, en disposant d’un vaste matériel éditorial. Grâce à Eurovision France, c’est vous qui décidez, nos taux de fréquentation ont été soutenus et constants. Nos rédacteurs auront également vécu de belles aventures et réalisé certains de leurs rêves en interviewant les artistes finalistes vers qui leur préférence se dirigeait.

Encourageons à présent la délégation française à poursuivre dans cette voie et à renouveler cette sélection pour de nombreuses années à venir. La patine lui apportera la perfection, jusqu’à égaler les meilleures, jusqu’à ce qu’elle soit citée en exemple par les autres diffuseurs et qu’elle les inspire pour leur propre programme. Un objectif ambitieux, un objectif réalisable au vu de la richesse de la scène musicale française actuelle, des moyens à disposition de France Télévisions et de cette première édition. Par ailleurs, la répétition et la constance sont des facteurs clés dans la fidélisation du public français et partant, un retour de flamme en faveur de l’Eurovision.

Ce sera là notre souhait pour l’avenir : que de toutes les sélections nationales, celle de la France devienne la plus aimée, la plus reconnue et la plus attendue…