Agnetha 2Le fan de l’Eurovision, ce monstre en puissance. Oui, vous qui lisez ces lignes, vous êtes des monstres, les fossoyeurs du Concours, l’UER devrait vous interdire. Cela vous choque ? C’est pourtant la teneur d’un message interpellant, l’opinion d’un anti-fan, le commentaire de la Saison 2016 qui nous aura le plus marqués. Son auteur anonyme se plaignait du manque de goût chronique des fans et étendait son propos à l’ensemble des sélections. Selon lui, les fans voteraient systématiquement en faveur de chansons stéréotypées, idiotes, faciles, empêchant de facto la victoire des morceaux les plus audacieux, les plus originaux, les plus novateurs. Cet anti-fan en arrivait à la conclusion que les fans vidaient l’Eurovision de sa substance et le rendaient inepte.

Vous imaginez notre stupéfaction, nous qui nous prenions pour les mousquetaires du Concours, toujours sur la brèche pour défendre son honneur, sa vertu, pour répandre et consolider sa réputation. Nous étions convaincus d’œuvrer pour un mieux. Ce message nous a longtemps trotté dans la tête. Nous en avons pointé certaines faiblesses : en tant que fans belges, nous avons voté uniquement pour notre sélection nationale. Impossible d’être déclarés coupables des choix polonais ou biélorusse. Et nous le jurons sur l’honneur : la télévision saint-marinaise ne nous a pas consultés !

Alors ? Un échange impromptu avec notre collègue Eurovista nous a confortés dans notre opinion : les fans de l’Eurovision possèdent, à notre avis, suffisamment de discernement que pour distinguer un bon morceau parmi d’autres. Et à lire vos avis et vos commentaires, nous nous sommes rassérénés : nous abordons les chansons et les sélections avec une bonne dose d’objectivité. Certains ont des goûts divergents, mais la majorité (souvent silencieuse) accorde ses violons. Voilà notre foi restaurée et cette étrange apostrophe, digérée. C’était l’heure d’une bonne douche… Nous branchons notre lecteur MP3 et nous nous glissons sous le jet d’eau chaude…

Horreur ! Nous avons trahi tous nos principes et assassiné le Concours : des haut-parleurs, se déversent une suite ininterrompue de chansons ineptes et stéréotypées. Honte et opprobre sur nous : nous écoutons encore et toujours ceci, cela et ça aussi. Souffririons-nous d’un dédoublement de personnalité ? Nous l’admettons : en tant que fans, nous sommes parfois déchirés dans nos désirs. Nous souhaitons les meilleures des chansons, mais nous nous repaissons, souvent en secret, de certains morceaux faciles et bourrés de clichés. C’est notre zone grise, notre quatrième dimension, celle des plaisirs coupables, ces chansons réservées à notre liste de lecture intime.

Notre rétrospective de la Saison 2016 devait passer par ces Fourches Caudines. Vous trouverez dans ce nouvel épisode, notre mea culpa public : nos dix plaisirs coupables que nous réécoutons avec une joie dissimulée. Nous nous serions coupés une main plutôt que d’avouer dans un article de fond que nous les aimions. Mais aujourd’hui, tout est permis !

  1. Albanie – Enxhi Nasufi – Infinit – Cinquième en finale

Nous avons partagé avec vous, notre amour teinté de second degré pour le Festivali i Këngës. Nous aimons aussi ce festival de meringues musicales pour les fous rires qu’il nous ménage. Fous rires qui nous renversent sur notre canapé et nous laissent gondolés… Cette année, l’heureuse élue qui nous mit les zygomatiques en pagaille, fut Enxhi Nasufi. « Enxhi » se prononçant « Angie », nous avons pensé aux Rolling Stones. La version albanaise a dépassé nos attentes : entièrement gainée de noir, Enxhi a livré une prestation démentielle. Les éditrices de mode auront noté qu’elle arbore LA coupe de cheveux du moment du jour d’aujourd’hui, vue sur tous les mannequins de tous les défilés de toutes les semaines de la mode du monde entier. Infinit est une chanson un peu bateau, un peu passée, mais qui se retient si vite que c’est péché. Là-dessus, Enxhi sur-joue à mort, gigote, tourne sur elle-même, pousse des petits cris et se fait voler la vedette par sa propre bouche qui se tord vers la gauche et vers le bas. Un festival buccal captivant au possible…

