Bienvenue et bon retour sur les pupitres du cours Eurovision ! Vous avez soif de connaissances sur la compétition européenne ? Eh bien, je vous propose cette douzième page de l’abécédaire qui est très particulière et ô combien symbolique puisqu’elle nous invite à revenir sur les origines de notre cher concours adoré. Je vous propose de découvrir tout ça. Et pour cela, récitons ensemble l’abécédaire de l’Eurovision !

L comme…

  • Lugano !

Je vous emmène là où tout a commencé, un lieu symbolique qui porte sur ses épaules une histoire de soixante-cinq ans qui s’étoffe encore et toujours. Nous sommes en 1956. Ou plutôt le 19 octobre 1955 au Palais Corsini de Rome. S’y réunissent les diffuseurs participants qui actent définitivement la création du « Concours Eurovision de la Chanson » et décident du format que revêtira la compétition. Enfin, il est décidé que la toute première édition aura lieu le 24 mai 1956 à Lugano en Suisse – sûrement en l’honneur de Marcel Bezençon, le directeur de la télévision publique suisse, qui fut celui qui proposa l’idée d’un festival de musique européen et qui créa alors l’Eurovision.

Lugano

Située dans le canton du Tessin, dans le sud du pays, Lugano ne manque pas d’atouts. Ce lieu touristique bordé par les lacs et les montagnes, aujourd’hui habité par approximativement soixante mille habitants, accueillit la première édition de l’Eurovision au sein du Teatro Kursaal. Ce théâtre symbolique n’existe malheureusement plus aujourd’hui puisqu’il a été détruit en 2001 pour étendre le Casinò Kursaal.

Cette première édition à Lugano fut particulière puisqu’elle accueillit seulement sept diffuseurs nationaux : l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et évidemment la Suisse. L’Autriche, le Danemark et le Royaume-Uni auraient aussi dû faire leurs débuts mais, étant dans l’impossibilité de respecter la date limite d’inscription, ils durent faire une croix sur la compétition. Malgré cela, ils diffusèrent le concours. Le nombre faible de participants conduit alors l’UER à adopter une règle qui ne fut appliqué qu’une seule et unique fois dans l’histoire du concours, spécialement pour cette édition suisse : chaque pays sera représenté par deux chansons. C’est donc un total de quatorze chansons qui sont sur les starting-blocks pour la victoire.

Honneur aux Pays-Bas. Le présentateur de la soirée Lohengrin Filipello invita Jetty Paerl à monter sur scène et à interpréter son De vogels van Holland (abécédaire #J). Les dés sont jetés, la première chanson du concours vient par là-même de fonder pleinement l’existence de la plus grande compétition musicale au monde, une compétition qui existe encore soixante-cinq ans plus tard et dont la dernière édition a été remportée par… les Pays-Bas. Quatre millions de téléspectateurs assistèrent en direct à cette première édition mystérieuse puisque, tout comme l’édition 1964, les enregistrements vidéos ne furent pas conservés. Subsistent seulement un enregistrement audio et la prestation du vainqueur.

  • Lys Assia !

En parlant de vainqueur, qui a donc remporté cette compétition lors de cette édition particulière en 1956 ? Le système de vote fut lui aussi unique dans l’histoire du Concours. Chaque pays devait envoyer un jury composé de deux personnes. Chaque juré devait donner deux points à sa chanson préférée et pouvait voter pour son propre pays (impensable aujourd’hui, n’est-ce pas?) ! Le Luxembourg rencontra un problème puisqu’il ne peut envoyer deux jurés. L’UER autorisa donc que le jury luxembourgeois soit représenté par des jurés suisses.

Comment se déroule le vote ? Eh bien… nous ne savons pas ! Il n’y a pas eu d’annonce des points des jurés, seul le gagnant ou plutôt, en l’occurrence, la gagnante fut annoncée et les résultats furent détruits directement. Il n’y a donc eu ni de deuxième ni de troisième ni de dernière place. Cette fameuse lauréate n’est autre que Lys Assia, candidate pour… la Suisse, pays hôte ! Coïncidence ou pas ? Lys Assia, née Rosa Mina Schärer, rentra dans l’histoire de l’Eurovision à l’âge de trente-deux ans. Celle qui fut danseuse de revue à Zurich, qui s’est produit dans des ballets ou même pour la radio et qui, enfin, connut le succès en 1950 avec O Mein Papa présenta deux chansons ce soir-là. Elle débuta avec Das alte Karussell mais c’est bien avec une chanson française désormais légendaire intitulée Refrain qu’elle devient la toute première gagnante de l’histoire du Concours. L’émotion est grande pour Lys Assia qui bute sur la première strophe lors de la reprise de sa chanson. Elle s’excusa et recommença, interprétant pour la deuxième fois Refrain.

L’expérience fut tellement marquante pour cette femme, encore aujourd’hui la seule suissesse à avoir remporté le Concours – la deuxième victoire de la Suisse étant celle de la canadienne Céline Dion (abécédaire #C) – qu’elle représentera de nouveau l’Helvétie en 1957 avec L’Enfant que j’étais et en 1958 avec Giorgio qui lui apportera d’ailleurs une deuxième place. Son amour pour l’Eurovision ne faiblira jamais, au point même de tenter un retour en participant aux sélections suisses pour les éditions de 2012 et 2013 ! Cette icône s’est malheureusement éteinte récemment à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans, le 24 mars 2018. En sa mémoire, écoutons tous ensemble Refrain, le tout premier titre vainqueur de l’Eurovision.

