Le plus pénible pour moi dans ce confinement n’est pas d’être enfermé chez moi. Le plus pénible est d’être séparé de ma famille et de mes amis. Déjà un mois sans les voir, de quoi assombrir mon humeur… Heureusement, pour pallier à ce chagrin et pour remettre de la gaieté dans mon cœur, il y a les schlager divas !

Ce n’est plus un mystère : j’éprouve une irrésistible et coupable attraction pour ces Eurodivas s’adonnant avec force et conviction aux joies des mélodies rythmées et faciles. Il me suffit de les réécouter ou de revoir leur prestation pour être de nouveau en joie. Voici donc une petite compilation de dix chanteuses à trempe qui ont illuminé mes Saisons eurovisionesques, avec dix chansons à prendre au second degré (… ou pas).

Vous le constaterez : seule l’une de ces monstres sacrés a béni de sa présence la scène de l’Eurovision. Ne croyez pas que cela m’ait chagriné. Non : les meilleures schlager divas sont celles que l’on honore par devers soi, en un culte silencieux.

2005 – Suède – Arja Saijonmaa – Vad du än trodde så trodde du fel – 8e en demi-finale

C’était la première fois de ma vie que je suivais le Melodifestivalen et je n’ai pas été déçu, entre Alcazar, Linda Bengtzing, Shirley Clamp, Fredrik Kempe en duo avec Sanna Nielsen, Bodies Without Organs, Jessica Folcker, Caroline Wennergren, Katrina Leskanich et bien sûr, Nanne Grönvall (qui aurait dû l’emporter). Mais j’ai été foudroyé par Arja Saijonmaa. J’ai ressenti de manière très intense de la schlagerschmeichelei, concept qui oriente ma vie d’Eurofan : soit un plaisir coupable ressenti devant de la musique populaire, plaisir dont on est loin d’être dupe, mais auquel on succombe malgré tout. Tout y était : l’annonce triomphale, le cri initial, le brushing impeccable, le manteau de fourrure, le satin blanc, le podium, les choristes à foulard, le strass, les paillettes, cette ambiance camp et surtout, ce morceau rococo et surjoué. Les Suédois n’y crurent pas un seul instant : Arja termina dernière de sa demi-finale. Mais depuis, elle occupe une place spéciale dans mon panthéon personnel : ma toute première schlager diva.

2007 – Suède – Anna Book – Samba Sambero – 9e en finale

Après pareille introduction, je devins fan du Melodifestivalen et grâce à lui, je vécus certains de mes meilleurs moments d’Eurofan, spécialement dans les années 2000. Ainsi, en 2007, je fus gâté : Jessica Andersson, Cosmo4, Måns Zelmerlöw, Magnus Carlsson, The Attic & Therese, Sanna Nielsen, Andreas Johnson, Sarah Dawn Finer, n’en jetez plus. Mais la schlager diva qui me ravit plus que toute autre, fut sans conteste Anna Book et son mémorable Samba Sambero, écrit spécialement pour elle par Thomas G:son. Trois minutes de non sens musical complet, fusion de schlager et de samba, porté par une Anna au sommet de son art. Voyez-la : elle y croit dur comme fer. Sa prestation était agrémentée d’une chorégraphie empilant les clichés les uns sur les autres, menée par un danseur en marcel pailleté. Que demander de plus ? Les Suédois expédièrent Anna directement en finale. Là, elle fut boudée par les jurys et abandonnée sans explication par les téléspectateurs, finissant avant-dernière avec un tout petit point seulement. Une cruelle punition, mais trois minutes inoubliables…

2008 – Lituanie – Aistė Pilvelytė – Troy On Fire – 2e en finale

Nous lui avons déjà consacré un article entier. Inutile donc de revenir longuement sur cette Eurolégende ambulante qu’est Aistė Pilvelytė. Sachez que c’est en 2008 et par le biais de son monumental Troy On Fire que je fis sa connaissance et que je succombai instantanément à sa voix magique. J’avais été attiré, comme un papillon, par le titre de sa chanson. Notre rencontre était écrite dans les étoiles. Depuis, je ne l’ai plus quittée. Ce fut également la toute première fois que je suivis la sélection lituanienne. Et ce fut donc la première d’une longue série de cruelles déceptions à cet endroit. La victoire de Jeronimas Milius me laissa effondré. Deux mois plus tard, j’éprouvai une profonde Schadenfreude lorsqu’il fut sèchement éliminé en demi-finale de l’Eurovision. Douze ans plus tard, j’attends toujours qu’Aistė foule la scène du Concours. Je ne perds pas espoir.

