L’Eurovision, depuis sa création, pourvoit au plaisir du plus grand nombre. Plaisir des téléspectateurs, des organisateurs et surtout, des fans. Je ne saurais, à titre personnel, imaginer mon année, sans mes plaisirs eurovisionesques. Je mourrais d’ennui, je pense. Mes soirées d’hiver sans les sélections nationales ? Mes soirées de printemps sans l’Eurovision ? Impossible, impensable ! Surtout que je ne suis adepte ni de La Nouvelle Star, ni deThe Voice. Leur côté « reprises en boucle » me lasse. J’aime l’Eurovision par-dessus tout, parce qu’il m’offre chaque année sur un plateau d’argent, de nouvelles chansons qui m’accompagneront durant toute mon existence.

De l’an dernier, je continue à écouter en boucle LoveWave, Sound Of Silence, If Love Was A Crime, J’ai cherché ou encore Heartbeat, mais aussi Follow The Sun, Don’t Worry, Cool Me DownNo Fear, Supersonic, I Will Wait, Blue Horizon ou encore On It Goes. Cependant, l’honnêteté intellectuelle m’oblige à la franchise : je continue à écouter également en boucle You Beeeeet, Tip Top, All Around The World, The Wrong Kind ou encore Parmupillihullus. Ce qui nous amène tout droit à notre chapitre hebdomadaire du livre d’histoire sur l’étagère (qui se répète d’année en année, on ne change pas l’Eurovision, on ne change pas un fan de l’Eurovision).

Ces cinq dernières chansons se rangent dans une fameuse catégorie eurovisionesque : celle des « plaisirs coupables ». Comment définir un « plaisir coupable » ? Trois éléments, selon moi :

  • une chanson que vous ne voudriez pas voir gagner l’Eurovision, mais qui vous attire irrésistiblement ;
  • un interprète dont vous auriez honte s’il repartait avec le Micro de Cristal, mais qui vous fascine ;
  • une impossibilité sociale d’assumer publiquement votre attrait pour ces trois minutes, que vous réécoutez pourtant obsessionnellement.

Heureusement, nous sommes ici entre nous. Je peux tout vous dire, vous pouvez tout me dire, en mode « secret professionnel ». Aujourd’hui donc, mes cinq plaisirs coupables les plus coupables de cette Saison 2017 ! Attention à vos yeux et à vos oreilles.

5. Roumanie – Cristina Vasiu – Set The Skies On Fire – sixième en finale

Nous débutons par une suédoiserie de la plus belle eau, qui a concouru à la sélection roumaine. Derrière cette chanson qui a mis le feu à mes cieux personnels, de dangereux récidivistes en la matière : Tony Sánchez-Ohlsson (à qui l’on doit I Love You Mi Vida, Quédate conmigo, Amanecer ou encore En una vida, Más et Contigo), Calle Kindbom (à qui l’on doit Give Me Your Love, Show Me Heaven ou encore Trivialitet) et Jonas Thander (à qui l’on doit I’ve Been Waiting For This Night ou encore Like I Love You). STSOF est une ballade hurlante, dans la lignée de leurs compositions précédentes, plutôt de bonne facture, mais qui à l’Eurovision, aurait enfoncé une porte ouverte et se serait sans doute égarée en demi-finale (comme Keep The Faith ou Dying To Try).

Tout cela ne m’aurait fait lever qu’un demi-sourcil, s’il n’y avait eu Cristina. Révélée en 2011 par The Voice Roumanie, la chanteuse a une respectable carrière derrière elle et quelques bons morceaux à son actif (celui-ci ou celui-là). STSOF signe son retour à la sélection roumaine, après sa huitième place en 2015. Et merci Petit Jésus ! Car Cristina m’a tout de suite emballé. Certes, elle chante bien, mais surtout, surtout, elle surjoue à mort l’émotion, de quoi entrer dans mon panthéon musical personnel, aux côtés d’Aiste Pylvelyte et de Claudia Faniello. Sa prestation en demi-finale m’a ravi, surtout ce trait de génie des chaussures-laser. Et en finale, ce fut l’apogée, un feu d’artifice. Trop n’étant jamais assez pour Cristina, elle se métamorphosa en trumeau-caniche-laser. Fou-rire de ma part et sixième place de la part du public roumain. Cristina in The Sky with Diamonds ! Reviens-moi vite, chérie !

