Merci ! En un mot comme en cent, merci. Merci pour cette pluie de messages que vous avez fait ruisseler sur ma modeste personne, suite à mon article de jeudi. J’en ai été émue aux larmes. Votre soutien, votre amitié et vos encouragements m’ont été droit au cœur. « Ça, Suzanne, ce sont de vrais amis. », ai-je dit à Madame Martineau. Oui, désormais, je vous considère comme mes amis, vous les fidèles lecteurs de l’EAQ, son pouls battant, sa sève et son sang. Qu’une si humble retraitée du Vésinet soit ainsi portée aux nues me touche aux tréfonds de mon âme. Surtout, cela m’oblige envers vous. C’est donc le devoir chevillé au corps que je poursuis cette série dominicale.

Bien entendu, j’ai transféré vos épîtres à qui-vous-savez. Vous vous en doutez : « on » a fait la sourde oreille, « on » ne m’a pas répondu, « on » a poursuivi son odieuse politique du mépris silencieux. Mais « on » ne perd rien pour attendre. Comme je dis toujours : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. » Je patienterai donc le temps qu’il faudra jusqu’à ce qui-vous-savez s’en aille de lui-même (ce qui ne saurait tarder au vu de la médiocrité de son travail). Et là, notre très cher Eurovista aura enfin la latitude de me nommer co-administratrice. Ce petit blog, outragé, brisé, martyrisé sera libéré ! J’ai déjà décidé de ma première mesure : lui imposer le bleu-blanc-rouge comme couleurs obligatoires d’apparence. Ce sera beau. Ce sera autre chose que cette affreuse combinaison de rose et de noir. Quelle faute de goût ! À se demander si les décideurs sont réellement homosexuels…

Dans l’attente de cette épiphanie, revenons ensemble sur un autre Eurodrame décennal au long cours, qui prend ses sources dans la décennie précédente et qui aura suscité bien de l’agitation sur ce tout petit blog. Car si les années 2010 ont été marquées par le conflit entre la Russie et l’Ukraine, elles ont aussi vu perdurer celui entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. À nouveau, je ne vous rédige pas une leçon d’histoire et de géopolitique complète, vous êtes intelligents : vous lirez l’article détaillé sur Ouikipédia.

En résumé, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se disputent depuis 1988 la souveraineté sur le Haut-Karabagh, enclave peuplée majoritairement de personnes d’origine arménienne et officiellement située en Azerbaïdjan. Depuis 1994, le conflit est gelé. Le Haut-Karagh s’est érigé en république auto-proclamée en 1991 et n’a été reconnu par aucun état-membre des Nations-Unies. Aucune relation diplomatique n’existe entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, de facto en état de guerre. Des affrontements armés récurrentes se déroulent perpétuellement sur les lignes de front. Le conflit a causé jusqu’à présent près de 30.000 morts et plus d’un million de réfugiés.

Son absence de résolution s’explique également par le contexte géostratégique de la région et l’implication de trois grandes puissances régionales : la Russie, la Turquie et l’Iran. Ces trois pays jouent un rôle ambivalent de médiateurs neutres et de parties parraineuses intéressées. La conclusion provisoire, triste et bismarckienne, est que le gel de la situation profite aux intéressés, qui n’ont donc aucun souhait profond de résoudre cette question du Haut-Karabagh.

Fatalement, ce conflit a des répercussions sur le Concours. Pour rappel, l’Arménie y fait ses débuts en 2006 et l’Azerbaïdjan, en 2008. L’Eurodrame éclate dès 2009. Dans la carte postale de l’Arménie, projetée durant la demi-finale, apparaît le désormais célèbre monument « Nous sommes nos montagnes » (ci-dessus), érigé à Stepanakert, capitale auto-proclamée du Haut-Karabagh et symbole voulu de la présence arménienne.

La délégation azerbaïdjanaise proteste auprès des organisateurs russes et le monument est enlevé de la carte postale de la finale. En rétorsion, la délégation arménienne le fait apparaître à deux reprises durant l’annonce des votes nationaux par Sirusho.

Suite à la publication des résultats détaillés, certains des 43 Azerbaïdjanais ayant voté pour l’Arménie sont convoqués pour interrogatoire au Ministère de la Sécurité Nationale et accusés d’attitude anti-patriotique. L’UER émet une plainte formelle, Bakou nie en bloc, la télévision publique azerbaïdjanaise écope d’une amende et le règlement du Concours est modifié. Désormais, les diffuseurs participants seront tenus responsables de toute divulgation d’informations permettant d’identifier les votants.

