eurovision-1956Marianne-Evelyne-Thomas«Allons, enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé ! » Vous auriez dû me voir, devant mon téléviseur, le 23 mai dernier. Je m’étais déguisée en Marianne, version Evelyne Thomas, pour fêter en fanfare la victoire de Lisa Angell à l’Eurovision. Marcel était en Napoléon et Madame Martineau, en Jeanne d’Arc. Nous nous étions ruinés en drapeaux bleu-blanc-rouge. Et tout cela pour quoi ? Aux douze coups de minuit, le bal était consommé, nous étions redevenus citrouilles. Nous remisâmes au placard nos costumes et nos oriflammes et nous allâmes nous coucher, les larmes aux yeux. Notre France, notre beau pays, s’était vu défait par des barbares et des béotiens, des sourds et des philistins, incapables de distinguer une belle mélodie d’une soupe de plagiat !

De_Gaulle-1942On m’a beaucoup reproché de m’être épanchée sur votre site, d’avoir laissé parler mon cœur, d’avoir exprimé mes indignations et mes souffrances. Mais non, rien de rien, je ne regrette rien ! Si cela était à refaire, je réécrirais mot pour mot ce billet d’humeur. Les nombreux soutiens qui me sont venus en parallèle m’ont consolé et fait longuement réfléchir. Il est facile de se plaindre, il est moins aisé d’agir. Je me suis mise à la place du général de Gaulle. Quelle conduite aurait-il adopté ? Aurait-il démissionné, baissé les bras, abandonné ? Se serait-il retiré du combat ? Serait-il rentré chez lui, à Colombey ? Que nenni, il aurait repris la direction du front, sous les bombes et la mitraille ! Pour la patrie, pour la France, pour l’Histoire !

J’ai donc pris Madame Martineau à part et je lui ai dit : « Suzanne, il faut que nous nous engagions pour la cause. Entrons en Résistance ! » Nous avons donc décidé d’aider cette merveilleuse Madame André dans sa quête du meilleur artiste susceptible de représenter la France à l’Eurovision. La pauvre, après toutes ces insultes et tous ces quolibets, elle doit se sentir fort isolée. Nous venons en renfort ! Dans trois têtes, il y en a plus que dans une seule. Je suis déjà convaincue que cette rencontre de femmes débouchera sur une sixième victoire pour notre beau pays. De quoi moucher Christian Boulhomme (oui, lui aussi, nous franciserons son nom désormais !) et renvoyer ad patres ses ambitions mégalomanes. Je me sens à présent forte et déjà follement heureuse : l’avenir nous appartient !

eurovision-2016-logoAussitôt notre décision prise, avec Madame Martineau, nous nous sommes replongées dans nos archives et nos souvenirs. Nous nous sommes repassé les images des vainqueurs français et francophones, de 1956 à 1988, les avons analysées et disséquées, à la recherche d’une formule magique. Nous partageons avec vous aujourd’hui, les résultats de nos recherches. Bien entendu, nous avons transmis cette étude à la merveilleuse Madame André. Nous vous communiquerons sa réponse, dès que nous l’aurons reçue. Le doute n’est plus permis : nous serons engagées, Madame Martineau et moi, pour diriger la sélection française en vue du Concours 2016 ! En attendant, voici nos cinq recommandations pour une victoire made in France à l’Eurovision.

1. Une femme

C’est une évidence ! Des quatorze vainqueurs francophones, douze étaient des femmes. Seuls André Claveau et Jean-Claude Pascal font exception. Une femme, une Marianne, donc. Elle doit avoir une très belle voix, bien entendu (meilleure que celle de France Gall en tout cas). Nous souhaitions être précises : nous avons poussé nos investigations plus loin. Cette femme doit être idéalement âgée de vingt-deux ans, âge moyen de nos douze gagnantes. Nous recommandons qu’elle soit brune, comme neuf d’entre elles. Et finalement, elle sera de nationalité française, comme huit d’entre elles. Nos critères ne devraient pas être si difficiles à remplir : des françaises brunes de vingt-deux ans sachant chanter, il doit en exister des centaines de milliers ! Notre modèle ultime : Corinne Hermès, jeune Française de presque vingt-deux ans, aux cheveux châtains clairs et au coffre puissant.

2. Une ballade

Voilà une autre évidence statistique ! Des quatorze chansons en français ayant remporté le Grand Prix, douze étaient des ballades ou des morceaux au style apparenté. Seules font exception Poupée de Cire, Poupée de Son et J’Aime La Vie. Il nous faut donc une chanson remplie d’émotion et de violons, qui touchent les spectateurs au plus profond de leur cœur, voire qui fasse jaillir les larmes à la commissure de leurs paupières. Nous recommandons que cette ballade débute doucement, voire a cappella, qu’elle monte progressivement dans les accords, qu’elle opère un changement de clé dans son dernier tiers et qu’elle se conclue sur une note aiguë et prolongée. Notre modèle ultime : Un Jour, Un Enfant de Frida Boccara, ballade intemporelle et émouvante, interprétée par une Française brune de vingt-neuf ans.

