Cette soirée du 18 mai m’aura permis de franchir une nouvelle étape dans ma vie d’Eurofan. Imaginez-moi aux alentours d’une heure du matin :

L’annonce de la victoire des Pays-Bas me plongea dans un état difficilement descriptible, mais nettement audible :

La conséquence de ce cri ne se fit pas attendre :

Ce fut donc la toute première fois en vingt-et-un ans d’Eurovision que je fis l’objet de récriminations, dûment notifiées par email dans la foulée, de la part de mes chers voisins.

Une étape, vous disais-je, très représentative de la ferveur qui m’a habité durant cette merveilleuse soirée, l’une des plus réussies de ma vie (n’ayons pas peur des mots). Mais reprenons depuis le début !

Nous étions à nouveau réunis, tous les six, cette fois à Laeken, commune du nord de Bruxelles, là où nos souverains naissent, vivent, meurent et se font enterrer, scandant ainsi l’histoire de la Belgique. Le repas fut joyeux et animé, dans la perspective impatiente de cette finale, acmé de notre parcours eurovisionesque amical. Soudain, 21h s’annonçait !

Nous retournâmes dans nos canapés, toujours devant la VRT, guidés par Peter Van De Veire, au sommet de son art. Prenez note de la méthode PVDV ! Durant les explications nécessaires : une traduction, un commentaire personnel. Durant les cartes postales : une information, une plaisanterie vacharde, un pronostic. Durant les transitions : une traduction, une annonce. Durant le vote : un bref commentaire après chaque attribution de points. Le reste du temps : silence absolu. Un commentateur en or : drôle, pertinent, concis, acerbe (mais juste), passionné et connaisseur. Mon conseil pour l’année prochaine : mettez-vous au néerlandais. Si vous avez de bonnes notions d’allemand, cela vous sera aisé. Et comme l’Eurovision prend la route des Pays-Bas, c’est l’occasion rêvée…

Te Deum et c’est reparti ! Le salon est galvanisé. Une année d’attente enfin récompensée…

Le numéro d’ouverture captive l’attention du salon. Silence religieux. Jon Ola prêt pour l’Oscar. Réalisation spectaculaire, très réussie. Intense émotion : la première voix que l’on entend est Ofra Haza chantant Im Nin Alu. Si seulement elle avait été là, ce soir… Défilé des Nations. Sergey dans son costume blanc est à croquer. Serhat, dans son satin orange, est égal à son personnage. Arrivée de Dana International. Dire que sa victoire remonte à vingt-et-un ans… Dire qu’il y a vingt ans tout juste, nous étions à Jérusalem. Je m’en rappelle comme si c’était hier… Tamta fait rire dans sa tulle rose bonbon. Kobi a droit à la plus belle ovation, une tradition. Nouvelle émotion : apparition d’Ilanit. Monument du Concours, légende vivante. Bilal, très l’aise. Mahmood, un peu raide. Gros plan sur des Eurofans français. Mince, je les reconnais de Facebook ! Nadav Guedj en final. Introduction déjà mémorable !

Entrée en scène des présentateurs. La robe de Lucy fait sourire. Erez, toujours aussi peu enthousiasmant. Bar reste la meilleure. Son naturel et son aisance impressionnent. Assi, égal à lui-même. Explications données via une compilation vidéo. Idée géniale ! Et nous voilà déjà à la première chanson !

MALTE

Première vacherie de Peter à l’attention de Madonna. Salon, emballé par Michela. Moi, tout fou. Réellement ma chanson maltaise préférée en vingt-et-un ans. Attends presque avec enthousiasme le retour du X Factor Malta, avec ses Lucienne et ses Marcel. Salon se trémousse en rythme. Michela, parfaite. Mise en scène, réussie. Excellent numéro d’ouverture. Met aussitôt dans l’ambiance et la bonne humeur de l’Eurovision. Je croise les doigts pour que Michela obtienne un bon résultat. Côté salon, elle obtient des notes positives.

ALBANIE

Au tour de notre Eurodiva albanaise préférée ! Peter plaisante la blancheur de sa dentition. Jonida, investie dans ses trois minutes. Géniale dans son genre. Moi, envie de dinde farcie, de pommes dauphines et de sauce aux airelles. Vivement Noël ! Brève apparition à l’écran d’Arthemisa Mithi. Les vrais Eurofans savent… Jonida survole vocalement ses trois minutes. Tellement albano-albanais. Salon plus fasciné par le personnage que par la chanson. Déclenchement du ventilateur et du lance-flamme. Jonida surjoue avec bonheur. Salon lui attribue de belles notes.

RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Albert fait chavirer les cœurs. Salon apprécie beaucoup sa prestation et sa chanson. Visuel parfait. Réminiscences des années 80 font résonner une corde dans tout le salon. Notre décennie de naissance. Vraiment, la République Tchèque est en pleine reconquista eurovisionesque. Vous m’auriez dit cela, il y a trois ans encore… Se conclut dans les applaudissements du salon. Peter lui-même est impressionné. Belles notes générales.