Après deux années relativement calmes, 2010 et 2011, 2012 voit cet Eurodrame atteindre un nouveau pic. Et pour cause : l’Azerbaïdjan ayant remporté la victoire en 2011, l’Eurovision est organisé à Bakou. Le pays-hôte tente un premier geste en amendant sa politique de visas, de sorte à permettre à la délégation arménienne d’entrer sur son territoire. Côté arménien, citoyens et personnalités publiques lancent une grande campagne de boycott.

Le 7 mars, la télévision publique arménienne annonce qu’elle ne participera pas à l’Eurovision 2012. Selon elle, les conditions de sécurité ne sont pas réunies. La télévision publique azerbaïdjanaise déclare regretter cette décision. Au vu de la date tardive de ce retrait, l’AMPTV reçoit une amende.

Le rebondissement suivant a lieu en 2015. En commémoration du centenaire du génocide arménien, l’AMPTV réunit six artistes issus du pays ou de la diaspora pour former le groupe Genealogy. S’ensuit la présentation de leur morceau pour Vienne, initialement intitulé Don’t Deny. Aussitôt, la délégation azerbaïdjanaise accuse son homologue arménienne de vouloir transmettre un message politique à l’adresse des pays ne reconnaissant pas la réalité historique du génocide, à commencer par la Turquie et l’Azerbaïdjan.

Par conséquent, le titre du morceau est modifié en Face The Shadow. La délégation arménienne nie toute tentative d’instrumentalisation et avance une meilleure mise en avant du thème. Genealogy terminera seizième de la finale.

Nouvel épisode en 2016. Rompant le règlement du Concours, qui ne permet de montrer que des drapeaux d’états-membres des Nations-Unies, la représentante arménienne, Iveta Mukuchyan, brandit le drapeau du Haut-Karabagh durant un récapitulatif de la première demi-finale.

Le lendemain, les officiels azerbaïdjanais hurlent à la provocation. De son côté, l’UER sanctionne la télévision publique arménienne et annonce qu’en cas de récidive, elle sera bannie du Concours pour une durée à déterminer. De son côté, le Petit Journal ne manque pas d’interroger en coulisses Samra et Iveta l’une sur l’autre.

Dernier épisode en date, en 2019. La télévision publique azerbaïdjanaise introduit une plainte officielle auprès de l’UER, suite à la finale. ITV estime que la visualisation de la carte de l’Azerbaïdjan montrée durant le vote était partiale, puisque n’incluant pas le Haut-Karabagh.

Outre ces incidents, le conflit a également un impact direct sur les votes des deux pays. En une décennie, à aucune reprise, l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’ont voté l’un pour l’autre. Et depuis 2016, les jurés des deux pays placent systématiquement l’autre à la dernière place de leur classement.

Vous en jugerez : l’une des victimes collatérales de cette guerre est l’esprit de l’Eurovision. L’événement a pour objectif la coexistence harmonieuse et pacifique de ses participants et de ses spectateurs. Or dans le cas de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, la haine et la querelle l’emportent sans cesse. Les plus optimistes se concentreront sur l’avers de la médaille : malgré tout, les deux pays participent et se côtoient lors d’une circonstance heureuse et festive. C’est peu et beaucoup à la fois. Au moins une fois par an, ils collaborent à la réalisation commune d’une émission rassemblant les peuples et les nations par delà les frontières et les blessures. À peine la nervure d’une feuille du rameau porté par la colombe de la paix, à peine l’ombre de l’espoir, l’espoir malgré tout…

Là-dessus, quelque chose me dit que l’Arménie et l’Azerbaïdjan se réconcilieront plus rapidement que moi et qui-vous-savez. Attention : je ne « lui » veux aucun mal. Non, je suis humaine et humaniste avant tout. Je « lui » souhaite simplement d’aller voir ailleurs si j’y suis. Au fond, pourquoi ne lance-t-« il » pas son propre blog ? Cela s’appellerait « Pauly est nul au quotidien » – PENAQ. Là au moins, « il » nous ficherait la paix avec ses schlager divas suédoises, ses problèmes de surpoids et de calvitie et surtout, ses règlements mesquins et étriqués.

Dans l’attente d’enfin pouvoir respirer et vivre libres et heureux, je vous adresse mes amitiés depuis Le Vésinet. Prenez bien soin de vous et revenez la semaine prochaine, même lieu, même heure pour un autre Eurodrame. Vive la République ! Vive la France ! Vive l’EAQ libre !

Francine Michu

Crédits photographiques – UER / Marcin Konsek