4. Suède – Dinah Nah – One More Night – cinquième en demi-finale

Nous restons sur de la suédoiserie, et pour cause : ce plaisir coupable-ci nous vient tout droit du Melodifestivalen, royaume par essence et par excellence de la suédoiserie. Chaque année, la sélection suédoise m’offre mon lot de plaisirs coupables. 2017 n’aura pas fait exception. Je me suis honteusement emballé pour Crucified, Running With Lions et När ingen ser. Mais c’est bien One More Night qui trône au sommet. Derrière cette production, une autre fine équipe : Thomas G:son (que l’on ne présente plus), Jimmy Jansson (vétéran du Melodifestivalen, en 2001, 2005 et 2007), Dr. Alban (que l’on ne présente plus non plus) et Dinah Nah en personne. OMN est un hommage peu subtil aux années 90 et c’est pour cela que j’en raffole. En même temps avec Dr. Alban aux manettes (souvenirs, souvenirs – ah, c’était le bon temps…)… Quant à Dinah Nah, joie, bonheur et félicité : elle demeure égale à elle-même. Notez que ses prestations vocale et scénique sont tout à fait honnêtes. Nous ne sommes pas trompés sur la marchandise, non. Mais c’est cette attitude si… nineties justement ! Pour rappel, Dinah a débuté sa carrière dans cette décennie, avec le groupe Caramell, une référence en soi. Le duo se sépare en 2002 et Dinah se réinvente en 2012, avec I Am, puis Like You. Cela la mène tout droit au Melodifestivalen, en 2015, où elle termine douzième en finale, avec Make Me, déjà un plaisir coupable. Elle revient cette année, moumoutée de rose, recouverte de sequins et entourée de pom-pom girls parfaitement raccord. Mention spéciale à la partie rappée, indispensable à l’époque, moins à la nôtre. Résultat : cinquième de sa demi-finale. Amertume. Toi aussi, reviens, ma Dinah !

3. Slovénie – Tosca Beat – Free World – cinquièmes en demi-finale

Voilà là un bel OVNI musical, mélange improbable et jouissif entre pop-opéra et chanson protestataire. Trois sopranos, un porte-voix, un violon et un violoncelle. Le Concours Reine Elisabeth est entré en collision avec l’Eurovision ! Fou-rire immédiat de ma part, alors que le restant de la sélection slovène me laissait indifférent. Chaud bouillant que j’étais pour Tosca Beat et leur appel au monde libre ! Et puis cette apparition soudaine et imprévue d’une paire d’ailes de pigeon… Les téléspectateurs slovènes entendirent mon coeur battre et les placèrent troisièmes. Mais bien entendu, elles furent oubliées par le jury et passèrent à la trappe. Douleur ! À qui devons-nous ce chef-d’oeuvre post-moderne ? À des artistes slovènes encore méconnus sous nos latitudes : Andraž Kržič (du groupe Moonlight Sky), Peter Penko (DJ) et notre groupe de choc. Au chant, Zala Hodnik (la brune), Urska Kastelic (la rousse) et Eva Pavli (la blonde) ; au violoncelle, Zan Beljan ; au violon, Luka Beljan et au piano, Kristina Golob. Tosca Beat a été fondé en 2015 et a pour vocation (surprise, surprise) de mélanger des musiques contemporaines avec du chant lyrique. C’est réussi ! Et si vous aussi, vous vous sentez pris par le charme ineffable de ce sextuor, écoutez les anthologiques Open Sea et Drop, vous serez comblés ! Raay qui ?

