Junior-Eurovision-2015destiny« Ils peuvent m’enlever le rythme, ils peuvent m’enlever l’or, mais ils ne pourront jamais m’enlever mon âme ! » Ces paroles ne pourraient résonner avec plus d’acuité qu’en ces semaines marquées par la tragédie, le sang et la fureur. Elles sont pourtant chantées et portées par une jeune fille de treize ans, qui en trois minutes, est devenue, samedi dernier, une star internationale. « No, no, no, not my soul ! » Destiny Chukunyere a non seulement remporté la treizième édition du Concours Eurovision Junior, mais elle a lancé un hymne, un leitmotiv que le monde reprendra en chœur. Avec ses propres mots, la chanteuse a su transcrire un état d’esprit, un moment, une époque. Elle a écrit une page majeure de l’histoire du Concours Junior, elle a surtout incarné tout l’idéal paneuropéen des pères fondateurs de l’Eurovision : unir les nations du Vieux Continent autour de valeurs communes, lui créer un imaginaire collectif et éloigner d’elles le spectre de la guerre. En voilà une belle envolée lyrique ! À tout seigneur, tout honneur : revoyons d’emblée cette prestation déjà mythique (du moins, dans notre cœur de fans du Concours).

Äåòñêà Åâðîâèçèÿ 2015Il était donc 19h30, ce samedi 21 novembre 2015, lorsque nous nous installâmes devant notre poste de télévision, pour rejoindre Sofia, Poli Genova et une bande de mômes ayant abusé des sucres rapides. Dehors, c’était le chaos : Bruxelles était en état de siège, une dizaine de kamikazes s’apprêtaient à mettre la capitale à feu et à sang, il n’y avait plus âme qui vive dans les rues, musées, commerces, gares, tout était fermé, la population s’en remettait aux forces de l’ordre, nous étions sur le qui-vive, tressaillant à la moindre sirène, au moindre gyrophare. Il fallut le prologue du Te Deum de Marc-Antoine Charpentier pour nous emmener au loin, en Bulgarie, à deux mille kilomètres de chez nous. C’était le Concours Eurovision Junior ! Comme vous l’a expliqué Eurovista, le Concours Junior a des faux airs de Concours à l’ancienne : une seule soirée, un petit nombre de pays, des candidats qui chantent dans leur langue nationale,… La comparaison s’arrêtait là. Car il faut l’avouer, le Concours Junior a longtemps ressemblé à une fancy-fair vaguement embarrassante, à l’amateurisme flagrant et aux chansons parcourant toute la gamme du ridicule.

Cependant, depuis trois ans, le Concours Junior a entamé sa révolution copernicienne. La qualité musicale des morceaux s’est élevée, comme la qualité artistique des prestations. Parallèlement, la production est devenue professionnelle, au point d’en remonter au Concours lui-même. Nous pouvons ainsi vous recommander de suivre le Junior, d’au moins le regarder, il vous offrira d’excellents moments et vous fera patienter jusqu’à l’ouverture de la Saison des finales nationales (à ce propos, J-30 avant Tirana !). Cette édition 2015 ne manquait pas d’intérêt : pour la première fois, la télévision bulgare organisait une finale à domicile. Ses responsables s’en sont tirés à merveille : la scène était parfaite et les visuels, très réussis. La BRT est prête pour une victoire, si seulement elle s’en donnait les moyens… Mais c’est là un fort long débat… Nous l’avouons : le choix de Poli Genova comme présentatrice de la soirée, nous avait laissé sceptiques. De fait, elle nous a cassés les oreilles trois heures durant. Cette manie d’hurler hystériquement dans son micro… Mais c’est hélas un tic chez les présentateurs du Concours Junior… Nous étions prêts à l’envoyer sur un bûcher, quand elle nous a retournés comme un gant. Son interprétation, pour l’entracte, de Where Is My Dress ?, était tellement camp, que nous avons ri, puis applaudi des deux mains.