ALLEMAGNE

Laulotta et Carlita ! Salon ne comprend décidément comment elles ont pu remporter la finale allemande. Moi non plus. Chanson pas mauvaise en soi. Plutôt insignifiante. Mise en scène au prorata. Pas risible, mais sans intérêt. Laulotta et Carlita, pas mauvaises chanteuses per se. Mais crispantes. Leur interprétation agace l’oreille et tend les nerfs. Elles surjouent, poussent leurs voix dans les aigus, l’on dirait des chats à qui l’on tire la queue. Elles, très heureuses. Salon, sceptique. Se demande si elles seront toujours sœurs, demain matin. Attribue des notes médiocres.

RUSSIE

Peter définitif sur les chances de Sergey : ce sera pour la prochaine fois. Moi, convaincu qu’on le reverra dans trois ans. Salon souligne le grand talent de Sergey. Oui, il chante très bien. Mais sa chanson est d’une banalité… Et quel jeu d’acteur… Salon, nostalgique de 2016. Aurait préféré revoir Sergey dans le même genre musical, embellie de l’escalade d’un accessoire quelconque. Sergey file sous la douche. Réussite vocale. Déception visuelle. Salon convaincu qu’il sera éclipsé au terme de la soirée. Sergey s’énerve et conclut brillamment ses trois minutes. Peter, impressionné. Salon, moins. Sergey reçoit des notes moyennes.

Apparition de Jean-Paul Gaultier. Sympathique.

DANEMARK

Premiers cris d’exaspération. Leonora, clairement l’erreur de casting pour salon. Aurait dû rester en demi-finale. Moi, lassé par Leonora et sa chanson. Trop souvent vue, entendue, commentée. Me gonfle à présent. Salon plaisante la mise en scène. Espère vaguement que quelqu’un manquera un barreau d’échelle. Ne comprend pas le concept de la chaise, ni des choristes. Me demande qui a voté pour ça. Des enfants et leurs grands-parents ? Prie le ciel pour la DR mette enfin la main sur des chansons intéressantes. Salon baille et attribue des notes médiocres.

SAINT-MARIN

Premier schisme de la soirée. Salon :

Moi :

Qualification qui me reste en travers de la gorge. Ne lui pardonnerais jamais. Salon plus enclin à rire. Tellement mauvais et kitsch, que génial. Adore Serhat, le personnage. Moi, j’enrage. Eux, rient. Moi, croise les doigts pour que Saint-Marin se prenne une claque durant le vote. Eux, me charrient et menacent de voter pour Serhat. Je bous sur ma chaise, tandis que Serhat massacre consciencieusement sa chanson. Salon me prédit qu’en Enfer, je serais obligé d’écouter l’intégrale Serhat pour l’éternité. Ça va être long… Salon fait la promesse solennelle de ne jamais oublier Serhat. Moi, cynique et désabusé : reviendra dans deux ans, avec pire morceau encore…

MACÉDOINE DU NORD

Retournement de situation ! Moi :

Salon :

Tamara ennuie profondément salon. Moi, j’adore. Étrange et inexplicable. Peter souligne l’homonymie de Tamara avec une marque de confiture de l’Aldi. Prestation excellente. Salon, très critique sur la robe. Encore plus sur la chanson. Moi, aux anges. Meilleure proposition macédonienne de tous les temps à mes yeux. Public dans la salle hurle au point d’arracher un sourire à Tamara. J’attribue une très belle note. Salon soupire et sanctionne. Opinions irréconciliables.

Passage dans la green room. Aaah ! Destiny ! Qu’elle a grandi et qu’elle est devenu belle ! Vivement qu’elle représente Malte à son tour. Laulotta et Carlita… Soupirs…

SUÈDE

Peter compare John à Michael Jackson, avant de se permettre une plaisanterie très limite. Je cite : « Heureusement, il ne sera pas accompagné sur scène par des enfants, mais par quatre dames sympathiques. »

Salon, extatique. John, l’un de ses préférés de la soirée. Lui trouve toutes les qualités possibles et imaginables. De fait, John déborde de charisme et de talent. Du cristal dont on fait les vainqueurs suédois. Salon se balance en rythme, emporté par esprit de TLFL. Envie de crier à John qu’il n’est point trop tard. Moi, plus dans la réserve. Très bien, très efficace, très suédois. Manque toutefois à mes yeux d’un petit grain d’originalité pour monter sur la première marche. Arrivée des quatre dames sympathiques, mon moment préféré. Salon en communion avec John et ses choristes. Trois minutes d’Eurovision parfaites. Suède obtient d’excellentes notes. Salon convaincu qu’il pourrait l’emporter. Déjà le doigt sur le téléphone pour envoyer leur vote.

SLOVÉNIE

Du paradis au purgatoire. Salon accueille Zala et Gasper par des hauts cris de protestation et quelques malédictions. Peter se moque de la lenteur de Sebi, susceptible selon lui de faire s’endormir les téléspectateurs. Incompréhension totale et générale du salon. Que font-ils là ? Pourquoi diable nous persécuter ainsi ? Assurément le four de la soirée. Salon boude et balance les critiques en rafales. Mal habillés, aucune présence scénique, pas de mise en scène, chanson à périr d’ennui… Soudain, c’est l’Eurodrame : quelqu’un se lève pour aller aux toilettes, condamnation irrémédiable. Slovénie récolte des plus mauvaises notes jusqu’ici.

