L’Eurovision a failli tuer huit personnes, hier soir, à Bruxelles. Vous devinez pourquoi… Vu de France ou de Suisse, la statistique fait sourire ou hausser un sourcil. Mais je vous prie de croire que depuis la Belgique, se qualifier les derniers est la pire chose au monde. C’est affreux, horrible, certainement le pire moment de mon euro-existence. Alors, imaginez, trois années de suite… Je suis ressorti de là, la tête chancelante, le cœur battant et les jambes cotonneuses. Pourquoi, Jon Ola ? Pourquoi ? Enfin, bref, l’important est que nous nous soyons qualifiés. La Belgique en finale, pour la troisième année consécutive ! Vous m’auriez dit ça en 2014…

Voici donc, comme promis, le compte rendu de cette première demi-finale, telle que nous l’avons vécue. Vous revivrez à nos côtés ces 135 minutes incroyables. Vous découvrirez surtout les réactions spontanées et ingénues de mes meilleurs amis. La plupart d’entre eux découvraient chansons et présentations sur le vif. Vous aurez ainsi une idée (bien que la méthode ne soit pas scientifique) de l’effet qu’elles ont dû produire sur le grand public. Mais avant tout, posons le décor en photo !

Nous voici réunis, tous les huit, à Jette, chez mon meilleur ami. Jette est une commune du nord de Bruxelles (les communes bruxelloises sont à peu près l’équivalent des arrondissements parisiens). Notre groupe se composait, comme vous le voyez, d’une femme et de sept hommes, tous trentenaires. Cinq Belges francophones, un Belge germanophone (coucou, chéri !), un Espagnol et un Grec. Quatre fonctionnaires, deux enseignants, deux employés. Trois fans et cinq lambda. Mais des lambda éclairés, bien au courant des règles et des ficelles du Concours et l’ayant déjà regardé à de multiples reprises ces dernières années.

Te Deum et c’est parti !

OUVERTURE

C’est elle ? C’est Jamala ? Le salon s’attend à voir la gagnante de l’an dernier, comme la coutume de l’Eurovision le veut. Après une vidéo introductive sans objet, le spectacle démarre : entrée en scène de Monatik. Flottement. C’est pour le moins ukrainien. Pas mal, pas renversant. Comme prévu, la production abuse des plans larges. La scène est très belle. Mais ce sera une constante durant toute la soirée : le spectacle est filmé assez platement. Peu d’innovations visuelles et techniques, comme l’an dernier. Le rendu est beau, professionnel, un chouïa linéaire. Les graphismes sont réduits à leur stric minimum.

Entrée en scène des présentateurs. Le salon trouve qu’une présence féminine aurait été la bienvenue. Nos trois compères ne déchaînent pas l’enthousiasme. Comme la production, ils sont lisses et assez formatés. Ils mangent leurs mots. Leurs plaisanteries tombent à plat. Où est Edward af Sillén ? Notez que c’est très honnête. Un soupçon d’humour ironique et sarcastique aurait été malgré tout appréciable. Volodymyr parle suédois et français. Bien à lui. L’introduction est courte. Tant mieux !

SUÈDE

Excellente prestation de Robin. Le salon reste silencieux durant deux longues minutes, un record du genre. La prestation est scrutée avec attention. Les trois fans chantent en choeur. Tout le monde retient le signe de la main et parvient rapidement à le placer. Le tapis roulant marque les esprits. Le salon en vient à Robin : bon chanteur, ressemble de façon confondante à Ken. Un peu froid, tout de même. L’ensemble est très bien reçu. Le salon applaudit avec chaleur.

GÉORGIE

« Mon Dieu ! » Ainsi est accueillie Tamara. Ses ravalements de façade extensifs font jaser le salon. Terrible, effrayant, dommage. Sa robe et son maquillage provoquent les premiers éclats de rire. Sa gestuelle, aussi. Certains sont fascinés par son décolleté, d’autres pas du tout. 1min30 et personne n’a encore parlé de la chanson. Mauvais signe. Prestation impeccable de Tamara, pourtant. KTF atteint son acmé. Un fan se déclare. Les autres restent de marbre. Bof, en résumé. Le personnage éclipse le morceau. Exit prématuré pour la Géorgie.