Écran de fumée que ces interludes. Depuis deux semaines déjà, nous tenions notre favorite : Destiny, pour Malte, avec son morceau soul, réminiscence d’Aretha Franklin. Nous l’avions marqué dans nos classements personnels et lorsqu’elle ouvrit la bouche, sur le coup de 21h, nous sûmes qu’elle allait gagner. Nous ne nous trompions point, nous fûmes cependant étonnés que le résultat soit si serré. Mais ne perdons pas de vue que le public du Concours Junior est essentiellement enfantin et que ses critères d’élection diffèrent des nôtres, adultes critiques, habitués à juger sévèrement les prestations plus réfléchies du Concours. Destiny, quant à elle, posséda la scène, les spectateurs et les téléspectateurs. Elle fut incroyable, bluffante, débordante de charisme et de joie de vivre. Sa voix, chaude et riche, nous envoûta, sa prestation fut exceptionnelle, parfaite, sans faute. Nous le déclarons : ces trois minutes furent du niveau du Concours tout court. Fermez les yeux et imaginez-la avec trois ans de plus. Ne pourrait-elle apporter à Malte, sa première victoire tant attendue ? Nous vous rappelons au passage que cela fait quarante-cinq ans que l’île-état participe au Concours, sans jamais l’avoir remporté. Vous dire : seul le Portugal fait pire (cinquante-deux ans) !

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Bref, il serait temps que la télévision maltaise remise le MESC au placard et innove ! Épargnez-nous les auteurs, compositeurs et interprètes qui reviennent année après année, se citant et se répétant à l’infini, épargnez-nous les jurys à côté de la plaque et de leurs pompes, épargnez-nous ces tonnes de mascara, de faux cils, de laque et d’extensions et surtout, épargnez-nous ces tunnels publicitaires pour les agences de voyages locales ! Ouvrez la porte à de l’air frais et neuf, à des jeunes pousses, des jeunes talents, des outsiders, des véritables gemmes, des artistes de demain, à l’avenir, quoi ! Vous voulez une victoire : donnez-vous en les moyens ! La preuve : en trois ans, Malte a remporté à deux reprises le Concours Junior. Tout est possible. Là-dessus, Destiny est devenue la reine de l’île et de nos cœurs. Cette petite a le potentiel d’une grande et nous espérons que le succès l’accompagnera à chaque pas, elle le mérite cent fois. Elle nous a conquis et nous lui sommes redevables d’un de nos meilleurs moments d’Eurovision. Notre seul regret fut de n’avoir pu voter pour elle. La Belgique ne participant pas, nous avons été relégués au balcon.

Sur ce, il est temps de passer en revue les autres candidats et de vous livrer nos opinions personnelles sur leur chanson et leur prestation.

2e – Arménie – Mika – Love

Nous avons été fort surpris de le retrouver là, à la deuxième place. Mais Mika est un petit garçon surprenant, une véritable boule d’énergie, la quintessence même du Concours Junior. Le jeune chanteur a du charisme à revendre, presque autant que Destiny. Sa chanson dynamique est emblématique de ce qui plaît au public de cette compétition. Un concentré junior en somme…

3e – Slovénie – Lina Kuduzović – Prva Ljubezen (Premier amour)

Lina faisait partie des favoris, elle confirme son statut avec cette médaille de bronze. Une excellente chanson, une excellente interprétation qui n’aurait pas dépareillé le Concours tout court. Bon, certes, la jeune chanteuse a un peu trop regardé La Reine des Neiges et la moitié droite du canapé s’est posé une question existentielle : qu’est-ce qu’une pré-adolescente de douze ans connaît à l’amour ? Mais la magie opère…

4e – Biélorussie – Ruslan Aslanov – Volshebstvo (Magique)

Plaît-il ? Aurions-nous regardé les mêmes trois minutes ? Car il nous avait semblé que Volshebstvo était affligée de tous les travers du Concours Junior : à la fois emphatique et molle du genou. Par « molle du genou », nous entendons sans véritable ritournelle accrocheuse et marquante. Et tandis que Ruslan s’égosillait, nous nous sommes ennuyés. Nous avons été les seuls apparemment…

5e – Albanie – Mishela Rapo – Dambaje

Nous étions partagés sur cette chanson. Son refrain nous semblait très répétitif et pourtant, nous ne pouvions nous empêcher de le fredonner. « Dimbi dimbi damba je… » Là-dessus, la prestation de Mishela s’avéra visuellement pauvre et vocalement riche. Nous la voyions dans le ventre mou du classement, nous nous trompions. Notre seul espoir d’éditrices de mode est qu’une âme charitable ait brûlé cette robe…

6e – Russie – Mikhail Smirnov – Mechta (Dream)

Mikhail ressemble étrangement à Romeo Beckham. C’est à peu près la seule pensée qui a occupé notre esprit durant ces trois longues minutes. Il y a chez lui, en outre, un côté jeune prodige à qui tout réussi et un côté « École des Fans »… Nous avons cherché ses parents dans le public, en train de le filmer sur caméscope. Nous n’avons rien vu. Sur ces entrefaites, Mikhail s’en était allé. Il ne nous a pas manqué.