CHYPRE

Montagnes russes. De retour au sommet avec Tamta. Salon très enthousiaste. Peter ironise sur ses cuissardes et son oubli apparent de pantalon. Salon trouve Tamta beaucoup mieux qu’en demi-finale. Coiffure plus naturelle, chanteuse plus souriante. Moi, remarque que pilier fonctionne à nouveau. Prestation convaincante de morceau irrésistible. Salon se balance en rythme. Regret personnel : pas assez d’effets visuels sur « replay » le mot. Salon aime, moi aussi. Ne refera pas une deuxième place, mais devrait monter dans le classement final. Tout le monde attribue des notes élogieuses. Peter ne peut s’empêcher de plaisanter le body de Tamta, certainement le costume de scène qui l’aura le plus marqué cette année. Hélas point pour les meilleures raisons…

PAYS-BAS

Peter rappelle les liens entre Duncan et Ilse De Lange et surtout, l’origine belge de la lampe. Salon plonge dans silence liturgique. Magie opère. Moi, très ému. Prestation parfaite de Duncan. Remarque contraste saisissant entre Toy et Arcade. De quoi démonter tous les clichés et préjugés sur l’Eurovision. Duncan, habité et exceptionnel. Salon unanime : excellente chanson, excellente interprétation, voix magnifique, visuel sobre et parfait. Sérieux candidat à la victoire. Se conclut par des applaudissements prolongés et nourris. Salon sous le charme. Attribue des notes élevées.

GRÈCE

Peter confesse n’avoir aucune idée de la signification profonde de la mise en scène grecque. Moi, trouve cela beau. Salon d’accord : élégant, artistique. Tableau vivant. Salon approuve du bonnet. Katerine habitée et intense. Prestation réussie. Très arty, mais salon apprécie. Aucun reproche à formuler, aucun rire, aucun grincement de dents. Attribue de belles notes.

ISRAËL

Public dans la salle très enthousiaste. Peter, obligé de rappeler le pourquoi du comment de la présence d’Israël. Premières notes et salon déjà accablé d’ennui. Moi, dois reconnaître que Kobi chante très bien, mais se comporte à l’écran comme le chanteur d’opéra qu’il est. Très théâtral, pathos débordant de partout. Salon s’ennuie. Nouvel Eurodrame : quelqu’un d’autre se lève pour aller à son tour aux toilettes. Mise en scène très eurovisionesque. Parie avec salon que l’un des cinq choristes représentera Israël dans futur proche. Discussion dérive sur la malédiction des pays-hôtes. Petit rire : moment de gloire pour les Eurofans filmés entre les jambes de Kobi. Pleurs finaux. Moi, partagé : n’en ferait-il pas un peu trop ? Salon, assuré : il en fait trop ! Attribue des notes très médiocres. Moi, dépité. Quatre mois de sélection pour en arriver là….

NORVÈGE

Après une pensée émue pour le coiffeur de Fred, Peter décrit SITS comme un morceau de l’Eurovision d’il y a vingt ans. Salon, pas d’accord. Aime beaucoup morceau. Belle interprétation du trio. Moi, danse sur ma chaise. À la limite du plaisir coupable, quand même. Salon attentif, passe trois belles minutes. Mise en scène simple, mais efficace. Moi, pas tout à fait convaincu que cela rencontrera son public. Salon attribue de belles notes. Spectateurs dans la salle, en feu. Fasciné par Tom, qui réalise là le rêve de sa vie. Heureux pour lui. Salon et Peter, surpris de l’enthousiasme délirant des spectateurs.

ROYAUME-UNI

L’ambiance retombe d’un cran. Début passable. Salon à moitié attentif. Décroche au refrain. Trouve que Michael surjoue et que chanson, insignifiante. Moi, j’attends que cela passe. Salon regrette l’absence de choristes visibles. Justement, ils débarquent. Sursaut d’attention. Moi, soudain hystérique. Liiindaaa ! Salon dans l’incompréhension. Leur raconte le parcours de Linda Pritchard. Tue le temps en attendant dénouement prévisible. Mise en scène poussive. Salon concède une belle interprétation vocale. Moi, les yeux au ciel. Quelle pitié que la BBC… Salon ne condamne néanmoins pas et attribue des notes moyennes. Moi, sanctionne. L’année prochaine, n’ont qu’à repêcher un refusé de Sanremo. Sera certainement plus intéressant.

Passage dans la green room pour interviews des artistes de retour. Vexant pour Nevena, non ? Bref. Salon partagé entre joie de revoir Serhat et dépit de revoir Tamara. Moi, exactement l’inverse. Heureusement, Sergey met tout le monde d’accord. Belle idée, au fond. Devrait être reconduit chaque année.

ISLANDE

Peter prévient les téléspectateurs : satire à prendre avec second degré. Salon se divise en deux. À droite :

À gauche :

Divergences irréconciliables. Effet islandais prévu de longue date : polarise fort le public. Certains adorent, d’autres détestent. Semble être à part égale. Ne sera donc pas le triomphe attendu. Moi, surpris, car côté gauche n’aime même pas la chanson. À droite, l’on trouve la prestation réussie. Suis plutôt d’accord. Tableau infernal marquant. Islande frappe un grand coup. Pensée collective pour Jon Ola. Doit souffrir derrière son pupitre. Puis, fou rire : côté gauche réalise que Matthias est un homme et non point une femme. Peter, faussement choqué, en mode « toch, dames en heren… » (« quand même, mesdames-messieurs… »). Trois minutes pour l’histoire du Concours. Notes louangeuses à droite. Notes effroyables à gauche. Moyenne très moyenne.