AUSTRALIE

Attention accrue pour l’Australie. Excellent souvenir de l’an dernier. Silence prolongé. Le morceau plaît, la présentation aussi. Origine aborigène soulignée, appréciée. Bel ensemble. Et puis, bardaf, c’est l’embardée ! La chanson atteint son paroxysme, Isaiah rate ses notes aiguës. Fou-rire général du salon. Moi, dépité. Idiot de chuter ainsi à l’arrivée. Le salon se reprend, assez indulgent : à part ces fausses notes, l’ensemble est plutôt bon. Isaiah flotte dans les notations. À revoir lors du récapitulatif.

ALBANIE

Nouveaux éclats de rire et cris confus lorsque Lindita apparaît en gros plan. Même moi, je reste sans voix. Maquillée à la truelle et déguisée en mariée. Like A Virgin. Yeux écarquillés, regard perdu. Le salon continue à rire. La robe suscite des remous. Tarte. La chanson n’interpelle personne. Les vocalises de Lindita se heurtent à un mur d’indifférence. Le salon s’accorde : elle en fait trop. Exit unanime pour l’Albanie.

BELGIQUE

Cris d’impatience, puis, silence religieux. Instant crucial. Chacun tendu vers l’écran. La salle applaudit Blanche à tout rompre. Ovationnée durant toute sa prestation. Encourageant. Bonne prestation vocale. Excellente chanson. Bon visuel. Le salon se détent et complimente. Impossible d’être éliminés, ce soir. Trop bon. Blanche un peu froide au début. Lâche l’émotion à la fin. Allez la Belgique ! Le salon explose en bravos et en applaudissements au terme des trois minutes.

MONTÉNÉGRO

Du sublime au ridicule. Slavko a suscité le plus long et le plus intense fou-rire de la soirée. Le salon a été littéralement plié en deux, durant ses trois minutes sur scène. Moi, honte quand même. Slavko fait l’amour à la caméra, tripote sa tresse, se trémousse en tous sens. Ridicule. Chanson pas mauvaise, interprétation assez moyenne, mais spectacle affligeant. Le salon contre-balance : bien aussi d’avoir des propositions drôles et mauvaises à la fois. Fait partie du charme de l’Eurovision. Exit tout de même pour le Monténégro, mais exit dans les rires. Toujours mieux qu’exit dans l’ennui.

FINLANDE

Première surprise de la soirée : Finlande mal reçue par le salon. Les trois fans adhèrent. Les cinq lambda, pas du tout. Prestation jugée impeccable par tous. Mais les cinq s’ennuient. Premiers baillements. Chanson jugée plate et déprimante. Rien n’y fait, les cinq rejetent la proposition finlande. Le piano fumant les fait sourire. Verdict final irrémédiable : exit pour la Finlande ! Refus de ma part de croire en ce verdict. Y croirais jusqu’au bout. Aurais tort…

AZERBAÏDJAN

Dihaj cause sensation, par son look et sa présentation. Salon attentif et silencieux. Jugé très artistique, très audacieux. Plaît. Je suis renversé, j’adore à mort. Eurovision devient Art. Le salon aime la chanson, la chanteuse, l’interprétation, l’ensemble. Jugé mémorable. Applaudissements à la fin. Moins nourris que pour Suède et Belgique, mais applaudissements.

PORTUGAL

Fracture et salon partagé en deux. Après une minute de silence, une moitié adhère, l’autre renonce. Tout le monde trouve Salvador bizarre, pas dans un sens flatteur. Débat : les uns aiment, les autres s’ennuient. Pour les premiers, intemporel, émouvant. Pour les seconds, ennuyeux, démodé. Arbitrage : aurait pu être présenté en 1956, est présenté aujourd’hui, transcende les modes et les époques. Se qualifier ? Oui, car chanson élégante. Gagner ? Bof. Bon classement en finale ? Oui. Moi, pas convaincu pour un sou, légèrement agacé par Salvador.

GRÈCE

Les danseurs attirent l’oeil du salon. Fan grec, trépignant sur sa chaise. Salon attentif. Bonne prestation, bien reçue. Donne envie de danser. Entrée en scène des danseurs. Font l’amour dans un bac à eau. Distrayent l’attention. Effets visuels et écran transparent suscitent murmures élogieux. Pour salon, bonne chanson, bien Eurovision. Applaudissements feutrés, comme pour Azerbaïdjan. Qualification semble évidente.

POLOGNE

Kasia retient l’attention du salon. Très belle, très belle voix. Dramaturgie au point. Silence. Visuel animal remarqué, apprécié. Murmure appréciatif à l’arrivée des oiseaux. Prestation vocale impeccable. Kasia marque des points. L’attention se relâche vers la fin. Qualification estimée pour la Pologne. Sourire intérieur de ma part : personne ne semble plus se souvenir de Michal. Bien fait !

