Ah, gagner l’Eurovision… Une routine pour certains, une rêve illusoire pour d’autres, le Saint-Graal pour d’autres encore. Certains diffuseurs sont prêts à tout pour la victoire, d’autres sont tétanisés à la perspective de la facture à régler l’année suivante. Certains retournent des montagnes pour mettre la main sur le Micro de Cristal, d’autres se contentent de le regarder de loin. Mais tous sont égaux devant le Sort et chacun peut triompher, même par surprise, même sans l’avoir cherché, même de la plus improbable des façons…

Vous le savez : le Portugal était jusqu’au 12 mai dernier, le pays ayant le plus longuement participé sans jamais avoir gagné. Le 13 mai, ce douloureux record de cinquante-trois ans est tombé. La télévision portugaise abandonne cet infâmant insigne. Mais à qui le lègue-t-elle ? Pour y répondre, rouvrons notre livre d’histoire sur l’étagère, pour un nouveau chapitre. Aujourd’hui donc, le classement objectif des cinq pays participants toujours en attente d’une première victoire.

Mais attention : si le classement est objectif, les commentaires ne le sont pas ! Vous prendrez garde : je n’y exprime que ma petite opinion personnelle. Si votre avis diffère, si vous préconisez d’autres approches, si vous portez une analyse plus éclairante sur les faits, exprimez-vous dans l’espace consacré, sous cet article !

5. La Croatie, vingt-quatre ans (depuis 1993).

1993 fut marquée par la toute première pré-sélection de l’histoire du Concours : Kvalifikacija za Millstreet (visible en intégralité sur YouTube). Sept pays souhaitant faire leurs débuts à l’Eurovision, concoururent pour trois places en finale de l’édition 1993. Les trois qualifiés furent trois anciennes républiques yougoslaves, parmi lesquelles la Croatie. Des débuts croates modestes, avec une quinzième place à Millstreet. Mais l’inauguration d’une brillante décennie, la Croatie survolant les classements et étant l’un des rares pays n’être jamais relégué. Sixième en 1995, quatrième en 1996, cinquième en 1998, quatrième en 1999, les années 90 sont l’âge d’or de la Croatie. Le pays reste à flot jusqu’en 2006, participant à trois reprises consécutives à la finale. Et puis, et puis… la descente aux Enfers. Deux qualifications qui mènent au fond du classement, suivies de quatre éliminations consécutives, entre 2010 et 2013, puis de deux années de retrait, en 2014 et 2015. Retour aux affaires en 2016, médiocre. 2017 a vu une amélioration, bien que, bon… Alors ? Convenons-en : Nina et Jacques étaient de brillants vocalistes, de très belles voix. Restent que leurs chansons et leurs mises en scène n’étaient pas convaincantes. Plus d’audace, plus de modernité ou alors plus d’émotion, plus d’authenticité. Cette dernière option leur ayant offert ses meilleurs résultats, la HRT devrait y songer à nouveau.

4. La Slovénie, vingt-quatre ans (depuis 1993).

Trois anciennes républiques yougoslaves, disions-nous. La deuxième était la Bosnie-Herzégovine. Vous ne la retrouverez pas dans ce classement, puisqu’elle s’est retirée. Quant à la troisième, il s’agit de la Slovénie. Certes deux relégations, en 1994 et 2000, mais une première décennie à flot, avec une septième place en 1995 et 2001. L’introduction des demi-finales, en 2004, sonne le glas du pays. À peine quatre qualifications en quatorze participations et pas plus qu’une treizième place en finale, en 2011. Des ratés, des ratés, des ratés et Omar Naber, qui réussit le triste exploit de se faire éliminer deux fois en deux participations. Reconnaissons-le : la RTVSLO n’a aucun cap en matière d’Eurovision. Son principal mérite est de s’accrocher, car la Slovénie, à la différence de ses voisins, ne s’est jamais retirée. Alors ? La dernière édition de l’Evrovizijska Melodija était éclairante. Une production à la hauteur des meilleurs standards, des artistes de qualité, des prestations vocales impeccables, mais de chansons embryonnaires, datées ou anonymes. La RTVSLO devrait prioritairement réfléchir à cette question : qu’est-ce qu’une bonne chanson ?

3. L’Islande, trente-et-un ans (depuis 1986).

Chaque année, les chiffres impressionnent : jusqu’à 97% de part d’audience réalisés grâce à l’Eurovision. Les Islandais raffolent du Concours et de leur sélection nationale, le Songvakeppnin. La RÚV possède donc une mine d’or télévisuelle, mais l’exploite hasardeusement. Une dernière place en 1989 est suivie par une quatrième en 1990 ; une relégation en 1998 est suivie par une deuxième place en 1999, avant une replongée vers le fond du classement en 2001. Les autres concurrents islandais atterrissent dans le ventre mou du classement. Après trois éliminations consécutives en demi-finale (en 2005, 2006 et 2007), s’ouvre une période faste. L’Islande se qualifie à sept reprises consécutives, de 2008 à 2014. Ces années sont couronnées par une deuxième place en 2009. Après un retour dans le ventre mou du classement, c’est le trou noir : trois éliminations successives en 2015, 2016 et 2017. Cette année aura résumé la dégringolade islandaise : des morceaux intéressants en version studio, mais une sélection à la production amateur, des erreurs techniques à répétition, des versions en direct approximatives, une absence totale d’accompagnement de l’artiste sélectionnée et une mise en scène oubliée. Y a-t-il encore un pilote dans l’avion ? La RÚV a tous les atouts en main : reste la volonté. La volonté de faire sérieusement le travail, de s’intéresser réellement au Concours et de travailler dur pour remporter le Micro de Cristal.