2008 – Espagne – Coral Segovia – Todo está en tu mente – 2e en finale

Pendant ce temps-là, en Espagne, la RTVE nous concoctait une sélection baroque et inutilement compliquée, à laquelle je finis par m’intéresser, grâce à cette chère Coral. En résumé, un vote en ligne devait déterminer les finalistes. Mais qui dit Espagne et vote en ligne… Cette idée explosa au nez de la RTVE et se révéla un sacré fiasco. Que m’importait : j’avais succombé à ce schlager espagnol, derrière lequel se cachait en réalité… Thomas G:son. On ne se refait pas. La bouillante et peu conciliante Coral en délivra une interprétation qui me renversa de rire sur mon canapé. Ses trémolos dans la voix, sa crinière flottant au vent, ses danseuses en mode boudoir et les Eurofans chauffés à blanc dans la fosse et au balcon créèrent une impression à jamais gravée dans ma mémoire. Le pire dans tout cela, était ma profonde conviction que Coral l’emporterait sans coup férir. Combien étais-je dans l’erreur, puisque que ce fut Rodolfo Chikilicuatre qui décrocha une magistrale victoire, laissant Coral sur la deuxième marche du podium. La soirée se termina dans la confusion la plus totale et la participation espagnole se transforma en chemin de croix pour la RTVE, avec au final une petite seizième place à Belgrade. Depuis, je loue Coral et je boude toujours Rodolfo.

2008 – Belgique – Tanja Dexters – Addicted To You – 5e en demi-finale

C’était un autre temps, c’était une autre époque… C’était au temps où la télévision belge néerlandophone organisait encore des sélections nationales… L’Eurosong 2008 fut un morceau de choix, un morceau de roi, qui bénit mes dimanches soirs durant pas moins de sept semaines. J’ai regardé cela avec délectation et voté comme un dangereux maniaque pour mes Eurostars nationales préférées. Vous le devinez sans peine : cela s’est terminé dans les larmes et la douleur. Le malheur d’avoir des goûts décalés et alternatifs… Pourtant, il y a en tant que j’aimais : Katy Satyn, Brahim, Femme Fatale, Nelson, Geena Lisa et la sublime Sandrine plus que tout. Mais celle qui me fit rugir de rire, fut sans conteste l’ex-Miss Belgique Tanya Dexters. Après une première tentative catastrophique en 2002, Tanya nous offrit un schlager bien senti, composé par… devinez qui… oui : Thomas G:son. Elle avait suivi des cours de chant intensifs et se montra à la hauteur des attentes placées en elle. Elle nous offrit ainsi trois minutes explosives et à la mesure de son personnage haut en couleurs. Son parcours fut brisé en demi-finale, malgré les compliments du jury. En finale, nos amis néerlandophones, malgré mes textos désespérés, envoyèrent le groupe Ishtar à Belgrade. Ce fut un désastre. Je n’y repense d’ailleurs qu’avec peine… Tanya, de son côté, a poursuivi sa carrière de bekende Vlaming (Flamande célèbre, un concept), mais remisé, hélas, celle de chanteuse…

2010 – Malte – Claudia Faniello – Samsara – 8e en finale

Restons encore un instant en 2008. Oui, encore. Une année des premières fois, puisque j’y découvris les joies et les plaisirs décalés de la sélection maltaise. Morena retint toute mon attention, mais surtout, j’y fis la connaissance d’une demi-déesse eurovisionesque : Claudia Faniello, dont le curieux Caravaggio me causa quelques fous rires. Deux années plus tard, elle conquit une forteresse dans mon cœur avec son sublissime Samsara, monument musical composé par le duo de choc Philip Vella-Gerard James Borg. Le restant de la sélection m’interpella moins et je la suivis donc distraitement. La prestation de Claudia en demi-finale me déçut. Non pas sa robe de harem, ses danseurs des 1001 nuits, sa voix off, son rideau d’étincelles, ni même ses réminiscences poussées d’Every Way That I Can. Mais bien sa prestation vocale, décevante. En finale, Claudia rattrapa la sauce et se montra digne de son talent. Trop tard, hélas. Le jury la flingua en plein vol, la classant 17e sur 20. Le public lui accorda une quatrième place. Elle termina ainsi huitième, mais entra de plain-pied dans ma légende personnelle. La victoire vola à Thea Garrett, son ange et son rêve. Un choix peu judicieux, puisqu’elle fut éliminée en demi-finale, à Oslo.