2. Lituanie – Vidas Bareikis & Ieva Zasimauskaitė – I Love My Phone – neuvièmes en quart de finale

Nous en venons au marathon de la Saison. Peu l’ont suivi, encore moins y ont survécu et aucun n’y a pris du plaisir. Sauf moi… J’avoue : j’ai aimé suivre l’Eurovizijos atranka. Trois très longs mois, un résultat décevant, mais d’excellents moments musicaux. Il y avait du bon, voire du très bon dans cette sélection : Aistė Pilvelytė, Greta Zazza, Kotryna Juodzevičiūtė ou encore Paula Valentaitė, bien sûr ; mais aussi Ieva Zasimauskaitė, Vilija Matačiūnaitė ou encore Alanas Chošnau. Les plus attentifs d’entre vous, mobilisés par Sakis, auront gardé Lolita Zero en mémoire. Les autres se seront désolés de la victoire de Fusedmarc. Revoyez cependant leur première prestation : il y a avait là du potentiel, mais qui a été ruiné dès les quarts de finale. C’est l’introduction subite des jurés internationaux, la septième semaine, qui aura bouleversé les pronostics. Jusque là, le jury et le public lituanien soutenaient Aiste, avant de retourner leur veste pour Fusedmarc. Assez inexplicablement. De leur côté, les dits jurés internationaux détestaient l’une et l’autre et voulaient Gabrielus Vagelis. Allez comprendre quoi que ce soit à cette sélection…

Dans cet océan de chansons, deux plaisirs coupables, ultra-coupables, au point qu’ils occupent les deux premières places de ce classement. Non, je ne suis pas fier de moi. Mais oui, oui, j’assume ! Commençons par cette proposition renversante de Vidas Bareikis en duo avec notre amie Ieva Z. Côté pile, cette dernière chante une ballade eurovisionesque classique et émouvante. Côté face, elle se lâche dans ce numéro parodique, écrit et composé par Vidas. Trois minutes de délire existentiel, éliminées hélas la sixième semaine. La présentation visuelle est assez originale, la prestation vocale plutôt bonne. Prêtez attention aux paroles : elles sont bien tournées et vous renverront à la triste réalité de nos sociétés contemporaines. C’est cette ironie, ce second degré qui m’ont séduit sur le champ. Certes, le refrain est décevant, le bât qui blesse de cette chanson. Le titre est répété ad nauseam, ce qui est trop peu. Mais merci Vidas pour le fou-rire ! Vidas qui est tout de même diplômé de l’Académie de Musique et de l’École de Théâtre de Vilnius. Vidas qui mène une respectable carrière sur les planches théâtrales moscovites. Vidas enfin qui se frotte pour la première fois à l’Eurovision, en n’en retenant que les aspects folkloriques et superficiels. Les temps ont changé, Vidas, et tu devrais nous proposer une de ces compositions alternatives dont tu as le secret. Comme ceci ou cela. Et qui sait… ?

1. Lituanie – Rugilė Daujotaitė – Perkūne ugniaveidi – neuvième en éliminatoires

Nous arrivons à la première marche, à la médaille d’or, à la championne toutes catégories et toutes sélections confondues. Sans doute vous est-elle inconnue. Car après un petit tour à l’Eurovizijos atranka, elle a été débarquée par le public et le jury lituanien. Pauvre Rugile, alors qu’elle avait le potentiel de faire rire l’Europe entière… Quant à moi, dès la première note, j’ai été captivé, fasciné, soufflé par ce Perkune ugniaveidi (Le tonnerre de Perkunas, dieu balte du tonnerre). Collision renversante entre pop, électro et new-age. Et que dire de Rugile ? Déguisée en druidesse, flamboyante, tonitruante, elle fissure littéralement l’écran. Admettez qu’elle y croit, qu’elle y va, qu’elle se donne corps et âme, qu’elle y met toute sa conviction. Une prestation vocale assez convaincante, par ailleurs. Mais Rugile donne l’impression de ne plus avoir regardé l’Eurovision depuis une éternité. Trop occupée sans doute à lancer sa carrière. Aucune biographie complète en ligne. Des études en psychologie à Vilnius et en jazz à Amsterdam. Une participation à The Voice Lithuania. Et cette tentative eurovisionesque, de son aveu, son premier enregistrement studio. Me reste à espérer qu’elle revienne me faire rire à l’avenir, avec d’autres propositions aussi incroyables. Rugile Forever !

BONUS

Il n’y a pas que les plaisirs coupables dans la vie, il y a les très bonnes chansons aussi. Petit panaché du meilleur de cette Saison 2017, celui qui restera à jamais gravé sur mes mémoires flash.

Vivement qu’ils reviennent tous ! Sur ce, passez un excellent week-end et rendez-vous la semaine prochaine ! Au menu : une consultation avec un ORL et un professeur de chant.