3. Du français

Nous enfonçons une porte ouverte, mais rappelons cette vérité : cent pour cent des victoires décrochées par les pays francophones l’ont été en français. Vous ne trouverez aucune exception à cette règle. Et si l’on généralise cela à l’ensemble des soixante années du Concours, cela représente carrément un cinquième des victoires ! Ce n’est pas rien. La langue de Molière et de Dumas demeure une référence et seul l’anglais a de meilleurs chiffres à présenter. Plus outre : cette chanson doit être écrite par un parolier français, comme dans douze des quatorze cas évoqués. Notre modèle ultime : Yves Dessca, deuxième auteur à remporter l’Eurovision deux années de suite, en 1971 et 1972. Sa chanson Après Toi, interprétée par une brune de vingt-deux ans, se vendit à six millions d’exemplaires et demeure toujours l’un de plus grands succès commerciaux de l’Histoire du Concours. Parmi les autres succès de Dessca, notons La Maladie D’Amour et Tu M’Oublieras.

4. De l’amour

De ces fameuses quatorze chansons, Un Banc, Un Arbre, Une Rue est la seule qui ne l’évoque, ni ne l’invoque : l’amour ! L’amour, toujours… Notre ballade en français doit parler de ce sentiment qui enflamme les cœurs et atteint l’universalité, puisque chaque téléspectateur susceptible de voter l’a ressenti au moins une fois dans sa vie. Nous recommandons que les paroles, rédigées donc par un auteur français, comportent les mots suivants : amour, aimer (éventuellement conjugué), amant et amoureux. Le petit plus : retrouver l’un de ses mots dans le titre du morceau, comme quatre chansons gagnantes (Dors Mon Amour, Nous Les Amoureux, Un Premier Amour et J’Aime La Vie). Le thème de la chanson demeure libre : amours heureuses (J’Aime La Vie), malheureuses (Après Toi), passées (Refrain), présentes (Dors Mon Amour) ou futures (Nous Les Amoureux), peu importe, pourvu qu’il s’agisse d’amour ! Notre modèle ultime : L’Oiseau et L’Enfant, ballade sur l’amour pur et innocent, écrite par Joe Gracy, interprétée par une Française brune de quasiment vingt-et-un ans et comportant une introduction a cappella.

5. Une robe longue

À l’Eurovision, le visuel est aussi important que le sonore. Notre chanteuse française brune d’environ vingt-deux ans doit évidemment porter beau et bien présenter. Mais à cet âge-là, le minois demeure frais. De toute façon, les techniques actuelles de maquillage font des miracles. Parlons plutôt de son costume de scène, élément clé. De nos douze gagnantes francophones, neuf ont porté une robe. Seules trois exceptions sont à noter : Céline Dion avec son tailleur ; Corinne Hermès et Sandra Kim, avec leur tailleur pantalon. Nous arrivons au point le plus délicat : la couleur de cette robe. Les statistiques ne nous aident pas : quatre gagnantes datent de l’époque de la télévision en noir et blanc. Quant aux dix autres, tout le camaïeu est affiché : noir, doré, rouge, orange, blanc, rose et fuchsia. Madame Martineau et moi ne sommes pas encore parvenues à nous décider. Du bleu, peut-être ? Une chose est certaine : l’ourlet de la robe doit tomber au pied, comme dans cinq cas sur neuf. Notre modèle ultime : Anne-Marie David, une Française brune de vingt-ans, interprétant une ballade parlant d’amours futures, habillée d’une robe longue, sobre dans les détails, remarquable par sa couleur.

Conclusion

Récapitulons notre formule magique. Pour gagner en 2016, la France doit donc être représentée par une jeune Française de vingt-deux ans, aux cheveux bruns, portant une robe longue et interprétant une ballade. Cette ballade doit comporter le mot aimer (ou un dérivé) dans son titre et ses paroles, parler d’amour et avoir été écrite par un auteur français. Cette formule clé en mains devrait nous garantir une place au sommet ! Finalement, ce n’était pas si compliqué… Et je me rends compte à présent que si Lisa Angell avait chanté l’amour plutôt que la guerre, elle aurait sûrement battu ce blanc-bec de Maxime Roylion…

Quant à vous, tirez-en vos propres conclusions et soumettez-nous vos candidates. Nous prendrons en compte toutes vos suggestions. Madame Martineau, qui un peu beatnik sur les bords, a déjà mis une option sur une jeune fille, distinguée et charmante, du nom de Maude, dont elle a suivi les aventures à la télévision.

En ce qui me concerne, je la trouve fort bien cette petite, mais j’ai déjà mon idée : Mademoiselle Mireille Mathieu, qui répond à tous les critères fixés ci-dessus. Vous me direz : et l’âge, alors ? Je vous réponds : la classe n’a pas d’âge ! Et puis, ces jeunots, ça va un temps, mais l’expérience et la maturité triomphent toujours à la fin, croyez m’en… Mireille a d’ailleurs déjà brillé dans ces catégories musicales, la preuve avec cette éblouissante performance d’une immortelle chanson d’amour. Où ai-je mis mon mouchoir…

C’est sur ces trois minutes bouleversantes que je vous quitte mes chers compatriotes. Je vous souhaite un excellent weekend et d’ores et déjà une très joyeuse Fête Nationale. Vive la République ! Vive la France !

Bien à vous,

Francine MICHU

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