ESTONIE

Du sang au jus de navet… Prestation consensuelle pour chanson palote… Peter annonce la suédoiserie bourrée de clichés et compare physiquement Victor à… Keanu Reeves. À vous de juger…

Salon, tout de suite crispé par voix et interprétation de Victor. Moi, finis par me boucher les oreilles. Ai trop entendu Victor. N’en peux plus, là. Me martyrise les tympans. Salon juge encore une fois le morceau, sans intérêt. Fou rire : la production a raté un angle de vue. Gros plan sur escalier et cameraman en action. Dérivatif bienvenu. Salon prend son mal en patience. Moi, repense à Uku Suuviste. Effets spéciaux suscitent les rires. Vraiment ratés. Transition pas plus réussie. Délégation estonienne aurait dû s’en passer. Salon attribue des notes médiocres.

BIÉLORUSSIE

Peter nous apprend que Zena ne dort que quatre heures par nuit, ce qui lui permet de mener de front études secondaires, carrière artistique et activités complémentaires. Moi, admiratif. Aimerais aussi dormir peu pour rentabiliser mes nuits. Peter a compté : Zena répète « Like it » 35 fois dans sa chanson. Pas un compliment dans sa bouche. Salon dodeline de la tête. Chanson biélorusse leur plaît. Un peu, pas trop. Écoutable. Admiratifs de la présence scénique et vocale de Zena. Moi, moue plissée vers le bas. Brouillon et mal produit. Salon se passionne soudain pour les danseurs. Moi, tellement concentré sur les cuissardes de Zena que les avais pas remarqués. Entrée en scène des lunettes de soleil. Salon entre deux eaux. Moi, me demande ce que nous pondra encore la Biélorussie l’an prochain. Notes basses.

AZERBAÏDJAN

Regain d’attention dans le salon, car très bons souvenirs de la demi-finale. Peter insiste sur l’enfance de Cendrillon de Chingiz. Moi, me demande si Chingiz a lu Isaac Azimov. Devrait. Salon emporté et très enthousiaste. Moi, nettement moins. Couplets, très bien. Refrain, plus décevant. Et puis, ces deux robots… Salon chante en rythme « Shut up about it. » Effet spécial, suivi d’une longue note. Très académique. Mais Chingiz atteint son cœur de cible. Je recommande d’aller faire un tour sur Internet, pour découvrir Chingiz sous un autre jour. Salon prend bonne note et attribue de très belles cotes.

FRANCE

Peter étrangement silencieux. Rupture des communications avec Tel Aviv ? Tout le monde s’interroge. Mais au tour de la France. Salon attend Bilal avec intérêt. Admiratif du courage qu’il a fallu au chanteur pour affronter déferlement de haine et violence des commentaires. Conclusions pessimistes sur la nature profonde de l’âme humaine. Projections sur visage reçoivent des compliments. Très réussi. Aurait pu être approfondi à la Aly Ryan. Restant de la mise en scène, très académique et classique pour l’Eurovision. Mais bien emballé et pensé. Salon, appréciatif. Bilal s’en sort très bien. Salon me rejoint cependant dans analyse : problème réside dans chanson, beau bateau. Attribue quand même de belles notes… pour des raisons extra-musicales. Peter, de retour. Précise : problème technique et non pause toilettes. Nouveaux gros plans sur des Eurofans français. Tout petit Euromonde : reconnaît à nouveau la plupart de Twitter et de Facebook.

ITALIE

Moi, en folie ! Mériterait de gagner avant même d’avoir chanté. Salon apprécie beaucoup Mahmood et Soldi. Moi, soulagé : mise en scène et visuels, très réussis. Fonctionne à merveille avec morceau. Danseurs pas de trop, en harmonie avec message de la chanson. Salon rit : Mahmood raide. Sa marque de fabrique. Lui aussi, habité et pris dans passion de l’instant. L’une des meilleures propositions de l’Italie depuis son retour. LA meilleure, à mes yeux. Pensée pour Francesco Gabbani, débouté de mon panthéon personnel. Italie devrait vraiment gagner un de ces quatre. Salon applaudit en rythme durant le refrain. Juge que Mahmood, vainqueur potentiel. Attribue d’excellentes notes. Moi, ravi, aux anges. Trois minutes d’Eurovision parfaites. Se conclut par des applaudissements nourris.

SERBIE

L’ambiance retombe à nouveau. Peter trouve que Kruna semble durer plus longtemps que les trois minutes imparties. Salon, en phase. S’ennuie. Cherche la petite bête. La trouve. Nevena est ainsi rebaptisée la « Jambe chantante » / « The Singing Leg ». Fou rire général. Plus personne n’écoute la chanson. Tout le monde rit de la jambe. Devient une attraction en soi. Pourtant, Nevena chante très bien. Hélas, sa ballade fait retomber la poussière sur la télévision. Salon mime des jambes qui chantent. Attribue des notes médiocres. Trouve en outre son maquillage exagéré. Peter, déjà passé à autre chose.