7e – Serbie – Lena Stamenković – Lenina Pesma (La chanson de Lena)

Bis repetita placent… Ici aussi, nous avons senti tout le talent de l’interprète, sans pour autant en faire grand cas. Oui, ces petites personnes chantent comme des grands, mais ils nous surjouent tout cela, on croirait Sarah Bernhardt dans la dernière scène de La Dame aux Camélias. Et la chanson de Lena, comme celle de Ruslan et celle de Mikhail est un enfoncement de portes ouvertes. Nous pensons donc que leur résultat final est plus la récompense de leur perfection vocale que de leur originalité artistique. En même temps nous diriez-vous, à onze ans… Et Destiny, alors ?

8e – Australie – Bella Paige – My Girls

Après le Concours, en mai, l’Australie faisait également ses débuts au Concours Junior. Et notre petit doigt nous dit qu’elle est là pour longtemps. Nous entendons déjà hurler les fanatiques du « Euro- » dans « Eurovision »… Seulement, vous le savez, nous, nous sommes des fanatiques du côté « Concours » et tout ce qui peut aiguiser cet aspect, nous semble louable et souhaitable. Donc, oui, plus de pays et surtout, plus de pays qui prennent la compétition au sérieux ! Donc, oui, nous nous déclarons en faveur de l’Australie, partout, tout le temps. Nous avons beaucoup aimé Bella Paige, bien que si elle avait été notre filleule, nous ne l’aurions pas laissé monter sur scène avec cette couverture de survie nouée autour de la taille. Quant au reste, tout était à notre goût et nous l’attentions plus haut. Mais soit, nous lui fixons rendez-vous en 2018, pour le Concours tout court.

9e – Bulgarie – Gabriela & Yvan – Colour Of Hope

C’était bien étrange ! Forcément, Gabriela et Yvan ont reçu une incroyable ovation, comme si soudain la Callas et Pavarotti étaient revenus en personne de l’au-delà… Et puis, cela y ressemblait tellement qu’ils nous ont mis mal à l’aise. Ces deux enfants étaient non seulement habillés comme des adultes, mais ont reproduit toutes les mimiques faciales et vocales de chanteurs d’opéra du siècle dernier. Un autre travers, selon nous, du Concours Junior : les enfants tentent d’imiter les adultes. Alors que Destiny… Sinon, le nœud papillon mauve, était-ce un hommage à Sandra Kim ?

10e – Géorgie – The Virus – Gabede (Ose)

Dieu sait combien nous avons lutté ! Sainte-Marie, oui, nous avons lutté, jusqu’au bout, jusqu’à l’inimaginable… Puis, nous avons craqué, lamentablement, honteusement, nous avons succombé au virus et avons passé nos journées à fredonner : « Ecade gabedo, sanam gadagedo… » Nous les attendions avec une impatience coupable, nous les avons beaucoup aimé et fatalement, à l’arrivée, nous avons été un peu déçus par leur résultat. Mais voilà là une autre caractéristique marquante du Concours Junior : le vote est encore plus dingue et imprévisible qu’au Concours !