  • Langues !

Profitons du fait que notre machine spatio-temporelle soit bloquée dans les années 50 pour évoquer les langues à l’Eurovision. Nous sommes donc en 1956, les débuts du concours se déroule sous des règles particulières mais s’il y a bien une règle qui ne semble pas étonnante, c’est celle des langues puisque… il n’y en a tout simplement pas ! Chaque pays était donc libre d’avoir une chanson dans la langue qu’ils voulait. Néanmoins, un concours européen qui met en valeur les cultures nationales suggère que chacun montre la beauté des sonorités de ce qui constitue un vrai patrimoine national : la langue. Et c’est ce qui se passera : chacun interprète sa chanson en langue nationale. Sept des quatorze chansons de cette première édition sont d’ailleurs en français (chansons belges, françaises, luxembourgeoises et la fameuse chanson gagnante suisse Refrain).

Cette situation rêvée par certains eurofans aujourd’hui perdurera jusqu’en 1965. Cette année-là, le suédois Ingvar Wixell chanta pour la première fois dans une autre langue que celle de son pays, en l’occurrence l’anglais. Pour découvrir ou redécouvrir cela, direction l’abécédaire #I ! 😉 Ceci eut une conséquence immédiate : l’UER instaure une règle obligeant les diffuseurs participants à chanter dans une des langues nationales en 1966. Cette règle ne sera pas appliquée longtemps puisque en 1973, l’UER décide d’ouvrir la boîte de pandore et de retirer cette règle. La Finlande, la Norvège et la Suède, évidemment, sautent sur l’occasion et décident de chanter en anglais. La Finlande obtient d’ailleurs son meilleur score avec une sixième place grâce à l’entraînant Tom, Tom, Tom, record qui tiendra… trente-trois ans, seulement battu par Lordi en 2006 !

Ce qui devait arriver arriva. Nous sommes en 1974 et, pour la toute première fois, un pays gagne avec une chanson dans une autre langue que celles nationales. Tout a commencé en 1965 avec la Suède, cela continue avec la Suède. Et quelle victoire, présente dans les annales de l’Eurovision : celle d’ABBA avec le célèbre Waterloo (abécédaire #A). Les Pays-Bas surfent sur la vague, chantent en anglais et remportent le concours en 1975. Seulement deux ans plus tard, un tiers des pays chantent en anglais dans une édition remportée par… le Royaume-Uni ! Cette présence importante de l’anglais conduit alors l’UER a réinstauré la règle des langues. Une exception sera faite pour l’Allemagne et la Belgique qui avaient déjà sélectionné leur chanson avant cette application.

L’histoire se déroule alors tranquillement. Nous découvrons de nouveaux langues au fur et à mesure des années, que ce soit l’islandais, l’estonien, le russe, le polonais et même l’arabe grâce aux début des pays respectifs – le Maroc en l’occurrence pour l’arabe – ou tout simplement des dialectes tels que le romanche, le napolitain, le créole et même le vorarlbergois (dialecte allemand). Cependant, vous vous en doutez, cette situation ne pouvait durer. La menace apparaît en 1997 lorsque le chef de la télévision allemande, Jürgen Meier-Beer, est exaspéré par les mauvais résultats de son pays. Il considère que c’est dû à la langue allemande, jugeant qu’elle rebute l’Europe et ampute leurs chances. Il demande alors à l’UER la suppression de la règle concernant l’emploi de la langue. L’instance eurovisionnesque refuse. Seulement, il en vient à menacer l’UER d’un retrait définitif du pays et finit par obtenir gain de cause. Pour la deuxième fois et dernière fois de l’histoire du concours, la règle est donc abolie en 1999, édition remportée par une chanson anglaise présentée par… la Suède! Décidément, le pays scandinave est partout !

Cette règle n’a jamais fait son retour actuellement. Les chances d’un tel retour sont d’ailleurs très basses puisqu’elle a contribué – nous ne pouvons pas le nier – à l’accroissement de la popularité de l’Eurovision et son exportation lente mais sûre à l’international mais aussi en plusieurs variantes. Maintenant, l’anglais est omniprésent, la majorité des chansons chaque année étant interprétées dans cette langue. De ce fait, depuis l’abolition de la règle, seuls deux pays ont gagné le concours avec une chanson nationale. En 2007, la Serbie, l’une des favorites, dépasse chacun de ses concurrents et remporte la victoire avec une magnifique chanson en serbe intitulée Molitva (« Prière »).

C’est la première fois depuis 1998 qu’une langue nationale monte tout en haut du classement. Il faudra attendre dix ans pour voir cet exploit avec la victoire du Portugal en 2017. J’ai donc une petite anecdote à vous raconter : la série des années en 7 est la seule des dix séries à avoir vu gagner une chanson en langue nationale à chacune de ses éditions (1957 néerlandais pour les Pays-Bas, 1967 anglais pour le Royaume-Uni, 1977 français pour la France, 1987 anglais pour l’Irlande, 1997 anglais pour le Royaume-Uni, 2007 serbe pour la Serbie et enfin 2017 portugais pour le Portugal).

Et voilà, c’est la fin. C’était un véritable retour aux sources qui a fait du bien à l’esprit et à nos oreilles musicales. Je vous laisse donc ici et vous donne rendez-vous comme toujours à mercredi prochain !