SUISSE

Peter reconnaît que SGM a le potentiel pour devenir un tube international. Moi, reforme mon duo de demi-finale. Vivons tous les deux intensément ces trois minutes. Battons des mains en rythme, nous balançons sur nos canapés, mimons les paroles, sommes les rois de l’Eurovision. Reste du salon, plus sobre. Apprécie beaucoup chanson et Luca. Trouve qu’il manque un ingrédient magique. Nous deux, emportés au septième ciel eurovisionesque. A-DO-RONS. Luca réussit à merveille sa prestation. Salon assimile lentement qu’il est une immense star dans les contrées germanophones. Se conclut par des bravos en duo. Trois minutes trop courtes. Peter ironise sur volonté déclarée de conquérir le vote féminin. Salon attribue de bonnes notes. Nous deux, des notes exceptionnelles.

AUSTRALIE

D’un sommet à l’autre. Salon replonge dans silence religieux. Impressionné par mise en scène et visuel. Public chante avec Kate. Moment épique. Salon s’interroge sur les piliers flexibles. Public bat la mesure à tout rompre. Salon, émerveillé. Moi, tellement heureux que perdu dans l’hyperespace. Kate survole littéralement ses trois minutes. Restera à jamais gravé dans nos mémoires. Salon, ébloui. Attribue des notes majeures. Peter trouve cela très « Cirque du Soleil ». À nouveau, pas un compliment dans sa bouche. Qu’importe : Kate, l’une des grandes favorites du salon. Pense qu’elle pourrait l’emporter.

ESPAGNE

Déjà la dernière chanson ! Incroyable… Presque envie de pleurer… Note que salon, un cran moins attentif. Juge rapidement Lv, comme toute petite chanson. Moi, embarrassé. Mise en scène et visuel, sans rapport aucun avec chanson et esprit de la chanson. Délégation voulu en faire trop. Miki, très bien. Assez essoufflé quand même. Salon interloqué par apparition du géant. Demande pourquoi. Aucune réponse à fournir. Ensemble visuellement surchargé. Dans ma tête :

Salon attribue des notes moyennes. Moues dubitatives. Peter précise que Miki a nettement mieux chanté qu’à la répétition du jury. Ouille…

Tous les concurrents étant passés, chacun se penche sur son tableau de vote. Les Pays-Bas, la Suède, l’Italie et l’Australie se détachent. Mais salon hésite. Moi, aussi. Je finis par voter pour Duncan, Mahmood, Luca et Kate. Si l’un de ces quatre-là l’emportait, je serais un Eurofan heureux. Salon pianote sur ses téléphones et accomplit son devoir eurovisionesque. Va encore nous coûter bonbon. Une fois fait, chacun se re-carre dans son canapé. Place aux entractes !

Salon sous le charme du numéro « balagan ». Conchita impressionne par son nouveau look. Salon aime toutes les reprises. Mais une fois encore, Eleni vole la vedette aux autres. Salon la vénère. Déesse eurovisionesque dont l’humour fait mouche à chaque apparition. Entracte très réussi, vivement applaudi. Devrait être reconduit chaque année ! Moi, admiratif : Eurovision accouche chaque année de figures majeures de la culture pop. Qui parmi les concurrents de cette édition 2019 se gravera dans l’inconscient collectif ? Se conclut par Halleluja. Une découverte pour le salon, un ravissement pour moi. Peter, très impressionné.

Bar, géniale en mimant Holiday et Vogue. Et puis, soudain…

Hurlement collectif du salon. Madonna dans la green room ! MADONNA DANS LA GREEN ROOM DE L’EUROVISION !!!

Il y a dix ans, de la science-fiction. Aujourd’hui, réalité. Tout grand moment pour tous grands fans que nous sommes. Difficile à comprendre si l’on n’a pas aimé Madonna à en périr durant son enfance et son adolescence. Moins évocateur pour jeunesse actuelle. Mais pour nous… Vingt-cinq ans de nos vies. Pour resituer le contexte émotionnel : Madonna a publié son premier single, deux semaines après ma naissance. Je n’ai connu qu’elle. Elle a été et elle demeure ma plus grande idole. Avec mon mari et ma meilleure amie, nous vivons dans l’angoisse existentielle de sa mort. Sera la fin de toute notre jeunesse…

Cependant, fou rire dans le salon, car encore fringuée comme pas possible. Sorte d’Heidi déguisée en pirate sado-maso… Et toujours cet abord de banquise hautaine. Répond légèrement de travers à Assi qui tente un dégel. Salon horrifié : il la touche ! Salon, persuadé qu’elle va reprendre direct l’avion et le poursuivre en justice. Mais reste impassible. Salon pense qu’elle ne parlera pas, car pas suffisamment payée pour ça. Surprise générale : Madonna s’adoucit et s’adresse aux téléspectateurs et aux artistes ! Double surprise : elle a des mots encourageants et inspirants. Salon applaudit. Madonna, excellente professionnelle. Fait le job. Juste pas être trop familier avec elle, voilà tout. Moi, impressionné. Madonna se trouve des points communs avec l’Eurovision : a visité la plupart des pays représentés et se sent unie à eux par la musique. Je n’y avais jamais songé… Elle enchaîne en s’auto-citant (fou rire du salon) : la musique rassemble les gens, yeaaah ! Vous aussi, quand vous serez une trèèèès grande star, vous vous auto-citerez. Moment de grâce : Madonna fait chanter Music à la green room. Épique…

Passage obligé de l’artiste local avec morceau traditionnel. Ennui retombe comme une chape sur le salon. Conversation diverge. Attend que ça passe. Moi, pense à tous les Eurofans qui réclament à cor et à cri ce genre d’entracte. Sont-ils réellement ravis et attentifs en cet instant précis ? Hum… Petite interview de Quaivo, qui débarque littéralement de la Lune… Petits rires dans le salon.