11e – Ukraine – Anna Trincher – Start With Yourself

En prélude à son grand retour au Concours, l’Ukraine offre au Concours Junior, un résumé du meilleur de ce que ce grand pays à offrir : un visuel splendide, une production hors pair, une grande chanteuse et… et… c’est tout, hélas ! Pochny Z Sebe ne décolle jamais réellement et laisse l’impression d’un très long premier couplet. N’empêche que cette fleur de lotus nous a bien épatés. Et nous nous sommes trouvés une foule de circonstances durant lesquelles il nous plairait de sortir de pareil calice… Comme le matin, en arrivant au bureau… Ce serait autrement plus glamour que de tomber du tram…

12e – Irlande – Aimee Banks – Réalta Na Mara (Étoile de la mer)

Si seulement ! Si seulement la télévision irlandaise nous envoyait cela en mai, au Concours ! Elle retrouverait le chemin de notre cœur et surtout, celui de la crédibilité… Ce parti pris antimoderne, ce rebours complet de tout ce qui a précédé et suivi, ce retour aux sources nous a enchantés. Notre jugement d’adultes a différé du public junior, preuve de cette douzième place. Nous y avons vu un moment de pure grâce, d’enchantement, d’élévation musicale. Si nous avions pu, nous lui aurions certainement attribué quelques votes. Des débuts parfaits pour l’Irlande et nous voulons le croire, l’augure d’une victoire prochaine au Concours Junior.

13e – Monténégro – Jana Mirković – Oluja (Tempête)

Oluja est une excellente chanson pop, entraînante, facile, gaie. Elle se niche dans l’oreille pour ne plus la quitter. Jana nous a tenté une présentation à la Sertab Erener. Tout cela aurait pu conduire à une certaine apothéose… sauf que la performance vocale de Jana a failli. Des fausses notes en pagaille, une diction essoufflée, une chorégraphie hésitante lui auront coûté une excellente place. Mais au vu de ses mimiques à la fin de sa prestation, nous pensons qu’elle a dû s’en rendre compte elle-même…

14e – Saint-Marin – Kamilla Ismailova – Mirror

Tout cela reposait sur une brillante idée : une jeune fille russe, éprise de Saint-Marin, tente sa chance en envoyant son dernier morceau à la télévision locale et finit par la représenter au Concours Eurovision. Une belle histoire, une chanteuse talentueuse, un morceau de bonne facture… C’était sans compter l’effet « Yaourt ». Car chanter phonétique une langue que l’on ne maîtrise pas est une gageure. Que Kamilla a manqué ici… Néanmoins, Saint-Marin nous prouve qu’il y a une vie en-dehors de Ralph Siegel…

15e – Pays-Bas – Shalisa – Million Lights

Les meilleurs cuisiniers ratent parfois les recettes les plus classiques. La télévision néerlandaise en est la preuve : le piano, les bougies, le couple de danseurs, l’interprète qui vit profondément sa chanson, grimaces à l’appui… Pourquoi alors la mayonnaise n’a pas pris ? Les mystères insondables du Concours Junior… Nous remercions néanmoins la télévision néerlandaise pour sa participation, car sans elle, nous aurions été bien en peine de trouver une autre chaîne diffusant la soirée sur le territoire belge.

16e – Italie – Chiara & Martina – Viva

Ah, la pop italienne des années 90, industrielle, produite au kilomètre… C’est cette époque bénie de notre adolescence que nous ont fait revivre Chiara et Martina. Viva n’a jamais dépassé l’anecdotique, tout comme la prestation des jumelles. Sic transit gloria mundi : l’Italie qui avait remporté la compétition, l’année dernière, se retrouve à l’avant-dernière place. Soit, l’important pour nous demeure : finira-t-elle par remporter le Concours pour la troisième fois, en mai prochain ? Nous croisons les doigts…

17e – Macédoine – Ivana & Magdalena – Braid Of Love

Dans toute compétition, il faut hélas un dernier. Que cela soit la Macédoine ne nous surprend pas. « Pletenka, pletenka », nous avions eu l’intuition de cette lanterne rouge. De l’intuition, car nous serions incapables de la justifier rationnellement. Sans doute cette prestation rappelle trop le Concours Junior d’avant, celui des débuts, celui qui gêne et fait détourner les yeux…

Au final, nous nous sommes fort amusés et divertis devant cette treizième édition. Elle fut pour nous une fort agréable dérivation de notre quotidien anxiogène et nous attendons la quatorzième avec impatience !  Et si à présent, tentés par ce compte rendu, vous souhaitiez revoir cette treizième édition en son intégralité, cliquez simplement ici !

Bonus

Pour que vous puissiez comprendre le chemin parcouru par le Concours Junior, voici repris les douze précédents gagnants. Nous avouons une faiblesse coupable et criminelle pour 2011…

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014