MUSI-POLITIQUE

Yoann B. : Je suis de nouveau très touché par ton expérience de l’Eurovision. C’est une véritable découverte pour moi. Je connais assez peu les années avant 2007. Je sais qu’il y a des pépites, des événements qui ont marqué le Concours, des déchirures, des guerres qui l’ont entaché… J’en apprends petit à petit et je commence vraiment à « apprécier » ce côté-là… L’ Histoire de l’Europe est forcément très liée au Concours et c’est passionnant de voir les parallèles qu’on peut faire entre les faits historique et l’Eurovision… Ce sont des questions que je ne me suis pas encore posées mais qui du coup, font surface à la lecture de tes réponses… 

Bien sûr, la Yougoslavie, l’explosion de l’URSS, la chute du mur de Berlin, la position délicate d’Israël certaines années, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et plus récemment la Crimée… Je reste intimement persuadé que ce concours a une portée politique, quoi que veulent en dire certains gardiens du temple. Et je trouve ça aussi assez « rassurant », quelque part… Que ce concours ne soit pas une bulle fermée sur elle-même…

Il y a forcément des amitiés agaçantes lors des votes (Grèce/Chypre, Russie/Bélarus, Suède/Norvège…), mais j’ai aussi du mal à comprendre le discours des commentateurs, français par exemple, qui pointent du doigt ces « magouilles affectives » et qui réclament des SMS à la Suisse ou la Belgique… Je ne regarde plus le Concours sur France 2, pour le coup !

Bref ! L’Eurovision et la politique européenne… Qu’en penses-tu?

Cette question porte un peu moins sur tes goûts ou ta vie, mais je suis très intéressé d’avoir ton point de vue, puisque tu as traversé plusieurs périodes troubles du Concours…

EUROVISTA : Comme tout grand événement international télévisé, l’Eurovision est forcément lié à la politique. C’est comme les JO. L’Eurovision vit au rythme des événements politiques. L’UER, avec son simple concours de chansons, est obligé de gérer des crises politiques (on l’a vu encore cette année) et ça ne doit pas être évident pour eux. On a beau souvent critiquer les décisions de l’organisme européen, nous ne sommes pas à leur place, et c’est parfois plus délicat qu’on ne le croit.  Et puis, l’émission est obligée de s’adapter à l’histoire, comme l’arrivée d’un grand nombre de pays suite à l’écroulement du rideau de fer. La politique s’invite au Concours et ce sera toujours comme ça. 

Et puis, il y a les votes géo-politiques. Au début, lorsque l’UER a annoncé que le public allait pouvoir voter, j’étais très content et très excité. Je me disais que les téléspectateurs allaient enfin être « acteurs » du Concours en y participant à travers leurs votes et que ça ne pouvait qu’être bénéfique pour le Concours. Et puis, on s’est aperçu que ce système avait ses lacunes, notamment des votes entre pays voisins et des votes de la diaspora. 

Au début, ces votes de copinages m’énervaient. Aujourd’hui, je m’en fous. Qu’un pays donne 12 points à son pays voisin… ce n’est pas ça qui va changer le résultat final. Que ces pays, systématiquement sifflés par le public au moment des votes, se ridiculisent devant 200 millions de téléspectateurs, c’est leur problème !

Les votes géo-politiques n’ont jamais déterminé le gagnant de l’Eurovision. Pour gagner l’Eurovision, il faut recevoir des points d’un très grand nombre de pays. Donc, le gagnant est classé dans les 10 premiers d’une grande majorité des pays participants, ce qui fait de lui un gagnant légitime. 

Que ce soit les votes de voisinage ou de la diaspora, s’ils avaient une quelconque influence sur le gagnant, ce serait toujours le même pays qui gagnerait. La presse a tendance (avec les commentateurs français du Concours) a trop mettre en exergue ces votes géo-politiques. Encore une fois, ces votes sont stériles, donc pas la peine d’en faire tout un plat. 

Et puis, j’ai remarqué que plus le temps passe, et plus les téléspectateurs (même ceux des pays de l’Est) privilégient la chanson et non plus le pays. Souvent jurys et téléspectateurs classent la chanson gagnante en première place (2012, 2013, 2014 et 2017). Ce n’est pas le fruit du hasard.

CHOUCHOU ET BONNET D’ANE

J’aime ta façon de voir les choses, sur la politique et la géo-politique dans ce concours ! Il est vrai, au vu des différentes victoires que ce ne sont pas les affinités géographiques qui font gagner ! Encore cette année, le Portugal, pays plutôt orphelin dans le damier politique de l’Eurovision, a raflé le trophée HAUT LA MAIN ! D’autant que le grand favori italien, qui loupe la marche, on ne s’y attendait vraiment pas… Personnellement, quand j’ai vu la coupe franche d’ « Occidentali’s Karma », j’ai tout de suite compris que c’était fini pour Francesco ! Quelle tristesse ! Mais quelle joie pour Salvador !… 

POR-TU-GAL ! Ce pays est vraiment en décalage complet quasi tous les ans, favorisant la langue nationale, signant ses propositions avec une forte empreinte de sa culture, de son folklore… Je t’avoue, je trouve ce pays vraiment étonnant et fascinant dans cette compétition ! Je ne me suis pas encore vraiment penché sur l’année 2008 (le retard se rattrape petit à petit !) mais j’ai écouté un peu, et le titre de Vania Fernandes me plait beaucoup… En tout cas, carrément plus que l’architube, archiproduit, archirusse titre de Dima Bilan!