Retour dans la green room avec Lior Surchard. Salon persuadé que c’est truqué. Moi, me gondole. Tamta, tellement incongrue hors-scène avec ce costume. Petit numéro très réussi.

Retour de Netta avec sa chanson à texte (coucou Francis !). Salon, pas extatique. Morceau sympathique, mais très superficiel. Petit passage en green room. Luca brutalement interrompu.

Enfin, Madonna ! Salon en transe ! Like A Prayer, génial ! Mise en scène copiée sur celle du MetBal. Grand moment de vie personnel. Fasciné, comblé. Madonna à l’Eurovision… Peux mourir heureux… Puis, passage à Future. Choses se gâtent. Introduction musicale sur Playskool. Salon, hoquet de surprise. Puis, énorme fou rire. Morceau, face B de UB40. Salon rit. Madonna telle qu’en elle-même… Sortie aussi spectaculaire qu’entrée en scène.

Ouvrons la parenthèse. J’ai été surpris qu’autant de personnes soient surprises. Pourtant, ces dix minutes sont un excellent résumé de ce qu’est Madonna en 2019. Il ne fallait s’attendre ni à plus, ni à moins. Si vous avez suivi ses dernières prestations publiques, vous aurez trouvé celle-ci dans leur directe continuité. Madonna a désormais 60 ans. Elle a atteint certaines limites physiques et affronte l’ultime tabou de sa carrière : l’âge. Avec plus ou moins d’élégance et de subtilité… À titre personnel, cela me crève le cœur qu’elle ait perdu sa boussole musicale. Depuis quinze ans, elle n’a plus rien produit d’intéressant, ni de significatif. Mais, mettons à son crédit deux éléments importants : primo, elle continue à produire de nouvelles chansons et cherche à se renouveler. Elle aurait pu, comme tant d’autres, sortir un album de reprises de Claude François ou un album de duos de ses tubes passés. Non : elle sort un album inédit. Secundo, elle chante en direct. Certes, elle chante mal en direct. Mais elle évite l’infamie du play-back. Refermons la parenthèse.

Fin des votes. Tension monte d’un cran. Trois minutes avec Gal Gadot. Donne envie, comme toujours, d’aller visiter la ville-hôte. Moi, espère un jour réaliser mon rêve : visiter Israël. Encore une cinquante d’années pour le réaliser… Soudain, apparition du pupitre ! Salon se tend comme un archet. S’ensuit une séquence complètement surréaliste.

Les jurys internationaux votent dans tous les sens. Pluie de « douze points » sur à peu près tous les participants. Ne sais plus où donner de la tête. Les porte parole azerbaïdjanais et saint-marinais prennent la parole en français… Résultats très indécis. Allemagne, Espagne, Royaume-Uni et Israël se traînent en bas de classement avec des nul point. France, dans les choux. Scénario improbable fini par se dessiner : jurés ont adoré Tamara. La Macédoine du Nord accumule les notes maximales, monte sur le podium et prend de l’avance. Tamara, dans un rêve. Moi :

Hilare, ne parviens pas à y croire. Salon :

Plutôt, mécontents. Pays-Bas plongent, Macédoine du Nord prend le large. Moi, très surpris. Aurais cru que balade de santé pour Duncan. Point du tout ! Peter, dépassé par les événements. Vote complètement à l’ouest de la Biélorussie. Sauve Israël de l’humiliation totale. Peter n’y croit pas. Ilinca nous fait son yodel. Pitié… Tamara dans tous ses états. Salon enrage. Moi, incrédule et toujours hilare. David Jeanmotte pour la Belgique. Fou rire dans le salon. S’est déguisé en Orlando. Mais rempli très bien son rôle. Eric Saade déjà en pyjama. Au grand soulagement du salon, Suède remonte et dépasse la Macédoine du Nord. John remporte le vote des jurés. Tamara, deuxième. Duncan, troisième. Je n’en reviens pas…

Retour de Bar pour le vote du public. Tension maximale. Première grosse claque pour le Royaume-Uni qui ne reçoit que trois points. Ma bouche forme un O. S’arrondit un peu plus quand Saint-Marin s’envole dans la partie gauche du tableau. Cri général de stupéfaction dans le salon quand l’Allemagne ne reçoit aucun point. OH-MON-DIEU ! Peter, « echt, echt, erg... » (‘Vraiment, vraiment, grave…« ). Nouveau gros choc : la Norvège remporte 291 points ! Énorme. Peter confirme : « Dat is gigantisch... » S’ensuit un Eurodrame total : Hatari brandit des bannières pro-palestiniennes. Huées dans la salle. Peter, choqué. Moi aussi. Bar, visiblement pas contente. France, Chypre et Malte font plouf. Russie prend la tête. République Tchèque ne reçoit que sept points. Terrible ! Peter et salon, sous le choc. Délégation tchèque effarée. Peter, « Wat een jaar… » (« Quelle année…« ). Italie dépasse la Russie. Fini pour Sergey ! Si affreux pour les participants… Pays-Bas montent sur la première place. Mais suspense toujours intact. Me sens défaillir… Exit Macédoine du Nord. Ne reste plus que la Suède… Et à l’ultime seconde :