  1. Allemagne – Ella Endlich – Adrenalin – Éliminée en finale

Oh oui, un bon petit schlager allemand de derrière les fagots ! Notre première écoute d’Adrenalin nous a ramenés vers le monumental Atemlos durch die Nacht d’Helene Fischer, dont il s’inspire jusqu’au fac-similé. Nous en avons pensé peu de bien et avons porté aux nues les fantômes de Jamie-Lee. L’ouverture d’UnserLied für Stockholm nous retourna comme un gant. Hadès nous arrache la langue : nous avons été captivés par Ella, son sourire, ses jambes interminables, son déshabillé, sa main dans ses cheveux. Nous avons coupablement aimé chaque seconde de ces deux minutes cinquante. Ella à Stockholm, c’eut été la mort du Concours. Ella dans notre Galaxy, c’est la résurrection du schlager dans nos vies.

  1. Slovénie – Nusa Derenda – Tip Top – Éliminée en finale

Oh combien avons-nous aimé Nusa en 2001, oh combien nous avons souhaité son retour à l’EMA. Imaginez notre félicité lorsque son nom apparut dans la liste des sélectionnés pour la finale slovène de cette année. Nous y avons cru… jusqu’à la révélation des titres. Tip Top ? Vraiment ? Oh, Nusa, darling… Nos pressentiments furent confirmés : Tip Top est un schlager teinté de générique de James Bond, une tarte à la crème… délicieuse ! Nous avons résisté de l’oreille durant… au moins 10 bonnes secondes, avant de nous vautrer dans la culpabilité. La prestation de Nusa nous tira des hurlements de joie et de rire. Une diva, une authentique ! Et tellement over-the-tip-top… Ceci étant dit, la partition est pourvue de certaines qualités musicales. Les paroles en revanche sont à jeter à la décharge. L’Eurovision, c’est du texte et de l’esprit aussi, ma bonne dame…

  1. Pologne – Aleksandra Gintrowska – Missing – Huitième en finale

Mais, mais, mais ! Mais que lui est-il passé par la tête ? Nous avions apprécié la version studio de Missing, nous soupirions pour Margaret. Nous étions loin de nous douter qu’une telle drama queen sommeillait au fond d’Aleksandra. Rien à dire sur sa prestation vocale, mais cette mise en scène ! Comment ? Pourquoi ? Qui en 2016 se déguise encore en sirène lors d’une sélection nationale ? Nous eûmes LE fou rire de l’année. Nous avions déjà ricané devant le brushing Drôles De Dames, la robe péplum pailletée, les mouvements de bras, le déploiement de voilages. Nous fûmes achevés par la queue de poisson. À notre avis, c’est ainsi que se terminera la carrière artistique d’Aleksandra… Nous réécoutons Missing, sans pouvoir désormais nous départir d’un gloussement moqueur arrivés au pont musical… Que c’est bon quand c’est ridicule…

  1. Norvège – The Hungry Hearts – Laïka Éliminées en finale

Du lourd, de l’extra-lourd, du joke act comme les détracteurs du Concours s’en délectent. Le titre nous a mis l’eau à la bouche : Laïka est l’une des héroïnes de notre enfance. Les paroles nous ont fait frétiller : des amours saphiques, notre rêve impossible. Leur prestation au MGP nous a causé des hoquets de rire. Leur prestation vocale fut épouvantable, un massacre. Leurs costumes et leur chorégraphie étaient risibles. L’ensemble nous a fait penser à un mélange entre Verka Serduchka et Kreisiraadio. Son élimination sèche ne nous a pas même relevé un sourcil. Le temps des plaisanteries musicales est révolu : place au sérieux, au professionnalisme, à la compétition ! Nous gardons Laïka pour nous : dans notre salle de bains, nous nous croyons dans une discothèque des années 80. Tourne dans l’espace, petit chien, tourne…

  1. Suède – Mimi Werner – Ain’t No Good – Cinquième en demi-finale

Nous nous amusons de moins en moins devant le Melodifestivalen. C’est plat, linéaire, prévisible. Seule Ace Wilder nous aura déridés et enthousiasmés… Seule Ace ? Ce serait vous mentir, car Mimi Werner a fait tressauter nos zygomatiques. Elle nous a rappelé la période country d’Olivia Newton-John et sa reprise de Jolene, un monument du kitsch. Nous avons frappé des mains en rythme, avons balancé nos hanches, jeté nos pieds en direction des quatre points cardinaux et ensuite, frangé toutes nos vestes. L’idiotie de la mise en scène ne nous a frappés qu’après coup : à quoi bon commencer avec une guitare et s’en débarrasser ensuite ? Ain’t No Good demeure une pastille réjouissante et nous l’échangerions presque contre Blue And Red, trois minutes de country convenues.