Bref, je n’ai absolument aucun lien avec le Portugal, mais j’ai une affection toute particulière pour ce pays, depuis mes débuts d’Eurovision, comme j’ai toujours beaucoup soutenu l’Ukraine et l’Italie. Aussi, j’ai très envie de voir une victoire islandaise rapidement, ce pays prend ce concours au sérieux et le soutient tellement qu’il le mérite bien ! Encore faut-il trouver une bonne chanson !  

Et toi ? Y a-t-il, malgré toi ou non, un ou plusieurs pays qui te touchent particulièrement dans ses propositions ? Je ne t’imagine pas adhérer aveuglement tous les ans à ce que propose un pays, cette question peut être un peu étrange ! Mais des fois, il y a des coïncidences à aimer tous les ans les mêmes pays… Et au contraire, y a-t-il un pays en lequel tu ne crois tellement pas que tu te demandes s’ils ne viennent pas uniquement pour faire acte de présence ?

Eh bien, étant donné que j’ai une quarantaine d’Eurovision derrière moi, je dirais que ça dépend des époques. Dans les années 80, mon pays de prédilection était le Luxembourg. Plus que la France, c’était ma chanson, celle que je supportais pratiquement chaque année, celle que j’étais toujours impatient de découvrir. Il faut dire que j’habite très près de ce petit pays, et qu’à l’époque, la chaîne en charge de la diffusion prenait le Concours très au sérieux, organisant même des émissions d’avant-premières deux semaines avant l’événement où toutes les chansons étaient présentées. RTL Télévision prenait l’émission comme un réel événement, plus qu’Antenne 2 à l’époque. D’ailleurs, je regardais le Concours tous les ans sur RTL. Je tiens à rendre hommage à Valérie Sarn, qui nous a quittés il y a quelques temps, et qui a commenté le Concours pour RTL pendant de nombreuses années et avec un professionnalisme impeccable.

Les propositions du Luxembourg étaient souvent très soignées, et c’était souvent RTL, la grande radio française qui sélectionnait le candidat. Il y a eu parfois des couacs, comme Sophie Carle. Et pourtant, je comprends ce choix. En 1984, le sponsoring était interdit (il est arrivé en 1987 pour Bruxelles) et l’organisation complète du Concours devait être financièrement supportée par la chaîne de télévision organisatrice. Donc, au printemps 1984, les programmes de RTL ont subi de sérieuses coupes budgétaires. Les programmes d’été ont débuté fin avril alors qu’habituellement ils arrivaient en juillet, et les rediffusions étaient légions. La chaîne n’a jamais dit pourquoi, mais on savait tous que l’organisation de l’Eurovision y était pour quelque chose. Donc, on comprend le choix de Sophie Carle, et la volonté d’être sûr pour RTL de ne pas gagner.

A l’heure actuelle, je n’ai plus de pays chouchou. Je peux détester une chanson d’un pays une année, et l’adorer l’année suivante.

En y regardant de près, il y a un pays qui ne m’a pratiquement jamais déçu en matière d’Eurovision (parce que sinon, le pays à lui seul est une déception), c’est l’Azerbaïdjan. J’exècre le régime politique de ce pays, mais je dois dire que c’est un des plus grands compétiteurs actuels de l’Eurovision. Il ne fait jamais de figuration, il est là pour gagner, et sélectionne chaque année des chansons capables d’aller très haut dans le classement.

La Suède fait aussi partie des grands compétiteurs. Je n’aimais pas du tout leurs contributions des années 80 et 90 que je trouvais trop « suédoiseries sucrées », mais depuis 2010, j’ai aimé toutes leurs chansons présentées sur la scène de l’Eurovision.

La France, bien sûr. Elle ne m’a pas toujours fait grimper au rideau, mais il faut avouer quand même qu’on a eu (et je pense qu’on aura encore) de très bonnes chansons.

Et puis il y a en ce moment la Belgique, la « nouvelle guerrière » de l’Eurovision avec ses 3 top 10 consécutifs, qui, si elle continue comme ça, risque bien un jour de gagner le Concours. Quant à la Suisse, c’est un peu la « Belle aux bois dormant » de l’Eurovision : j’attends son réveil avec impatience, persuadé que ce pays peut faire des choses grandioses à l’Eurovision s’il s’en donne la peine !

Enfin, le Portugal me touche beaucoup. Je n’ai pas toujours été fan de leurs contributions, mais il me touche dans le sens où c’est un des rares pays vraiment authentique dans ce concours : un pays qui n’a pas la volonté de gagner (ils ont été bien surpris à la RTP cette année), mais qui a la volonté de nous faire découvrir leur culture musicale entre fado et folklore. Ils sont fiers de leur patrimoine musical, et je trouve ça formidable. 

S’il faut donner un bonnet d’âne à un pays, je le donnerais malheureusement à Saint-Marin. Je n’ai aimé aucune de leurs contributions, pas même « Crisalide » que beaucoup de fans adorent. Mais à la décharge de cette petite république, je comprends parfaitement qu’avec un budget très serré, on ne puisse pas envoyer des chansons 5 étoiles.

A SUIVRE…