La tête de ce pauvre John Lundvik… Moi :

Avec les conséquences que l’on sait… Peter hurle presque aussi fort que moi. Salon, extatique. Après trois ans, enfin une chanson que tout le monde aime et pour laquelle tout le monde a voté ! Ça nous change… Moi, renversé de bonheur, jambes en coton. Ilse De Lange en pleurs.

Beau mot de Duncan, reçu avec vifs applaudissements du salon.

Très belle reprise d’Arcade. Salon sous le charme. Silence conclusif. Générique final.

CONCLUSION

Quel incroyable suspense à nouveau ! Jusqu’au bout, nous aurons douté du vainqueur et craint que la victoire n’échappe à Duncan. Heureusement, notre favori est bien reparti avec le Micro de Cristal. À noter que nous avions bien distingué les favoris de cette édition, à l’exception notable de la Russie.

Voici notre classement final commun :

  1. Pays-Bas – 17,42
  2. Australie – 17,38
  3. Suède – 17,12
  4. Italie – 16,75
  5. Suisse – 16,25
  6. Norvège – 15,92
  7. République Tchèque – 15,67
  8. Chypre – 15,66
  9. France – 15,42
  10. Azerbaïdjan – 15,17
  11. Grèce – 14,83
  12. Russie – 14,75
  13. Espagne – 14,33
  14. Malte – 14,25
  15. Albanie – 13,58
  16. Royaume-Uni – 12,5
  17. Islande – 12,17
  18. Biélorussie – 12,16
  19. Macédoine du Nord – 11,67
  20. Estonie – 11,42
  21. Danemark – 10,92
  22. Serbie – 10,67
  23. Allemagne – 10,17
  24. Saint-Marin – 10,08
  25. Israël – 8,83
  26. Slovénie – 6,5

Nous ressortons donc pleinement heureux et satisfaits de cet Eurovision 2019. Nous avons passé ensemble un excellent moment de rires et de chansons. Avec nous, les Pères Fondateurs du Concours ont atteint leur objectif : fournir un divertissement léger, de qualité et oecuménique. Le salon s’est quitté unanime : cet Eurovision 2019 était une remarquable édition, un grand cru, avec beaucoup d’excellents morceaux, d’interprètes remarquables et de très belles découvertes. Assurément, trois soirées à graver dans nos mémoires. À titre personnel, j’ai eu une pensée pour ces Eurofans qui, en février, hurlaient à la pire édition de l’histoire. Moralité : inspirer, expirer, attendre la publication de toutes les chansons. Technique de renforcement : revoir l’édition 1989 et constater que même sans chanson marquante, l’Eurovision conserve toute sa dramaturgie et son intérêt.

Nous nous sommes quittés heureux, mais surpris : il était plus d’une heure du matin. De fait, pour la toute première fois, une retransmission a dépassé les quatre heures. Pensée immédiate pour ces personnes qui ne regardent pas l’Eurovision, parce que c’est trop long… Or, pour nous, c’est justement parce que c’est si long, que c’est si bon. Soulignons avec force que le temps ne nous a point pesé. Cet Eurovision 2019 était si réussi, si passionnant, si bien produit que ces quatre heures nous ont été légères et fugaces.

Voilà qui m’aura également marqué : hormis l’incartade d’Hatari, l’on n’a rien vu à l’écran. Rien des Eurodrames qui ont ponctué la Saison, rien des difficultés organisationnelles, rien des déboires de la production, rien des tensions inhérentes à la réalisation de tel événément, rien non plus des vives tensions apparues durant les répétitions. C’est tout au crédit de l’IPBC et des organisateurs : le spectacle a été magnifique, très réussi, éblouissant même par instant. C’était l’Eurovision porté au pinacle. Vous l’aurez noté : ces trois dernières éditions ont été organisées par des diffuseurs aux budgets limités (euphémisme…) de pays en guerre ou sortant de graves crises économiques. De quoi réduire à néant le cliché habituel du coût de l’organisation. Au passage, technique personnelle : répondre à cela par « L’important, ce n’est pas combien cela coûte, mais combien cela rapporte. » Or, ne fut-ce que sur le plan de l’image, du prestige et du symbole, l’Eurovision rapporte toujours au diffuseur et au pays-hôte. L’IPBC ressort ainsi grandi de cette semaine.