MOLDAVIE

Explication rapide de « mème » et de « Epic Sax Guy ». Rencontre l’ignorance du salon. Moldavie part donc de zéro. Salon attentif. Chanson jugée entraînante et sympathique. Refrain manque d’envolée. Tube de l’été. Le salon aime. Plaisant, léger, les mariées sont drôles. Bonne prestation vocale. Bref, accueil favorable. Pas favori, mais pourquoi pas la qualifcation ? Dois avouer à titre personnel : plaisir coupable.

ISLANDE

Dès première image, Svala suscite sursaut. Costume, poitrine, chirurgie esthétique. Attention du salon est déjà concentrée sur apparence physique. Dois avouer qu’elle me met mal à l’aise en gros plan. Visage effrayant. Le salon la décrypte comme un personnage, une diva. Sa chanson rencontre une molle indifférence. Les semelles compensées font rire. Svala ne capte pas l’attention. Mise en scène inexistante. Aucune dramaturgie. Manque sa cible. Exit collectif pour l’Islande.

RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Martina accueillie avec légère indifférence par le salon. Reconnaît ses mérites : chante bien, bonne prestation. Élégante, pas marquante. Bonne chanson de cabaret jazz, plate pour concours musical télévisé. Flottement d’attention et apartés. Les uns s’interrogent sur le visuel et ses corps nus. Les autres reprennent leurs notes et évaluations précédentes. Exit dans l’indifférence pour la République Tchèque.

CHYPRE

Deuxième surprise de la soirée : Chypre très bien reçue par le salon. Très, très bien. Hovig retient l’attention. Beau, charismatique, intense. Chanson très appréciée, compliments, intérêts. Salon captif. Trouve l’ensemble moderne, entraînant. Très bonne prestation. Marquant à l’écran. Hovig s’envole dans les notations. Re-compliments. Applaudissements finaux nourris. Moi, surpris quand même. Mais qualification à la carte.

ARMÉNIE

Artsvik marque à la première note. Salon attentif, charmé. Mélange pop occidentale et influences orientales plaît. Prestation parfaite. Visuel très beau. Chorégraphie appréciée. Compliments. L’Arménie engrange les points. FWM s’envole. Silence. Verdict : qualification. Aucun reproche. Certains rapprochent de Frozen. Comparaison audacieuse. Pourquoi pas ?

SLOVÉNIE

Cris d’étonnement : Omar ressemble de manière confondante à l’une de nos connaissances. Salon vite inattentif. Chanson plaît peu. Mauvaise comédie musicale, mauvais Disney. Jugée déphasée. Fans évoquent souvenir ému de 2005 et de Stop. Omar aurait dû s’arrêter là. Consensus : bon interprète, bonne présentation, mais chanson à la ramasse. Personne pour voter pour Omar. Exit pour la Slovénie.

LETTONIE

Agnese interpelle le salon. Qualifiée de « mélange étrange entre Katy Perry et Nina Hagen » et de « Barbie sous acide ». Jugée comme la plus barrée de la soirée. Odeur diffuse de Barbara-Dex. Cuissardes suscitent sarcasmes et moqueries. Chanson ne parvient pas à retenir l’attention. Présentation brouillonne et peu convaincante. La Lettonie chute dans un puit d’indifférence. Soupirs. « N’importe quoi », « pas drôle ». La soirée se conclut sur autre exit.

Bilan provisoire. Moi : triste, car déjà terminé. Salon : très bonnes chansons, très bon cru. Sept propositions ont suscité une adhésion immédiate et spontanée : Suède, Belgique, Azerbaïdjan, Grèce, Pologne, Chypre et Arménie. Sept propositions ont suscité un désintérêt immédiat et spontané : Albanie, Monténégro, Finlande, Islande, République Tchèque, Slovénie et Lettonie. Quatre chansons ont reçu un accueil tiède ou ont partagé le salon : Géorgie, Australie, Portugal et Moldavie. Méthode empirique, certes, mais qui vous donne une petite idée de l’impact sur les lambda.