2. Chypre, trente-six ans (depuis 1981).

D’une île à l’autre, du nord au sud. Après avoir été un objet de discorde entre la Grèce et la Turquie, Chypre fait ses débuts au Concours, en 1981. Sa première décennie de participation alterne meilleur classement actuel en 1982 et pire classement actuel en 1986. Les années 90 voient Chypre effectuer un parcours moyen, avec un nouveau meilleur classement en 1997, cinquième encore. Le début des années 2000 semble bien augurer : une sixième place en 2002 et une troisième cinquième place en 2004. Ensuite, plus rien. Le néant musical : quatre éliminations successives entre 2006 et 2009, puis des fonds de classement, d’autres éliminations, un retrait en 2014, une qualification surprise en 2015 et puis un abus de Thomas G:son, qui nuit gravement à la santé eurovisionesque. Qui sauvera la RIK d’elle-même ? Les dernières années l’ont prouvé : Chypre ne manque pas de chanteurs talentueux. De plus, l’île a toujours la ressource de puiser dans le vivier grec et hellénophone. Ce qu’il manque encore à la télévision chypriote, c’est un groupe d’auteurs-compositeurs brillants. L’Arménie, la Bulgarie, Israël ont trouvé les leurs, avec à la clé, d’excellents résultats. À bon entendeur…

1. Malte, quarante-six ans (depuis 1971).

Décidément, il ne fait pas bon être une île à l’Eurovision… Après l’Islande et Chypre, c’est Malte qui complète le podium. Depuis la victoire du Portugal, la république méditerranéenne est devenue le pays à participer depuis le plus longtemps au Concours sans jamais avoir remporté la victoire. À sa décharge, Malte n’a pas concouru aussi régulièrement que les quatre autres pays déjà évoqués. Ses débuts en maltais se soldent par deux dernières places consécutives, en 1971 et 1972. Petite éclipse en 1973 et 1974, pour un retour en anglais moyennement convainquant en 1975. Grande éclipse entre 1976 et 1990, pour en retour en anglais brillantissime. Malte connaît son âge d’or eurovisionesque : sixième en 1991, troisième en 1992, cinquième en 1994, troisième en 1998 et l’apogée : deuxième en 2002 et 2005. La victoire semble à portée de main. Sauf que non ! 2005 signe la fin des temps, 2006 ouvre grand les portes de l’Enfer. Dernière place en 2006, éliminations à répétition et déceptions en série. 2013 et 2016 sauvent les meubles, sans plus. Tout est dans la sélection maltaise : une bulle minuscule qui tourne sur elle-même. Chaque année est identique à la précédente : mêmes interprètes, mêmes auteurs-compositeurs, mêmes chansons. Sauf que le temps passant, les dites chansons sont de plus en plus datées et hors de propos. Cette année fut le sommet du genre. Même problème que la Slovénie, la Croatie et Chypre : PBS doit impérativement mettre la main sur une équipe d’auteurs-compositeurs de premier plan. La France, la Belgique et la Bulgarie (entre autres) y sont parvenus en s’alliant avec les maisons de disque. Le Portugal a convaincu les plus renommés du pays. Et si c’était la clé ?

BONUS

Il y a ceux qui ne gagnent jamais et il y a ceux qui ne gagnent plus… Petit classement des pays depuis le plus longtemps en attente d’une nouvelle victoire. Certains noms devraient vous être familiers… Et pour ne pas sombrer dans la sinistrose, vous retrouverez leur meilleur résultat en date.

5. La Suisse, vingt-neuf ans (depuis 1988).

4. La Belgique, trente-et-un ans (depuis 1986).

3. La France, quarante ans (depuis 1977)

2. Les Pays-Bas, quarante-deux ans (depuis 1975).

1. L’Espagne, quarante-huit ans (depuis 1969).

Douleur de voir dans cette liste les trois pays francophones participants… Douleur d’être un fan francophone… Douleur et explication : le déficit de popularité du Concours dans la sphère francophone tient à cette absence prolongée de victoires. Douleur, mais espoir : France Télévisions et la RTBF se sont sacrément repris. Une sixième victoire française et une seconde victoire belge sont désormais envisageables. Merci Edoardo Grassi, merci Leslie Cable, merci les maisons de disque !

De même, pour une cinquième victoire des Pays-Bas. AVROTROS recrute à présent la fine fleur de la scène musicale néerlandaise. Les résultats demeurent constants et solides. Reste à trouver la chanson qui emportera l’Europe et le monde. En revanche, pour la Suisse et l’Espagne, la traversée du désert se poursuit. À mon avis, ces deux pays auraient intérêt à suivre l’exemple de la France et de la Belgique : sélection interne, collaboration avec les maisons de disque, découverte d’un nouveau talent, chanson taillée pour la compétition et encadrement professionnel de l’artiste participant.

Bref et comme toujours à l’Eurovision, l’impossible demeure possible. Qui aurait pu croire, l’an dernier, à cette époque, à la victoire du Portugal ? Certainement pas moi… Sur ce, passez un bon week-end et rendez-vous samedi prochain ! Au menu : le duel du passé et du présent.