Un mot sur la nouvelle manière d’annoncer les votes. J’y ai vu un avantage et un inconvénient. L’avantage est de préserver le suspense jusqu’à l’ultime seconde. Ce qui rend la procédure très télégénique… et retient les téléspectateurs devant leur écran jusqu’au bout de la soirée. Il est en effet encore plus difficile de prédire le vainqueur, ce qui écarte toute velléité de zapper ou d’aller se coucher. L’inconvénient est de rendre le vote du public moins lisible. Ce n’est qu’après le générique final et m’être rendu sur Internet que j’ai réalisé le rebours entre jurés professionnels et public. Faut-il amender cette procédure ? À mes yeux, non. Le seul reproche à lui adresser est sa terrible cruauté envers les artistes participants. Cela m’a fendu le coeur de voir la déception totale se peindre sur les visages de la délégation tchèque et plus encore, de voir l’anéantissement apparaître sur celui de John Lundvik. Echt, echt, erg, comme dirait l’autre…

Sur cette édition 2019, se conclut donc une autre décennie d’Eurovision. Les années 2010 auront vu le Concours croître encore en importance et en réputation, ce qui est motif à réjouissance. Grâce aux progrès d’Internet et des télécommunications, l’Euromonde forme désormais une entité solide et balisée. Les Eurofans sont plus reliés et unis que jamais. Vous le vivez sur notre site : l’Eurovision n’est plus une soirée ponctuelle dans l’année, mais bien un long processus de plusieurs mois, se suivant au quotidien. Ces dix dernières années nous auront offert des moments mémorables et dramatiques, des prestations anthologiques et spectaculaires, des figures iconiques et éternelles. Qu’en retiendrai-je à titre personnel ? Les quatre victoires impossibles, pardi ! Quatre victoires de pays, perdus pour la cause en 2009 et qui ont triomphé en dépit des obstacles et des critiques. Quatre pays dont en 2009, j’aurais cru impossible le couronnement de mon vivant : l’Allemagne, l’Autriche, le Portugal et les Pays-Bas. Quatre pays d’Europe occidentale, participant de longue date, humiliés depuis des décennies et dont on n’attendait plus rien. C’est là une autre preuve flagrante de la vacuité des clichés sur le Concours : oui, l’on peut y traverser le désert durant un demi-siècle et malgré tout, le gagner. Il n’y a d’autre obstacle entre un diffuseur et le Micro de Cristal que la bonne volonté. La NDR, l’ORF, la RTP et AVROTROS l’ont démontré : avec un processus de sélection intelligent et rigoureux, la victoire est à portée de main.

Quel serait mon souhait pour cette nouvelle décennie ? Il est aisé à deviner : la victoire d’un pays francophone ! La France, la Belgique et la Suisse font désormais partie, avec l’Espagne, des quatre pays n’ayant plus gagné depuis le plus longtemps. Vous le constatez au quotidien : la réputation du Concours dans la sphère francophone demeure médiocre. Motif d’espoir : France Télévisions, la RTBF, la VRT et la SRG SSR se sont repris en main et entamé une longue remise en cause. Espérons qu’elle portera ses fruits dans les prochaines années. Les dernières victoires en date nous ont montré qu’il n’y avait pas de formule magique pour remporter l’Eurovision, mais plutôt une convergence d’éléments : un morceau évocateur, porté de préférence par son auteur-interprète (ou du moins, par un interprète qui s’y retrouve) et sublimé par une prestation mémorable (dans la joie ou dans l’émotion). Je distingue tout de même un point crucial : la collaboration avec les maisons de disques, passage obligé pour accéder à des auteurs-compositeurs professionnels et talentueux. Faute de quoi, l’on se retrouve comme la TVM et la TRM, avec pléthore de propositions amateurs n’ayant point le niveau requis.

Finalement, et j’en terminerai par là, le Concours est devenu un événement camp majeur. Il est désormais l’enceinte d’expression privilégiée des minorités, des alternatives et des libertés artistiques. Rares sont les autres occasions offertes de s’affranchir des carcans normatifs de notre société et d’explorer un vaste champ des possibles individuels. À ce titre, Bilal s’est avéré trés représentatif de la réalité actuelle du Concours. J’y vois personnellement un grand bien. Susan Sontag, qui a théorisé le concept de camp, serait ravie. Revers de la médaille : les personnes effrayées et hostiles à cette avant-garde sociétale qui remet en cause plusieurs millénaires de traditions occidentales, transforment l’Eurovision en cible privilégiée de leurs attaques. Inutile de les répéter ici, vous les connaissez. Que faire ? À part prendre son mal en patience, peu de choses… Tout de même, si vous lisez un article ou un commentaire ou voyez un reportage ou un documentaire, associant les mots « Eurovision » et « kitsch », transmettez à son auteur une copie du Notes on Camp de la dite Susan Sontag, disponible en libre accès. Il ou elle y apprendra la distinction majeure entre « camp » et « kitsch ». Et découvrira ainsi que l’Eurovision rélève du premier et non du second et que donc, l’aspect affirmatif y est tout aussi important que l’aspect musical.

C’est ici que je vous quitte. Provisoirement, rassurez-vous. Nous nous retrouverons très bientôt pour les premières nouvelles relatives à l’Eurovision 2020. Surtout, je vous laisse en compagnie de tous nos rédacteurs, pour un été drôle et mémoriel, émaillés de leurs chroniques inspirées. En leur nom à tous, je vous remercie mille fois pour votre fidélité, votre présence quotidienne, vos très nombreux commentaires et votre précieuse amitié. J’espère que vous avez aimé cet Eurovision 2019 et que vous demeurerez à nos côtés pour les éditions à venir. Je vous envoie mes amitiés depuis Bruxelles ! À très bientôt !