2010 – Suède – Linda Pritchard – You’re Making Me Hot-Hot-Hot – 5e en demi-finale

Nouvelle décennie, nouvelle ambiance et début de mes déboires personnels au Melodifestivalen. Le temps avait passé et les goûts du public suédois se mirent à diverger insensiblement des miens. Ainsi, en 2010, j’eus bien des coups de cœur… qui furent brisés en nombre. Le début d’une longue tradition qui perdure encore aujourd’hui : il suffit que je m’enflamme pour une proposition pour qu’elle soit aussi descendue en flammes lors de sa demi-finale. Cette année-là, je dis aussitôt adieu à Jenny Silver et Sibel, avant de voir Pauline et Alcazar éliminés à l’Andra Chansen. Encore pus-je m’estimer heureux puisqu’en finale, il me resta tout de même Darin, Andreas Johnson, Timoteij et Eric Saade. Anna Bergendahl remporta la timbale à ma déception et avec le résultat que vous connaissez. Mais rien ne me peina plus que l’élimination d’emblée de ma schlager diva de l’année : Linda Pritchard. Ruisselante de sequins, la crinière flamboyante, le sourcil arqué et la botte conquérante, elle m’offrit trois minutes de ravissement interstellaire. Son morceau était un non sens absolu, l’antimatière d’une chanson à texte, constellé des strophes épiques : « je t’ai regardé toute la nuit et j’ai aimé la vue » ; « doucement et lentement, personne d’autre ne le saura, ceci est un show privé » et le morceau de bravoure, « tu me donnes chaud-chaud-chaud ». Surtout, Linda en délivra une prestation surjouée, pleine de poses et d’attitudes artificielles et atteignant le dernier degré du camp. Ce passage où elle trottine sur la scène et celui où elle lève la botte… Du pain béni, du nanan pour les amoureux du genre comme moi. Linda échoua à la cinquième place de sa demi-finale, retenta sa chance en 2011, avec un résultat quasi identique, puis disparut du paysage. Ce fut avec une joie non feinte que je la retrouvai l’an dernier. Seulement comme choriste et pour une dernière place qui plus est, mais mon affection lui demeure fidèle et intacte.

2012 – Pays-Bas – Raffaëla Patton – Chocolatte – finaliste

Sautons de deux années dans le temps et atterrissons en 2012, au terme d’une période difficilement concevable en ce mois d’avril 2020 : la traversée du désert des Pays-Bas. Une longue, pénible, douloureuse et historique traversée du désert : sept années consécutives d’élimination en demi-finale. Ayant atteint le degré zéro de l’Eurovision, la télévision publique néerlandaise se résolut à une ultime sélection nationale et en livra les clés au pape de la téléréalité, John de Mol. Des six chansons retenues pour la finale, cinq me laissèrent froid. Mais la sixième ! Petit Jésus : elle m’ébouillanta et me fit entrevoir la lumière au bout de ce tunnel de ténèbres eurovisionesques. Il s’agissait de ce chaud Chocolatte porté par une diva d’ampleur biblique : Raffaëla Patton. Mon cœur lui appartint dès la première mesure de ce schlager sans queue ni tête, rare et précieuse chanson eurovisionesque dédiée au chocolat et à ses plaisirs. Car si la paix et l’amour tiennent le haut du pavé à l’Eurovision, la nourriture y est curieusement absente, même sous la forme de métaphore. Sur ces entrefaites, notre ami John de Mol eut une curieuse idée : opposer les candidats en duels. Une méthode ayant rarement fait ses preuves, mais enfin… Vous le devinez : j’étais intimement convaincu que Raffaëla ne ferait qu’une bouchée de sa concurrente, Joan Franka. Sa prestation me transporta aux anges. Raffaëla, sa perruque rouge, ses jarretières orange et ses choristes coordonnées se gravèrent à jamais dans ma mémoire. Notez surtout la tête de Joan Franka durant ces trois minutes affranchies de toute limite : elle pense clairement que ses carottes sont cuites. Sauf que jury et public se détournèrent de Raffaëla et couronnèrent Joan et sa ballade émouvante, en total contraste avec l’extravagance et l’exubérance de Chocolatte. La suite vous est connue : les Pays-Bas furent éliminés une huitième fois consécutive en demi-finale, un record qui tient toujours. Mais dès l’année suivante, ils inversèrent la malédiction, jusqu’à figurer désormais parmi les piliers du Concours. Raffaëla, quant à elle, a totalement disparu de la scène médiatique.