ENTRACTE

Retour de Jamala. Le salon aurait préféré la revoir au début, en ouverture. Gagnante reçue avec mauvaise grâce, hélas. Mauvais souvenirs persistant de sa victoire, l’an dernier. Débat : salon ne comprend pas que chanson aussi ennuyeuse et déprimante ait pu l’emporter. Désintérêt et discussion sur d’autres sujets. Aucune attention portée à Jamala. Sa seconde chanson porte un peu plus sur les nerfs. Incompréhension et volonté de l’oublier à jamais.

QUALIFIÉS AUTOMATIQUES

Froide réception pour Manel. Salon trouve sa chanson plate et schématique. Pas répugnant, mais répétitif. Désintérêt rapide.

Lucie est intense. Bien reçue. Professionnelle. Visuel intéressant. Bien. Pas renversant, mais bien.

Intérêt accru, puisqu’il s’agit du favori. Les trois fans sont convaincus de sa victoire. Les cinq lambda trouvent cela très bien. Attendent samedi et les trois minutes complètes pour se prononcer définitivement.

PROCLAMATION

Le moment le plus éprouvant est arrivé. Silence profond sur le salon. Mon coeur bat la chamade. Vais-je survivre à ces cinq minutes écarlates ? Il faut que nous nous qualifions, il le faut, il le faut, il le faut. Coucou, Jon Ola ! Un petit coup de vieux, quand même. Compréhensible, après l’Enfer qu’il a traversé cette année. Sera sans doute l’homme le plus soulagé du monde, dimanche vers 00h30.

Silence ! Moldavie, nous avions raison ! Azerbaïdjan, Grèce, Suède, attendus. Portugal, certes. Pologne, Arménie, dans nos favoris. Suspense devenu insoutenable, pression insupportable. Tous les huit unis par les mains, tendus vers la télévision, en prière. Belgique, pour l’amour de Dieu, Belgique ! Mais : Australie, Chypre. Vertige, larmes aux yeux. Convaincu que ce sera la Finlande, la Finlande. Envie de mourir. Au bord de l’évanouissement. Et…. BELGIQUE ! Cris, hurlements, sauts sur place, embrassades, intense et profond soulagement, coeurs débordants de joie et de gratitude. Merci l’Europe, merci le monde ! Nous voilà en finale, pour la troisième année consécutive. Ah, que c’est bon, que c’est bon ! Presque envie de devenir croyant…

CONCLUSION

Le salon s’est séparé d’accord : excellente soirée, excellent moment. Organisteurs ukrainiens s’en tirent avec les honneurs. Impatience généralisée d’être déjà jeudi, pour la deuxième demi-finale.

Quant au classement mathématique, il réflète le sentiment spontané. Le voici, avec les moyennes générales sur vingt :

  1. Belgique – 17,06
  2. Chypre – 16
  3. Arménie – 15,56
  4. Azerbaïdjan – 15,25
  5. Suède – 14,69
  6. Grèce – 14,44
  7. Pologne – 13,81
  8. Australie – 13,38
  9. Portugal – 13,13
  10. Moldavie – 13
  11. République Tchèque – 12,63
  12. Finlande – 12,19
  13. Géorgie – 11,13
  14. Islande – 11
  15. Slovénie – 9,63
  16. Lettonie – 9,62
  17. Albanie – 7,75
  18. Monténégro – 6,5

Bien entendu, ce classement est empirique et n’a aucune prétention scientifique ou généralisante. Il comporte fatalement des biais d’âge, de culture et d’appartenance (d’où la première place de la Belgique). Il n’indique en rien les véritables résultats. N’empêche : nous sommes parvenus à deviner les dix qualifiés sans la moindre erreur ! Curieux et remarquable ! Et meilleur que votre propre pronostic !

Vous aviez justement prédit sept qualifications : celles de la Belgique, de l’Azerbaïdjan, de la Suède, du Portugal, de Chypre, de l’Australie et de l’Arménie. Vous aviez qualifiés la Lettonie, la Finlande et l’Islande. Vous aviez éliminés la Moldavie, la Pologne et la Grèce. Bien entendu, ceci est à nouveau à prendre avec des pincettes. À l’époque, vous ne connaissiez ni les mises en scènes, ni les présentations visuelles.

Nous nous quittons ici provisoirement. J’espère que vous avez passé de votre côté, une aussi bonne soirée que la nôtre et que la lecture de ce compte rendu vous aura distraits. Je vous embrasse et vous fixe rendez-vous vendredi pour le compte rendu de la deuxième demi-finale ! Parviendrons-nous à rééditer notre exploit statistique ? Si c’est le cas, il faudra que nous nous installions « Madame Soleil » !