  1. Danemark – Veronicas Illusion – The Wrong Kind – Éliminées en finale

Nous avons tout dit du DMGP, un des plus terribles gâchis de la Saison. Simone est repartie avec son trou en forme de cœur, nous restons avec une soupe idiote passée par un boyband insipide. Si au moins nous avions été gratifiés d’une chanson amusante, par un groupe rigolo, nous nous en serions fait une raison. Veronicas Illusion, par exemple. The Wrong Kind est un morceau sans prétention, trois minutes de plaisir régressif, interprété avec énergie et une dose d’humour. Et Dieu créa le second degré, mais oublia d’en doter les téléspectateurs danois… Cette chanson nous a replongés dans nos belles années d’université. Non pas que nous ayons été pom pom girls, mais nous écoutions à l’époque des morceaux semblables. Enfin, que voulez-vous ? Attendons l’année prochaine et espérons que la DR se reprenne…

  1. Islande – Sigga – Kreisi – Cinquième en demi-finale

Généralement, le Söngvakeppnin est l’un des phares de la Saison. Cette fois, ce fut à peine une allumette. Rarement la RÚV fut plus mal inspirée, rarement nous avons autant baillé en écoutant les morceaux lors de leur présentation. Notre expérience et nos dons de voyance nous avaient prédit la victoire de Greta Salome. Autant être francs : Hear Them Calling ne nous émeut guère. La musique, passe encore, mais les paroles manquent de subtilité, on dirait une leçon d’anglais troisième langue pour débutants. Avec ce mauvais goût dont nous faisons souvent preuve, nous nous sommes plutôt vautrés dans Kreisi, délire auditif de trois minutes, aussi réjouissant qu’incompréhensible. Sa prestation en demi-finale était hallucinée et hallucinante. Notez que vocalement, Sigga tient la route. Cette ambiance d’asile d’aliénés s’adonnant à des jeux vidéo des années quatre-vingt (ou est-ce « octante » ? L’on s’embrouille à la fin…), nous a laissés d’abord interloqués, puis gondolés. Et dire que nous avons jeté notre Atari et notre Mega-Drive…

  1. Malte – Deborah C – All Around The World – Onzième en finale

Rome, Paris, Mexico, Monaco, Tokyo, Rio, il ne manquait plus que la Calabre à ce tableau. All Around The World nous a ramenés il y a neuf de cela : nous écoutions en boucle le tube d’Alex Gaudino et aurions tant aimé entendre un son similaire à l’Eurovision. Deborah C a voulu réaliser notre rêve… avec une guerre de retard. Sa chanson est garantie 100% pur cliché, mais tellement efficace qu’elle fait mouche dès la première note. Nous avons pataugé dans le reste de la sélection maltaise, même notre plaisir coupable habituel nous a laissé choir (Jessika, pourquoi ?). Deborah nous a sauvés du marasme avec ces trois minutes de faux saxophone facile. Et pour la citer : « C’était très bon ! » Nous nous résignons du MESC et comptons les jours qui nous séparent encore du 19 janvier 2018. Destiny aura alors seize ans.

  1. Estonie – Meisterjaan – Parmupillihullus (La folie des guimbardes) – Cinquième en finale

Les trois minutes les plus incroyables, les plus délirantes, les plus déjantées, les plus hallucinantes, les plus hilarantes de cette Saison 2016 ne pouvaient venir que de la meilleure des sélections nationales, l’Eesti Laul. Nous sommes tombés de notre canapé en plusieurs morceaux devant la prestation sans nom de Meisterjaan, devant cette ode à la guimbarde (qui n’est pas qu’une vieille voiture, à ce propos), devant cet ovni visuel et musical. Cela pourrait être complètement ridicule, ce ne l’est pas et pour toutes ces raisons, Parmupillihullus se hisse à la première place de notre classement. Nous ne nous sentons pas le moins du monde coupables : le morceau est musicalement imparable, ses paroles sonnent astucieusement à l’oreille, Meisterjaan est si immergé dans son personnage qu’il en devient crédible. Nos billets d’avion sont déjà réservés pour Tallinn. Quelqu’un aurait-il l’adresse du chanteur ?

À votre tour d’avouer vos plaisirs coupables pour 2016 ! Quant à nous, nous vous retrouverons au plus tôt pour le quatrième et dernier épisode de notre série, dédié cette fois aux artistes et aux chansons que nous avons adoré… détester. Débats contradictoires en vue ! À très bientôt…