2018 – Albanie – Manjola Nallbani – I njëjti qiell – finaliste

Six ans plus tard, les temps sont devenus rudes pour les schlager divas. Elles ont été chassées du devant de la scène. Leurs participations à des sélections nationales se font de plus en plus rares. Le Melodifestivalen, qui était leur fond de commerce, les boude. C’est dans cette atmosphère lugubre que la télévision albanaise, souvent retard d’une guerre musicale, décide d’en rappeler l’une des plus belles et des plus talentueuses : Manjola Nallbani. L’occasion d’un curieux éclectisme : celui d’un schlager au Festivali i Këngës. Certes, le FiK n’est pas avare en divas. Mais elles ne s’y produisent qu’avec des ballades albano-albanaises au conformisme confondant, telles Mariza Ikonomi, Rezarta Smaja, Flaka Krelani, Xhesika Polo ou encore Albërie Hadërgjonaj. Ici, occasion de l’un de mes plus beaux cadeaux de Noël, Manjola s’adonna aux joies de la facilité musicale. J’en profitai d’autant plus que le plaisir serait rare et éphémère. Impensable que le sourcilleux jury de la RTSH couronne pareille meringue. Improbable que les nouveaux organisateurs du FiK retiennent à l’avenir d’autres schlagers. Ce fut un plaisir sous le sapin : Manjola, apprêtée au dernier degré, se comporta comme la véritable diva qu’elle était, se payant même le luxe d’un rappel. Elle se qualifia pour la finale, mais ne termina point sur le podium. Je m’y étais préparé et depuis, guette la moindre de ses apparitions sur YouTube. Elle ne me déçoit jamais.

2018 – Slovénie – Nuška Drašček – Ne zapusti me zdaj – 3e en finale

Concluons par une dixième occurrence jouissive et imprévue. En mon âme, j’avais accepté la fin de l’âge d’or des schlager divas. Elles appartiendrait désormais aux livres d’histoire et aux riches heures du Concours. Elles m’accompagneraient pour longtemps, mais au rang de souvenirs. De mon côté, j’avais de toute façon évolué et développé mes goûts musicaux. En 2018, il m’aurait semblé incongru de voir une schlager diva sur la scène de l’Eurovision. D’où ma surprise et mon ravissement quand Nuška Drašček déboula à la sélection slovène avec cet inénarrable et difficilement prononçable Ne zapusti me zdaj. Ce fut une dernière fois, une toute dernière fois le retour du grand amour. Ma jeunesse s’était enfuie avec mes cheveux et ma taille de guêpe, mais mon cœur rebrûla avec l’ardeur de mes vingt ans, tandis que Nuška nous offrait une prestation anthologique de son schlager. Tenant la note à grands coups de poumons, les cheveux gaufrés, le regard intense, la chorégraphie millimétrée, Nuška m’envola au septième ciel et ses « zda-a-a-a-aj » me renversèrent de rire sur mon canapé. Je jetai aussitôt un mouchoir sur mes espoirs. Le public slovène retint cependant Nuška parmi les finalistes et grâce à lui, elle obtint une belle troisième place. Ce fut là mon chant du cygne des schlager divas.

Ainsi, se conclut cette playlist (…ou presque). J’espère qu’elle vous aura distrait le temps de sa lecture et vous aura autant fait rire à la lire que moi à l’écrire. Puissent ces dix chansons et leurs interprètes vous apporter, évasion et dérivatif en ces journées troublées. Je vous envoie mes amitiés depuis Bruxelles et vous souhaite la meilleure santé possible. À très bientôt !

Bonus – 2018 – Roumanie – Waleska – Renacer – 10e en demi-finale

Une véritable schlager diva honore son public et ses fans inconditionnels en leur offrant d’impeccables prestations vocales. Sinon, trahison, elle ne peut prétendre être au titre ! Ainsi de Waleska, participante de la mythique Selectia Nationala 2018. Tous les ingrédients étaient pourtant réunis pour couronner une nouvelle schlager diva. Sauf un : la voix. Sa prestation se révéla donc une trahison au schlager en tant qu’art majeur.